Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

13 mai 1942

Radiomessage au monde entier à l’occasion de son jubilé épiscopal

Table des matières

C’est le 13 mai 1917, jour des pre­mières appa­ri­tions de la Sainte Vierge a Fatima, que Mgr Eugenio Pacelli reçut la consé­cra­tion épis­co­pale des mains du pape Benoît XV, en la cha­pelle Sixtine. Quelques jours plus tôt, le 20 avril, il avait été nom­mé nonce en Bavière. Le radio­mes­sage qu’il adres­sa au monde entier à l’occasion de son jubi­lé sou­ligne la jeu­nesse de l’Eglise et rap­pelle ses inter­ven­tions dans le conflit mondial.

Reconnaissance envers Dieu, auteur de tout bien.

Entouré du concours fidèle et recueilli du peuple de la Ville éter­nelle, en intime et pater­nelle union avec les mil­lions de chré­tiens répan­dus à tra­vers le monde entier, demain, dans la fête solen­nelle de l’Ascension de Jésus notre Sauveur, Nous mon­te­rons à l’autel papal de la basi­lique patriar­cale du Vatican pour offrir à Dieu, avec l’émotion de la plus pro­fonde et de la plus humble dévo­tion, le sacri­fice eucha­ris­tique. Une immense recon­nais­sance Nous anime et monte de Notre esprit vers l’Auteur de tout bien ; une joie inté­rieure, inef­fa­ble­ment douce, rem­plit Notre âme au sou­ve­nir de Notre con­sécration épis­co­pale que Nous rece­vions, il y a vingt-​cinq ans, des mains d’un de Nos pré­dé­ces­seurs de véné­rée et impé­ris­sable mémoire. Cher sou­ve­nir, qui fait jaillir de Notre cœur l’hymne de louange à Dieu, et qui Nous pousse à implo­rer, avec une ardeur véhé­mente, la béné­dic­tion céleste sur le trou­peau du Seigneur confié à Nos soins pater­nels et sur la labo­rieuse sol­li­ci­tude de l’Eglise pour le salut du monde.

Les afflictions de l’heure présente.

Ce jour anni­ver­saire, qui devrait res­plen­dir de joie pure et sereine pour tout le monde catho­lique, tombe en un temps de très grandes angoisses et souf­frances dont la parole du Sauveur semble expri­mer au vif l’actuelle réa­li­té : Consurget… gens in gen­tem, et regnum in regnum, et erunt pes­ti­len­tiae, et fames, et ter­rae­mo­tus per loca ; « Alors se dres­se­ra race contre race, nation contre nation, alors sévi­ront en divers lieux la peste, la famine, les trem­ble­ments de terre » (Matth., xxiv, 7). Au sein de si uni­ver­selles cala­mi­tés, quelle place y a‑t-​il, même dans le domaine reli­gieux, pour des fêtes qui sont le propre des jours de joie et de bon­heur ? La tra­gique vio­lence des évé­ne­ments au lieu de la joie nous sug­gère la péni­tence et la con­version, elle nous invite à nous exa­mi­ner et à nous puri­fier, elle nous aver­tit de chan­ger nos voies et de rec­ti­fier notre juge­ment, notre volon­té, notre action. Aussi est-​ce pour Nous, fils bien-​aimés, une source d’émotion, de vive satis­fac­tion et de tran­quilli­té que de voir Notre jubi­lé célé­bré dans le monde catho­lique tout entier par des prières, par des sacri­fices pour le bien de la sainte Eglise, aus­si bien que par de géné­reuses aumônes en faveur de mil­liers et de mil­liers de nos frères qui, dans leur indi­gence, si dou­lou­reuse en son infi­nie varié­té, frappent avec confiance à la porte des chré­tiens cha­ri­tables qui souffrent et qui pâtissent avec eux.

Parmi l’agitation et l’universel désar­roi de l’heure pré­sente, les inson­dables des­seins de Dieu sont venus Nous char­ger du far­deau de la même sol­li­ci­tude pas­to­rale que por­tait, il y a vingt-​cinq ans, le cœur magna­nime de celui qui, avec l’imposition des mains à l’autel de la cha­pelle Sixtine, Nous fai­sait le don de la plé­ni­tude du sacer­doce : saint héri­tage, mais com­bien pesant et dou­lou­reux ! Et voi­ci que le che­min par lequel l’amoureuse Providence de Dieu nous condui­sait abou­tis­sait de nou­veau à la Sixtine, où venait fondre sur Nos faibles épaules la digni­té du Souverain Pontificat, à laquelle Nous Nous sen­tons pro­fon­dé­ment inégal et, avec elle, un immense far­deau que l’explosion et l’extension de cette seconde guerre mon­diale ont ren­du si lourd, au point de sur­pas­ser celui de la pre­mière sous Benoît XV.

Inébranlable confiance.

Néanmoins, chers fils, Nous serions pas­sé sans pro­fit par l’école de Léon XIII, à l’intelligence si lumi­neuse ; de Pie X si émi­nent par sa pié­té ; de Benoît XV, si pers­pi­cace dans ses conseils et ses prévi­sions ; de Pie XI, débor­dant de saint et intré­pide cou­rage, si, dans le tour­billon de cette tour­mente uni­ver­selle, Nous accep­tions que pût, un seul ins­tant, vaciller en Nous cette cer­ti­tude fon­dée sur la foi, confir­mée par l’espérance et mûrie dans l’amour, la cer­ti­tude, disons-​Nous, que le Seigneur n’est jamais plus vigi­lant ni plus près de son Eglise qu’aux heures où ses fils, étreints par l’angoisse de la tem­pête, pour­raient en venir à crier : « O Maître, cela ne vous fait donc rien de nous voir som­brer ? Seigneur, sauvez-​nous, nous péris­sons ! » (Marc, iv, 38 ; Matth., viii, 25).

Près du tombeau du premier pape.

Mais, où donc Notre esprit va-​t-​il appuyer et affer­mir cette tran­quille sécu­ri­té ? Au tom­beau de Pierre, le pre­mier évêque de Rome. Quand, pros­ter­né devant ce tom­beau, Nous repas­sons dans Notre médi­ta­tion l’histoire des débuts de l’Eglise, il Nous semble voir le pre­mier pape, des­ti­né par le Christ lui-​même à en être la pierre fon­da­men­tale, lever vers Nous sa tête glo­rieuse et Nous dire : Obsecro, conse­nior et tes­tis Christi pas­sio­num… pas­cite qui est in vobis gre­gem Dei (i Pierre, v, 1). Alors, Nous contem­plons en esprit tous Nos bons fils de l’univers ras­sem­blés autour de Nous, innom­brables comme le sable de la mer ; alors, Notre cœur se dilate et Nous sen­tons inti­me­ment, pro­fon­dé­ment, le besoin d’ouvrir Nos lèvres et de nour­rir le cœur de cha­cun de vous de ce même pain de la ferme confiance qui toni­fie le Nôtre.

Merveilleux printemps de l’Eglise.

L’Eglise aus­si a eu et elle a son prin­temps, mer­veilleux comme elle-​même. Les trois grandes solen­ni­tés de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte, dans la sai­son même où la nature, se réveillant à une nou­velle vie, se pare de ver­dure et de fleurs et pré­pare, dans son tra­vail mys­té­rieux, le don des mois­sons et des fruits, ces solen­ni­tés ne forment-​elles pas aus­si un prin­temps spi­ri­tuel, qui nous rend plus aimable, plus cher et plus beau le prin­temps de la nature ? Ces fêtes res­plen­dissent au soleil de trois véri­tés suprêmes, de trois faits his­to­riques sublimes, de trois mys­tères de tout pre­mier éclat dans l’œuvre de la Rédemption ; elles sont les trois piliers fon­da­men­taux et inébran­lables du gigan­tesque édi­fice de la sainte Eglise, éga­le­ment pré­sentes à tous les siècles de l’histoire de l’Eglise, éga­le­ment mani­festes à toutes les géné­ra­tions de fidèles, ces véri­tés, par leur lumière, par leur puis­sance sur­na­tu­relle, illu­minent de leur réa­li­té his­to­rique le prin­temps du chris­tia­nisme qui ver­doie, se déploie luxu­riant et fleu­rit en dépit des vents et des tem­pêtes. C’est que le chris­tia­nisme, dès sa nais­sance, s’est dres­sé en géant, le front nim­bé des rayons de ces trois véri­tés, aurore de l’époque jus­te­ment appe­lée héroïque : à savoir les trois siècles écou­lés depuis la fon­da­tion de l’Eglise jus­qu’à la paix avec l’Empire romain, en 312, au temps de Constantin.

Vie héroïque des premiers chrétiens.

Ces trois mys­tères fon­da­men­taux, comme autant de rayons écla­tants de cette lumière du monde qui est le Christ, dirigent et accom­pagnent la marche de la jeune Eglise, épouse du Christ, guident ses pas et l’encouragent dans sa mon­tée à tra­vers l’obscure forêt du paga­nisme, dans son ascen­sion vers le som­met de la gran­deur à laquelle elle est pré­des­ti­née. L’esprit atta­ché avec une opi­niâtre cons­tance à la foi dans le Ressuscité et dans leur propre résur­rec­tion, l’œil fixé, avec une sainte envie, sur le Glorifié assis à la droite du Père et sur la céleste Jérusalem, éter­nelle et bien­heu­reuse demeure de ceux qui res­te­ront fidèles jusqu’au bout, l’âme enva­hie par la cer­ti­tude de la pré­sence for­ti­fiante de l’Esprit pro­mis et envoyé par Jésus ; vous les voyez, ces pre­miers chré­tiens, gran­dir par la hau­teur de la pen­sée, par la vigueur de l’action, par le cou­rage et par l’émulation de l’héroïsme moral, dans l’affirmation de la foi, dans les luttes et dans les souf­frances, lais­sant un exemple dont la force conqué­rante se mani­feste et se pro­page de siècle en siècle jus­qu’à nos jours, et même de nos jours plus que jamais, alors qu’il faut, pour sau­ve­gar­der l’honneur et le nom chré­tien, sou­te­nir de sem­blables luttes, affron­ter de sem­blables com­bats. Devant de tels ath­lètes dont le front est cou­ron­né du lau­rier triom­phal de la milice chré­tienne et sou­vent de la palme du mar­tyre, toute hési­ta­tion, toute timi­di­té s’évanouissent. La leçon que leur vie héroïque nous crie si haut ne suffirait-​elle pas à ras­sé­ré­ner l’esprit, à revi­go­rer le cœur, à rele­ver le front des chré­tiens d’aujourd’hui, à leur faire prendre conscience de leur magni­fique digni­té, à les rendre avides de leur sublime gran­deur, sou­cieux de la res­pon­sa­bi­li­té dont les charge la pro­fes­sion chrétienne ?

Quatre traits caractéristiques de la jeunesse de l’Eglise.

De cette chré­tien­té pri­mi­tive, à la nais­sance de laquelle nous reportent les pro­chaines solen­ni­tés de l’Ascension et de la Pentecôte, le pro­fil spi­ri­tuel est mar­qué de quatre traits carac­té­ris­tiques et indiscutables :

1° Certitude inébran­lable de la vic­toire, appuyée sur une foi profonde ;

2° Dédition sereine et sans réserve au sacri­fice et à la souffrance ;

3° Ardeur de vie eucha­ris­tique et inté­rieure jaillis­sant de l’intime convic­tion de l’efficacité sociale d’une pen­sée eucha­ris­tique sur toutes les formes de la vie sociale ;

4° Aspiration vers une uni­té d’esprit et de hié­rar­chie tou­jours plus com­pacte et indivisible.

Ce qua­druple carac­tère de la jeu­nesse de l’Eglise signi­fie, en cha­cun de ses traits domi­nants, un appel et en même temps une espé­rance et une pro­messe pour la chré­tien­té de nos jours. Mais le vrai chris­tia­nisme de nos jours n’est pas autre que le chris­tia­nisme pri­mitif. La jeu­nesse de l’Eglise est éter­nelle, parce que l’Eglise ne vieillit pas ; dans sa marche à l’éternité, elle ne fait que régler son allure, sui­vant les condi­tions de chaque temps : les siècles qu’elle compte ne sont pour elle qu’un jour, comme ne sont qu’un jour aus­si les siècles qu’elle attend. Sa jeu­nesse du temps des Césars est la même qui nous parle.

1. – Certitude de victoire.

La cer­ti­tude de la vic­toire, l’Eglise pri­mi­tive en pui­sait l’aliment, la fer­me­té, la tran­quilli­té dans les paroles du Maître : Ego vici mun­dum, « j’ai vain­cu le monde » (Jean, xvi, 33), paroles qu’on pou­vait bien gra­ver sur le bois de sa croix, éten­dard de ses triomphes. Faites en sorte que la chré­tien­té d’aujourd’hui soit péné­trée, embra­sée du feu ardent et lumi­neux de cette parole ; et vous res­sen­ti­rez au cœur la tran­quille et douce confiance de la vic­toire qu’elle vous assure ; quand achè­ve­ront de se dis­si­per les ténèbres des jours pré­sents, où tant de cœurs vivent dans la ter­reur et l’abattement, il n’arrivera rien de ce qui épou­vante les pusil­la­nimes, mais on ver­ra briller, radieuses et satis­faites, les espé­rances des cœurs fidèles et magnanimes.

L’Eglise d’aujourd’hui ne peut retour­ner pure­ment et sim­ple­ment aux formes rudi­men­taires du petit trou­peau pri­mi­tif. Dans sa matu­ri­té, qui n’est pas la vieillesse, elle garde le front haut ; elle montre dans ses membres l’indéfectible vigueur de sa jeu­nesse ; elle reste néces­sai­re­ment ce qu’elle fut dès le pre­mier ins­tant de sa nais­sance, tou­jours la même. Elle ne change ni dans son dogme ni dans sa vigueur : elle est inex­pug­nable, indes­truc­tible, invin­cible. Elle est im­muable, inal­té­rable selon la charte de sa fon­da­tion, scel­lée par le sang du Fils de Dieu ; et pour­tant elle se meut, et pour­tant elle revêt de nou­velles formes à mesure qu’elle avance en âge, pro­gres­sant tou­jours sans jamais chan­ger dans sa nature, parce que, dit admira­blement Vincent de Lérins, la reli­gion des âmes imite l’évolution des corps : ils se déve­loppent et croissent avec le nombre des années, ils demeurent tou­te­fois les mêmes, tels qu’ils ont tou­jours été[1]. Pouvant regar­der avec fier­té et sans crainte son pas­sé et le gigan­tesque édi­fice, presque deux fois mil­lé­naire, de son magis­tère et de sa dis­ci­pline, dres­sé grâce au plein épa­nouis­se­ment et éclair­cis­se­ment du dépôt de la véri­té qui lui fut confié, grâce à la crois­sance en force et en per­fec­tion de son uni­té inté­rieure, grâce au déve­lop­pe­ment de sa litur­gie qui gra­vite tout entière autour du Sacrifice de la sainte messe et des sacre­ments comme autour de son centre, grâce enfin à ce levain de l’esprit chré­tien qui, de plus en plus, mar­chant tou­jours avec le temps, vient s’infiltrer dans tous les élé­ments et toutes les condi­tions de la vie. L’Eglise, par­ve­nue désor­mais à la matu­ri­té de sa mis­sion de Mère uni­ver­selle du peuple croyant, l’Eglise, en pré­sence de besoins et de tâches plus vastes, ne consen­ti­rait pas, sous peine d’être infi­dèle à elle-​même, à retour­ner en arrière vers les formes de vie et d’action des pre­miers temps. Le Cénacle est deve­nu un temple plus gran­diose que celui de Salomon ; le petit trou­peau (Luc, xii, 32) s’est mul­ti­plié, il a pas­sé les fleuves et fran­chi les monts, il émigre vers tous les pâtu­rages de la terre ; le petit grain de séne­vé, sui­vant la pro­messe et la volon­té du Seigneur, est deve­nu un arbre immense et, sous son ombre, les peuples reposent. Non, il ne peut pas y avoir pour l’Eglise, dont Dieu conduit tous les pas et qu’il accom­pagne au cours des siècles, il ne peut pas y avoir pour une âme chré­tienne, qui exa­mine soi­gneu­se­ment l’histoire selon l’esprit du Christ, un recul vers le pas­sé, mais seule­ment le sou­ci de tou­jours avan­cer vers l’avenir, de tou­jours monter.

2. – Elan dans le sacrifice.

En un sens, pour­tant, le retour de l’Eglise à ses ori­gines est deve­nu, de nos jours, une pénible mais noble réa­li­té. Comme à son ber­ceau, et plus qu’à bien d’autres époques, tout imper­tur­bable qu’elle demeure en face de ses enne­mis, la fon­da­tion divine du Christ, en maints pays, lutte aujourd’hui pour son exis­tence. L’athéisme sec­taire, l’antichristianisme sys­té­ma­tique, le froid indif­fé­ren­tisme lui font la guerre et, ayant des concep­tions et des manières de voir qui sont loin de cadrer avec les cour­toises tra­di­tions des hautes contro­verses, s’abaissent trop sou­vent aux pro­cé­dés de la violence.

De nou­veau, aujourd’hui comme alors, en cer­tains pays, les auto­ri­tés, oublieuses des obli­ga­tions morales, et por­tées à confondre le droit avec la force, jettent à la face des chré­tiens les mêmes accu­sa­tions d’infractions aux lois que les Césars des pre­miers siècles pré­ten­daient consta­ter en Pierre et en Paul, en Sixte et en Laurent, en Cécile, Agnès, Perpétue et dans l’innombrable pha­lange de ces inno­cents qui, à pré­sent, res­plen­dissent de l’auréole des mar­tyrs, ici-​bas aux yeux de l’Eglise, dans le ciel en pré­sence de l’Agneau. Et ce délit que l’on reproche aux chré­tiens, quel est-​il donc sinon leur indé­fec­tible fidé­li­té au Roi des rois, au Seigneur des seigneurs ?

Ce n’est pas pour une autre rai­son qu’aujourd’hui encore, la foi vive au Fils de Dieu, la sou­mis­sion à sa loi, l’union spi­ri­tuelle à son Eglise, l’attachement à ses repré­sen­tants sur terre ont valu, en cer­tains endroits, une chaîne inin­ter­rom­pue de soup­çons et d’injures, d’évictions et d’ostracisme, de déchéance des droits per­son­nels et des mérites acquis, de tra­cas­se­ries et de tour­ments, de pau­vre­té et de souf­frances, de misères, de détri­ments et de dom­mages cor­po­rels et spi­ri­tuels. En de pareilles condi­tions, ter­reurs et dan­gers, que reste-​t-​il à notre temps, chers fils, sinon de nous repor­ter avec rai­son à l’épo­que de la pri­mi­tive Eglise et des magni­fiques exemples des chré­tiens d’alors, de leur foi ardente, de leur cou­rage imper­tur­bable, de leur conscience assu­rée de la vic­toire, d’y pui­ser, comme à une source de vaillance et de salut, une nou­velle force, un nou­vel élan, une nou­velle constance, convain­cus que tout ce qu’ils ont cru, espé­ré, aimé, deman­dé, accom­pli, souf­fert et glo­rieu­se­ment méri­té, est aus­si notre vie et notre gloire à nous et le tré­sor incor­rup­tible de l’Eglise ? Que cette vision des triomphes rem­por­tés par l’Eglise pri­mi­tive raf­fer­misse et exalte votre espé­rance et découvre à vos yeux, der­rière la tem­pête d’aujourd’hui, un hori­zon de nou­veaux triomphes. Tôt ou tard, l’éphémère cor­tège des troubles déchaî­nés ne fera que mettre en plus écla­tante lumière la véri­té conso­lante de cette parole de l’apôtre bien-​aimé : Haec est Victoria, quae vin­cit mun­dum, fides nos­tra, « la vic­toire qui triomphe du monde, c’est notre foi » (i Jean, v, 4).

Si le sang qui, dans les siècles d’épreuves, de souf­frances et de sacri­fices, mar­quait et rehaus­sait la beau­té de l’Eglise en sa jeu­nesse, nous semble à pré­sent le rubis le plus étin­ce­lant de son dia­dème triom­phal ; pour la chré­tien­té de notre époque aus­si, la gran­deur de la future vic­toire, conquise au feu de tri­bu­la­tions tor­tu­rantes, se mesu­re­ra à la géné­ro­si­té du sacri­fice. La volon­té virile et réso­lue de ces héros, qui nos prae­ces­se­runt cum signo fidei, a‑t-​elle donc pu être bri­sée par la fureur d’un Néron ou d’un Dioclétien, par les manœu­vres sour­noises d’un Julien l’Apostat ? L’inaltérable séré­ni­té de leur vaillance sans limites en face de toutes sortes de sup­plices et de mar­tyres ne se trou­blait ni ne vacillait au milieu des outrages sur outrages, des bles­sures sur bles­sures, de la vio­lence et des astuces des enne­mis du Christ. Une chré­tien­té, dont le regard est constam­ment fixé sur l’héroïsme des pre­miers siècles, ne peut pas ne pas res­ter fidèle à l’esprit de ce mot de saint Pierre au plus fort de la persé­cution : Si quid pati­mi­ni prop­ter jus­ti­tiam, bea­ti (i Pierre, iii, 14). Elle se mon­tre­ra digne de l’héritage de ses pères et, consciente de la gran­deur de sa mis­sion, elle conquer­ra, à l’heure mar­quée par Dieu, dans la peine, mais dans la gloire, une paix qui lui fera crier avec l’Apôtre des gen­tils : Deo autem gra­tias, qui dedit nobis vic­to­riam (i Cor., xv, 57).

3. – Ardeur de vie eucharistique.

Mais où trouvait-​elle donc vie et cha­leur, cette foi cou­ra­geuse des pre­miers chré­tiens ? Dans l’union eucha­ris­tique avec le Christ, source d’une conduite morale, pure et agréable à Dieu. A la table où l’on mange le Pain des forts, ils sen­taient s’allumer dans leur cœur une ardeur qui révé­lait et, tout à la fois, répan­dait autour d’elle l’éner­gie et la paix ; ils se sen­taient frères et sœurs en Jésus-​Christ, nour­ris du même pain, for­ti­fiés par le même breu­vage, unis dans une fra­ternelle com­mu­nau­té par un même amour, par une même espé­rance infaillible, liés par un lien intime et sublime qui, de mille cœurs et de mille âmes, fai­sait une immense famille vivant d’un seul cœur et d’une seule âme. Sur l’autel, sous le voile de la nour­ri­ture et du breu­vage, était réel­le­ment pré­sent le Dieu de leurs cœurs et des vic­toires qui allait lever son laba­rum à la place des aigles romaines pour la conquête du monde, d’un monde dont Rome serait le centre, non du pou­voir, mais de la foi.

Centre de la foi, l’idée eucha­ris­tique l’est aujourd’hui comme aux pre­miers siècles. Son pro­grès dans l’Eglise, son rayon­ne­ment spi­ri­tuel et vivi­fiant sur l’humanité que tour­mentent l’égoïsme, l’envie, les con­flits, les contra­dic­tions, l’abandon du dogme du Cénacle, doivent se faire plus vivants, plus puis­sants, pour atti­rer les cœurs au ban­quet divin, pour les dége­ler, pour les enflam­mer et pré­pa­rer en eux la cha­leur prin­ta­nière de la concorde des cœurs et de l’action fra­ter­nelle qui les réunisse tous dans la paix autour du Dieu du taber­nacle. Dans ce signe sanc­ti­fiant de l’Eucharistie, l’Eglise d’aujourd’hui tend, joyeuse et émue, la main à l’Eglise pri­mi­tive. L’appel et l’invitation du Christ, vivant au milieu de nous, ne se tai­ra jamais et si, par l’acte pro­vi­den­tiel qu’Il a ins­pi­ré à l’incomparable Pie X, Il a ouvert lar­ge­ment les écluses au fleuve bien­fai­sant et puis­sant de l’Eucharistie, dans la même mesure où elles étaient ouvertes aux pre­miers siècles, c’est qu’Il consi­dé­rait que le temps où nous vivons ne requiert pas de nous une moindre cha­ri­té fra­ter­nelle, une moindre dis­po­si­tion au sacri­fice, par quoi fut si grande et si admi­rable la prime jeu­nesse de l’Eglise.

4. – Unité d’esprit et de hiérarchie.

Non moins admi­rable et non moins ardent fut alors le zèle de la jeune Epouse du Christ pour la conser­va­tion, l’organisation et l’affermissement d’une indi­vi­sible uni­té liant ensemble les fidèles et leurs chefs. Et main­te­nant que se véri­fient les tra­giques consé­quences de la sépa­ra­tion qui écarte de la Chaire de Pierre tant de nos frères, aux dépens de toute la chré­tien­té et au détri­ment de leur propre puis­sance d’action dans le monde, là où, en revanche, l’union vitale entre le Pasteur et le trou­peau dans le monde catho­lique étend et mani­feste avec une évi­dence tou­jours crois­sante les bien­faits de son action, les cœurs des fidèles du Christ font mon­ter plus véhé­mente vers le ciel la prière ut unum sint ! A cette prière, bien d’autres, même de ceux qui vivent hors de l’Eglise visible, se joignent avec une ardente sin­cé­ri­té, parce qu’ils estiment que dans un monde hos­tile au Christ l’existence même du chris­tia­nisme est en péril.

Mais cette prière pour l’union de tous les croyants, d’où pourrait-​elle s’élever avec l’élan d’une plus intime cha­ri­té, vers Celui qui, le pre­mier, la lan­ça vers son Père, éclai­rant les âmes et tou­chant les cœurs, sinon de cette col­line sacrée vers laquelle, à l’heure pré­sente, se tendent les esprits et les oreilles de tout le monde catho­lique tour­né ad Petri cathe­dram atque ad Ecclesiam prin­ci­pa­lem, unde imi­tas sacer­do­ta­lis exor­ta est [2] ; de cette cita­delle de véri­té et de salut dont nul n’a com­pris ni expri­mé les vues hautes et larges avec plus de pro­fon­deur, avec plus d’éloquence que Léon le Grand, pape et doc­teur de l’Eglise, lorsqu’il écrit ces paroles mémo­rables : Beatus Petrus, Princeps Apostolici ordi­nis, ad arcem Romani des­ti­na­tur impe­rii, ut lux veri­ta­tis, quae in omnium reve­la­ba­tur salu­tem, effi­ca­cius se ab ipso capite per totum mun­di cor­pus effun­de­ret ?[3] D’où convient-​il que la prière ut unum sint, quand nous repen­sons à la pri­mi­tive Eglise, Mère unique et imma­cu­lée de toutes les Eglises, résonne d’une voix plus puis­sante sinon sur cette rive du Tibre, siège pro­vi­den­tiel du pre­mier Pierre, for­te­resse spi­ri­tuelle du chris­tia­nisme, où la grâce du ciel se mani­feste plus écla­tante et plus libé­rale ; sur cette rive dont les fastes peuvent consi­gner dans leurs pages les plus lumi­neuses le glo­rieux mar­tyre du Prince des apôtres et l’éminent pri­vi­lège d’avoir don­né à ses restes mor­tels leur der­nière demeure ?

Fouilles récentes dans les grottes vaticanes.

En cette jour­née, de ce lieu sacré, centre spi­ri­tuel du monde chré­tien et, pré­ci­sé­ment de nos jours où, en diverses régions, l’Epouse du Christ a de dures luttes à sou­te­nir, où ses fidèles enfants ont à souf­frir toutes sortes de tri­bu­la­tions pour leur cou­ra­geuse pro­fes­sion de chré­tien et pour leur dévoue­ment à l’Eglise, c’est pour Nous, ô fils bien-​aimés, une nou­velle et toute par­ti­cu­lière joie de pou­voir lan­cer vers vous et vous faire entendre le cri pro­fond qui, de l’ombre où repose la tombe de Pierre, jaillit comme un appel de la chré­tien­té du pas­sé à la chré­tien­té du pré­sent et ajoute à Notre propre voix, en un par­fait accord, l’éclat renou­ve­lé de sa force de persuasion.

L’arène du Vatican a aus­si, pouvons-​Nous dire, ses cata­combes. Bien que les fouilles com­men­cées et pour­sui­vies par Nos ordres dans la crypte de la Basilique vati­cane ne soient pas encore ame­nées à leur terme et aux­quelles Nous avons, il y a plus d’un an, fait allu­sion à l’occasion de l’inauguration du monu­ment funèbre de Notre inou­bliable pré­dé­ces­seur, elles ne manquent pour­tant pas de jeter une nou­velle et vive lumière pré­ci­sé­ment sur ces pre­miers temps où l’Evangile de la croix com­men­çait à reten­tir pour plan­ter la racine de sa puis­sance spi­ri­tuelle d’attraction dans le sol romain, où la jeune Eglise s’apprêtait à gra­vir le sen­tier âpre et san­glant de cette longue et sécu­laire voie dou­lou­reuse qui devait, à tra­vers ces pre­miers siècles, la conduire, sous Constantin, à son paci­fique triomphe.

Importantes découvertes archéologiques.

Déjà les tra­vaux de l’an der­nier avaient fait décou­vrir sous la grande nef de la basi­lique, en ligne directe vers la Confession, avec une cer­ti­tude que l’on n’avait encore jamais obte­nue, l’existence d’un grand cime­tière païen dont les monu­ments carac­té­ris­tiques, datant du pre­mier siècle, avaient été dres­sés entre les limites d’une area per­pe­tuas sepul­tu­rae tra­di­ta uti­li­sée déjà aupa­ra­vant. Cette nécro­pole pré­chré­tienne a four­ni la preuve la plus claire de l’exactitude de la tra­di­tion romaine qui avait cher­ché pré­ci­sé­ment la tombe du Prince des apôtres sur le ter­ri­toire d’un tel cime­tière païen.

Et voi­ci que, au cours des tra­vaux, se des­sinent les lignes fonda­mentales de la basi­lique de Constantin dans toutes ses par­ties essen­tielles, avec une clar­té tou­jours plus nette ; gra­duel­le­ment, se mani­festent aus­si les dif­fi­cul­tés peu com­munes que l’architecte impé­rial eut à sur­mon­ter, tant du point de vue tech­nique que du point de vue psy­cho­lo­gique, pour conce­voir et exé­cu­ter son oeuvre gran­diose. Quiconque des­cend dans ces fouilles et s’arrête à exa­mi­ner et à éva­luer les obs­tacles énormes qu’il a fal­lu vaincre pour creu­ser des fon­da­tions dans ce ter­rain acci­den­té et irré­gu­lier du Vatican, pour nive­ler une région sépul­crale que ses monu­ments, nom­breux et aimés, ren­daient sacrée aux yeux même de la Rome païenne et à beau­coup de familles, recon­naît dans ces restes impo­sants qui se découvrent aujourd’hui à nous la preuve la plus convain­cante que l’empereur n’a pu, ni dû suivre dans le choix de l’emplacement de sa basi­lique des rai­sons de com­mo­di­té, mais que cet empla­ce­ment lui était impo­sé par la situa­tion exacte du sépulcre de l’apôtre.

Le résultat des fouilles.

Grâce à ces consi­dé­ra­tions et à une étude com­pa­ra­tive des sources cor­res­pon­dantes, il n’a pas été mal­ai­sé de retrou­ver l’antique Con­fession semi-​circulaire, qui remonte peut-​être au temps de saint Grégoire le Grand, et dont les murs de marbre portent, gra­vé en sou­ve­nir par d’innombrables pèle­rins depuis le début du moyen âge, le signe de la sainte croix.

Du mois de sep­tembre der­nier jusqu’à aujourd’hui, l’on a exhu­mé plus de 1500 mon­naies, soit antiques, soit médié­vales, qui démontrent que ces pieux pèle­rins venaient en grand nombre, non seule­ment de Rome et de l’Italie, mais de toutes les par­ties du monde alors connu : avant tout de la France, repré­sen­tée par les mon­naies de ses arche­vêques, évêques et abbés, de ses rois, de ses ducs, comtes, vicomtes, sei­gneurs ; puis de la Germanie, des Pays-​Bas, de la Suisse, de l’Espa­gne, de l’Angleterre, de la Bohême, de la Livonie, de la Hongrie, de la Slavonie, de tout l’Orient latin.

Mais, dans sa par­tie cen­trale, où s’élèvent, l’un au-​dessus de l’autre, trois autels d’époques dif­fé­rentes, le zèle infa­ti­gable des pros­pecteurs a décou­vert un monu­ment, simple de forme, auquel, pour­tant, bien avant l’époque constan­ti­nienne, la dévo­tion des fidèles avait attri­bué le carac­tère d’un lieu de culte véné­ré. En témoignent les graf­fi­ti que l’on aper­çoit à l’intérieur du monu­ment sur l’une des parois, et qui pré­sentent la même forme que montrent les tombes des mar­tyrs dans les cime­tières chré­tiens. Ces graf­fi­ti, qui nous repor­tent au temps des per­sé­cu­tions, nous four­nissent la cer­ti­tude histori­que que nous sommes ici en pos­ses­sion des restes de ce tro­paeum, dont par­lait le prêtre Gaïus vers l’an 200 après Jésus-​Christ, dans les expres­sions enthou­siastes que nous trans­met Eusèbe : Ego autem Apostolorum tro­paea pos­sum osten­dere [4]. Paroles qui nous font, une fois encore, revoir Gaïus comme pré­sent dans les mys­tiques ténèbres des grottes vati­canes. Au rap­pel que fait Eusèbe lui-​même des Petri Paulique nomine insi­gni­ta monu­men­ta, quae in urbis Romae coe­me­te­riis etiam­num visun­tur [5] ; ajou­tez encore la fou­gueuse inter­pel­la­tion du Docteur de l’Eglise, saint Jérôme, au prêtre Vigilance : Male facit ergo Romanus epi­sco­pus, qui super mor­tuo­rum homi­num Petri et Pauli, secun­dum nos ossa vene­ran­da, secun­dum te vilem pul­vis­cu­lum, offert Domino sacri­fi­cia, et tumu­los eorum Christi arbi­tra­tur alta­ria ? [6]Et vous ver­rez quelle nou­velle lumière et quelle nou­velle force ces témoi­gnages, et d’autres encore, reçoivent du fait des décou­vertes et des véri­fi­ca­tions accom­plies jusqu’ici. Toutes convergent et s’accor­dent en une har­mo­nieuse uni­té avec le lan­gage des monu­ments retrou­vés, dans les­quels saxa loquun­tur. Mais du sein de cette har­mo­nie de tant de voix concor­dantes n’entendez-vous pas mon­ter, puis­sant, le cri de la cer­ti­tude et de l’assurance indé­fec­tible de l’Eglise pri­mi­tive gran­die dans la souf­france et dans la lutte, cri qu’elle adresse comme un encou­ra­ge­ment à la foi et à l’espérance de la vic­toire à ceux qui, en nos jours troubles, mais avant-​coureurs de grands et déci­sifs évé­ne­ments, sont appe­lés à conser­ver ou à rendre à l’humanité errante et assoif­fée de paix les béné­dic­tions du Rédemp­teur, à assu­rer à la croix du Christ dans la cita­delle de cette huma­nité cet autel qui lui est dû et à elle seulement ?

L’Eglise et le conflit mondial.

De même que la divine mis­sion de l’Eglise soli­de­ment bâtie sur la roche de Pierre n’est pas sur la terre limi­tée dans l’espace, dans le temps son action n’a d’autre limite que la durée de l’humanité. Comme tou­jours, à mesure que se déroule la série des géné­ra­tions, le moment pré­sent, à son tour, lui offre et lui impose de nou­velles et par­ti­cu­lières réso­lu­tions, devoirs et tâches.

Les appels au secours qui, chaque jour, Nous sont adres­sés, Nous diraient, si Nous ne le savions déjà, ce que demandent et exigent de l’Eglise l’urgence et l’angoisse de cette heure : à savoir qu’elle mette en œuvre son auto­ri­té afin de mettre un terme à l’actuel con­flit et pour que le tor­rent de larmes et de sang aille se perdre dans l’océan d’une paix équi­table pour tous et durable.

Notre conscience Nous rend témoi­gnage que, dès l’instant où les secrets des­seins de Dieu ont char­gé Nos faibles forces du far­deau, aujourd’hui si pesant, du sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, Nous avons, aus­si bien avant que la guerre n’éclate que durant tout son cours, tra­vaillé pour la paix de toute Notre âme, de toutes Nos forces, dans les limites de Notre minis­tère apos­to­lique. Mais main­te­nant que les peuples vivent dans l’attente anxieuse et dou­lou­reuse de nou­velles opé­ra­tions immi­nentes, Nous sai­sis­sons l’occasion qui Nous est offerte par l’anniversaire d’aujourd’hui, pour dire, une fois de plus, une parole de paix ; et Nous la disons avec la conscience de notre abso­lue impar­tia­li­té à l’égard de tous les bel­li­gé­rants, avec un égal amour pour tous les peuples, sans aucune exception.

Nous savons bien que, dans l’actuel état de choses, il n’y aurait guère de chances de suc­cès à for­mu­ler des pro­po­si­tions concrètes en vue d’une paix juste et équi­table. Bien plus, chaque fois que l’on pro­nonce une parole de paix, on risque de heur­ter l’une ou l’autre par­tie ; de fait, tan­dis que les uns se pré­valent des résul­tats obte­nus, les autres placent leur espé­rance dans les batailles à venir. Cependant, si la com­pa­rai­son actuelle des forces, des gains et des pertes dans le domaine poli­tique et mili­taire ne laisse entre­voir pour le moment aucune pos­si­bi­li­té pra­tique immé­diate de paix, il n’en est pas moins vrai que les ruines semées par la guerre entre les peuples dans le domaine maté­riel et spi­ri­tuel ont fini par s’accumuler à tel point qu’elles appellent, pour enrayer leurs pro­grès, tout effort capable d’aboutir à une rapide conclu­sion du conflit. Sans par­ler des vio­lences et des cruau­tés arbi­traires, contre les­quelles en d’autres cir­constances Notre voix a fait entendre ses aver­tis­se­ments – et Nous les renou­ve­lons aujourd’hui avec une plus vive et plus sup­pliante insis­tance devant la menace de pro­cé­dés guer­riers encore plus meur­triers – la guerre par elle-​même, avec la per­fec­tion tech­nique des armes, cause aux peuples des peines, des dif­fi­cul­tés et des souf­frances inouïes. Notre pen­sée va à ces valeu­reux com­bat­tants, aux mul­ti­tudes qui vivent dans les zones d’opérations, dans les ter­ri­toires occu­pés ou dans leur propre pays. Nous pen­sons – com­ment pourrions-​Nous n’y pas pen­ser ? – à ceux qui sont tom­bés, aux mil­lions de prison­niers, aux mères, aux épouses, aux enfants qui, sans pré­ju­dice de leur vif amour de la patrie, sont en proie à une angoisse mor­telle. Nous pen­sons à la sépa­ra­tion des époux, à la désor­ga­ni­sa­tion de la vie de famille, à la disette et à la détresse éco­no­miques. Chacun de ces noms de maux et de ruines n’évoque-t-il pas un nombre infi­ni de cas navrants, dans les­quels se tota­lise et se résume le fléau le plus déplo­rable, le plus ter­rible, le plus véhé­ment qui ait jamais fon­du sur l’humanité, au point de faire envi­sa­ger avec effroi un pro­chain ave­nir de graves et sombres périls éco­no­miques et sociaux ?

Pendant des dizaines d’années, une gigan­tesque étude et un effort d’intelligence et de bonne volon­té s’étaient consa­crés à éla­bo­rer et à appli­quer une solu­tion de la ques­tion sociale ; et main­te­nant les peuples en sont réduits à consta­ter que les richesses natio­nales, dont la sage admi­nis­tra­tion dans l’intérêt public consti­tuait un des fon­dements de cette solu­tion, sont gas­pillées par cen­taines de mil­liards pour la des­truc­tion des biens et des vies.

La guerre et la famille.

Mais, der­rière le front de com­bat, du sein des détresses et des embar­ras domes­tiques que Nous avons signa­lés, se dresse et s’étend désor­mais sur toute la face du monde un autre front immense, le front des familles angois­sées et meur­tries. Dès avant le conflit, cer­tains peuples, aujourd’hui en armes, n’arrivaient pas à éga­ler le nombre des ber­ceaux à celui des tombes ; et, à pré­sent, la guerre, loin de remé­dier au mal, menace de pré­ci­pi­ter à la ruine phy­sique, éco­nomique et morale, les nou­veaux reje­tons de la famille.

Aux gou­ver­nants des nations, Nous vou­drions adres­ser encore une parole pater­nelle : la famille est chose sacrée ; elle n’est pas seule­ment le ber­ceau des enfants ; elle est celui de la nation, de sa force, de sa gloire. N’arrachez pas, ne détour­nez pas la famille de sa fin si haute qui lui est assi­gnée par Dieu ! Que l’époux et l’épouse, fidèles à rem­plir leurs devoirs conju­gaux et fami­liaux, trans­mettent au foyer domes­tique le flam­beau de la vie du corps, et avec elle de la vie spi­ri­tuelle et morale, la vie chré­tienne, aux nou­velles géné­ra­tions : Dieu le veut. Que, dans la famille, sous la vigi­lance des parents, gran­dissent des hommes de carac­tère loyal et de droite com­pé­tence, qui soient un jour des membres utiles et irré­pro­chables de la socié­té humaine, virils par­mi les conjonc­tures joyeuses ou tristes, obéis­sants à l’autorité et à Dieu : telle est la volon­té du Créateur. Qu’on ne fasse pas de la mai­son de famille et de “l’école uni­que­ment le ves­ti­bule d’un champ de bataille ; que les époux ne soient pas, d’une manière per­ma­nente, sépa­rés l’un de l’autre ; que les enfants ne soient pas pri­vés, pour leur corps et pour leur âme, de la vigi­lante sol­li­ci­tude de leurs parents ; qu’on ne voue pas à la sté­ri­li­té les salaires et les for­tunes de la famille.

De ce front de la famille, un cri una­nime par­vient jusqu’à Nous : rendez-​nous à nos occu­pa­tions du temps de paix ! Si vous avez à cœur l’avenir de l’humanité, si votre conscience, en pré­sence de Dieu, recon­naît quelque valeur à ce qu’est pour l’homme le nom de père et de mère, et ce qui fait la véri­table féli­ci­té de vos enfants, ren­dez la famille à son œuvre de paix !

Appel aux hommes d’Etat en faveur de la paix.

Comme avo­cat de ce front de la famille – Dieu veuille la main­tenir loin de toutes les voies qui mènent à de sinistres et funestes troubles 1 – Nous adres­sons un cha­leu­reux et pater­nel appel aux hommes d’Etat, afin qu’ils ne laissent échap­per aucune occa­sion capa­ble d’entrouvrir la voie à une paix hono­rable de jus­tice et de modé­ration, à une paix issue d’une entente libre et féconde, alors même qu’elle ne devrait pas répondre de tous points à leurs attentes. Le front uni­ver­sel de la famille qui, sur le front de guerre, compte tant de cœurs de pères, d’époux, de fils qui, par­mi les périls et les fatigues, les espé­rances et les dési­rs, battent du double amour de la patrie et du foyer domes­tique, recou­vre­ra le calme et la tran­quilli­té dans la vision d’un hori­zon nou­veau. La recon­nais­sance de l’humanité et aus­si l’approbation de leur propre nation ne man­que­ront pas à ces nobles et géné­reux gou­ver­nants qui, le jour de leur ren­contre avec l’autre par­tie, pos­sé­dée, elle aus­si, des mêmes sen­ti­ments, choi­si­ront, sous l’impulsion, non de la fai­blesse, mais de la conscience de leur res­pon­sa­bi­li­té, la voie et le ter­rain de la modé­ra­tion et de la sagesse.

Animé de cette confiance, il ne Nous reste, fils bien-​aimés, qu’à faire mon­ter vers le Père des misé­ri­cordes et des lumières de la sagesse d’ardentes prières, afin qu’il hâte l’aurore d’un jour tant dési­ré. « Demandez et vous rece­vrez », nous répète le divin Rédemp­teur, Prince de la paix, doux et humble de cœur, qui nous appelle à Lui pour nous récon­for­ter dans nos abat­te­ments et nos las­si­tudes. Réveillons en nous-​mêmes l’esprit d’amour. Tenons-​nous prêts, avec notre foi, avec notre labeur, à coopé­rer, après le plus géné­ral, le plus déso­lant, le plus san­glant car­nage de l’histoire, au for­mi­dable et im­mense tra­vail de recons­truc­tion et de res­tau­ra­tion, pour recons­truire, du chaos des ruines maté­rielles et morales, un monde paci­fié et uni par les liens de l’amour fra­ter­nel, un monde où, par le secours du Tout-​Puissant, nova sint omnia, cor­da, voces et ope­ra [7].

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien des A. S. S., XXXIV, 1942, p. 154 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 100 ; les sous-​titres sont ceux du texte original.

Notes de bas de page
  1. Commonit., n. XXII ; Migne, P. L., t. L., col. 668.[]
  2. S. Cyprien, Epist. LIX ad Cornelium Rom., XIV, 2.[]
  3. Serm. LXXXII, c. III ; Migne, P. L., t. LIV, col. 424.[]
  4. « Je puis, moi, mon­trer les tro­phées des apôtres ». Hist. Eccl., l. II, c. XXV ; Migne, P. G., t. XX, col. 210.[]
  5. « Monuments déco­rés des noms de Pierre et de Paul, que l’on peut voir encore à pré­sent dans les cime­tières de la ville de Rome ». Ibid., loc. cit.[]
  6. « A‑t-​il donc tort, l’évêque de Rome, de célé­brer le sacri­fice au Seigneur sur les restes de ces morts, Pierre et Paul, osse­ments sacrés à nos yeux et, aux tiens, vile pous­sière, et de regar­der leurs tombes, comme des autels, » Contra Vigil., c. VIII ; Migne, P. L., XXIII, col. 361–362.[]
  7. « Tout soit renou­ve­lé, les cœurs, le lan­gage et les œuvres ». Hymne des Matines de la Fête-​Dieu.[]