Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

13 mars 1943

Discours aux curés et aux prédicateurs de carême de Rome

Table des matières

Comme il l’a fait les années pré­cé­dentes, le Saint-​Père a don­né aux curés et aux pré­di­ca­teurs de carême de Rome des conseils pour leur deman­der d’ex­hor­ter les fidèles à la prière et à la célé­bra­tion du diman­che, à l’as­sis­tance à la sainte messe et à la fré­quen­ta­tion des sacrements.

Volontiers, Nous Nous adres­sons pater­nel­le­ment à vous, chers fils, qui êtes Nos coopé­ra­teurs dans la sol­li­ci­tude spi­ri­tuelle qui s’exerce à l’égard de cet auguste dio­cèse de Rome qui Nous est par­ti­cu­liè­re­ment cher non seule­ment parce que Nous sommes le Père com­mun, mais aus­si parce que Nous sommes son propre Pasteur et évêque. A ce peuple qui l’attend avec une sainte avi­di­té, vous dis­tri­buez au temps du carême le pain de la divine doc­trine, selon la matière que Notre zélé et très digne cardinal-​vicaire vous a indi­quée. Ce pain est vrai­ment un pain quo­ti­dien ; c’est le pain de la prière. Instruire les fidèles sur la nature et l’efficacité d’un si sub­stan­tiel élé­ment et ali­ment compte tou­jours et par­tout par­mi les obli­ga­tions et les buts les plus impor­tants de l’apostolat. Mais l’im­portance de la prière est aujourd’hui pour Notre dio­cèse d’une valeur et d’une néces­si­té spé­ciales, parce que Rome a souf­fert, elle aus­si, d’un affai­blis­se­ment de la vie reli­gieuse, affai­blis­se­ment géné­ral à notre époque et aggra­vé par les condi­tions qui accom­pagnent l’accroissement et l’extension d’une grande ville. Vous en connais­sez l’agrandissement et le déve­lop­pe­ment : là où per­sonne n’habitait, vous voyez s’entasser une nou­velle popu­la­tion, un nou­veau trou­peau à paître et à ras­sem­bler autour des autels. Devant un tel spec­tacle, votre cœur d’apôtre se dilate : votre mis­sion, si elle n’est pas facile et si elle exige aus­si une promp­ti­tude à tous les sacri­fices, doit éga­le­ment, noble comme elle l’est, sus­ci­ter et enflam­mer dans vos âmes un zèle ardent et géné­reux, à la hau­teur des besoins reli­gieux des fidèles.

La Rome priante.

Si nous jetons un regard sur l’histoire des siècles pas­sés, Rome, déjà aux pre­miers temps de la foi, nous appa­raît comme une ville priante, non certes dans les ora­toires et dans les temples du paga­nisme, mais priant le seul vrai Dieu dans les mai­sons par­ti­cu­lières des pre­miers dis­ciples du Christ ou bien, lors ‑des périodes de plus grand péril, dans les Catacombes, puis, dès la fin du IIIe siècle, dans des édi­fices à l’air libre, véri­tables églises sem­blables aux nôtres et, enfin, dans des basi­liques gran­dioses et magni­fi­que­ment déco­rées : parce que la prière fut, dès lors, pour Rome, l’arme la plus puis­sante pour vaincre, triom­pher et se main­te­nir dans les per­sé­cu­tions, pour res­ter forte devant les tri­bu­naux et dans les sup­plices, pour mou­rir mar­tyre du Christ sous le fer des bour­reaux. La prière était l’arme de sa défense et de son espé­rance ; ses basi­liques et ses autels d’élévation vers Dieu étaient des rem­parts et des for­te­resses de foi ; les autels des mar­tyrs étaient des sanc­tuaires et des tombes d’où la pié­té chré­tienne appe­lait, des régions loin­taines et d’au-delà des mers, même les princes chré­tiens cou­ron­nés, à s’agenouiller dans la prière et à choi­sir dans ces lieux véné­rés la place où leurs dépouilles mor­telles repo­se­raient. S’il ne faut pas, certes, atté­nuer les défi­ciences qui exis­taient dans la vie reli­gieuse au moyen âge et dans les siècles sui­vants, toute la vie publique, dans n’importe quelle classe sociale, était accom­pa­gnée, ani­mée, enno­blie par la prière ; on pour­rait même dire que le chré­tien était édu­qué, per­fec­tion­né, main­te­nu dans la prière par la socié­té elle-​même. Que Rome res­plen­dît aux yeux comme une ville priante, l’histoire en témoigne et c’est ain­si que ‑l’ont connue et décrite les pèle­rins qui, aux époques des jubi­lés y affluaient en très grand nombre de toutes les par­ties du monde. De com­bien de vœux et de dési­rs les tom­beaux des saints apôtres Pierre et Paul ne furent-​ils pas l’objet par de nom­breux saints et saintes aux âmes ardentes qui, sur les rives sacrées du Tibre, apprirent les chants litur­giques et les hymnes dévotes d’adoration de Dieu et les firent ensuite entendre dans leur patrie et dans d’autres lieux, dans leurs églises, dans leurs retraites, dans leurs monas­tères ! On sait du reste l’importance extra­or­di­naire qu’avaient pour la vie reli­gieuse de Rome les confra­ter­ni­tés et les pieuses unions au XVe siècle et dans les temps qui sui­virent [1].

La Rome qui prie moins.

Mais aux époques récentes, cette pra­tique pieuse et éten­due de la prière fut per­due, non pas comme si la Rome priante eût été détruite ou eût dis­pa­ru, mais bien parce que cette pra­tique devint tou­jours davan­tage étran­gère à la vie publique qui, loin d’attribuer une valeur quel­conque à la prière, trop sou­vent, la trou­vait gênante et deve­nait pour elle le plus grand obs­tacle. Déjà l’accroissement en tous sens d’une immense et popu­leuse capi­tale qui s’incorpore des hommes de toutes régions, aux ten­dances des plus dis­pa­rates, ne devait pas contri­buer à conser­ver à la ville son carac­tère reli­gieux tra­di­tion­nel. La véri­table cause de cette rup­ture de la tra­di­tion est à cher­cher dans la trans­for­ma­tion laïque à laquelle Rome a été sys­tématiquement sou­mise. Ainsi, la son­ne­rie tra­di­tion­nelle des cloches des nom­breuses églises de la ville ne semble plus une invi­ta­tion et un signe de dévo­tion et de prière ; l’éducation du peuple dans la famille et dans les écoles se donne hors du che­min qui mène à l’église et à la prière. Pareil pro­cé­dé fit se lever, par réac­tion, une vigou­reuse pha­lange de catho­liques qui, lut­tant contre le cou­rant, dédai­gneux de tout mépris, vou­lurent tou­jours mieux éle­ver leur cœur et leurs mains vers Dieu dans la prière. Mais, par cette lutte du mal avec le bien, sur­git en même temps la grosse pha­lange de ceux qui, plus sou­cieux de la matière que de l’esprit, s’habituèrent à la per­ni­cieuse et funeste sépa­ra­tion de la pra­tique reli­gieuse d’avec la vie civique, pro­fes­sion­nelle et sociale. De là, enfin, sor­tit la foule tou­jours plus grande de ceux qui ne prient plus, n’élèvent jamais leur pen­sée vers Dieu. On a dit que le ciné­ma est, dans les grandes villes, l’église des hommes modernes. Cette affir­ma­tion peut paraître et elle est, de fait, un para­doxe de mau­vais goût ; mais vous savez cepen­dant quel fond de véri­té tra­gique, de fruits amers, de ter­ribles dan­gers, elle recouvre et contient.

Obligation et dignité de la prière.

Que disent et que demandent à tous les apôtres ces condi­tions à la fois si tristes et si attris­tantes ? Elles mani­festent la déca­dence et l’oubli de la pen­sée de l’âme et de Dieu chez le peuple chré­tien. Elles réclament la répa­ra­tion du mal, en indi­quant le che­min à suivre pour le vaincre qui est de ravi­ver dans les consciences, prin­cipalement dans celles des hommes, la salu­taire et néces­saire con­viction que la prière est non seule­ment un devoir de l’âme, mais aus­si une obli­ga­tion d’honneur. Si toute la créa­tion visible, celle du fir­ma­ment comme de la terre, chante la louange de Dieu en des accords puis­sants qui résonnent en une sublime har­mo­nie au sein du monde créé, com­ment l’homme, à qui le Créateur a don­né « de voir clai­re­ment son éter­nelle puis­sance et sa divi­ni­té dans ses œuvres » (Rom., i, 20), pourrait-​il se déta­cher du grand chœur for­mé par les cieux et par toutes les créa­tures qui l’entourent, et se sous­traire au devoir de bénir, d’adorer et de louer Dieu ? Prêchez à vos audi­teurs que l’homme – qui, seul, par­mi toutes les créa­tures cor­po­relles sur la terre, pos­sède la digni­té sublime de com­prendre la magni­fi­cence du monde visible et de s’élever, à tra­vers sa nature cor­rup­tible, jusqu’au monde invi­sible – doit rendre grâce d’un tel pri­vi­lège au Donateur suprême. Rappellez-​leur quelles admi­rables prières Dieu lui-​même a ins­pi­rées dans l’Ancien Testament, en par­ti­cu­lier dans les psaumes et dans les livres sapien­tiaux, hymnes de par­faites élé­va­tions et ado­ra­tions pour glo­ri­fier Dieu. Enseignez-​leur que l’homme est créé dans un des­sein mani­feste par la sagesse divine, enseignez-​leur que les choses humaines ne peuvent un seul ins­tant aller et se conti­nuer à l’aventure et au hasard, et que, si dans le monde tout est régi par la Providence divine, ce qui regarde l’homme est prin­ci­pa­le­ment sou­mis aux dis­po­si­tions d’une sagesse par­ti­cu­lière et cachée, parce que de toutes les œuvres de Dieu, l’homme est celle dont le Créateur veut tirer la plus grande gloire. [2]La prière est un bien qui ni n’humilie ni n’abaisse, mais qui exalte et gran­dit l’homme. Les artistes les plus remar­quables, ces maîtres de la psy­cho­lo­gie figu­rée, n’ont rien créé qui ne sai­sisse davan­tage l’œil que la repré­sen­ta­tion de l’homme en prière. Dans cette atti­tude d’orant, l’homme révèle sa plus haute noblesse, de sorte qu’on a affir­mé sen­ten­cieu­se­ment que « l’homme n’est grand que quand il est à genoux ». Ne deviennent-​ils pas encore plus grands à vos yeux et dans votre estime, les puis­sants de ce monde, les hauts per­son­nages, les hommes d’Etat, lorsque vous les voyez incli­nés et age­nouillés devant Dieu dans les fonc­tions sacrées et dans les céré­mo­nies de la vie et des funé­railles ? Cette convic­tion était bien vivante dans les géné­ra­tions du pas­sé, et si, aujourd’hui, on doit déplo­rer qu’elle se soit affai­blie en grande par­tie, il faut en incul­per l’action des­tructive du ratio­na­lisme, du maté­ria­lisme, du phi­lo­so­phisme incré­dule pour qui la prière repré­sente quelque chose d’insignifiant, de mépri­sable, de non viril. Ces fausses sciences, de leur souffle gla­cé, ont refroi­di spi­ri­tuel­le­ment bien des cœurs en don­nant des fris­sons de malades. Il faut donc que les esprits chré­tiens se débar­rassent de ces erreurs, se rap­pellent et se reprennent à contem­pler leur haute digni­té spi­ri­tuelle, recon­naissent la mala­die contre nature de leur état et de leur âme, en cherchent la gué­ri­son et donnent à la prière la place d’honneur dans leur acti­vi­té quotidienne.

L’échelle des valeurs dans la prière.

Il n’est pas petit le nombre de ces chré­tiens qui sont certes des croyants, mais dont la vie de prière se contente et ne va pas au-​delà de pra­tiques les plus exté­rieures, d’un pèle­ri­nage à une image véné­rée, d’une visite tra­di­tion­nelle à quelque sanc­tuaire, non pas tant par dévo­tion et fer­veur au pro­fit de l’âme, que pour implo­rer du secours dans les affaires pure­ment ter­restres. De telles pra­tiques pieuses sont louables quand elles sont accom­plies dans une inten­tion droite et sans péchés de super­sti­tion, avec une entière sou­mis­sion à la volon­té de Dieu : mais elles ne sont ni le tout ni le meilleur de la vie chré­tienne. Que devez-​vous donc faire ? Vous devez incul­quer dans l’esprit des fidèles que – bien que l’on puisse et doive prier aus­si pour « le pain quo­ti­dien » et pour les besoins de cette vie – cepen­dant, dans la prière, les grâces d’ordre ter­restre et tem­po­rel vien­nent après les grâces d’ordre spi­ri­tuel, qu’en deman­dant les biens pas­sa­gers d’ici-bas, nul ne peut être cer­tain d’être exau­cé, ne sachant pas, de fait, si ce qu’il désire contri­bue­rait à son bien sou­ve­rain ; c’est pour­quoi il doit s’en remettre, à ce sujet, avec foi et humi­li­té, au bon plai­sir de Dieu, qui sait ce qui lui est plus utile pour cette vie et pour l’autre. C’est donc à la pre­mière place dans toute vie chré­tienne digne de ce nom, que se tiennent l’adoration de Dieu et la demande des biens sur­na­tu­rels et éter­nels. « Notre patrie est dans les cieux » (Philip., iii, 20). C’est là-​haut que nous devons éle­ver nos pen­sées et nos dési­rs et, dès ici-​bas, res­pi­rer l’éternité avec cette foi vic­to­rieuse de tout qui ani­mait les pre­miers chré­tiens au milieu des per­sé­cu­tions et des tri­bu­la­tions et qui doit de même sub­ju­guer et enflam­mer les cœurs de nos fidèles, vivi­fier leur prière de façon à la rendre spi­ri­tuel­le­ment intime et pure de toute affec­tion non orien­tée vers la fin suprême.

Nécessité de la prière.

De là découle une autre véri­té lumi­neuse que votre parole doit faire péné­trer dans l’esprit et dans la conscience des chré­tiens : à savoir l’absolue néces­si­té de la prière. C’est un point de doc­trine catho­lique que per­sonne, sans le secours de la grâce, ne peut pen­dant long­temps obser­ver la loi de Dieu et évi­ter le péché grave. D’autre part si, sans notre coopé­ra­tion, Dieu nous pré­vient de sa grâce, il exige pour­tant, selon les règles qui com­mandent l’œuvre du salut, la coopé­ra­tion de l’homme en pre­mier lieu, au moyen de la prière. « Veillez et priez, pour ne pas entrer en ten­ta­tion » (Matth., xxvi, 41). Dès lors, nous pou­vons affir­mer que la même règle de foi ne change pas de valeur si, en sub­sti­tuant au mot grâce celui de prière, nous disons : per­sonne ne peut, sans la prière, obser­ver long­temps la loi de Dieu et évi­ter le péché grave. Demandez-​vous, chers fils, en com­bien de chré­tiens est vrai­ment vivante cette fon­da­men­tale et lumi­neuse véri­té, et com­bien d’entre eux marchent à sa lumière, conforment leurs pen­sées, leurs affec­tions et leurs œuvres à sa direc­tion. Recourez à ces inébran­lables et pre­miers prin­cipes de la vie reli­gieuse per­son­nelle, quand vous ensei­gnez aux fidèles à bien prier.

Funeste séparation de la religion d’avec la vie.

Nous avons déjà men­tion­né une autre caté­go­rie d’hommes dont on a cou­tume de dire – à cause de la sépa­ra­tion qu’ils mani­festent entre leur vie reli­gieuse et leur vie civile – qu’ils appa­raissent chré­tiens le dimanche matin, mais le reste du temps ne donnent aucun signe de reli­gion et de chris­tia­nisme. Victimes de la sépa­ra­tion de leur vie d’avec la reli­gion, du monde d’avec l’Eglise, ils vivent une double exis­tence contraire, oscil­lant entre Dieu et le monde enne­mi ; triste fruit de l’empreinte laïque sur la vie publique. Qu’y a‑t-​il de plus contraire au sens catho­lique que cette divi­sion dans la pra­tique de la vie ? L’Eglise s’opposera tou­jours et de toute son éner­gie à cette façon de vivre, consciente de sa mis­sion de for­mer l’homme tout entier, dans toutes les rela­tions de sa vie quo­ti­dienne, car l’homme pos­sède une seule âme, rache­tée par le sang du Christ, deve­nue fille de Dieu pour toutes les vicis­si­tudes et les cir­cons­tances de la vie publique et pri­vée. C’est pour­quoi l’Eglise, confor­mé­ment au com­man­de­ment de Dieu et à la loi du Christ, com­mence la for­ma­tion du chré­tien par l’intérieur, par le moyen d’une vie de prière. Sa péda­go­gie est noble et divine et la conduite de sa méthode péda­go­gique, elle, remonte à ses ori­gines. Prenez et lisez les lettres de saint Paul ; exa­mi­nez par-​dessus tout les der­niers cha­pitres avec les règles pra­tiques qu’ils contiennent et vous ver­rez com­ment l’apôtre place toutes choses sous la volon­té divine, le sym­bole de la Rédemp­tion et la prière des fidèles : corps et âme, actions et omis­sions du chré­tien, même le man­ger et le boire : « Soit que vous man­giez, que vous buviez ou quelque autre chose que vous fas­siez, faites tout pour la gloire de Dieu » (i Cor., x, 31). Toute la vie sociale, mariage et famille, époux et épouse, parents et enfants, maîtres et ser­vi­teurs, de même la vie publique jusqu’aux buts der­niers de l’Etat : « Que l’on adresse à Dieu des prières, des sup­pliques… en faveur… des rois et des auto­ri­tés, pour que nous puis­sions mener une vie pai­sible et tran­quille dans la pié­té et la digni­té » (i Tim., ii, 1–2). Tout enfin : « Quoi que vous disiez ou fas­siez, faites tout au nom du Seigneur Jésus, ren­dant grâces par lui au Père » (Col., iii, 17). Il est impos­sible que des hommes pour qui la prière et “la pen­sée de Dieu sont deve­nues une seconde nature et la nour­ri­ture quo­ti­dienne de l’âme, comme cela doit être chez des chré­tiens de trempe solide et selon l’enseigne­ment de l’Apôtre, n’agissent pas, en toute cir­cons­tance, d’après les pres­crip­tions de la loi divine et ne se conforment pas à elle dans leurs réso­lu­tions, soit qu’il s’agisse de choses ordi­naires, soit lorsqu’il se pré­sente une heure d’importantes déci­sions dans la vie publique. Ils seront tou­jours le bon levain quand on se pro­pose de renou­ve­ler le monde dans l’esprit du Christ. Ils se mon­tre­ront tels éga­le­ment aujourd’hui ; mais créer et pré­pa­rer par votre labeur apos­to­lique la reli­gieuse pha­lange de ces hommes de prière aus­si puis­sants, est votre mis­sion, chers fils.

La prière commune en famille.

Ces vigou­reux carac­tères qui puisent dans la prière la force pour les luttes en faveur du bien et la défense de la jus­tice s’édu­quent et se forment dans les familles qui ont été fon­dées et qui croissent dans cette sagesse dont le com­men­ce­ment est la crainte de Dieu. Nous vous adres­sons, dans Notre zèle pater­nel et pas­to­ral, cette exhor­ta­tion : réveillez dans l’âme des fidèles le sens de l’ancienne et pieuse cou­tume de la prière com­mune en famille ; qu’une atmos­phère de sanc­tuaire devant quelque image sainte s’en dégage aux heures accou­tu­mées ; que la prière soit recueillie, pieuse, adap­tée aux cir­cons­tances de temps, d’activité et de tra­vail, accom­plie de façon à ce que les enfants n’en éprouvent pas de fati­gue ou de dégoût, mais se sentent plu­tôt entraî­nés à l’augmen­ter. La prière en com­mun au foyer domes­tique est un spec­tacle digne des anges. Et comme la vie publique, si pleine de dis­trac­tions et d’embûches, au lieu de pro­té­ger les biens les plus pré­cieux de la famille, fidé­li­té conju­gale, foi, ver­tu et inno­cence des enfants, les met trop sou­vent en dan­ger, la prière dans le sanc­tuaire de la famille est, de nos jours, qua­si plus néces­saire qu’aux temps pas­sés, lorsque flo­ris­sait à Rome une civi­li­sa­tion chré­tienne unique et que dans les mœurs ne s’était pas réin­tro­duit par la malice de l’irréligion un paga­nisme voi­lé. L’image de la mère de famille en prière est pour son mari et ses enfants une vision de la grâce de Dieu, et le sou­ve­nir d’un père qui, dans sa pro­fes­sion, peut-​être dans un poste émi­nent, accom­plit de grandes choses tout en res­tant un homme de pié­té et de dévo­tion, est sou­vent un exemple salu­taire et entraî­nant pour le jeune homme aux prises avec les dan­gers et les luttes spiri­tuelles d’un âge plus avancé.

Le dimanche, jour du Seigneur.

Mais le sanc­tuaire fami­lial, tout beau, agréable et si bien tenu qu’il soit, n’est pas l’église. Votre devoir est de vous pré­oc­cu­per d’obtenir que le dimanche rede­vienne vrai­ment le jour du Seigneur et que la sainte messe soit le centre de la vie chré­tienne, l’aliment sacré qui serve à répa­rer vos forces phy­siques et qui sou­tienne votre âme dans la ver­tu. Le dimanche doit être le jour du repos en Dieu, de l’adoration, de la sup­pli­ca­tion, de l’action de grâces, de la demande du par­don divin pour les fautes com­mises au cours de la semaine écou­lée, le jour où l’on implore les grâces de lumière et de force spi­ri­tuelle pour les jours de la semaine qui com­mence. Rappelez au peuple que le dimanche est le sou­ve­nir per­pé­tuel du jour de la Résurrection du Seigneur. Rappelez-​lui que l’homme doit se rele­ver et quit­ter les lieux de son tra­vail, de l’usine, des champs d’où c’est mal­ai­sé­ment qu’au milieu des grandes pré­oc­cu­pa­tions des choses maté­rielles, des péri­pé­ties de tout genre de la jour­née, la pen­sée peut s’élever jusqu’à Dieu et le prier, pen­dant que le souffle de vie qui lui a été infu­sé par le ciel pénètre l’âme et lui fait expri­mer l’inclination vers une vie future immor­telle. Le dimanche doit être le jour de repos pour le corps, d’élévation spi­ri­tuelle pour l’âme, et non pas un jour d’excès spor­tifs et de jouis­sances effré­nées, toutes choses qui affai­blissent et occupent l’esprit plus que le tra­vail de la semaine et ne conduisent pas à Dieu, mais plu­tôt éloignent de lui. N’est-ce pas un motif de pro­fond écœu­re­ment de consta­ter que l’on offre par­fois aux fidèles, le dimanche, des théâtres, des spec­tacles que nous pour­rions appe­ler avec saint Augustin « cette mala­die et peste des âmes, cette entière des­truc­tion de la pro­bi­té et de l’hon­neur » [3], spec­tacles pour les­quels vaut ce que le même saint doc­teur disait des repré­sen­ta­tions immo­rales de son temps qui, aux pre­miers siècles de la Rome ancienne, lorsqu’on vivait encore avec plus de natu­rel et de sim­pli­ci­té, n’auraient pas été tolé­rées. Le dimanche doit être le jour où les membres de la famille se réunissent et non pas un jour de dis­per­sion, le jour de la lec­ture spi­ri­tuelle et de la prière faite avec dévo­tion, et non pas la jour­née de la dissipation.

La sainte messe, centre de la vie chrétienne.

S’il faut à notre corps, pour le sou­te­nir, le pain maté­riel, l’âme a besoin du pain super­sub­stan­tiel qui conserve, aug­mente, réta­blit la force qui, aux divers âges de la vie, est néces­saire pour persé­vérer dans la pra­tique de la ver­tu et pour triom­pher des pas­sions. A ce ban­quet céleste l’Eglise nous convie sur­tout le dimanche, jour par excel­lence de la célé­bra­tion eucha­ris­tique. L’obligation d’enten­dre la messe aux jours de fête est grave. Toutefois, com­bien sou­vent les églises sont comme tota­le­ment aban­don­nées par les hommes, occu­pées ici et là par quelques pieuses femmes, par des mamans pres­sées et ayant hâte de retour­ner le plus tôt pos­sible à la mai­son soi­gner leurs petits enfants, par des ser­vantes chré­tiennes qui s’affran­chissent pen­dant quelques courts moments des sou­cis de leur dur tra­vail quo­ti­dien pour trou­ver là cette force qui va les sou­te­nir dans la des­ti­née de leur condi­tion sociale. Il est par consé­quent indigne d’un chré­tien de se croire dis­pen­sé d’observer ce pré­cepte, pour quelque motif léger et insi­gni­fiant ; on peut pen­ser que les fidèles n’agiraient pas ain­si s’ils avaient une connais­sance pré­cise, appro­fon­die, aimante du mys­tère eucha­ris­tique. C’est pour­quoi expliquez-​leur ce sacri­fice rédemp­teur de l’Homme-Dieu, sacri­fice qui est le centre de tout le culte catho­lique, auquel sont consa­crés basi­liques, églises, ora­toires, autels, lieux dans les­quels on adore et où on prie le Seigneur, vers qui montent les prières de tout le peuple chré­tien, dans la pros­pé­ri­té et dans le dan­ger, dans les épreuves et dans les mal­heurs, dans la misère et dans l’abondance, dans les périodes calmes et dans les temps agi­tés. C’est ain­si qu’agissait le peuple d’Israël entou­rant l’Arche d’alliance dans le temple unique de Jérusalem, sym­bole du Nouveau et éter­nel Testament conclu par le Christ dans la réa­li­té de sa chair et de son sang. Expliquez au peuple le sens et la digni­té du sacer­doce catho­lique ; acheminez-​le à une par­ti­ci­pa­tion spiri­tuelle, pieuse et fruc­tueuse, au saint sacri­fice. Quelle valeur pour­rait avoir le culte de la socié­té à l’égard de Dieu s’il ne sus­cite pas la par­ti­ci­pa­tion de chaque fidèle à la messe et à la sanc­ti­fi­ca­tion per­son­nelle ? De sa nature, la dévo­tion est tou­jours quelque chose de sub­jec­tif, de per­son­nel, parce qu’elle implique une dona­tion et comme une consé­cra­tion de soi-​même à Dieu, par la pra­tique des exer­cices de pié­té et de l’assistance à la messe, dans des sen­ti­ments de foi, d’espérance et de cha­ri­té, ver­tus qui trans­forment l’intime de l’âme et unissent cette der­nière à Dieu. Une dévo­tion pure­ment « objec­tive » – et on en parle sou­vent aujourd’hui – serait, à la consi­dé­rer stric­te­ment, une modi­fi­ca­tion com­plète du véri­table con­cept de la dévotion.

Mais de toutes les pra­tiques de pié­té, la dévo­tion prin­ci­pale, la plus sainte et la plus effi­cace, est la par­ti­ci­pa­tion des fidèles au sacri­fice de la messe, car le prêtre prie lui-​même pour ceux qui sont pré­sents en offrant la vic­time divine. La dévo­tion à la messe peut se tra­duire de façons très diverses, selon le carac­tère, l’intelligence, la pré­pa­ra­tion et l’instruction reli­gieuse très dif­fé­rents des fidèles envers qui vous ferez montre de com­pré­hen­sion et de lar­geur de vues. Cela éta­bli, Nous vous recom­man­dons d’apprendre aux fidèles à décou­vrir la richesse inépui­sable et à appré­cier la grande beau­té des prières litur­giques de la messe et de les for­mer à prendre une part active à ces prières. Vous qui, chaque jour, à l’autel, uti­li­sez le mis­sel, le prin­ci­pal livre de dévo­tion de l’Eglise, vous savez quelle abon­dance de textes sacrés et de saintes élé­va­tions il ren­ferme, quels sen­ti­ments d’adoration, de louange, d’élan vers Dieu il réveille et sus­cite, avec quelle force puis­sante il porte et élève aux choses éter­nelles, quels tré­sors de conseils salu­taires il offre pour la vie surna­turelle de chacun.

La fréquentation des sacrements.

Nous vous disions, l’année der­nière, com­ment, dans la lutte contre le bien et le mal que sou­tient sans cesse l’Eglise, cette der­nière ne peut trou­ver un appui conti­nuel et assu­ré chez des fidèles qui ne reçoivent qu’une fois l’an la sainte com­mu­nion. Nous vous conseillons de créer et de for­mer des groupes d’hommes et de jeunes gens pra­ti­quant au moins la com­mu­nion men­suelle et condui­sant avec eux à la Table eucha­ris­tique le plus pos­sible d’amis et de connais­sances. Vous Nous direz peut-​être qu’il y a une mis­sion plus urgente, celle d’amener au moins à un mini­mum de prière et de fré­quen­ta­tion des sacre­ments ces nom­breux chré­tiens qui vivent éloi­gnés de la reli­gion. Mais, même pour obte­nir un pareil résul­tat, ces pha­langes d’apôtres laïques, cou­ra­geux et pru­dents, ne devien­dront-​ils pas le moyen le plus effi­cace, et même sou­vent le seul moyen pour rame­ner à l’Eglise des fils qui se sont déta­chés d’elle et lui sont deve­nus comme étran­gers ? Nous recom­man­dons et sug­gé­rons la même route à suivre pour le monde fémi­nin. L’égalité sociale crois­sante de la femme avec l’homme, qui a fait des pro­grès si rapides, a éga­le­ment fait sor­tir la femme, spé­cia­le­ment la jeune fille avide d’aventures, de la retraite et de la famille, la lan­çant sans pré­cau­tion aucune dans une socié­té agi­tée, dans le tour­billon de la vie moderne, au milieu de dan­gers d’ordre moral si graves et si divers, dont on n’arrive avec peine à se pré­ser­ver que par une extra­or­di­naire éner­gie de volon­té loyale et droite. L’expé­rience pas­to­rale pos­sède à ce sujet des faits et des témoi­gnages si dou­lou­reux et si élo­quents, qu’il appa­raît aujourd’hui tou­jours plus néces­saire de faire sur­gir des groupes eucha­ris­tiques fémi­nins, pour res­sai­sir les bre­bis éga­rées et pour for­ti­fier les âmes res­tées fidèles.

Triple exhortation finale.

A ces indi­ca­tions et sug­ges­tions concer­nant la prière, laissez-​Nous, chers fils, ajou­ter une triple exhortation :

Si vous vou­lez que les fidèles prient volon­tiers, avec pié­té, précédez-​les à l’église, par votre exemple, en fai­sant orai­son en leur pré­sence. Un prêtre age­nouillé devant le taber­nacle dans une atti­tude digne, dans un pro­fond recueille­ment, est un modèle d’édification pour le peuple, un aver­tis­se­ment et un appel à l’émulation dans la prière.

Si les fidèles vous demandent com­ment arri­ver vite et sûre­ment à bien prier, répondez-​leur que la prière trouve un sou­tien très puis­sant dans l’abnégation de soi-​même, dans la péni­tence, dans la cha­rité envers le pro­chain. Cette véri­té est aus­si claire qu’il est cer­tain que les bonnes œuvres sont une condi­tion essen­tielle d’une prière digne et efficace.

Si enfin vous Nous deman­dez ce que Nous atten­dons actuel­le­ment de Nos dio­cé­sains, Nous vous répon­drons : leur prière et l’offrande à Dieu de leurs sacri­fices. L’humanité vit aujourd’hui l’une des heures les plus dures et les plus dou­lou­reuses. Nous navi­guons sur un lac, une mer, un océan sou­le­vé par des vents contraires. L’Eglise, née pour l’humanité, fini­ra avec l’humanité ; mais tou­jours, jusqu’à la consom­ma­tion des siècles, elle aura avec elle son divin Fondateur, comme lui-​même l’a pro­mis : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consom­ma­tion des siècles » (Matth., xxviii, 20). Sur cette mer, la nef de l’Eglise avance au milieu des peuples vers le port de l’éternité, avec ses apôtres, son chef, sa doc­trine, ses sacre­ments, son action paci­fique, entou­rée des flots écu­mants et des bour­rasques, tan­dis que le Christ Sauveur dort mys­té­rieu­se­ment. Que fait l’Eglise, que font les apôtres dans la ter­reur du nau­frage redou­té ? Ils s’approchent du Christ, le réveillent et lui crient : « Maître, nous péris­sons ! » (Luc, viii, 24). Voilà la prière et la sécu­ri­té de l’Eglise qui sait que « les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas » (Matth., xvi, 18). Aussi la prière est-​elle l’arme la plus forte, la plus invin­cible contre tous les dan­gers et assauts du monde ; car si le Christ semble dor­mir, son cœur veille tou­jours, avec son amour, sa fidé­li­té et sa toute-​puissance, et il sait se dres­ser et com­man­der aux flots et aux tem­pêtes, à l’heure que son divin conseil a fixée, et qui est conjointe à notre invo­ca­tion. Ne crai­gnons pas, mais prions. Crions nous aus­si au Sauveur : « Lève-​toi ; pour­quoi dors-​tu, Seigneur ? Ne nous rejette pas tou­jours ! Lève-​toi à notre secours, Seigneur » (Ps., xliii, 24, 27). Unissons à notre prière les innom­brables sacri­fices de l’heure pré­sente, triste et grave, les larmes, les souf­frances, les deuils qui affligent l’humanité. Notre prière s’im­prégnera de nos san­glots, et par son accent dou­lou­reux elle tou­chera le cœur misé­ri­cor­dieux du Christ qui, dans son som­meil appa­rent, veille sur l’Eglise, sur nous, sur le monde. Comment l’Eglise pourrait-​elle man­quer à sa mis­sion qui, dans de telles cir­cons­tances, fut tou­jours d’implorer la grâce de Dieu et sa misé­ri­corde par la prière et par la péni­tence, en union avec le sacri­fice eucha­ris­tique de l’Homme-Dieu ?

Si telle est la mis­sion de toute l’Eglise, le dio­cèse de Rome, Notre dio­cèse, devra avoir aus­si la sainte ambi­tion de l’emporter sur tous les autres dio­cèses par la géné­ro­si­té, le zèle, la piété.

Afin que cela se pro­duise et pour que la force du Christ et une sur­na­tu­relle effi­ca­ci­té soient accor­dées à votre pré­di­ca­tion et à votre apos­to­lat, Nous vous don­nons, avec toute Notre affec­tion pater­nelle, la Bénédiction apos­to­lique à vous tous, à vos col­la­bo­ra­teurs ecclé­siastiques et laïques, et à tous Nos chers diocésains.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXV, 1943, p. 105 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 39. Les sous-​titrés sont ceux du texte original.

Notes de bas de page
  1. Cf. Pastor, Geschichte der Päpste, III, 1, 40.[]
  2. Bossuet, Elévations sur les mys­tères, IV, 5.[]
  3. De Civit. Dei, l. I, ch. XXXIII.[]