Comme il l’a fait les années précédentes, le Saint-Père a donné aux curés et aux prédicateurs de carême de Rome des conseils pour leur demander d’exhorter les fidèles à la prière et à la célébration du dimanche, à l’assistance à la sainte messe et à la fréquentation des sacrements.
Volontiers, Nous Nous adressons paternellement à vous, chers fils, qui êtes Nos coopérateurs dans la sollicitude spirituelle qui s’exerce à l’égard de cet auguste diocèse de Rome qui Nous est particulièrement cher non seulement parce que Nous sommes le Père commun, mais aussi parce que Nous sommes son propre Pasteur et évêque. A ce peuple qui l’attend avec une sainte avidité, vous distribuez au temps du carême le pain de la divine doctrine, selon la matière que Notre zélé et très digne cardinal-vicaire vous a indiquée. Ce pain est vraiment un pain quotidien ; c’est le pain de la prière. Instruire les fidèles sur la nature et l’efficacité d’un si substantiel élément et aliment compte toujours et partout parmi les obligations et les buts les plus importants de l’apostolat. Mais l’importance de la prière est aujourd’hui pour Notre diocèse d’une valeur et d’une nécessité spéciales, parce que Rome a souffert, elle aussi, d’un affaiblissement de la vie religieuse, affaiblissement général à notre époque et aggravé par les conditions qui accompagnent l’accroissement et l’extension d’une grande ville. Vous en connaissez l’agrandissement et le développement : là où personne n’habitait, vous voyez s’entasser une nouvelle population, un nouveau troupeau à paître et à rassembler autour des autels. Devant un tel spectacle, votre cœur d’apôtre se dilate : votre mission, si elle n’est pas facile et si elle exige aussi une promptitude à tous les sacrifices, doit également, noble comme elle l’est, susciter et enflammer dans vos âmes un zèle ardent et généreux, à la hauteur des besoins religieux des fidèles.
La Rome priante.
Si nous jetons un regard sur l’histoire des siècles passés, Rome, déjà aux premiers temps de la foi, nous apparaît comme une ville priante, non certes dans les oratoires et dans les temples du paganisme, mais priant le seul vrai Dieu dans les maisons particulières des premiers disciples du Christ ou bien, lors ‑des périodes de plus grand péril, dans les Catacombes, puis, dès la fin du IIIe siècle, dans des édifices à l’air libre, véritables églises semblables aux nôtres et, enfin, dans des basiliques grandioses et magnifiquement décorées : parce que la prière fut, dès lors, pour Rome, l’arme la plus puissante pour vaincre, triompher et se maintenir dans les persécutions, pour rester forte devant les tribunaux et dans les supplices, pour mourir martyre du Christ sous le fer des bourreaux. La prière était l’arme de sa défense et de son espérance ; ses basiliques et ses autels d’élévation vers Dieu étaient des remparts et des forteresses de foi ; les autels des martyrs étaient des sanctuaires et des tombes d’où la piété chrétienne appelait, des régions lointaines et d’au-delà des mers, même les princes chrétiens couronnés, à s’agenouiller dans la prière et à choisir dans ces lieux vénérés la place où leurs dépouilles mortelles reposeraient. S’il ne faut pas, certes, atténuer les déficiences qui existaient dans la vie religieuse au moyen âge et dans les siècles suivants, toute la vie publique, dans n’importe quelle classe sociale, était accompagnée, animée, ennoblie par la prière ; on pourrait même dire que le chrétien était éduqué, perfectionné, maintenu dans la prière par la société elle-même. Que Rome resplendît aux yeux comme une ville priante, l’histoire en témoigne et c’est ainsi que ‑l’ont connue et décrite les pèlerins qui, aux époques des jubilés y affluaient en très grand nombre de toutes les parties du monde. De combien de vœux et de désirs les tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul ne furent-ils pas l’objet par de nombreux saints et saintes aux âmes ardentes qui, sur les rives sacrées du Tibre, apprirent les chants liturgiques et les hymnes dévotes d’adoration de Dieu et les firent ensuite entendre dans leur patrie et dans d’autres lieux, dans leurs églises, dans leurs retraites, dans leurs monastères ! On sait du reste l’importance extraordinaire qu’avaient pour la vie religieuse de Rome les confraternités et les pieuses unions au XVe siècle et dans les temps qui suivirent [1].
La Rome qui prie moins.
Mais aux époques récentes, cette pratique pieuse et étendue de la prière fut perdue, non pas comme si la Rome priante eût été détruite ou eût disparu, mais bien parce que cette pratique devint toujours davantage étrangère à la vie publique qui, loin d’attribuer une valeur quelconque à la prière, trop souvent, la trouvait gênante et devenait pour elle le plus grand obstacle. Déjà l’accroissement en tous sens d’une immense et populeuse capitale qui s’incorpore des hommes de toutes régions, aux tendances des plus disparates, ne devait pas contribuer à conserver à la ville son caractère religieux traditionnel. La véritable cause de cette rupture de la tradition est à chercher dans la transformation laïque à laquelle Rome a été systématiquement soumise. Ainsi, la sonnerie traditionnelle des cloches des nombreuses églises de la ville ne semble plus une invitation et un signe de dévotion et de prière ; l’éducation du peuple dans la famille et dans les écoles se donne hors du chemin qui mène à l’église et à la prière. Pareil procédé fit se lever, par réaction, une vigoureuse phalange de catholiques qui, luttant contre le courant, dédaigneux de tout mépris, voulurent toujours mieux élever leur cœur et leurs mains vers Dieu dans la prière. Mais, par cette lutte du mal avec le bien, surgit en même temps la grosse phalange de ceux qui, plus soucieux de la matière que de l’esprit, s’habituèrent à la pernicieuse et funeste séparation de la pratique religieuse d’avec la vie civique, professionnelle et sociale. De là, enfin, sortit la foule toujours plus grande de ceux qui ne prient plus, n’élèvent jamais leur pensée vers Dieu. On a dit que le cinéma est, dans les grandes villes, l’église des hommes modernes. Cette affirmation peut paraître et elle est, de fait, un paradoxe de mauvais goût ; mais vous savez cependant quel fond de vérité tragique, de fruits amers, de terribles dangers, elle recouvre et contient.
Obligation et dignité de la prière.
Que disent et que demandent à tous les apôtres ces conditions à la fois si tristes et si attristantes ? Elles manifestent la décadence et l’oubli de la pensée de l’âme et de Dieu chez le peuple chrétien. Elles réclament la réparation du mal, en indiquant le chemin à suivre pour le vaincre qui est de raviver dans les consciences, principalement dans celles des hommes, la salutaire et nécessaire conviction que la prière est non seulement un devoir de l’âme, mais aussi une obligation d’honneur. Si toute la création visible, celle du firmament comme de la terre, chante la louange de Dieu en des accords puissants qui résonnent en une sublime harmonie au sein du monde créé, comment l’homme, à qui le Créateur a donné « de voir clairement son éternelle puissance et sa divinité dans ses œuvres » (Rom., i, 20), pourrait-il se détacher du grand chœur formé par les cieux et par toutes les créatures qui l’entourent, et se soustraire au devoir de bénir, d’adorer et de louer Dieu ? Prêchez à vos auditeurs que l’homme – qui, seul, parmi toutes les créatures corporelles sur la terre, possède la dignité sublime de comprendre la magnificence du monde visible et de s’élever, à travers sa nature corruptible, jusqu’au monde invisible – doit rendre grâce d’un tel privilège au Donateur suprême. Rappellez-leur quelles admirables prières Dieu lui-même a inspirées dans l’Ancien Testament, en particulier dans les psaumes et dans les livres sapientiaux, hymnes de parfaites élévations et adorations pour glorifier Dieu. Enseignez-leur que l’homme est créé dans un dessein manifeste par la sagesse divine, enseignez-leur que les choses humaines ne peuvent un seul instant aller et se continuer à l’aventure et au hasard, et que, si dans le monde tout est régi par la Providence divine, ce qui regarde l’homme est principalement soumis aux dispositions d’une sagesse particulière et cachée, parce que de toutes les œuvres de Dieu, l’homme est celle dont le Créateur veut tirer la plus grande gloire. [2]La prière est un bien qui ni n’humilie ni n’abaisse, mais qui exalte et grandit l’homme. Les artistes les plus remarquables, ces maîtres de la psychologie figurée, n’ont rien créé qui ne saisisse davantage l’œil que la représentation de l’homme en prière. Dans cette attitude d’orant, l’homme révèle sa plus haute noblesse, de sorte qu’on a affirmé sentencieusement que « l’homme n’est grand que quand il est à genoux ». Ne deviennent-ils pas encore plus grands à vos yeux et dans votre estime, les puissants de ce monde, les hauts personnages, les hommes d’Etat, lorsque vous les voyez inclinés et agenouillés devant Dieu dans les fonctions sacrées et dans les cérémonies de la vie et des funérailles ? Cette conviction était bien vivante dans les générations du passé, et si, aujourd’hui, on doit déplorer qu’elle se soit affaiblie en grande partie, il faut en inculper l’action destructive du rationalisme, du matérialisme, du philosophisme incrédule pour qui la prière représente quelque chose d’insignifiant, de méprisable, de non viril. Ces fausses sciences, de leur souffle glacé, ont refroidi spirituellement bien des cœurs en donnant des frissons de malades. Il faut donc que les esprits chrétiens se débarrassent de ces erreurs, se rappellent et se reprennent à contempler leur haute dignité spirituelle, reconnaissent la maladie contre nature de leur état et de leur âme, en cherchent la guérison et donnent à la prière la place d’honneur dans leur activité quotidienne.
L’échelle des valeurs dans la prière.
Il n’est pas petit le nombre de ces chrétiens qui sont certes des croyants, mais dont la vie de prière se contente et ne va pas au-delà de pratiques les plus extérieures, d’un pèlerinage à une image vénérée, d’une visite traditionnelle à quelque sanctuaire, non pas tant par dévotion et ferveur au profit de l’âme, que pour implorer du secours dans les affaires purement terrestres. De telles pratiques pieuses sont louables quand elles sont accomplies dans une intention droite et sans péchés de superstition, avec une entière soumission à la volonté de Dieu : mais elles ne sont ni le tout ni le meilleur de la vie chrétienne. Que devez-vous donc faire ? Vous devez inculquer dans l’esprit des fidèles que – bien que l’on puisse et doive prier aussi pour « le pain quotidien » et pour les besoins de cette vie – cependant, dans la prière, les grâces d’ordre terrestre et temporel viennent après les grâces d’ordre spirituel, qu’en demandant les biens passagers d’ici-bas, nul ne peut être certain d’être exaucé, ne sachant pas, de fait, si ce qu’il désire contribuerait à son bien souverain ; c’est pourquoi il doit s’en remettre, à ce sujet, avec foi et humilité, au bon plaisir de Dieu, qui sait ce qui lui est plus utile pour cette vie et pour l’autre. C’est donc à la première place dans toute vie chrétienne digne de ce nom, que se tiennent l’adoration de Dieu et la demande des biens surnaturels et éternels. « Notre patrie est dans les cieux » (Philip., iii, 20). C’est là-haut que nous devons élever nos pensées et nos désirs et, dès ici-bas, respirer l’éternité avec cette foi victorieuse de tout qui animait les premiers chrétiens au milieu des persécutions et des tribulations et qui doit de même subjuguer et enflammer les cœurs de nos fidèles, vivifier leur prière de façon à la rendre spirituellement intime et pure de toute affection non orientée vers la fin suprême.
Nécessité de la prière.
De là découle une autre vérité lumineuse que votre parole doit faire pénétrer dans l’esprit et dans la conscience des chrétiens : à savoir l’absolue nécessité de la prière. C’est un point de doctrine catholique que personne, sans le secours de la grâce, ne peut pendant longtemps observer la loi de Dieu et éviter le péché grave. D’autre part si, sans notre coopération, Dieu nous prévient de sa grâce, il exige pourtant, selon les règles qui commandent l’œuvre du salut, la coopération de l’homme en premier lieu, au moyen de la prière. « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation » (Matth., xxvi, 41). Dès lors, nous pouvons affirmer que la même règle de foi ne change pas de valeur si, en substituant au mot grâce celui de prière, nous disons : personne ne peut, sans la prière, observer longtemps la loi de Dieu et éviter le péché grave. Demandez-vous, chers fils, en combien de chrétiens est vraiment vivante cette fondamentale et lumineuse vérité, et combien d’entre eux marchent à sa lumière, conforment leurs pensées, leurs affections et leurs œuvres à sa direction. Recourez à ces inébranlables et premiers principes de la vie religieuse personnelle, quand vous enseignez aux fidèles à bien prier.
Funeste séparation de la religion d’avec la vie.
Nous avons déjà mentionné une autre catégorie d’hommes dont on a coutume de dire – à cause de la séparation qu’ils manifestent entre leur vie religieuse et leur vie civile – qu’ils apparaissent chrétiens le dimanche matin, mais le reste du temps ne donnent aucun signe de religion et de christianisme. Victimes de la séparation de leur vie d’avec la religion, du monde d’avec l’Eglise, ils vivent une double existence contraire, oscillant entre Dieu et le monde ennemi ; triste fruit de l’empreinte laïque sur la vie publique. Qu’y a‑t-il de plus contraire au sens catholique que cette division dans la pratique de la vie ? L’Eglise s’opposera toujours et de toute son énergie à cette façon de vivre, consciente de sa mission de former l’homme tout entier, dans toutes les relations de sa vie quotidienne, car l’homme possède une seule âme, rachetée par le sang du Christ, devenue fille de Dieu pour toutes les vicissitudes et les circonstances de la vie publique et privée. C’est pourquoi l’Eglise, conformément au commandement de Dieu et à la loi du Christ, commence la formation du chrétien par l’intérieur, par le moyen d’une vie de prière. Sa pédagogie est noble et divine et la conduite de sa méthode pédagogique, elle, remonte à ses origines. Prenez et lisez les lettres de saint Paul ; examinez par-dessus tout les derniers chapitres avec les règles pratiques qu’ils contiennent et vous verrez comment l’apôtre place toutes choses sous la volonté divine, le symbole de la Rédemption et la prière des fidèles : corps et âme, actions et omissions du chrétien, même le manger et le boire : « Soit que vous mangiez, que vous buviez ou quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (i Cor., x, 31). Toute la vie sociale, mariage et famille, époux et épouse, parents et enfants, maîtres et serviteurs, de même la vie publique jusqu’aux buts derniers de l’Etat : « Que l’on adresse à Dieu des prières, des suppliques… en faveur… des rois et des autorités, pour que nous puissions mener une vie paisible et tranquille dans la piété et la dignité » (i Tim., ii, 1–2). Tout enfin : « Quoi que vous disiez ou fassiez, faites tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces par lui au Père » (Col., iii, 17). Il est impossible que des hommes pour qui la prière et “la pensée de Dieu sont devenues une seconde nature et la nourriture quotidienne de l’âme, comme cela doit être chez des chrétiens de trempe solide et selon l’enseignement de l’Apôtre, n’agissent pas, en toute circonstance, d’après les prescriptions de la loi divine et ne se conforment pas à elle dans leurs résolutions, soit qu’il s’agisse de choses ordinaires, soit lorsqu’il se présente une heure d’importantes décisions dans la vie publique. Ils seront toujours le bon levain quand on se propose de renouveler le monde dans l’esprit du Christ. Ils se montreront tels également aujourd’hui ; mais créer et préparer par votre labeur apostolique la religieuse phalange de ces hommes de prière aussi puissants, est votre mission, chers fils.
La prière commune en famille.
Ces vigoureux caractères qui puisent dans la prière la force pour les luttes en faveur du bien et la défense de la justice s’éduquent et se forment dans les familles qui ont été fondées et qui croissent dans cette sagesse dont le commencement est la crainte de Dieu. Nous vous adressons, dans Notre zèle paternel et pastoral, cette exhortation : réveillez dans l’âme des fidèles le sens de l’ancienne et pieuse coutume de la prière commune en famille ; qu’une atmosphère de sanctuaire devant quelque image sainte s’en dégage aux heures accoutumées ; que la prière soit recueillie, pieuse, adaptée aux circonstances de temps, d’activité et de travail, accomplie de façon à ce que les enfants n’en éprouvent pas de fatigue ou de dégoût, mais se sentent plutôt entraînés à l’augmenter. La prière en commun au foyer domestique est un spectacle digne des anges. Et comme la vie publique, si pleine de distractions et d’embûches, au lieu de protéger les biens les plus précieux de la famille, fidélité conjugale, foi, vertu et innocence des enfants, les met trop souvent en danger, la prière dans le sanctuaire de la famille est, de nos jours, quasi plus nécessaire qu’aux temps passés, lorsque florissait à Rome une civilisation chrétienne unique et que dans les mœurs ne s’était pas réintroduit par la malice de l’irréligion un paganisme voilé. L’image de la mère de famille en prière est pour son mari et ses enfants une vision de la grâce de Dieu, et le souvenir d’un père qui, dans sa profession, peut-être dans un poste éminent, accomplit de grandes choses tout en restant un homme de piété et de dévotion, est souvent un exemple salutaire et entraînant pour le jeune homme aux prises avec les dangers et les luttes spirituelles d’un âge plus avancé.
Le dimanche, jour du Seigneur.
Mais le sanctuaire familial, tout beau, agréable et si bien tenu qu’il soit, n’est pas l’église. Votre devoir est de vous préoccuper d’obtenir que le dimanche redevienne vraiment le jour du Seigneur et que la sainte messe soit le centre de la vie chrétienne, l’aliment sacré qui serve à réparer vos forces physiques et qui soutienne votre âme dans la vertu. Le dimanche doit être le jour du repos en Dieu, de l’adoration, de la supplication, de l’action de grâces, de la demande du pardon divin pour les fautes commises au cours de la semaine écoulée, le jour où l’on implore les grâces de lumière et de force spirituelle pour les jours de la semaine qui commence. Rappelez au peuple que le dimanche est le souvenir perpétuel du jour de la Résurrection du Seigneur. Rappelez-lui que l’homme doit se relever et quitter les lieux de son travail, de l’usine, des champs d’où c’est malaisément qu’au milieu des grandes préoccupations des choses matérielles, des péripéties de tout genre de la journée, la pensée peut s’élever jusqu’à Dieu et le prier, pendant que le souffle de vie qui lui a été infusé par le ciel pénètre l’âme et lui fait exprimer l’inclination vers une vie future immortelle. Le dimanche doit être le jour de repos pour le corps, d’élévation spirituelle pour l’âme, et non pas un jour d’excès sportifs et de jouissances effrénées, toutes choses qui affaiblissent et occupent l’esprit plus que le travail de la semaine et ne conduisent pas à Dieu, mais plutôt éloignent de lui. N’est-ce pas un motif de profond écœurement de constater que l’on offre parfois aux fidèles, le dimanche, des théâtres, des spectacles que nous pourrions appeler avec saint Augustin « cette maladie et peste des âmes, cette entière destruction de la probité et de l’honneur » [3], spectacles pour lesquels vaut ce que le même saint docteur disait des représentations immorales de son temps qui, aux premiers siècles de la Rome ancienne, lorsqu’on vivait encore avec plus de naturel et de simplicité, n’auraient pas été tolérées. Le dimanche doit être le jour où les membres de la famille se réunissent et non pas un jour de dispersion, le jour de la lecture spirituelle et de la prière faite avec dévotion, et non pas la journée de la dissipation.
La sainte messe, centre de la vie chrétienne.
S’il faut à notre corps, pour le soutenir, le pain matériel, l’âme a besoin du pain supersubstantiel qui conserve, augmente, rétablit la force qui, aux divers âges de la vie, est nécessaire pour persévérer dans la pratique de la vertu et pour triompher des passions. A ce banquet céleste l’Eglise nous convie surtout le dimanche, jour par excellence de la célébration eucharistique. L’obligation d’entendre la messe aux jours de fête est grave. Toutefois, combien souvent les églises sont comme totalement abandonnées par les hommes, occupées ici et là par quelques pieuses femmes, par des mamans pressées et ayant hâte de retourner le plus tôt possible à la maison soigner leurs petits enfants, par des servantes chrétiennes qui s’affranchissent pendant quelques courts moments des soucis de leur dur travail quotidien pour trouver là cette force qui va les soutenir dans la destinée de leur condition sociale. Il est par conséquent indigne d’un chrétien de se croire dispensé d’observer ce précepte, pour quelque motif léger et insignifiant ; on peut penser que les fidèles n’agiraient pas ainsi s’ils avaient une connaissance précise, approfondie, aimante du mystère eucharistique. C’est pourquoi expliquez-leur ce sacrifice rédempteur de l’Homme-Dieu, sacrifice qui est le centre de tout le culte catholique, auquel sont consacrés basiliques, églises, oratoires, autels, lieux dans lesquels on adore et où on prie le Seigneur, vers qui montent les prières de tout le peuple chrétien, dans la prospérité et dans le danger, dans les épreuves et dans les malheurs, dans la misère et dans l’abondance, dans les périodes calmes et dans les temps agités. C’est ainsi qu’agissait le peuple d’Israël entourant l’Arche d’alliance dans le temple unique de Jérusalem, symbole du Nouveau et éternel Testament conclu par le Christ dans la réalité de sa chair et de son sang. Expliquez au peuple le sens et la dignité du sacerdoce catholique ; acheminez-le à une participation spirituelle, pieuse et fructueuse, au saint sacrifice. Quelle valeur pourrait avoir le culte de la société à l’égard de Dieu s’il ne suscite pas la participation de chaque fidèle à la messe et à la sanctification personnelle ? De sa nature, la dévotion est toujours quelque chose de subjectif, de personnel, parce qu’elle implique une donation et comme une consécration de soi-même à Dieu, par la pratique des exercices de piété et de l’assistance à la messe, dans des sentiments de foi, d’espérance et de charité, vertus qui transforment l’intime de l’âme et unissent cette dernière à Dieu. Une dévotion purement « objective » – et on en parle souvent aujourd’hui – serait, à la considérer strictement, une modification complète du véritable concept de la dévotion.
Mais de toutes les pratiques de piété, la dévotion principale, la plus sainte et la plus efficace, est la participation des fidèles au sacrifice de la messe, car le prêtre prie lui-même pour ceux qui sont présents en offrant la victime divine. La dévotion à la messe peut se traduire de façons très diverses, selon le caractère, l’intelligence, la préparation et l’instruction religieuse très différents des fidèles envers qui vous ferez montre de compréhension et de largeur de vues. Cela établi, Nous vous recommandons d’apprendre aux fidèles à découvrir la richesse inépuisable et à apprécier la grande beauté des prières liturgiques de la messe et de les former à prendre une part active à ces prières. Vous qui, chaque jour, à l’autel, utilisez le missel, le principal livre de dévotion de l’Eglise, vous savez quelle abondance de textes sacrés et de saintes élévations il renferme, quels sentiments d’adoration, de louange, d’élan vers Dieu il réveille et suscite, avec quelle force puissante il porte et élève aux choses éternelles, quels trésors de conseils salutaires il offre pour la vie surnaturelle de chacun.
La fréquentation des sacrements.
Nous vous disions, l’année dernière, comment, dans la lutte contre le bien et le mal que soutient sans cesse l’Eglise, cette dernière ne peut trouver un appui continuel et assuré chez des fidèles qui ne reçoivent qu’une fois l’an la sainte communion. Nous vous conseillons de créer et de former des groupes d’hommes et de jeunes gens pratiquant au moins la communion mensuelle et conduisant avec eux à la Table eucharistique le plus possible d’amis et de connaissances. Vous Nous direz peut-être qu’il y a une mission plus urgente, celle d’amener au moins à un minimum de prière et de fréquentation des sacrements ces nombreux chrétiens qui vivent éloignés de la religion. Mais, même pour obtenir un pareil résultat, ces phalanges d’apôtres laïques, courageux et prudents, ne deviendront-ils pas le moyen le plus efficace, et même souvent le seul moyen pour ramener à l’Eglise des fils qui se sont détachés d’elle et lui sont devenus comme étrangers ? Nous recommandons et suggérons la même route à suivre pour le monde féminin. L’égalité sociale croissante de la femme avec l’homme, qui a fait des progrès si rapides, a également fait sortir la femme, spécialement la jeune fille avide d’aventures, de la retraite et de la famille, la lançant sans précaution aucune dans une société agitée, dans le tourbillon de la vie moderne, au milieu de dangers d’ordre moral si graves et si divers, dont on n’arrive avec peine à se préserver que par une extraordinaire énergie de volonté loyale et droite. L’expérience pastorale possède à ce sujet des faits et des témoignages si douloureux et si éloquents, qu’il apparaît aujourd’hui toujours plus nécessaire de faire surgir des groupes eucharistiques féminins, pour ressaisir les brebis égarées et pour fortifier les âmes restées fidèles.
Triple exhortation finale.
A ces indications et suggestions concernant la prière, laissez-Nous, chers fils, ajouter une triple exhortation :
Si vous voulez que les fidèles prient volontiers, avec piété, précédez-les à l’église, par votre exemple, en faisant oraison en leur présence. Un prêtre agenouillé devant le tabernacle dans une attitude digne, dans un profond recueillement, est un modèle d’édification pour le peuple, un avertissement et un appel à l’émulation dans la prière.
Si les fidèles vous demandent comment arriver vite et sûrement à bien prier, répondez-leur que la prière trouve un soutien très puissant dans l’abnégation de soi-même, dans la pénitence, dans la charité envers le prochain. Cette vérité est aussi claire qu’il est certain que les bonnes œuvres sont une condition essentielle d’une prière digne et efficace.
Si enfin vous Nous demandez ce que Nous attendons actuellement de Nos diocésains, Nous vous répondrons : leur prière et l’offrande à Dieu de leurs sacrifices. L’humanité vit aujourd’hui l’une des heures les plus dures et les plus douloureuses. Nous naviguons sur un lac, une mer, un océan soulevé par des vents contraires. L’Eglise, née pour l’humanité, finira avec l’humanité ; mais toujours, jusqu’à la consommation des siècles, elle aura avec elle son divin Fondateur, comme lui-même l’a promis : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles » (Matth., xxviii, 20). Sur cette mer, la nef de l’Eglise avance au milieu des peuples vers le port de l’éternité, avec ses apôtres, son chef, sa doctrine, ses sacrements, son action pacifique, entourée des flots écumants et des bourrasques, tandis que le Christ Sauveur dort mystérieusement. Que fait l’Eglise, que font les apôtres dans la terreur du naufrage redouté ? Ils s’approchent du Christ, le réveillent et lui crient : « Maître, nous périssons ! » (Luc, viii, 24). Voilà la prière et la sécurité de l’Eglise qui sait que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas » (Matth., xvi, 18). Aussi la prière est-elle l’arme la plus forte, la plus invincible contre tous les dangers et assauts du monde ; car si le Christ semble dormir, son cœur veille toujours, avec son amour, sa fidélité et sa toute-puissance, et il sait se dresser et commander aux flots et aux tempêtes, à l’heure que son divin conseil a fixée, et qui est conjointe à notre invocation. Ne craignons pas, mais prions. Crions nous aussi au Sauveur : « Lève-toi ; pourquoi dors-tu, Seigneur ? Ne nous rejette pas toujours ! Lève-toi à notre secours, Seigneur » (Ps., xliii, 24, 27). Unissons à notre prière les innombrables sacrifices de l’heure présente, triste et grave, les larmes, les souffrances, les deuils qui affligent l’humanité. Notre prière s’imprégnera de nos sanglots, et par son accent douloureux elle touchera le cœur miséricordieux du Christ qui, dans son sommeil apparent, veille sur l’Eglise, sur nous, sur le monde. Comment l’Eglise pourrait-elle manquer à sa mission qui, dans de telles circonstances, fut toujours d’implorer la grâce de Dieu et sa miséricorde par la prière et par la pénitence, en union avec le sacrifice eucharistique de l’Homme-Dieu ?
Si telle est la mission de toute l’Eglise, le diocèse de Rome, Notre diocèse, devra avoir aussi la sainte ambition de l’emporter sur tous les autres diocèses par la générosité, le zèle, la piété.
Afin que cela se produise et pour que la force du Christ et une surnaturelle efficacité soient accordées à votre prédication et à votre apostolat, Nous vous donnons, avec toute Notre affection paternelle, la Bénédiction apostolique à vous tous, à vos collaborateurs ecclésiastiques et laïques, et à tous Nos chers diocésains.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXV, 1943, p. 105 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 39. Les sous-titrés sont ceux du texte original.