Pour perpétuelle mémoire
L’auteur et le consommateur de notre foi, Jésus, qui, mû par une charité excessive, après avoir pris l’infirmité de notre nature mortelle, s’est offert immaculé à Dieu sur l’autel de la Croix pour nous délivrer de l’affreuse servitude du péché, n’a rien eu plus en vue que d’exciter en toutes manières dans les âmes des hommes les flammes dont son Cœur brûlait, ainsi que nous le voyons dans l’Evangile en donner l’assurance à ses disciples : « Je suis venu jeter le feu sur la terre, et quelle est ma volonté sinon qu’il s’allume ? »
Or comme moyen d’exciter davantage ce l’eu de la charité, il a voulu qu’on établît dans son Eglise la vénération et le culte de son très sacré Cœur, et qu’on le propageât.
Et qui serait, en effet, assez dur et de fer pour ne point se sentir porté à répondre à l’amour de ce Cœur plein de suavité, transpercé et blessé par la lance, afin que notre âme y pût trouver une sorte de retraite et de refuge où elle se retirât et se mit à couvert contre les incursions et les pièges de l’ennemi ?
Qui ne serait animé à employer avec zèle toutes les pratiques qui peuvent l’amener à ce très sacré Cœur, dont la blessure a répandu l’eau et le sang, c’est-à-dire la source de notre vie et de notre salut ?
Quand donc notre Sauveur a voulu instituer et répandre au loin parmi les hommes ce culte de piété si salutaire et si bien dû, il a daigné choisir sa vénérable Servante Marguerite-Marie Alacoque, religieuse de l’ordre de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie, qui, par l’innocence de sa vie et par l’exercice assidu de toutes les vertus, s’est montrée digne, avec l’aide de la grâce divine, de cet office et de cette mission.
Née d’une famille honnête, dans le village de Lauthecourt, au diocèse d’Autun, en France, elle brilla dès sa première enfance par la docilité de son esprit, la pureté de ses mœurs réglées d’une manière bien supérieure à son âge ; de telle sorte qu’elle faisait augurer à ses parents, par des indices certains, ce qu’elle devrait être un jour.
Encore petite fille, et ne sentant que de l’éloignement pour les réjouissances qui ont coutume de séduire cet âge si tendre, elle cherchait les endroits les plus secrets de la maison pour y recueillir son âme en prière et en adoration devant Dieu.
Jeune personne, elle fuyait la compagnie des hommes, n’ayant point de plus grand bonheur que d’être assidûment à l’église, et de prolonger ses prières pendant plusieurs heures.
Dès ses premières années elle se consacra à Dieu par le vœu de virginité, et commença à assujettir son corps aux jeûnes, aux disciplines et à d’autres macérations, voulant par-là, comme par un buisson d’épines, mettre à l’abri la fleur de sa virginité.
Elle fut aussi un illustre modèle de douceur et d’humilité ; car, ayant perdu son père, et sa mère succombant sous le poids soit des années, soit de la maladie, elle fut traitée avec tant de rigueur et de dureté par ceux qui avaient la gestion des affaires de la maison, qu’elle manquait habituellement du nécessaire dans la nourriture et le vêtement. Cet état de choses aussi pénible qu’injuste fut généreusement accepté par elle, à l’exemple de Jésus-Christ, qu’elle avait toujours devant les yeux.
Elle n’avait que neuf ans quand elle fut admise pour la première fois à recevoir le saint sacrement de l’Eucharistie ; et ce céleste aliment lui inspira une si grande ardeur de charité, que ce feu divin éclatait sur ses lèvres et dans ses yeux.
Enflammée pareillement de charité pour le prochain, elle déplorait amèrement la misère d’une multitude d’enfants presque délaissés de leurs parents, grandissant dans le vice et ignorant les choses les plus essentielles au salut. Elle leur apprenait les mystères de la foi, les formait à la vertu, et elle s’était fait une habitude de se priver d’une bonne part de sa nourriture quotidienne pour les nourrir.
Ayant fixé son choix sur l’Epoux céleste, elle refusa constamment un époux riche et de condition que sa mère voulait lui donner. Et pour garder avec plus de sécurité sa foi à cet Epoux céleste, elle songea à entrer en Religion dans un cloître. C’est pourquoi, après avoir longtemps et sérieusement délibéré en elle-même, après avoir par d’abondantes larmes consulté la volonté divine, elle fut reçue, dans la ville de Paray-le-Monial, au diocèse d’Autun, parmi les religieuses de l’ordre de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie.
Dans son noviciat, s’étant montrée telle que l’avaient fait espérer et son ardeur généreuse pour la vertu et 1 innocence de sa vie passée, elle mérita d’être admise à prononcer les vœux solennels. Mais après sa profession on la vit marcher à pas accélérés dans les voies de la perfection religieuse, tant elle offrait à ses compagnes consacrées à Dieu un éclatant modèle de toutes les vertus.
On voyait luire en elle une merveilleuse humilité et une extraordinaire promptitude à obéir, comme à supporter avec patience tout ce qui pouvait lui faire de la peine, une parfaite observance des points les plus minimes de la règle, une austérité sans relâche dans les macérations corporelles, un amour toujours fervent de la prière, à laquelle elle s’appliquait jour et nuit ; et souvent sou âme, dégagée des sens, était inondée de l’abondance des dons célestes.
Dans la méditation des douleurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ, elle était si sensiblement affectée, et la flamme de son amour était si ardente, que la plupart du temps elle y paraissait languissante et sans vie.
L’éminence de ses vertus ayant fixé sur elle l’admiration de toutes ses compagnes, elle fut chargée d’exercer et de former à la vie religieuse les jeunes demoiselles qui étaient au noviciat. On n’eût pu trouver une personne plus capable de cette charge que la vénérable Marguerite-Marie, qui par son exemple entraînait celles qui entraient dans la voie de la perfection, et soutenait celles qui y couraient déjà.
Un jour qu’elle priait avec plus de ferveur devant le très auguste sacrement de l’Eucharistie, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui fît connaître qu’il lui serait très agréable de voir établir le culte de son très sacré Cœur, embrasé d’amour pour le genre humain, et qu’il voulait lui confier à elle-même cette mission. La Vénérable Servante de Dieu, qui était si humble, fut atterrée, s’estimant indigne d’un pareil office. Mais enfin, pour obéir à l’ordre souverain, et conformément au désir qu’elle avait d’exciter le divin amour dans le cœur des hommes, elle fit tous ses efforts, soit auprès des religieuses de son monastère, soit auprès de tous ceux sur lesquels elle pouvait exercer quelque action, pour que ce très sacré Cœur, siège de la divine charité, reçût d’eux toute sorte d’honneurs et d’adorations. La Vénérable Servante de Dieu eut à souffrir à ce sujet de grandes peines ; elle rencontra de nombreuses difficultés. Cependant elle ne perdit jamais courage ; mais s’appuyant sur l’espoir du secours d’en haut, elle travailla avec tant de constance à établir cette dévotion, que, avec l’aide de la grâce divine et au grand profit des âmes, elle prit un très grand accroissement dans l’Eglise.
Enfin, désireuse de mourir pour voler aux célestes noces de l’Agneau qu’elle convoitait si ardemment, consumée moins par la maladie que par les flammes de la charité, elle arriva au terme de sa vie le 16 des calendes de novembre, l’an 1690.
L’opinion que l’on avait eue de la sainteté de la vénérable Marguerite-Marie s’accrut davantage après son décès, surtout sur le bruit des miracles que l’on attribuait à l’intercession de la Vénérable Servante de Dieu. C’est pourquoi, en 1715, l’Evêque d’Autun s’occupa de faire recueillir, selon les formes ordinaires, des informations sur sa vie et ses mœurs. Mais les révolutions, qui à la fin du XVIIIe siècle ont bouleversé presque l’Europe entière, ont empêché que cette cause pût être déférée au jugement du Saint-Siège. Toutefois, quand le plus gros de l’orage fut passé, on sollicita le jugement du Siège apostolique, et on porta devant l’assemblée des Cardinaux de la sainte Eglise romaine préposés aux sacrés Rites la cause des vertus dont la pratique avait illustré la Vénérable Marguerite.
Toutes choses longuement et attentivement pesées, Nous avons enfin prononcé que ses vertus avaient atteint le degré héroïque, dans un décret publié le 10 des Calendes de septembre de l’an 1846.
Plus tard, dans la même assemblée de Cardinaux, fut mise à l’ordre du jour la discussion sur les miracles qui devaient fournir la preuve divine de sainteté de la Vénérable Marguerite ; et après qu’à la suite d’un sévère examen les consulteurs et les Cardinaux eurent donné un avis favorable, Nous, les lumières d’en haut invoquées, avons rendu publique notre sentence affirmative sur la vérité de ces miracles, le 8 des Calendes de mai de l’année courante 1864.
Il ne restait plus qu’à demander aux mêmes Cardinaux s’ils étaient d’avis qu’on put procéder avec sécurité à décerner à la vénérable Marguerite les honneurs des Bienheureux. Hennis en Notre présence le 18 des Calendes de juillet de la présente année ; ils répondirent d’une voix unanime « qu’on pouvait procéder avec sécurité ».
Nous donc, après avoir imploré le secours céleste, ainsi que le demandait l’importance de la chose, le 8 des Calendes de juillet de la même année, Nous avons décrété que l’on pouvait avec sécurité, le jour que nous désignerions, rendre à la Vénérable Servante de Dieu les honneurs de la Béatification avec tout ce qui s’ensuit, jusqu’à ce que sa solennelle Canonisation soit célébrée.
C’est pourquoi, touché des prières de presque tous les Evêques de France, et aussi des religieuses de l’ordre de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie, sur l’avis et avec l’assentiment de nos vénérables frères les Cardinaux de la sainte Eglise romaine préposés à tout ce qui concerne les Dites sacrés, en vertu de Notre autorité apostolique, Nous permettons que la Vénérable Servante de Dieu Marguerite-Marie Alacoque soit désormais appelée du nom de Bienheureuse, et que son corps et ses reliques, qui ne pourront être portés dans les processions solennelles soient exposés à la vénération publique des fidèles.
De plus, en vertu de la même autorité, Nous permettons qu’on dise en son honneur l’Office et la Messe du Commun des Vierges, avec les Oraisons propres approuvées par Nous, conformément aux rubriques du Missel et du Bréviaire romain.
Mais nous permettons de célébrer cette Messe et de dire cet Office seulement dans le diocèse d’Autun, et dans toutes les églises des Maisons, quelque part qu’elles existent, dans lesquelles se trouve établi l’ordre des religieuses de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie, le 17 octobre, à tous les fidèles serviteurs de Jésus-Christ, tant séculiers que réguliers, qui sont tenus à la récitation des Heures canoniales, et, pour ce qui est de la Messe, à tous les prêtres qui se rendent à l’église où la fête est célébrée.
Enfin, Nous permettons que, dans l’année qui commence à la date de cette lettre, la solennité de la Béatification de la Vénérable Servante de Dieu Marguerite-Marie Alacoque soit célébrée dans le diocèse et dans les églises susmentionnés, avec. Office et Messe du rite Double-Majeur ; mais Nous voulons que ce soit le jour qui sera désigné par l’Evêque diocésain, et après que cette solennité aura été célébrée dans la basilique vaticane.
Tout ce, nonobstant les Constitutions et ordonnances apostoliques, ou autres choses contraires.
Or Nous voulons que tous les exemplaires de cette lettre, même imprimés, pourvu qu’ils soient revêtus de la signature du Secrétaire de la susdite Congrégation des sacrés Rites, et munis du sceau du Préfet, obtiennent la même confiance, comme étant l’expression de Notre volonté, que Ton aurait sur l’exhibition de l’original même.
Donné à Castel-Gandolpho, sous l’Anneau du Pêcheur, le 19 du mois d août de l’an 1864, le 19e de Notre Pontificat.
N., Card. Paracciani Clarelli.
Source : Vie et Œuvres de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, t. 3, Mgr Gauthey, pp. 148–159.