Recevant en audience, le dimanche 14 septembre, les membres de la troisième Assemblée générale de l’Office international de l’enseignement catholique (O.I.E.C.), le Saint-Père prononça en français l’allocution suivante :
La troisième Assemblée générale de l’Office international de l’enseignement catholique qui vous réunit à Rome, chers fils, Nous donne l’occasion de vous accorder cette audience, que vous avez demandée avec instance. C’est de grand cœur que Nous répondons à votre désir et que Nous appuyons de Nos encouragements les efforts, que vous avez déployés, d’abord pour fonder, puis pour développer votre Office.
Buts et activités de l’O.I.E.C.
Les catholiques d’aujourd’hui, plus encore que ceux d’hier, attachent aux problèmes de l’enseignement une importance considérable. Dans tous les pays où la foi s’enracine, surgissent bientôt des écoles de tous degrés, jardins d’enfants, écoles élémentaires, collèges secondaires, facultés universitaires englobant toutes les branches du savoir. Soucieuses de former le plus tôt possible une élite et de favoriser l’épanouissement d’une culture chrétienne, les autorités ecclésiastiques, aidées par le dévouement admirable d’enseignants laïcs et par le soutien financier du peuple chrétien, mettent tout en œuvre pour que les jeunes baptisés reçoivent dans des instituts chrétiens, la formation religieuse et intellectuelle qui leur est nécessaire. Souvent cependant, les efforts sont poursuivis en ordre dispersé, d’après les besoins du moment et les impulsions d’initiatives généreuses, sans qu’une étude rationnelle de la situation ait déterminé plus exactement les conditions, dans lesquelles ces efforts produiraient les fruits les meilleurs ; il en résulte une perte évidente d’énergies et une moindre efficacité de l’apostolat.
A présent, on voit se multiplier les échanges internationaux et les organisations publiques et privées s’occupant d’activités culturelles et éducatives sur le plan mondial. L’école catholique doit donc elle aussi affirmer sa valeur propre, s’adapter aux exigences de la formation du chrétien dans le monde moderne, se défendre contre les attaques dont elle est l’objet en plusieurs régions. Ainsi s’explique la création d’une organisation qui se propose, comme le déclarent vos statuts[1], « d’affirmer sur le plan international le rôle de l’enseignement organisé sous l’égide de l’Eglise ». Les Universités, les étudiants, les intellectuels, les enseignants catholiques ont déjà la possibilité d’aborder dans leurs groupements respectifs les questions qui les intéressent plus particulièrement. Mais il fallait encore représenter l’enseignement catholique dans son ensemble et mettre en valeur son point de vue auprès des organisations internationales gouvernementales et non-gouvernementales. C’est avec cette idée qu’en novembre 1950, se réunirent pour la première fois à La Haye, les personnalités représentatives de l’enseignement catholique de six nations. Après que la hiérarchie ecclésiastique des pays intéressés eut donné son approbation au premier projet, l’assemblée constitutive de l’Office se réunit à Lucerne en septembre 1952 et en rédigea les statuts. Depuis lors le nombre des adhérents s’est constamment accru.
Bien que limité dans son action par l’insuffisance de ses ressources, l’Office a déjà réalisé depuis sa fondation un travail notable ; en particulier il a assuré sa représentation aux diverses réunions d’organisations internationales, la rédaction de nombreux rapports, études et articles, la constitution d’une documentation étendue sur la situation scolaire des différents pays et la réponse aux fréquentes demandes d’informations. Actuellement, vous concentrez votre attention sur les projets de l’UNESCO relatifs à renseignement primaire en Amérique latine, à l’appréciation mutuelle des valeurs culturelles de l’Orient et de l’Occident, et vous prêtez votre collaboration à l’organisation de l’enseignement catholique en Afrique.
La présence de l’école catholique aux réalités du monde moderne.
Votre Congrès actuel aborde un sujet très ample : « la nature et le rôle de l’école catholique et sa présence aux réalités du monde moderne ». Ce faisant, vous réalisez un des points importants de vos statuts, celui qui envisage « l’étude des principes qui sont à la base de l’instruction et de l’éducation chrétienne de la jeunesse, ainsi que les problèmes que pose leur application » [2]. Les problèmes d’ordre pédagogique et ceux de l’école en général ont acquis ces dernières années un relief très accusé : problèmes de l’accroissement considérable des effectifs scolaires, de la prolongation de la scolarité, qui répond aux besoins de la science et de l’industrie moderne en personnel qualifié, mais aussi problèmes plus délicats résultant d’une extension rapide des moyens de culture et du contenu même de celle-ci. C’est ici qu’on aperçoit davantage l’opportunité d’une enquête approfondie sur la situation de l’école catholique dans le monde moderne et sur la façon dont elle s’adapte au rythme accéléré de son évolution. Par ailleurs, le climat politique et social de la vie internationale ne peut manquer d’influencer largement les orientations à prendre : conflit des idées et des systèmes politiques, constitution des nations en blocs opposés, appel des régions sous-développées, utilisation commune des nouvelles sources d’énergie. La solution correcte de ces questions redoutables ne pourra venir que d’une élite aux idées justes et au cœur large, qui saura les considérer avec toute la compétence technique requise, mais aussi avec l’intuition des impératifs essentiels de la conscience humaine. L’école catholique prétend mettre ses élèves en face de toutes leurs responsabilités, et contribue par là à faire prévaloir dans le monde les principes fondamentaux d’un équilibre harmonieux entre les individus et entre les nations.
Les exigences de l’école chrétienne.
Pour qu’elle ne manque point à sa mission, il importe que tous ses responsables gardent devant les yeux les recommandations de Notre vénéré prédécesseur Pie XI dans son encyclique Divini illius Magistri [3]. Pour qu’une école soit chrétienne, il ne suffit pas que l’on y dispense chaque semaine un cours de religion, ni que l’on y impose certaines pratiques de piété ; mais il faut d’abord que des maîtres chrétiens communiquent à leurs disciples, en même temps que la formation de l’esprit et du caractère, les richesses de leur vie spirituelle profonde ; pour cela il importe que l’organisation extérieure de l’école, sa discipline, ses programmes, constituent un cadre adapté à sa fonction essentielle et pénétré, même dans ses détails en apparence les plus humbles et les plus matériels, d’un sens spirituel authentique. Croit-on qu’il soit indifférent d’adopter tel ordre du jour, tel choix des matières, telle méthode didactique, tel système disciplinaire ? Les exigences légales ou l’opportunité ont maintes fois entraîné en ce domaine des abandons regrettables et compromis dans une large mesure l’efficacité de l’éducation religieuse elle-même. Aussi croyons-Nous que vous ferez œuvre très utile, en rendant possible aux maîtres chrétiens la comparaison des méthodes et des résultats obtenus en d’autres pays ; ils épargneront ainsi le coût d’expériences inutiles ou dommageables, et écarteront plus sûrement de leurs propres méthodes tous les éléments qui trahissent des influences étrangères à l’inspiration chrétienne véritable.
La raison d’être de l’école chrétienne : former de solides chrétiens.
Toutefois, l’efficacité d’un système éducatif dépend en définitive de sa fidélité entière au but premier qu’il se propose. L’école chrétienne justifiera sa raison d’être dans la mesure où ses maîtres, clercs et laïcs, religieux et séculiers, réussiront à former de solides chrétiens. Que leur zèle s’applique donc inlassablement à associer toujours davantage leurs élèves à la vie de l’Eglise, à les faire participer à sa liturgie et à ses sacrements, puis à les initier, selon les capacités de leur âge, à l’apostolat parmi leurs compagnons, dans leurs familles, dans leur milieu de vie ; qu’ils les habituent aussi à regarder l’immense champ missionnaire, qui s’ouvre en réalité aux portes mêmes de l’école ou du collège. Qu’ils leur révèlent les possibilités apostoliques qui s’offrent à leur générosité, dans la vocation sacerdotale et religieuse, ou parmi les formes si variées de l’action laïque. Jamais les élèves d’un institut catholique ne devraient concevoir leur future carrière comme une simple fonction sociale, nécessaire sans doute pour eux-mêmes et pour leurs semblables, mais sans relation immédiate avec leur condition de baptisés. Qu’ils la conçoivent toujours au contraire comme l’exercice d’une responsabilité dans l’œuvre du salut du monde, par laquelle, en s’engageant sérieusement comme chrétiens sur le plan temporel, ils réalisent leur destinée spirituelle la plus haute.
Les services rendus à la communauté nationale.
On aurait tort de penser pour cela que l’école chrétienne tient en moindre estime ou relègue au second plan les tâches spécifiquement scalaires. Les objectifs d’ordre intellectuel, but précis de l’enseignement, reçoivent au contraire de son orientation spirituelle un sens plus ferme, une sûreté et une force accrues. C’est pourquoi, lorsque des élèves païens ou appartenant à d’autres confessions fréquentent les établissements catholiques, ils en retirent une culture, qui ne le cède en rien à celle qu’ils auraient reçue ailleurs. Il n’est même pas rare que les instituts catholiques jouissent dans les milieux non- chrétiens d’une réputation, due avant tout à la qualité de leurs études et aux services éminents, qu’ils rendent à ce titre à la communauté nationale.
Malheureusement, en dépit de ses mérites évidents, l’école catholique ne trouve pas toujours auprès des pouvoirs publics l’appui qu’elle serait en droit de recevoir. Nous avons déjà évoqué ce problème dans Notre allocution du 10 novembre 1957 au Congrès international des écoles privées européennes[4]. On peut espérer que le mouvement, qui pousse les nations à s’unir en des ensembles plus vastes, incitera les gouvernants à dépasser, en cette matière, des oppositions néfastes à ceux-là mêmes qui les créent.
Il Nous reste à vous souhaiter, chers fils, de poursuivre avec courage et persévérance les tâches que vous vous êtes proposées. Vous pouvez bien, pour stimuler votre zèle, répéter l’exclamation de saint Paul, fier de la charge que Dieu lui avait confiée, de proclamer le Mystère du Christ : « Ce Christ nous l’annonçons, disait-il, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ ! » (Col., i, 28). Tel est le terme magnifique de votre labeur et de celui de tous les maîtres chrétiens : annoncer le Seigneur à ceux qui l’ignorent, rendre parfaits ceux qui le connaissent.
Que le Saint-Esprit vous éclaire et guide vos pas ! Nous l’en supplions instamment et en même temps que Nous appelons ses grâces sur vous-mêmes et sur tous vos collaborateurs, Nous vous en accordons comme gage Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Maurice Saint-Augustin. – D’après le texte français des A. A. S., L, 1958, p. 696. Les sous-titres sont ceux de la Documentation Catholique, t. LV, col. 1285–1288.