Du 8 au 13 septembre, le « Collegium internationale neuropsychopharmacologicum » a tenu à Rome sa première session générale. Les quelque cinq cents congressistes furent reçus en audience par le Saint- Père qui prononça en français l’allocution suivante :
Vous n’avez pas voulu,MMessieurs, que le « Collegium Internationale Neuro-Psycho-Pharmacologicum », fondé l’an dernier à Zurich, inaugurât ses assises générales ailleurs qu’à Rome, où des savants de toutes les spécialités, attirés par le prestige incomparable de la Ville éternelle, aiment à tenir leurs congrès. Cette première réunion internationale de neuropsychopharmacologie est destinée, suivant les buts que se propose votre « Collegium », à promouvoir les recherches et les échanges d’informations, ainsi que la collaboration entre les sciences psychopharmacologiques cliniques et expérimentales. Elle accorde aussi, Nous le soulignons avec plaisir, une attention particulière aux problèmes médico-sociaux, qu’entraîne l’utilisation de la médication psychotrope en thérapeutique psychiatrique. Soyez donc les bienvenus ici et puissiez-vous, pendant ces journées où s’échangeront et se discuteront amicalement les expériences entreprises et les résultats obtenus, connaître la joie de voir progresser les travaux qui vous tiennent à cœur, et trouver là un puissant encouragement à les poursuivre.
I. Progrès récents de la psychopharmacologie
Depuis longtemps, l’humanité s’intéresse aux produits capables d’agir sur le système nerveux et d’exercer ainsi une influence sur les fonctions psychiques. L’alcool et les opiacés, par exemple, sont universellement connus pour l’euphorie passagère et la détente qu’ils procurent, en éloignant l’individu de la réalité quotidienne douloureuse ou trop exigeante. La découverte des barbituriques est venue ajouter assez récemment une arme nouvelle à l’arsenal médical des produits capables d’exercer une action déprimante sur le système nerveux central, et la chirurgie, en particulier, ne manque pas d’en tirer largement parti. Mais depuis quelques années, on a vu s’introduire dans les laboratoires et dans les cliniques psychiatriques des agents d’un type tout nouveau, qui ont acquis rapidement une large notoriété et suscitent maintenant un intérêt considérable, à en juger par le nombre de publications, de symposia et de congrès qu’on leur consacre en Europe et en Amérique.
On peut les caractériser par leur aptitude à influencer le comportement de l’individu, à le tranquilliser sans provoquer en lui la tendance au sommeil. La psychopharmacologie, qui étudie ces nouvelles drogues, les distingue en « psychomimétiques », utilisées dans un but expérimental, afin de provoquer des troubles du comportement imitant ceux des malades mentaux, et en « tranquillisants », qui exercent un effet sédatif. Ceux-ci intéressent non seulement le laboratoire, mais les cliniciens, auxquels ils apportent un concours précieux pour le traitement des psychoses graves, et surtout des états d’excitation.
De nouveaux médicaments : la chloropromazine…
Le premier d’entre eux, la chloropromazine, fut employé d’abord en thérapeutique psychiatrique pour renforcer l’action des barbituriques dans les cures de sommeil, et permettre d’en réduire à la fois les doses et les dangers. Mais lorsqu’on mit à l’essai ses propriétés psychotropes, elle se révéla d’une efficacité insoupçonnée pour provoquer rapidement une dépression profonde du système nerveux central. Son application remporta des succès notables allant jusqu’à la guérison en 80 pour cent des cas dans les psychoses aiguës accompagnées d’excitation psychomotrice et, à un degré moindre, dans les psychoses confusionnelles aiguës.
Les résultats les plus étonnants, lorsqu’on l’emploie seule, ont été obtenus dans les psychoses considérées comme les plus rebelles au traitement, les schizophrénies paranoïdes, les crises schizophréniques confusionnelles et délirantes, et les délires hallucinatoires chroniques. Les résultats sont moins nets dans les psychoses dépressives endogènes, et restent modestes dans les psycho-névroses, sauf quand les phénomènes anxieux sont particulièrement marqués. Elle a trouvé également un champ d’action étendu dans les maladies neurologiques, ainsi que dans la thérapeutique de la douleur, pour renforcer l’action des analgésiques et des hypnotiques, ou réduire la composante émotive des douleurs physiques. Elle manifeste aussi des propriétés antiémétiques efficaces.
… la réserpine…
Si la chloropromazine est le fruit de recherches de laboratoire portant sur des structures chimiques, dont l’action n’était d’ailleurs point psychotrope, mais anti-histaminique, la « Rauwolfia serpentina », dont on extrayait en 1952 le principe actif, la réserpine, était connue depuis les temps anciens en Extrême- Orient, où l’on utilisait sa racine pour le traitement de certaines psychopathies. C’est en 1582 que le médecin et naturaliste Léonard Rauwolf, rentrant d’un voyage en Inde, rapporta des spécimens de cette plante. Mais ce n’est qu’à l’époque contemporaine, à partir de 1931, que ses propriétés furent l’objet, de la part des savants indiens, d’une étude systématique. Il fallut attendre jusqu’à ces dernières années avant de voir la réserpine entrer dans la pratique psychiatrique courante. Largement utilisée pour combattre l’hypertension à cause de sa sécurité relative et de son action prolongée, elle rend des services remarquables dans le traitement des malades mentaux, et surtout des schizophrènes, dont les désordres du comportement ont entraîné l’hospitalisation. Son action thérapeutique se manifeste avec plus de force sur les crises aiguës, les phases de confusion mentale, les bouillonnements émotifs soudains, toutes les fois qu’il faut remédier à de fortes tensions émotives, à l’anxiété, aux excitations psychomotrices. On a constaté que l’effet bienfaisant se manifeste immédiatement dans la majeure partie des cas, et provoque une sédation profonde très particulière ; les phénomènes maladifs perdent bientôt leur importance dans la vie émotive du sujet, les hallucinations disparaissent, les difficultés diminuent. Lorsque la psychose s’est installée depuis un certain temps chez un sujet, dont elle a déformé la personnalité d’une manière permanente, la thérapeutique ordinaire n’obtient pas de résultats définitifs, mais, en prolongeant l’usage du médicament à doses réduites, on obtient cependant dans la majeure partie des cas une amélioration sensible.
… le méprobamate.
A côté de ces deux médicaments principaux, signalons encore le méprobamate, utilisé originairement pour remédier aux spasmes et tension musculaires, et qui sert surtout en psychiatrie pour calmer l’anxiété sous toutes ses formes ambulatoires.
L’utilité de ces médicaments, et de beaucoup d’autres de même type qui leur font cortège et qui sont dus à l’ingéniosité et au labeur incessant des chercheurs, s’est manifestée d’une manière spectaculaire dans les cliniques et les hôpitaux psychiatriques où l’on n’envoie d’habitude que les patients qui présentent pour leur entourage de sérieux inconvénients, et parfois un véritable danger. Or ceux qui souffrent d’hyperactivité ou d’excitation affective, voient par ces drogues leur mobilité exagérée réduite à une mesure normale ; ils cessent d’être une menace pour eux-mêmes et pour les autres, surtout pour le personnel hospitalier, auquel ils imposaient une surveillance épuisante. L’emploi des moyens de contrainte, de l’électrochoc et des barbituriques devient moins nécessaire. C’est l’atmosphère de l’institution tout entière qui vient à se transformer complètement, procurant ainsi aux malades un cadre infiniment plus propice et leur permettant l’exercice d’activités thérapeutiques bienfaisantes et l’établissement de relations plus faciles avec leur entourage.
S’ils ont rénové les méthodes de traitement des psychoses, les nouveaux calmants ne sont pas dépourvus d’effet dans le traitement des névroses, surtout chez les sujets qui, pour échapper à leur anxiété, s’évadent dans l’action. Même dans la vie normale, les cas ne sont pas rares où une tension excessive, provoquée par des difficultés professionnelles ou familiales, ou par la crainte de dangers imminents, trouve dans les médicaments psychotropes un adjuvant précieux, qui permet de faire face à la situation plus fermement et plus sereinement. Les effets secondaires de ces calmants sont en général sans gravité et peuvent être combattus par d’autres médicaments. Vous signalez cependant le danger que présente pour le public un recours sans contrôle à ces drogues, dans le seul but d’éviter systématiquement les difficultés affectives, les craintes et les tensions qui sont inséparables d’une vie active et consacrée aux tâches humaines courantes.
L’avenir des médicaments psychotropes.
Il est difficile à l’heure actuelle de prévoir quel sera l’avenir des médicaments psychotropes. Les premiers résultats enregistrés semblent indiquer qu’un pas sérieux a été fait dans le traitement des maladies mentales, de la schizophrénie en particulier, dont le pronostic était considéré comme très sombre. Mais des voix autorisées se font entendre, qui invitent à la circonspection et mettent en garde contre les enthousiasmes irréfléchis. Plusieurs questions en effet, et des questions fondamentales, attendent encore une solution précise, en particulier celles qui concernent le mode d’action des drogues psychotropes sur le système nerveux central. En parcourant les nombreux travaux qui ont déjà abordé divers aspects de ce problème, on ne peut qu’admirer l’inlassable persévérance des chercheurs, pour arracher les secrets du fonctionnement de ces délicats mécanismes biochimiques, pour préciser le point d’application électif de chacune des drogues, leurs affinités et leurs antagonismes. Dans ce domaine infiniment complexe, vous êtes bien décidés à faire la lumière peu à peu, afin de poser des bases pharmacologiques sûres aux applications pratiques, dont la thérapeutique retirera tous les avantages.
Les relations entre psychiatrie et neuropsychopharmacologie.
Plus difficile encore est la question des relations de la psychiatrie et de la neuropsychopharmacologie. La médication psychothérapeutique agit-elle réellement sur la cause de la maladie, ou se contente-t-elle de modifier, de manière plus ou moins transitoire, certains symptômes, laissant intacts les causes profondes qui sont à l’origine du mal ? Dans quelle mesure certaines altérations du système nerveux central sont-elles l’origine ou la conséquence des désordres émotifs qu’elles accompagnent ? Certains auteurs notent que l’expérimentation, si largement poussée pendant ces dernières années, a mis en évidence des causes physiques ignorées auparavant. Les psychiatres de leur côté soulignent la nature psychogénique des maladies mentales. Ils se réjouissent que l’usage des médicaments tranquillisants facilite le dialogue entre le malade et son médecin, mais rappellent que l’amélioration du comportement social obtenue grâce à eux ne signifie nullement que les difficultés profondes soient résolues. C’est toute la personnalité qu’il faut redresser, à laquelle il faut rendre l’équilibre instinctif indispensable à l’exercice normal de sa liberté. Il y aurait plutôt danger de cacher au patient ses problèmes personnels, en lui procurant un soulagement tout extérieur et une adaptation superficielle à la réalité sociale.
II. Les exigences de l’ordre moral
Après avoir exposé brièvement les succès enregistrés récemment par la neuropsychopharmacologie, Nous abordons dans cette seconde partie l’examen des principes moraux qui s’appliquent spécialement aux situations que vous rencontrez. Tandis que vous considérez l’homme comme objet de science, et que vous tentez d’agir sur lui par tous les moyens dont vous disposez, afin de modifier son comportement et de guérir ses maladies physiques ou mentales, Nous le regardons ici comme une personne, un sujet responsable de ses actes, engagé dans une destinée qu’il doit accomplir, en restant fidèle à sa conscience et à Dieu. Nous aurons donc à examiner les normes qui déterminent la responsabilité du spécialiste de la neuropsychopharmacologie et de quiconque utilise ses inventions.
Le médecin consciencieux éprouve d’instinct le besoin de s’appuyer sur une déontologie médicale et de ne pas se contenter de règles empiriques. Dans Notre allocution du 10 avril 1958 au 13e Congrès de l’Association internationale de psychologie appliquée, Nous signalions qu’en Amérique on avait publié un Code de déontologie médicale : « Ethical Standards for Psychologists », qui se base sur les réponses de 7500 membres de l’American Psychological Association.[1] Ce Code manifeste la conviction des médecins qu’il existe pour les psychologues, les chercheurs et les praticiens un ensemble de normes qui donnent non seulement des orientations, mais des indications impératives. Nous sommes persuadé que vous partagez ce point de vue et que vous admettez l’existence de normes qui répondent à un ordre moral objectif ; d’ailleurs, l’observation de cet ordre moral ne constitue nullement un frein ou un obstacle à l’exercice de votre profession, Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.
La dignité de la nature humaine.
Il pourrait sembler superflu, après ce que Nous avons dit dans la première partie, de vous parler encore de la dignité de la nature humaine. C’est que Nous envisageons ici non point l’intérêt sincère, dévoué, généreux que vous portez aux malades, mais quelque chose de plus profond encore. Il s’agit de l’attitude de votre « moi » profond à l’égard de la personne des autres hommes. Qu’est-ce qui fonde la dignité de l’homme dans sa valeur existentielle ? Quelle position adopter envers elle ? Doit-on la respecter ? n’en point tenir compte ? la mépriser ? Quiconque dans l’exercice de sa profession entre en contact avec la personnalité d’autrui en viendra nécessairement à adopter l’une de ces trois attitudes.
Or l’ordre moral exige qu’on ait envers autrui de l’estime, de la considération, du respect. La personne humaine est en effet la plus noble de toutes les créatures visibles ; faite à l”« image et à la ressemblance du Créateur », elle va vers lui pour le connaître et l’aimer. En outre, par la Rédemption, elle est insérée dans le Christ comme membre de son Corps mystique. Tous ces titres fondent la dignité de l’homme, quels que soient son âge et sa condition, sa profession ou sa culture. Même s’il est tellement malade dans son psychisme, qu’il paraisse asservi à l’instinct ou même tombé en dessous de la vie animale, il reste cependant une personne créée par Dieu et destinée à entrer un jour en sa possession immédiate, infiniment supérieur par conséquent à l’animal le plus proche de l’homme.
Les droits inviolables de la personne.
Ce fait commandera l’attitude que vous prendrez à son égard. Et d’abord vous considérerez que l’homme a reçu immédiatement de son Créateur des droits, que les autorités publiques elles-mêmes ont l’obligation de respecter. Maintes fois déjà Nous avons eu l’occasion de le rappeler, en particulier dans Notre allocution du 14 septembre 1952 au premier Congrès international d’histopathologie du système nerveux[2]. Nous avons exposé et discuté alors les trois motifs sur lesquels on s’appuie pour justifier les méthodes de recherche et de traitement de la médecine moderne : l’intérêt de la science, celui de l’individu et celui de la communauté. Nous avons rappelé que si, en général, les efforts actuels de la recherche scientifique en ce domaine méritent approbation, il faut encore examiner, en chaque cas particulier, si les actes que l’on pose ne violent pas des normes morales supérieures. L’intérêt de la science, celui de l’individu et celui de la communauté ne sont pas en effet des valeurs absolues et ne garantissent pas nécessairement le respect de tous les droits. Nous avons repris ces mêmes points devant les membres du Congrès de psychologie appliquée, le 10 avril 1958 : là aussi, il s’agissait de savoir si certaines méthodes de recherche et de traitement étaient compatibles avec les droits de la personne qui en est l’objet. Nous avons répondu qu’il fallait voir si le procédé en question respectait les droits de l’intéressé, et si celui-ci pouvait y accorder son consentement. En cas de réponse affirmative, il faut se demander si le consentement a été donné réellement et conformément au droit naturel, s’il n’y a pas eu erreur, ignorance ou dol, si la personne avait compétence pour le donner, et finalement s’il ne viole pas les droits d’un tiers. Nous avons nettement souligné que ce consentement ne garantit pas toujours la licéité morale d’une intervention, malgré la règle de droit : « volenti non fit iniuria » [3]. Nous ne pouvons que vous répéter la même chose, en soulignant encore que l’efficacité médicale d’un procédé ne signifie pas nécessairement qu’il soit permis par la morale.
Les limites du droit de l’homme à disposer de lui-même.
Pour trancher les questions de fait, dans lesquelles le théologien n’a point de compétence directe, puisqu’elles dépendent des cas particuliers et de circonstances qu’il vous appartient d’apprécier, vous pouvez vous rappeler que l’homme a le droit de se servir de son corps et de ses facultés supérieures, mais non d’en disposer en maître et seigneur, puisqu’il les a reçus de Dieu son Créateur, de qui il continue de dépendre. Il peut se faire qu’en exerçant son droit d’usufruitier, il mutile ou détruise une part de lui-même, parce que c’est nécessaire pour le bien de tout l’organisme. En cela, il n’empiète pas sur les droits divins, puisqu’il n’agit que pour sauvegarder un bien supérieur, pour conserver la vie, par exemple. Le bien du tout justifie alors le sacrifice de la partie.
Mais à la subordination des organes particuliers envers l’organisme et sa finalité propre, s’ajoute encore celle de l’organisme à la finalité spirituelle de la personne elle-même. Des expériences médicales physiques ou psychiques peuvent, d’une part, entraîner certains dommages pour des organes ou des fonctions mais, d’autre part, il se peut qu’elles soient parfaitement licites, parce qu’elles sont conformes au bien de la personne et ne transgressent pas les limites posées par le Créateur au droit de l’homme à disposer de lui-même. Ces principes s’appliquent évidemment aux expériences de psychopharmacologie. Ainsi Nous avons pu lire dans les documents qui Nous ont été transmis, le compte rendu d’une expérience de délire artificiel, à laquelle trente personnes saines et vingt-quatre malades mentaux ont été soumis. Ces cinquante-quatre personnes ont-elles donné leur assentiment à cette expérience, et cela d’une manière suffisante et valable au droit naturel ? Ici comme dans les autres cas, la question de fait doit être soumise à un examen sérieux.
C’est l’observation de l’ordre moral qui confère valeur et dignité à l’action humaine, qui conserve à la personne sa rectitude profonde et la maintient à la place qui lui revient dans l’ensemble de la création, c’est-à-dire à l’égard des êtres matériels, des autres personnes et de Dieu. Chacun a donc le devoir de reconnaître et de respecter cet ordre moral en lui-même et envers autrui, afin de sauvegarder cette rectitude en soi et en autrui. Telle est l’obligation que Nous considérons maintenant dans le domaine de l’utilisation des médicaments psychotropes actuellement si répandus.
La doctrine chrétienne de la souffrance.
Dans Notre allocution du 24 février 1957 à la Société italienne d’anesthésiologie[4], Nous avons écarté déjà une objection que l’on pourrait avancer en se basant sur la doctrine catholique de la souffrance. D’aucuns invoquent, en effet, l’exemple du Christ refusant le vin mêlé de myrrhe qu’on lui offrit, pour prétendre que l’usage de narcotiques ou de calmants n’est point conforme à l’idéal de la perfection et de l’héroïsme chrétien. Nous avons répondu alors, qu’en principe rien ne s’opposait à l’emploi de remèdes destinés à calmer ou à supprimer la douleur, mais que renoncer à leur usage pouvait être et était fréquemment un signe d’héroïsme chrétien. Nous ajoutions cependant qu’il serait erroné de prétendre que la douleur est une condition indispensable de cet héroïsme. En ce qui concerne les narcotiques, on peut appliquer les mêmes principes à leur action sédative de la douleur ; quant à l’effet de suppression de la conscience, il faut en examiner les motifs et les conséquences, intentionnelles ou non. Si aucune obligation religieuse ou morale ne s’y oppose et s’il existe de sérieuses raisons pour les utiliser, on peut même les donner aux mourants, s’ils y consentent. L’euthanasie, c’est-à-dire la volonté de provoquer la mort, est évidemment condamnée par la morale. Mais si le mourant y consent, il est permis d’utiliser avec modération des narcotiques, qui adouciront ses souffrances, mais aussi entraîneront une mort plus rapide ; dans ce cas en effet, la mort n’est pas voulue directement, mais elle est inévitable et des motifs proportionnés autorisent des mesures qui hâteront sa venue.
Une éthique médicale naturelle.
Il n’y a point à redouter que le respect des lois de la conscience ou, si l’on veut, de la foi et de la morale, puisse entraver ou rendre impossible l’exercice de votre profession. Dans l’allocution déjà citée du 10 avril 1958, Nous avons énuméré quelques normes qui facilitent la solution des questions de fait en certains cas intéressant les psychologues, et semblables à ceux qui vous concernent (ainsi, par exemple, l’emploi du « lie-detector », des drogues psychotropes aux fins de la narco-analyse, de l’hypnose, etc.) ; Nous répartissions alors en trois groupes les actions intrinsèquement immorales, soit que leurs éléments constitutifs s’opposent directement à l’ordre moral, soit que la personne qui agit n’ait point le droit de le faire, soit qu’elles provoquent des dangers injustifiés. Les psychologues sérieux, dont la conscience morale est bien formée, doivent pouvoir discerner assez facilement si les mesures qu’ils se proposent de prendre rentrent dans l’une de ces catégories.
Vous savez aussi que l’utilisation sans discernement des médicaments psychotropes ou somatotropes peut conduire à des situations regrettables et moralement inadmissibles. En plusieurs régions, nombre de ces médicaments sont à la disposition du public sans aucun contrôle médical, et d’ailleurs celui-ci ne suffit pas, comme l’expérience le prouve, pour empêcher les excès. En outre, certains Etats manifestent une tolérance difficilement compréhensible à l’égard de certaines expériences de laboratoire ou de certains procédés de clinique. Nous ne voulons pas en appeler ici à l’autorité publique, mais aux médecins eux-mêmes, et surtout à ceux qui jouissent d’une autorité particulière dans leur profession. Nous sommes persuadé, en effet, qu’il existe une éthique médicale naturelle, fondée sur le jugement droit et sur le sentiment de responsabilité des médecins eux-mêmes, et Nous souhaitons que son influence s’impose toujours davantage.
Estime du Pape pour le progrès de la science médicale.
Nous avons, Messieurs, pour vos travaux, pour les buts que vous poursuivez et pour les résultats déjà acquis une estime sincère. En examinant les articles et les ouvrages publiés sur les sujets qui vous intéressent, il est aisé de voir que vous rendez de précieux services à la science et à l’humanité ; vous avez déjà pu, Nous l’avons relevé, secourir efficacement bien des souffrances, devant lesquelles la médecine s’avérait impuissante, il y a à peine trois ou quatre ans. Vous avez maintenant la possibilité de rendre la santé mentale à des malades que l’on considérait naguère comme perdus, et Nous partageons sincèrement la joie que cette assurance vous procure.
Dans l’état actuel de la recherche scientifique, des progrès rapides ne peuvent être obtenus que grâce à une large collaboration sur le plan international : collaboration dont le présent Congrès d’ailleurs Nous donne une preuve frappante. Il est souhaitable qu’elle s’étende non seulement à tous les spécialistes de la psychopharmacologie, mais aussi aux psychologues, psychiatres et psychothérapeutes, à tous ceux, en un mot, qui s’occupent à quelque titre des maladies mentales.
Si vous adoptez envers les valeurs morales que Nous avons évoquées une attitude positive fondée sur la réflexion et la conviction personnelles, vous exercerez votre profession avec le sérieux, la fermeté, la sûreté tranquille, qu’appelle la gravité de vos responsabilités. Vous serez alors pour vos malades, comme pour vos collègues, le guide, le conseiller, le soutien qui a su mériter leur confiance et leur estime.
Nous souhaitons, Messieurs, que la première réunion du « Collegium Internationale Neuro-Psycho-Pharmacologicum » donne une impulsion accrue aux efforts magnifiques des chercheurs et des cliniciens, et les aide à remporter de nouvelles victoires contre ces redoutables fléaux de l’humanité que sont les troubles mentaux. Que le Seigneur accompagne vos travaux de ses grâces ! Nous l’en supplions ardemment, et vous en accordons, comme gage pour vous-mêmes, pour vos familles et pour vos collaborateurs, Notre Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Maurice Saint-Augustin. – D’après le texte français des A. A. S., L, 1958, p. 687.