Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

27 juillet 1958

Radiomessage à la 1re conférence mondiale catholique de la santé

Table des matières

Voici le texte du radio­mes­sage que le Souverain Pontife adres­sa en fran­çais, pour l’ou­ver­ture de la pre­mière Conférence mon­diale catho­lique de la Santé, orga­ni­sée à Bruxelles, dans le cadre de l’Exposition univer­selle 1958, sous les aus­pices du Commissariat géné­ral de la « Civitas Dei » ;

Nous vous adres­sons Notre salut le plus cor­dial, chers fils et chères filles, réunis à Bruxelles pour tenir la « Première Conférence mon­diale catho­lique de la Santé ». La messe so­lennelle, à laquelle vous venez d’as­sis­ter dans la Basilique du Sacré-​Cœur a ras­sem­blé vos inten­tions et vos prières en une seule sup­pli­ca­tion, appe­lant du ciel la grâce qui trans­forme et vivi­fie, afin que les tra­vaux, aux­quels vous allez par­ti­ci­per, ma­nifestent avec éclat, à vos yeux et aux yeux de tous, l’au­dace et la gran­deur de l’i­déal qui vous guide.

Le soin des malades, mission éminemment sociale.

En véri­té, cette pre­mière « Conférence mon­diale catho­lique de la Santé » appa­raît comme un évé­ne­ment bien signi­fi­ca­tif du rôle, qui vous revient dans la socié­té d’au­jourd’­hui. Déjà son cadre mer­veilleux, ce déploie­ment de res­sources maté­rielles et cultu­relles des nations dans une ému­la­tion, où cha­cun s’ef­force de mettre en valeur ce qu’il pos­sède de meilleur et de plus ori­gi­nal, sug­gère et sym­bo­lise en quelque sorte les lignes maî­tresses de vos réflexions. Au cours de ces der­nières années, la pro­fes­sion médi­cale et toutes celles qui, avec elle, assument la pro­tec­tion de la san­té, ont tiré par­ti des pro­grès rapides de la science et de ses appli­ca­tions et par­ti­ci­pé à l’é­vo­lu­tion des ins­ti­tu­tions sociales. La fon­da­tion et le déve­lop­pe­ment de vos di­verses Fédérations répondent au besoin de conju­guer les efforts des catho­liques dans un sec­teur si impor­tant. Rien d’é­ton­nant si, dans le thème géné­ral de la Conférence : « Christianisme et Santé » s’in­sère l’é­tude de la col­la­bo­ra­tion dans l’é­quipe sani­taire et dans la com­mu­nau­té des res­pon­sables de la san­té. Nous sou­hai­tons le meilleur suc­cès au 8e Congrès des méde­cins ca­tholiques, au 5e Congrès de la Fédération inter­na­tio­nale des phar­ma­ciens catho­liques, au 6e Congrès du Comité inter­na­tio­nal catho­lique des infir­mières et assis­tantes médico-​sociales, au 1er Congrès de la Fédération inter­na­tio­nale des ins­ti­tu­tions hos­pi­ta­lières, ain­si qu’au 4e Congrès inter­na­tio­nal des aumô­niers d’hôpitaux.

Même si vos tra­vaux n’embrassent qu’une par­tie de la ma­tière si vaste que vous vous pro­po­sez d’exa­mi­ner, le seul fait d’a­voir ten­té cette confron­ta­tion mar­que­ra une étape impor­tante dans l’ac­tion sani­taire des catho­liques. Vous pre­nez en effet main­te­nant conscience des dimen­sions réelles de votre com­mu­nau­té et de l’é­ten­due de ses res­pon­sa­bi­li­tés sur le plan humain, comme sur le plan religieux.

On pou­vait jadis entre­prendre l’é­tude de la morale médi­cale, en n’ac­cor­dant qu’un regard rapide à tout ce qui dépasse les rela­tions indi­vi­duelles du malade avec le méde­cin ou avec l’in­firmière. Le déve­lop­pe­ment consi­dé­rable des ser­vices hospita­liers, la spé­cia­li­sa­tion crois­sante des tech­niques de soins, l’exis­tence de puis­santes ins­ti­tu­tions d’as­sis­tance sociale, l’ap­pel des pays sous-​développés ; voi­là autant de fac­teurs, qui ont élar­gi consi­dé­ra­ble­ment les pers­pec­tives anciennes et requièrent une mise au point et un appro­fon­dis­se­ment du sens des « rela­tions humaines » entre le malade et sa famille d’une part, les respon­sables de la san­té et les orga­nismes sociaux d’autre part.

Nous vou­drions, en guise d’in­tro­duc­tion à vos tra­vaux, évo­quer briè­ve­ment d’a­bord les obs­tacles à la col­la­bo­ra­tion effi­cace, et enfin les objec­tifs qu’elle doit se pro­po­ser, en particu­lier, chez les catholiques.

Les obstacles à une collaboration efficace dans le soin dû aux malades.

Les défauts qui empêchent une col­la­bo­ra­tion har­mo­nieuse dans l’é­quipe sani­taire peuvent venir, soit de ses membres eux-​mêmes, soit du malade et de sa famille, soit des ins­ti­tu­tions dont dépendent les uns et les autres. Nous n’a­vons pas l’in­tention d’a­na­ly­ser en détail les situa­tions concrètes, dans les­quelles ces incon­vé­nients appa­raissent ; vos congrès furent pré­parés par des enquêtes des­ti­nées pré­ci­sé­ment à les rele­ver. Mais, Nous bor­nant aux causes qui entravent la col­la­bo­ra­tion chez le per­son­nel sani­taire lui-​même, Nous vou­drions en signa­ler deux prin­ci­pales, l’une d’ordre intel­lec­tuel, l’autre d’ordre moral. Le plus sou­vent une cer­taine étroi­tesse du juge­ment, qui, volon­tai­re­ment ou non, refuse d’é­lar­gir ses hori­zons, de tenir compte de tous les élé­ments d’une situa­tion, empêche l’in­té­res­sé d’a­per­ce­voir les insuf­fi­sances de son action person­nelle et la néces­si­té d’ac­cep­ter l’in­ter­ven­tion d’au­trui. Il est dif­ficile en géné­ral d’a­dop­ter le point de vue des autres, de regar­der les évé­ne­ments comme ils les regardent, de res­sen­tir com­me eux les incon­vé­nients de tel pro­cé­dé, de telle atti­tude, le poids de cer­taines pres­ta­tions ; il n’est pas aisé non plus d’ad­mettre qu’un plus jeune, mal­gré sa moindre expé­rience, puisse avoir des idées plus fécondes. En outre, les habi­tudes de tra­vail et les rou­tines rendent pénible toute ten­ta­tive de change­ment, toute révi­sion de méthode. Vous signa­lez, par exemple, qu’une infir­mière sera ten­tée de mar­quer des réserves, lors­qu’elle voit appli­quer dans un hôpi­tal un trai­te­ment dif­fé­rent de celui qu’elle a vu pra­ti­quer au cours de ses études par tel grand spé­cia­liste. A côté des obs­tacles intel­lec­tuels, les obsta­cles moraux tiennent aus­si une large place. L’esprit de dévoue­ment et de sacri­fice dans l’é­quipe sani­taire consti­tue ’l’un de ses plus beaux titres à la recon­nais­sance et à l’ad­mi­ra­tion de tous. Mais qui ose­rait pré­tendre que, dans le détail des allées et ve­nues de chaque jour, n’in­ter­viennent jamais des mobiles, qui tra­hissent les fai­blesses com­munes de l’hu­ma­ni­té : susceptibi­lité, impa­tience, désir de pré­va­loir, into­lé­rance de la dis­ci­pline, bref, l’af­fir­ma­tion exa­gé­rée de l’in­di­vi­du et de ses com­mo­di­tés au détri­ment des exi­gences posées par la cohé­sion du groupe et des inté­rêts de la communauté.

Les conditions d’une meilleure collaboration.

Ainsi sommes-​Nous ame­né à consi­dé­rer les condi­tions po­sitives d’une col­la­bo­ra­tion effi­cace. Puisque cer­tains défauts d’ap­pré­cia­tion, peut-​être inaper­çus d’ailleurs, pro­viennent de l’i­gno­rance au moins pra­tique des prin­cipes essen­tiels de la col­laboration, il importe de mettre ceux-​ci en lumière et d’en faire une étude plus appro­fon­die. C’est l’ob­jet de vos divers Congrès. La com­plexi­té crois­sante de l’or­ga­ni­sa­tion sani­taire, ran­çon d’un pro­grès inces­sant, entraîne la néces­si­té pour cha­cun de ses membres de mieux défi­nir sa posi­tion dans l’en­semble dont il fait par­tie. Ainsi, Nous trou­vons par­mi les tra­vaux préliminai­res de la com­mis­sion tech­nique du congrès des infir­mières et assis­tantes médico-​sociales, une éla­bo­ra­tion détaillée de la no­tion d”« équipe sani­taire », sui­vant quatre plans : celui des soins aux malades, en éta­blis­se­ment hos­pi­ta­lier ou à domi­cile, celui des ser­vices médico-​sociaux locaux ou cen­traux, celui de la nation et de l’ad­mi­nis­tra­tion de la san­té publique, et enfin le sec­teur spé­cia­li­sé dans la lutte contre cer­tains fléaux propres à un pays ou à une région. Pour cha­cun de ces cas, il faut dé­terminer quelles sont les formes d’é­quipes sani­taires exis­tant en fait, leur but, leurs moyens d’ac­tion, leur auto­ri­té, leur com­position. Ce cadre ain­si déli­mi­té per­met de mieux pré­ci­ser la place, qu’y tien­dra l’in­fir­mière, et les condi­tions aux­quelles elle devra satis­faire pour bien y rem­plir son rôle. Les méde­cins de leur côté s’ap­pli­que­ront aux pro­blèmes de col­la­bo­ra­tion rencon­trés dans la pra­tique quo­ti­dienne et dans les ins­ti­tu­tions de soins, où ils entrent en contact non seule­ment avec les mala­des et les infir­mières, mais encore avec les aumô­niers, les ser­vices admi­nis­tra­tifs, le per­son­nel subal­terne, les familles des malades, les orga­nismes d’as­su­rance sociale et les pou­voirs publics. Vous aurez la pré­oc­cu­pa­tion constante de résoudre cha­cune de ces ques­tions, sans jamais oublier la pers­pec­tive d’en­semble qui com­mande les solu­tions par­ti­cu­lières, c’est-​à- dire, le but thé­ra­peu­tique tant indi­vi­duel que social, insé­pa­rable lui-​même des impé­ra­tifs moraux et reli­gieux dont l’Eglise se fait l’interprète.

Une organisation efficace de l’équipe sanitaire.

Le tra­vail de réflexion et d’exa­men des pro­blèmes por­te­ra peu de fruits, s’il n’a­bou­tit sur le plan pra­tique à une meilleure orga­ni­sa­tion de l’é­quipe sani­taire, créant entre ses membres une véri­table uni­té, quant aux prin­cipes à suivre et aux moyens concrets de les appli­quer. Pour cela il ne suf­fit pas de se ren­contrer au che­vet du malade ; il faut encore savoir se retrou­ver entre soi, se ména­ger des échanges d’i­dées fré­quents et cor­diaux, mettre en com­mun ses dif­fi­cul­tés tech­niques ou psy­cho­lo­giques. Il importe aus­si qu’une hié­rar­chie des fonc­tions déter­mine l’au­to­ri­té et la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun. Une disci­pline de groupe paraît indis­pen­sable — quelle que soit la ma­nière dont on l’en­tende —, mais elle ne sera accep­tée et ne por­te­ra des fruits que dans la mesure où elle se sou­tien­dra dans une fer­veur com­mune, où elle gui­de­ra les éner­gies de cha­cun vers la réa­li­sa­tion d’un idéal, que pour­sui­vraient vai­ne­ment des efforts isolés.

C’est pour­quoi, Nous vou­lons évo­quer encore les objec­tifs essen­tiels, que se pro­posent d’at­teindre des res­pon­sables de la san­té par leur col­la­bo­ra­tion. Le but qui uni­fie leur acti­vi­té, c’est évi­dem­ment la pré­ser­va­tion ou le réta­blis­se­ment de la san­té des indi­vi­dus et des groupes sociaux. Toutefois il n’est pas rare que d’autres fins secon­daires, plus proches, plus atti­rantes, plus utiles immé­dia­te­ment, peut-​être, sol­li­citent leur inté­rêt et fassent s’es­tom­per pour quelque temps la prépondéran­ce de la fin prin­ci­pale. Vous n’i­gno­rez pas la pos­si­bi­li­té de voir le malade trai­té, non comme une per­sonne, mais comme un cas, que l’on étu­die ou sur lequel on expé­ri­mente. Il arrive que des inves­ti­ga­tions dan­ge­reuses soient entre­prises pour par­faire le diag­nos­tic, alors qu’elles n’au­ront pas d’u­ti­li­té réelle pour l’ap­pli­ca­tion du trai­te­ment, ou que le malade subisse les consé­quences fâcheuses de ‑mesures admi­nis­tra­tives visant à assu­rer d’a­bord la com­mo­di­té des ser­vices. En ces cas, l’élé­ment hu­main, per­son­nel, est relé­gué au second plan, mal­gré son im­portance déterminante.

A l’imitation du Christ : soulager toute misère.

Ces écueils vous sont suf­fi­sam­ment connus et Nous-​même les avons évo­qués ailleurs. Nous n’in­sis­tons donc pas, mais vou­drions sou­li­gner encore la carac­té­ris­tique la plus haute, la plus noble de votre action thé­ra­peu­tique, celle que mani­feste votre Conférence actuelle par son titre de « catho­lique ». N’y voyez point une simple déno­mi­na­tion extrin­sèque, sans influen­ce sur l’ob­jet propre de vos tra­vaux, comme si le catholicis­me n’a­vait à pro­po­ser à ses adhé­rents qu’un code de déonto­logie per­fec­tion­né, une liste minu­tieuse d’ac­tions per­mises ou défen­dues. Il s’a­git en réa­li­té de bien autre chose. Les chré­tiens en effet sont por­teurs d’un mes­sage et d’une vie, qui con­fèrent à cha­cune de leurs démarches un sens par­ti­cu­lier. Leur carac­tère de bap­ti­sés les fait dis­ciples du Christ et fils de l’Egli­se dans l’œuvre de laquelle iis sont enga­gés. C’est pour­quoi vo­tre tra­vail quo­ti­dien, le plus rou­ti­nier en appa­rence, ne prend tout son sens que dans la pers­pec­tive ouverte par le Seigneur aux jours de son exis­tence ter­restre : « Le soir venu », raconte saint Marc, « après le cou­cher du soleil, on lui ame­nait tous les malades et les pos­sé­dés, et la ville entière était ras­sem­blée devant la porte. Et il gué­rit beau­coup de malades affli­gés de divers maux, et il chas­sa beau­coup de démons » (Marc, I, 32).

A l’i­mi­ta­tion du Christ, qui sou­la­geait tant de misères phy­siques et morales pour invi­ter les hommes à recon­naître en Lui « la résur­rec­tion et la vie » (Jean, xi, 25), que l’on devine à tra­vers vos gestes l’ins­pi­ra­tion dont ils pro­cèdent, votre rat­tachement à l’Eglise visible et à l’Esprit-​Saint, qui l’a­nime com­me une « source d’eau jaillis­sant pour la vie éter­nelle » (Jean, iv, 14).

Pénétrée d’es­prit évan­gé­lique, votre acti­vi­té acquer­ra aus­si une exten­sion plus large et vrai­ment uni­ver­selle. Il faut le sou­ligner, puisque votre Congrès se situe dans le cadre d’une ma­nifestation, qui veut expri­mer les plus nobles aspi­ra­tions du monde actuel et qui invite à des rap­pro­che­ments sti­mu­lants. Nul ne pos­sède l’es­prit du Christ sans par­ta­ger les sou­cis de tous ses frères, où qu’ils habitent, de quelque race qu’ils soient, ni sans dési­rer ardem­ment leur pro­di­guer au maxi­mum les bien­faits réser­vés encore à cer­tains pays pri­vi­lé­giés. A côté de besoins éco­no­miques aigus, les pays sous-​développés pré­sentent le plus sou­vent au point de vue sani­taire de cruelles déficien­ces. Vous savez avec quel zèle, par­tout où ils sont pré­sents, et prin­ci­pa­le­ment dans les ter­ri­toires les plus dému­nis, les ca­tholiques s’emploient à soi­gner les malades dans les hôpi­taux, cli­niques, dis­pen­saires, mater­ni­tés ; mais comme il reste encore beau­coup à faire avant que ne soient maî­tri­sés com­plè­te­ment les pro­blèmes de la san­té publique, vos orga­ni­sa­tions interna­tionales trouvent ici un champ lar­ge­ment ouvert à leurs ef­forts ; elles ont entre autres à sus­ci­ter la col­la­bo­ra­tion des membres du per­son­nel médi­cal des par­ti­cu­liers, des orga­nismes pri­vés, de l’Etat, pour arrê­ter au plus tôt les mala­dies épidé­miques et endé­miques, qui chaque année frappent tant de vic­times impuissantes.

Nous vous sou­hai­tons, chers fils et chères filles, d’éprou­ver, pen­dant ces jour­nées d’é­tude, de réflexion, d’é­changes ami­caux, le sen­ti­ment de ne for­mer au sein de l’Eglise catho­lique, qu’une même famille unie par l’in­té­rêt com­mun pour les pro­blèmes sani­taires, et davan­tage encore par la conscience d’a­voir à rem­plir une mis­sion impor­tante au ser­vice de l’Eglise : celle de par­faire l’é­di­fi­ca­tion du corps du Christ (Eph., iv, 12), en pro­té­geant la san­té de ses membres, pour qu’ils puissent s’ac­quitter plei­ne­ment des tâches que le Seigneur leur confie et décou­vrir par vous l’un des aspects les plus conso­lants de la Rédemption.

En témoi­gnage de Notre estime et de Notre affec­tion, et comme gage des faveurs divines que Nous appe­lons sur vous, sur vos familles, sur les malades, aux­quels vous pro­di­guez vos soins et votre dévoue­ment, Nous vous accor­dons de grand cœur Notre Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-​Maurice Saint-​Augustin. – D’après le texte fran­çais des A. A. S., L, 1958, p. 586.