Voici le texte de cette allocution où le sens de la vocation de l’infirmier est mis en lumière :
De tout cœur Nous vous saluons, chers fils et filles, qui êtes venus en si grand nombre d’hôpitaux, d’hospices, cliniques, maisons de santé de Notre diocèse de Rome, pour recevoir la bénédiction du Vicaire du Christ. Votre présence nous atteste la haute conception que vous avez de votre profession, et Nous engage ainsi à vous entretenir brièvement de la vocation à laquelle vous vous êtes consacrés.
Nous disons vocation, parce que celui qui embrasse la profession d’infirmier ou d’infirmière répond à la voix de la charité du Christ : Venez, les bénis de mon Père – vous dira Jésus au jour du jugement – parce que… j’étais malade et vous m’avez visité… Tout ce que vous avez fait au plus misérable des malades, vous l’avez fait à moi-même [1].
De fait, les chrétiens ont, à travers les siècles, créé de nombreuses institutions en faveur des malades :
Les paroles si explicites du divin Maître ont été la Charte de toutes les œuvres chrétiennes de miséricorde, et nous savons par le récit des plus anciens historiens de l’Eglise la générosité et la méthode avec lesquelles les chrétiens soignaient eux-mêmes tous les malades, parce qu’ils voyaient en eux les frères de Celui qui souffrit pour nous tous les tourments de la passion et de la croix. Eusèbe de Césarée[2] parle d’une horrible peste qui, peu après l’an 250, fit des ravages en Afrique, et au cours de laquelle les chrétiens, prêtres et laïcs, sans souci du danger pour leur propre vie, prenaient soin des malades, que les païens par crainte de la contagion, écartaient loin d’eux et abandonnaient à leur sort, sans les ensevelir. Plus tard, quand l’Eglise put se développer et s’organiser librement, apparurent même les premiers hôpitaux. C’est ainsi que l’hôpital créé vers l’an 350 à Césarée par le grand évêque saint Basile était une ville entière, séparée du reste des habitations et où étaient soignées toutes les maladies, y compris la lèpre [3].
Dans notre ville de Rome, selon le témoignage précis de saint Jérôme [4], Fabiola fonda le premier hôpital où elle recueillit et soigna les malades de toutes sortes et de tous lieux, qu’elle avait l’habitude de porter elle-même sur ses épaules et dont elle lavait les plaies purulentes que d’autres avaient répugnance même à regarder. Puis l’Urbs vit bientôt s’élever près des deux grandes basiliques constantiniennes du Saint-Sauveur au Latran et de Saint-Pierre au Vatican les refuges de charité chrétienne pour les pauvres, les pèlerins et les malades. L’un d’eux donna naissance au célèbre hôpital du Saint-Esprit et l’autre du Saint-Sauveur. Mais il serait trop long de retracer ici la merveilleuse histoire de la charité hospitalière de Rome au moyen âge et au cours des siècles suivants. Toutefois deux grands noms doivent être rappelés, ceux de vos saints Patrons Jean de Dieu[5] et Camille de Lellis [6] qui fondèrent, l’un l’Ordre hospitalier devenu si populaire sous le nom de Fate Bene Fratelli, l’autre, celui des Clercs Réguliers Serviteurs des Malades. Le 23 juin 1886 ils furent proclamés par le Souverain Pontife Léon XIII Patrons célestes des hôpitaux et des malades, et le 28 août 1930, Notre vénéré prédécesseur Pie XI les établit Patrons de tous les infirmiers des deux sexes et de leurs associations catholiques [7].
Mais une mention particulière est due à saint Vincent de Paul[8] qui, avec une idée qui parut audacieuse alors, sut unir la disposition spéciale de la femme aux soins des malades avec la vie religieuse : les Filles de la Charité inaugurèrent ainsi la magnifique floraison des Congrégations de Sœurs Infirmières, aujourd’hui répandues dans le monde entier et jusqu’aux postes missionnaires les plus éloignés.
Les laïcs sont eux aussi appelés à venir au secours des souffrants ;
Toutefois le soin des malades n’est pas une prérogative des religieux et religieuses seulement, il réclame également dans le Laïcat des foules de serviteurs compétents et généreux, et comme il est né de l’esprit chrétien, il doit être de même alimenté et entretenu par celui-ci.
Pie XII énumère les qualités requises du personnel infirmier :
L’importance de la fonction est la mesure de la responsabilité de celui qui l’exerce. Or, l’infirmier doit répondre non point d’une chose matérielle, mais d’un homme vivant, plus ou moins gravement atteint dans sa vie même, et qui, par conséquent, dépend, – souvent totalement – de la science, de l’habileté, de la délicatesse et de la patience d’autrui, c’est-à-dire du médecin et de l’infirmier, et même, à un certain point de vue, encore plus de l’infirmier que du médecin, comme le faisait remarquer un chirurgien connu : « C’est à eux (les infirmiers) que sont confiés les malades la plus grande partie du jour et de la nuit ; ce sont eux qui prennent en consigne les opérés et qui par leur œuvre modeste et efficace rendent possibles les succès du médecin et du chirurgien » [9].
Il faut être compétent :
Votre profession suppose donc des qualités peu ordinaires : une solide formation spécifique, c’est-à-dire des connaissances techniques sérieusement acquises et constamment tenues à jour, une souplesse d’intelligence capable d’acquérir sans cesse de nouvelles méthodes, d’utiliser de nouveaux instruments et remèdes.
Il faut être maître de soi et de ses mouvements :
Donc un tempérament calme, ordonné, attentif, consciencieux. L’infirmier doit être maître de lui-même ; à un geste brusque correspond une nouvelle douleur pour le malade ; le médecin ne pourrait plus être tranquille ; le malade aurait peur de lui. Il doit conserver son calme devant les plaintes ou les demandes déraisonnables du malade, devant les crises imprévues. Il doit prévoir et préparer à temps tout le nécessaire parfois si compliqué, pour les soins du malade ; il ne doit rien oublier, il doit observer toutes les précautions de l’hygiène et de la prudence. Il doit être fidèle à l’horaire prescrit, exact dans les doses à administrer ; observateur vigilant pour signaler au médecin les réactions du malade et les symptômes que son expérience lui permet de relever ; attentif aux ordres reçus et prompt à les exécuter.
L’infirmier doit être rempli de tact :
L’infirmier doit posséder d’autre part des qualités morales non moins considérables : un tact discret et modeste, sensible et fin, qui sache deviner les souffrances et les désirs du malade, ce que l’on doit et ce que l’on ne doit pas dire. Il doit être plein de tact envers le médecin, dont il doit respecter et soutenir l’autorité ; envers les collègues, infirmiers et infirmières, particulièrement envers les plus jeunes, qu’il ne doit jamais mettre dans l’embarras ou dans la confusion, mais qu’il doit au contraire être toujours prêt à aider.
L’infirmier doit être dévoué :
Votre profession réclame un dévouement complet au malade, aussi bien pauvre que riche, aussi bien désagréable que sympathique. L’infirmier n’est pas un employé de bureau, qui peut s’en aller sans inquiétude à l’heure fixée. Il y a des cas urgents, des journées surchargées de travail, durant lesquelles l’interruption ou le repos ne sont pas possibles.
Il doit être patient :
La patience fait également partie de ce dévouement total, car certains sont capables d’un grand effort extraordinaire de temps en temps, mais se lassent et s’irritent devant les petits ennuis qui se répètent quotidiennement.
Il faut observer le secret professionnel :
Enfin les vertus morales de l’infirmier qui doit strictement observer le secret professionnel sont couronnées par la discrétion. Jamais il ne peut révéler les choses qui ont été dites par le malade en confidence ou dans le délire, ni rien qui puisse nuire à sa réputation ou à celle de sa famille.
Respect des malades :
Mais il y a encore des vertus plus élevées, auxquelles la foi chrétienne confère un éclat particulier : Nous voulons parler du respect envers le malade, de la véracité et de la fermeté morale. Respect envers celui qui parfois en arrive à perdre beaucoup de ce qui rend l’homme respectable, le courage, la sérénité, la lucidité. Respect également envers son corps, temple du Saint-Esprit, racheté par le précieux sang du Christ, et destiné à la résurrection et à la vie éternelle [10].
Véracité :
Véracité à l’égard des médecins, des malades et de leurs familles qui doivent pouvoir se fier à la parole de l’infirmier. Il en va parfois non seulement du salut du corps, mais également de l’âme ; retarder par des réticences la préparation du malade au grand passage à l’éternité pourrait être facilement une faute grave.
Fermeté :
Enfin fermeté morale, spécialement quand il s’agit de la loi divine. Ce que Nous avons déclaré en d’autres occasions sur les problèmes qui concernent la médecine, par exemple, dans Notre allocution du 12 novembre 1944 à l’Union Italienne Médico-Biologique « Saint-Luc » et dans celle du 29 octobre 1951 à l’Union des Sages-Femmes catholiques d’Italie, entend s’appliquer également à l’activité de l’infirmier[11].
Toutes ces qualités doivent être vivifiées par l’esprit surnaturel :
Tel est, chers fils et filles, le tableau de ce qu’exige votre profession. Peut-être dira-t-on que rares sont ceux qui réalisent cet idéal. Est-ce donc vrai ? A votre honneur, Nous croyons en revanche pouvoir dire qu’un bon nombre de vous le réalisent en eux entièrement.
Il est toutefois certain que vous ne seriez pas en mesure de demeurer à la hauteur de votre tâche et de vos devoirs, si vous ne pouviez disposer de forces morales résultant d’une foi vive et profonde et alimentées par elle. Si vous concevez et pratiquez votre travail uniquement comme un emploi, honorable certes, mais purement humain, sans puiser aux sources surtout eucharistiques la force chrétienne, vous ne réussirez pas, à la longue, à demeurer fidèles à vos devoirs. Vous avez en effet, dans votre vie, tant de sacrifices à accomplir, tant de dangers à surmonter, qu’il vous serait impossible, sans l’aide surnaturelle, de triompher constamment de la faiblesse humaine. Vous devez cultiver en vous l’esprit d’abnégation, la pureté du cœur, la délicatesse de la conscience, afin que votre service soit vraiment l’acte de charité surnaturelle que réclame la foi chrétienne. Nous l’avons rappelé au début : vous devez servir chez les malades Jésus-Christ même ; c’est Lui qui vous demande de Le soigner, comme II demanda un jour à boire à la Samaritaine, et Nous vous disons en son nom ce qu’Il ajouta pour l’encourager à vaincre sa surprise : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te demande à boire, tu l’en aurais prié toi-même et il t’aurait donné une eau vive [12]. »
Vous savez bien que sont très nombreux aujourd’hui ceux qui se font soigner dans les hôpitaux, dans les cliniques, dans les sanatoria ; de la sorte, un rayon toujours plus vaste s’offre à votre bienfaisante activité. On peut dire qu’elle pénètre pour ainsi dire dans toutes les familles. Aussi désirons-Nous vivement que vous preniez une conscience de plus en plus nette de vos responsabilités et une volonté de plus en plus ardente d’y répondre entièrement. Nous vous recommandons donc vivement, vous-mêmes ainsi que votre travail, à la protection et à l’amour maternel de la Sainte Vierge, et en même temps Nous vous donnons de tout cœur la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1955, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien des A. A. S., XXXXIV, 1952, p. 531.
- Cf. Matth., XXV, 36–40.[↩]
- Hist. eccl. 1, c. 22 – Migne P. G., t. 20, col. 685–692.[↩]
- S. Greg. Naz. In laudem Basilii M., N° 63 – Migne P. G., t. 36, col. 577–580.[↩]
- Epist. 77 ad Oceanum, de morte Fabiolae, 399 – Migne P. L., t. 22, col. 694.[↩]
- S. Jean de Dieu, né à Monterno il Novo, au Portugal, en 1495, et mort à Grenade en 1550. Il se voua au service des malheureux, fonda des hôpitaux et créa les Frères de S. Jean de Dieu voués au soulagement des malades. Cet Ordre compte 2.000 religieux.[↩]
- S. Camille de Lellis, né à Buechianico (Abruzzes) en 1550, se consacra aux soins des malades et fonda les « Clercs réguliers, ministres des infirmes » ou Camilliens. Il mourut à Rome en 1614. Actuellement, il y a un millier de Camilliens.[↩]
- A. A. S., XXIII, 1931, p. 8.[↩]
- S. Vincent de Paul, né à Pouy, près de Dax, en 1576, mort à Paris en 1660, géant de la charité, fonda les « Prêtres de la Mission » (Lazaristes) et les Soeurs de la Charité qui constitue l’Ordre religieux numériquement le plus développé. Il y a 40.000 Sœurs réparties dans 3.500 établissements.[↩]
- E. Giupponi, Il Chirurgo allo specchio, 3e éd., 1938, p. 251.[↩]
- Cf. Cor., VI, 19–20.[↩]
- Cf. Documents Pontificaux 1951, p. 470.[↩]
- Jean, IV, 7–10.[↩]