Voici le texte du radiomessage que le Souverain Pontife adressa en français, pour l’ouverture de la première Conférence mondiale catholique de la Santé, organisée à Bruxelles, dans le cadre de l’Exposition universelle 1958, sous les auspices du Commissariat général de la « Civitas Dei » ;
Nous vous adressons Notre salut le plus cordial, chers fils et chères filles, réunis à Bruxelles pour tenir la « Première Conférence mondiale catholique de la Santé ». La messe solennelle, à laquelle vous venez d’assister dans la Basilique du Sacré-Cœur a rassemblé vos intentions et vos prières en une seule supplication, appelant du ciel la grâce qui transforme et vivifie, afin que les travaux, auxquels vous allez participer, manifestent avec éclat, à vos yeux et aux yeux de tous, l’audace et la grandeur de l’idéal qui vous guide.
Le soin des malades, mission éminemment sociale.
En vérité, cette première « Conférence mondiale catholique de la Santé » apparaît comme un événement bien significatif du rôle, qui vous revient dans la société d’aujourd’hui. Déjà son cadre merveilleux, ce déploiement de ressources matérielles et culturelles des nations dans une émulation, où chacun s’efforce de mettre en valeur ce qu’il possède de meilleur et de plus original, suggère et symbolise en quelque sorte les lignes maîtresses de vos réflexions. Au cours de ces dernières années, la profession médicale et toutes celles qui, avec elle, assument la protection de la santé, ont tiré parti des progrès rapides de la science et de ses applications et participé à l’évolution des institutions sociales. La fondation et le développement de vos diverses Fédérations répondent au besoin de conjuguer les efforts des catholiques dans un secteur si important. Rien d’étonnant si, dans le thème général de la Conférence : « Christianisme et Santé » s’insère l’étude de la collaboration dans l’équipe sanitaire et dans la communauté des responsables de la santé. Nous souhaitons le meilleur succès au 8e Congrès des médecins catholiques, au 5e Congrès de la Fédération internationale des pharmaciens catholiques, au 6e Congrès du Comité international catholique des infirmières et assistantes médico-sociales, au 1er Congrès de la Fédération internationale des institutions hospitalières, ainsi qu’au 4e Congrès international des aumôniers d’hôpitaux.
Même si vos travaux n’embrassent qu’une partie de la matière si vaste que vous vous proposez d’examiner, le seul fait d’avoir tenté cette confrontation marquera une étape importante dans l’action sanitaire des catholiques. Vous prenez en effet maintenant conscience des dimensions réelles de votre communauté et de l’étendue de ses responsabilités sur le plan humain, comme sur le plan religieux.
On pouvait jadis entreprendre l’étude de la morale médicale, en n’accordant qu’un regard rapide à tout ce qui dépasse les relations individuelles du malade avec le médecin ou avec l’infirmière. Le développement considérable des services hospitaliers, la spécialisation croissante des techniques de soins, l’existence de puissantes institutions d’assistance sociale, l’appel des pays sous-développés ; voilà autant de facteurs, qui ont élargi considérablement les perspectives anciennes et requièrent une mise au point et un approfondissement du sens des « relations humaines » entre le malade et sa famille d’une part, les responsables de la santé et les organismes sociaux d’autre part.
Nous voudrions, en guise d’introduction à vos travaux, évoquer brièvement d’abord les obstacles à la collaboration efficace, et enfin les objectifs qu’elle doit se proposer, en particulier, chez les catholiques.
Les obstacles à une collaboration efficace dans le soin dû aux malades.
Les défauts qui empêchent une collaboration harmonieuse dans l’équipe sanitaire peuvent venir, soit de ses membres eux-mêmes, soit du malade et de sa famille, soit des institutions dont dépendent les uns et les autres. Nous n’avons pas l’intention d’analyser en détail les situations concrètes, dans lesquelles ces inconvénients apparaissent ; vos congrès furent préparés par des enquêtes destinées précisément à les relever. Mais, Nous bornant aux causes qui entravent la collaboration chez le personnel sanitaire lui-même, Nous voudrions en signaler deux principales, l’une d’ordre intellectuel, l’autre d’ordre moral. Le plus souvent une certaine étroitesse du jugement, qui, volontairement ou non, refuse d’élargir ses horizons, de tenir compte de tous les éléments d’une situation, empêche l’intéressé d’apercevoir les insuffisances de son action personnelle et la nécessité d’accepter l’intervention d’autrui. Il est difficile en général d’adopter le point de vue des autres, de regarder les événements comme ils les regardent, de ressentir comme eux les inconvénients de tel procédé, de telle attitude, le poids de certaines prestations ; il n’est pas aisé non plus d’admettre qu’un plus jeune, malgré sa moindre expérience, puisse avoir des idées plus fécondes. En outre, les habitudes de travail et les routines rendent pénible toute tentative de changement, toute révision de méthode. Vous signalez, par exemple, qu’une infirmière sera tentée de marquer des réserves, lorsqu’elle voit appliquer dans un hôpital un traitement différent de celui qu’elle a vu pratiquer au cours de ses études par tel grand spécialiste. A côté des obstacles intellectuels, les obstacles moraux tiennent aussi une large place. L’esprit de dévouement et de sacrifice dans l’équipe sanitaire constitue ’l’un de ses plus beaux titres à la reconnaissance et à l’admiration de tous. Mais qui oserait prétendre que, dans le détail des allées et venues de chaque jour, n’interviennent jamais des mobiles, qui trahissent les faiblesses communes de l’humanité : susceptibilité, impatience, désir de prévaloir, intolérance de la discipline, bref, l’affirmation exagérée de l’individu et de ses commodités au détriment des exigences posées par la cohésion du groupe et des intérêts de la communauté.
Les conditions d’une meilleure collaboration.
Ainsi sommes-Nous amené à considérer les conditions positives d’une collaboration efficace. Puisque certains défauts d’appréciation, peut-être inaperçus d’ailleurs, proviennent de l’ignorance au moins pratique des principes essentiels de la collaboration, il importe de mettre ceux-ci en lumière et d’en faire une étude plus approfondie. C’est l’objet de vos divers Congrès. La complexité croissante de l’organisation sanitaire, rançon d’un progrès incessant, entraîne la nécessité pour chacun de ses membres de mieux définir sa position dans l’ensemble dont il fait partie. Ainsi, Nous trouvons parmi les travaux préliminaires de la commission technique du congrès des infirmières et assistantes médico-sociales, une élaboration détaillée de la notion d”« équipe sanitaire », suivant quatre plans : celui des soins aux malades, en établissement hospitalier ou à domicile, celui des services médico-sociaux locaux ou centraux, celui de la nation et de l’administration de la santé publique, et enfin le secteur spécialisé dans la lutte contre certains fléaux propres à un pays ou à une région. Pour chacun de ces cas, il faut déterminer quelles sont les formes d’équipes sanitaires existant en fait, leur but, leurs moyens d’action, leur autorité, leur composition. Ce cadre ainsi délimité permet de mieux préciser la place, qu’y tiendra l’infirmière, et les conditions auxquelles elle devra satisfaire pour bien y remplir son rôle. Les médecins de leur côté s’appliqueront aux problèmes de collaboration rencontrés dans la pratique quotidienne et dans les institutions de soins, où ils entrent en contact non seulement avec les malades et les infirmières, mais encore avec les aumôniers, les services administratifs, le personnel subalterne, les familles des malades, les organismes d’assurance sociale et les pouvoirs publics. Vous aurez la préoccupation constante de résoudre chacune de ces questions, sans jamais oublier la perspective d’ensemble qui commande les solutions particulières, c’est-à- dire, le but thérapeutique tant individuel que social, inséparable lui-même des impératifs moraux et religieux dont l’Eglise se fait l’interprète.
Une organisation efficace de l’équipe sanitaire.
Le travail de réflexion et d’examen des problèmes portera peu de fruits, s’il n’aboutit sur le plan pratique à une meilleure organisation de l’équipe sanitaire, créant entre ses membres une véritable unité, quant aux principes à suivre et aux moyens concrets de les appliquer. Pour cela il ne suffit pas de se rencontrer au chevet du malade ; il faut encore savoir se retrouver entre soi, se ménager des échanges d’idées fréquents et cordiaux, mettre en commun ses difficultés techniques ou psychologiques. Il importe aussi qu’une hiérarchie des fonctions détermine l’autorité et la responsabilité de chacun. Une discipline de groupe paraît indispensable — quelle que soit la manière dont on l’entende —, mais elle ne sera acceptée et ne portera des fruits que dans la mesure où elle se soutiendra dans une ferveur commune, où elle guidera les énergies de chacun vers la réalisation d’un idéal, que poursuivraient vainement des efforts isolés.
C’est pourquoi, Nous voulons évoquer encore les objectifs essentiels, que se proposent d’atteindre des responsables de la santé par leur collaboration. Le but qui unifie leur activité, c’est évidemment la préservation ou le rétablissement de la santé des individus et des groupes sociaux. Toutefois il n’est pas rare que d’autres fins secondaires, plus proches, plus attirantes, plus utiles immédiatement, peut-être, sollicitent leur intérêt et fassent s’estomper pour quelque temps la prépondérance de la fin principale. Vous n’ignorez pas la possibilité de voir le malade traité, non comme une personne, mais comme un cas, que l’on étudie ou sur lequel on expérimente. Il arrive que des investigations dangereuses soient entreprises pour parfaire le diagnostic, alors qu’elles n’auront pas d’utilité réelle pour l’application du traitement, ou que le malade subisse les conséquences fâcheuses de ‑mesures administratives visant à assurer d’abord la commodité des services. En ces cas, l’élément humain, personnel, est relégué au second plan, malgré son importance déterminante.
A l’imitation du Christ : soulager toute misère.
Ces écueils vous sont suffisamment connus et Nous-même les avons évoqués ailleurs. Nous n’insistons donc pas, mais voudrions souligner encore la caractéristique la plus haute, la plus noble de votre action thérapeutique, celle que manifeste votre Conférence actuelle par son titre de « catholique ». N’y voyez point une simple dénomination extrinsèque, sans influence sur l’objet propre de vos travaux, comme si le catholicisme n’avait à proposer à ses adhérents qu’un code de déontologie perfectionné, une liste minutieuse d’actions permises ou défendues. Il s’agit en réalité de bien autre chose. Les chrétiens en effet sont porteurs d’un message et d’une vie, qui confèrent à chacune de leurs démarches un sens particulier. Leur caractère de baptisés les fait disciples du Christ et fils de l’Eglise dans l’œuvre de laquelle iis sont engagés. C’est pourquoi votre travail quotidien, le plus routinier en apparence, ne prend tout son sens que dans la perspective ouverte par le Seigneur aux jours de son existence terrestre : « Le soir venu », raconte saint Marc, « après le coucher du soleil, on lui amenait tous les malades et les possédés, et la ville entière était rassemblée devant la porte. Et il guérit beaucoup de malades affligés de divers maux, et il chassa beaucoup de démons » (Marc, I, 32).
A l’imitation du Christ, qui soulageait tant de misères physiques et morales pour inviter les hommes à reconnaître en Lui « la résurrection et la vie » (Jean, xi, 25), que l’on devine à travers vos gestes l’inspiration dont ils procèdent, votre rattachement à l’Eglise visible et à l’Esprit-Saint, qui l’anime comme une « source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jean, iv, 14).
Pénétrée d’esprit évangélique, votre activité acquerra aussi une extension plus large et vraiment universelle. Il faut le souligner, puisque votre Congrès se situe dans le cadre d’une manifestation, qui veut exprimer les plus nobles aspirations du monde actuel et qui invite à des rapprochements stimulants. Nul ne possède l’esprit du Christ sans partager les soucis de tous ses frères, où qu’ils habitent, de quelque race qu’ils soient, ni sans désirer ardemment leur prodiguer au maximum les bienfaits réservés encore à certains pays privilégiés. A côté de besoins économiques aigus, les pays sous-développés présentent le plus souvent au point de vue sanitaire de cruelles déficiences. Vous savez avec quel zèle, partout où ils sont présents, et principalement dans les territoires les plus démunis, les catholiques s’emploient à soigner les malades dans les hôpitaux, cliniques, dispensaires, maternités ; mais comme il reste encore beaucoup à faire avant que ne soient maîtrisés complètement les problèmes de la santé publique, vos organisations internationales trouvent ici un champ largement ouvert à leurs efforts ; elles ont entre autres à susciter la collaboration des membres du personnel médical des particuliers, des organismes privés, de l’Etat, pour arrêter au plus tôt les maladies épidémiques et endémiques, qui chaque année frappent tant de victimes impuissantes.
Nous vous souhaitons, chers fils et chères filles, d’éprouver, pendant ces journées d’étude, de réflexion, d’échanges amicaux, le sentiment de ne former au sein de l’Eglise catholique, qu’une même famille unie par l’intérêt commun pour les problèmes sanitaires, et davantage encore par la conscience d’avoir à remplir une mission importante au service de l’Eglise : celle de parfaire l’édification du corps du Christ (Eph., iv, 12), en protégeant la santé de ses membres, pour qu’ils puissent s’acquitter pleinement des tâches que le Seigneur leur confie et découvrir par vous l’un des aspects les plus consolants de la Rédemption.
En témoignage de Notre estime et de Notre affection, et comme gage des faveurs divines que Nous appelons sur vous, sur vos familles, sur les malades, auxquels vous prodiguez vos soins et votre dévouement, Nous vous accordons de grand cœur Notre Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Maurice Saint-Augustin. – D’après le texte français des A. A. S., L, 1958, p. 586.