Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

31 décembre 1952

Radiomessage aux fidèles de Malabar réunis pour fêter saint Thomas, apôtre et saint François-Xavier

Les fêtes en l’hon­neur du IVe cen­te­naire de la mort de saint François Xavier, inau­gu­rées à Goa, trou­vèrent leur terme, dans des céré­mo­nies qui eurent lieu à Ernakulam dans le Malabar, et pré­si­dées par Son Emi­nence le Cardinal Gilroy, arche­vêque de Sydney, nom­mé pour la circons­tance Légat Pontifical.

A saint François-​Xavier on joi­gnit l’a­pôtre saint Thomas, pre­mier pré­di­ca­teur de la Bonne Nouvelle sur la côte du Malabar.

Le cœur rem­pli de joie et d’un pro­fond inté­rêt pater­nel, Nous vous envoyons Notre salut, chers fils et filles, qui vous trou­vez réunis à Ernakulam pour célé­brer les cen­te­naires du saint apôtre Thomas et de saint François-​Xavier, héros qui appor­tèrent tous deux à l’Inde l’heu­reux évan­gile de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

Le Malabar et le Sud de l’Inde sont repré­sen­tés par une foule impo­sante aus­si bien que les autres par­ties de votre pays. Ras­semblés autour de Notre Légat et de vos évêques Nos Vénérables Frères, en cette heure solen­nelle, vous éle­vez vos cœurs et vos mains vers le Père des misé­ri­cordes et le Dieu de toute conso­lation[1] afin de Lui rendre grâces pour le don ines­ti­mable de la foi que vous avez reçu par l’in­ter­mé­diaire de ces mis­sion­naires envoyés de Dieu.

Ce n’est pas sans rai­son que vous êtes fiers du fait que le Seigneur vous a assi­gné cet Apôtre qui devait mettre son doigt dans les bles­sures des mains sacrées et sa propre main dans le côté de Jésus, de telle sorte qu’il pût vous appor­ter la véri­té divine au sujet de Dieu et de la Rédemption et avec elle tout le tré­sor de Son amour sans limite et de Sa grâce.

Mille neuf cents ans se sont écou­lés depuis que l’Apôtre est venu en Inde et, par la parole et l’ac­tion et par le suprême sacri­fice per­son­nel, a ren­du témoi­gnage au Christ dans votre pays. La force de Dieu agis­sant en lui était puis­sante. Durant les siècles où l’Inde fut cou­pée de l’Ouest et en dépit des épreu­ves de nom­breuses vicis­si­tudes, les com­mu­nau­tés chré­tiennes for­mées par l’Apôtre conser­vèrent le legs qu’il leur lais­sa, et aus­si­tôt que la tra­ver­sée par mer, — à la fin du XVe siècle, — offrit un lien avec leurs frères Chrétiens de l’Ouest, l’u­nion avec eux fut spontanée.

Ce lignage apos­to­lique, chers fils et filles, est le fier privi­lège de beau­coup d’entre vous qui se font gloire du nom de Chrétiens de Saint Thomas, et Nous sommes heu­reux en cette occa­sion de le recon­naître et d’en por­ter témoi­gnage. Et Notre espoir est que leur vigou­reuse acti­vi­té, féconde en tant de bon­nes oeuvres, et leur esprit apos­to­lique, auquel l’Inde Catholique doit tant pour un si grand nombre de ministres du Royaume du Christ et de vierges consa­crées, puissent conti­nuer à vous carac­té­ri­ser et hâter le déve­lop­pe­ment de la vie religieuse.

Ce mois marque aus­si le 400e anni­ver­saire du jour où Fran­çois-​Xavier ter­mi­na sa vie et son apos­to­lat, seul sur l’île de Sancian. C’était au moment même où il se pré­pa­rait à gagner la cour impé­riale de Chine, au cœur du monde de l’Est-​Asiatique. Il n’é­tait âgé que de 46 ans et son œuvre en Asie n’a­vait duré que dix ans ; mais elle cou­vrait la vaste région de la Côte Ouest de l’Inde, à tra­vers l’Indonésie, jus­qu’au Japon ; et c’é­tait dans cet immense domaine que François avait mon­tré sa véri­table gran­deur. Il était grand dans la vaste enver­gure de ses plans de conquête spi­ri­tuelle ; il était grand dans son acti­vi­té jour après jour ; si grand que vous l’ap­pe­lez, à juste titre, votre second Apôtre, et la plus haute auto­ri­té de l’Eglise l’a pro­cla­mé d’a­bord patron de tout l’Est et ensuite patron de toutes les Missions, un saint, un tra­vailleur pro­di­gieux, véné­ré non seule­ment par ses frères catho­liques, mais aus­si par les Hindous, les Musulmans et les Bouddhistes.

Votre bonne for­tune est d’a­voir eu François-​Xavier pour se­mer le grain de l’Evangile et encou­ra­ger son déve­lop­pe­ment au cours des pre­mières années, pré­ci­sé­ment dans la par­tie sud de votre pays. De cette plan­ta­tion, arro­sée et enri­chie par les prières et les sacri­fices a jailli l’œuvre des Missions, c’est-​à-​dire le dé­veloppement de l’Eglise Catholique dans l’Inde durant les 400 der­nières années.

Nous ne savons pas si les Catholiques de l’Inde commémo­rèrent jamais leurs deux Apôtres avec une telle splen­deur et, ce qui est plus impor­tant, avec des cœurs aus­si bien pré­pa­rés pour le mes­sage de Dieu et de Jésus-​Christ, que vous l’a­vez fait du­rant ces jours. Mais jamais, Nous croyons pou­voir le dire, pa­reille célé­bra­tion ne prit place à un moment ayant de telles consé­quences pour vous et votre pays.

Ces récentes années ont vu l’Inde entrer dans une nou­velle ère de son his­toire. En posant les fon­da­tions du nou­vel Etat nais­sant, elle doit comp­ter sur la coopé­ra­tion de tous les élé­ments sains et com­pé­tents par­mi son peuple, et elle a droit à cette coopé­ra­tion. Les forces du bien et du mal sont en train de lut­ter en un âpre conflit pour l’âme de l’Asie, et vous savez ce qui dépend de l’is­sue de cette lutte. Vous réa­li­sez aus­si le rôle impor­tant, domi­nant et sans com­pro­mis­sion qui doit être joué dans ce conflit et dans la construc­tion supé­rieure de l’Etat par la Religion, par la vraie Foi.

En un pareil moment, Nous fai­sons appel à vous : tout d’a­bord pour ser­rer les rangs et pour être unis ! Il peut y avoir par­mi vous des dif­fé­rences de rites et autres pra­tiques exté­rieures et manières de vivre ; mais vous pro­fes­sez tous la même foi, vous êtes tous frères et sœurs en Jésus-​Christ, tous enfants de la même mère, Son Eglise. Que vous soyez riches ou pauvres, de haute ou modeste condi­tion, vous êtes tous éga­le­ment membres de la grande famille catho­lique et par la grâce habi­tant dans votre âme vous êtes déjà des citoyens du ciel [2]. C’est dans cette union et cette concorde qu’est votre force.

Si vous devez prê­ter votre assis­tance par­tout où elle est né­cessaire, cette obli­ga­tion vaut spé­cia­le­ment là où il s’a­git de ceux « qui ne font qu’une famille avec nous dans la foi » [3], et elle vaut sur­tout, lorsque l’Eglise elle-​même fait appel à votre aide pour ces impor­tantes entre­prises sans les­quelles elle ne peut accom­plir sa mis­sion qui est d’ou­vrir la voie à la grâce de la vraie foi et à la connais­sance et à l’a­mour de Jésus-​Christ. En vous rap­pe­lant cela Nous sommes heu­reux en même temps de louer le zèle avec lequel vous avez bien rem­pli jus­qu’i­ci cette obligation.

Qu’il y ait une sainte riva­li­té entre vous dans une manifes­tation réci­proque de res­pect et de véné­ra­tion [4] et en don­nant à vos évêques l’o­béis­sance confiante due à ceux que le Saint- Esprit a dési­gnés pour veiller sur vos âmes, en sachant qu’ils auront à en rendre compte [5].

Aujourd’hui, alors que les forces du mal com­battent en rangs ser­rés et que la néces­si­té de la concorde par­mi ceux qui sont pour Dieu est plus impé­rieuse, Nous pre­nons la liber­té de faire appel même à nos frères sépa­rés : Que la divi­sion cesse ; elle vous est ouverte, la mai­son que le Seigneur, dans des paroles sans équi­voque, a construite sur la roche de Pierre et de ses suc­ces­seurs [6].

Puisse l’ardent appel, la prière sacer­do­tale de Jésus-​Christ trou­ver auprès de vous tous la réponse de tout votre cœur : Père Saint, gar­dez en votre nom ceux que Vous m’a­vez don­nés, afin qu’ils soient un comme nous [7].

En second lieu, il est gran­de­ment néces­saire pour Nous de vous rap­pe­ler que l’Eglise Catholique ne demande à per­sonne d’a­ban­don­ner les tra­di­tions et usages locaux, qu’elle n’o­blige per­sonne à adop­ter des manières de vivre étran­gères. L’Eglise appar­tient à l’Est aus­si bien qu’à l’Ouest. Elle n’est liée à aucune cul­ture par­ti­cu­lière, elle est chez elle avec tous ceux qui res­pectent les com­man­de­ments de Dieu. Ce qui est en har­mo­nie avec la nature don­née par Dieu, ce qui est bon et sim­ple­ment humain, l’Eglise le per­met, l’en­cou­rage, l’en­no­blit et le sanc­ti­fie. Ceci étant bien éclair­ci, il vous appar­tient, chers fils et filles, d’être conscients de votre devoir envers votre pays et votre peuple.

Soyez une armée de gens qui prient. Assiégez le ciel de vos sup­pli­ca­tions, appuyées par votre sacri­fice per­son­nel, jus­qu’à ce que Dieu répande sa misé­ri­corde et sa grâce sur votre cher pays.

Rendez témoi­gnage à Jésus-​Christ. Démontrez que tout ce qui peut être juste et bon dans d’autres reli­gions trouve sa signi­fi­ca­tion plus pro­fonde et son achè­ve­ment par­fait dans le Christ, tan­dis que la foi catho­lique révèle une connais­sance de la véri­té divine et une puis­sance de salut, de sanc­ti­fi­ca­tion et d’u­nion de l’homme avec Dieu, qui la rendent infi­ni­ment supérieure.

Soutenez la parole de véri­té par votre exemple. Vivez en sorte que votre conduite soit un puis­sant argu­ment atti­rant les hommes à la vraie foi en Jésus-​Christ. C’est là le sublime apos­tolat auquel vous êtes appelés.

Ainsi vos rangs for­me­ront une puis­sante pha­lange contre les élé­ments des­truc­teurs de l’a­théisme. Contre eux vous êtes en mesure d’of­frir à votre peuple et à votre gou­ver­ne­ment l’ensei­gnement social de l’Eglise. Il est fon­dé sur la jus­tice sociale et le devoir de cha­cun envers la com­mu­nau­té et de la com­mu­nau­té envers cha­cun ; son but est la paix dans l’ordre social, l’ac­cord des inté­rêts oppo­sés, de manière que le plus humble dans une nation puisse avoir au moins ce qui est suf­fi­sant ; sa force est dans un res­pect sans com­pro­mis­sion pour la digni­té et les droits natu­rels de tout être humain.

Le peuple de l’Inde doit se réjouir de l’es­prit reli­gieux enra­ciné dans son âme. Grâce à la puis­sante inter­ces­sion de Ma­rie, la Vierge Bénie, et de vos frères dans la foi, l’Apôtre Tho­mas et Saint François-​Xavier, et grâce à votre cou­ra­geuse pro­fes­sion per­son­nelle de la foi, en parole et en action, puisse votre peuple dans sa recherche de Dieu arri­ver à com­prendre la signi­fi­ca­tion de la prière sacer­do­tale de Notre-​Seigneur : « La vie éter­nelle est de Vous connaître, Vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-​Christ que vous avez envoyé » [8].

En gage de vie éter­nelle et des plus riches grâces du ciel, avec toute l’af­fec­tion de Notre cœur, Nous don­nons à Notre très digne Légat, à vos évêques et prêtres, à tous ceux qui tra­vaillent avec vous au salut des âmes, à vos œuvres apos­to­liques, à vos familles, à votre jeu­nesse et à toute la nation la Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1952, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte anglais des A. A. S., XXXXV, 1953, p. 96.

Notes de bas de page
  1. II Cor. I, 3.[]
  2. Phil, III, 20[]
  3. Gal. VI, 10[]
  4. Rom. XII, 10.[]
  5. Hebr. XIII, 17.[]
  6. Matth. XVI, 16–20[]
  7. Jean, XVII, 11.[]
  8. Jean XVII, 3.[]