Il est de tradition que la veille de la Noël le Saint-Père, répondant aux vœux que lui présente le Sacré-Collège, envoie au monde un radiomessage. Cette année, le 24 décembre étant le jour consacré à l’ouverture de l’Année Sainte, la présentation des vœux eut lieu le 23 décembre. Le thème de ce discours est tout entier consacré à préciser les buts de l’année jubilaire :
Jamais, peut-être comme en la veille de cet heureux événement qui ouvre l’Année jubilaire Notre cœur de Pasteur et de Père ne vous a sentis si étroitement proches de Nous, chers Fils et chères Filles du monde entier. Il Nous semble voir et écouter, et Notre cœur ne nous trompe pas, la palpitation de millions et de millions de fidèles d’accord avec Nous comme un concert immense de ferventes actions de grâces, d’ardents désirs, d’humbles supplications, au Père distributeur de tous biens, au Fils expiateur de toutes fautes, au Saint-Esprit dispensateur de toutes grâces.
Poussés par un profond désir de libération spirituelle, charmés par l’attirance des biens célestes, oublieux pour une heure brève des ennuis de la terre vous vous adressez à Nous et redites en quelque sorte, mais dans le bon sens, avec une intention droite, la prière qui fut jadis adressée au Rédempteur : « Donnez-nous un signe venant du ciel ».
Eh bien ! aujourd’hui vous saurez que « le Seigneur viendra et demain vous verrez sa gloire ». Le signe que vous attendez vous sera annoncé aujourd’hui ; le signe, ou plutôt le moyen de rémission et de sanctification vous sera donné demain même, au moment où, par Nos mains, la Porte mystique sera encore une fois enlevée, ouvrant l’entrée au plus grand temple de la chrétienté, symbole du Rédempteur Jésus à nous donné par Marie, afin que tous, incorporés en Lui, nous trouvions le salut : « Je suis la porte ; si quelqu’un entre par Moi, il sera sauvé » [1].
Le monde entier fixe en ces jours ses regards sur Rome et sur la Papauté :
Dans l’Eglise entière du Christ qui étend ses membres sur toutes les régions de la terre, en ces jours les regards se fixent sur Rome, sur le Siège apostolique, source intarissable de vérité, de salut, de bien. Nous savons combien d’espérances vous faites reposer en cette Année sainte.
Ferme est dans votre cœur la confiance que la Providence divine voudra opérer, en cette Année sainte et, par elle, les merveilles de sa miséricorde envers la famille humaine. Et Nous sommes soutenu dans cette espérance que l’Ange du Seigneur ne rencontrera pas d’obstacles sur son chemin, mais trouvera au contraire les routes aplanies, les cœurs ouverts par cette bonne volonté qui fait pencher le ciel vers la terre. Nous-même, à qui la Providence divine a réservé le privilège de l’annoncer et de la donner au monde entier Nous pressentons son importance pour le prochain demi-siècle.
Les buts de l’Année Sainte sont à nouveau précisés [2] :
1° Année de renouveau spirituel :
Il Nous semble que l’Année sainte 1950 doit, avant tout, déterminer la rénovation religieuse du monde moderne, comme on l’entend ; qu’elle doit résoudre la crise spirituelle qui étreint les hommes de notre temps.
2° Année de restauration de l’équilibre entre les valeurs humaines et les valeurs divines :
L’harmonie désirée entre les valeurs céleste et terrestres, divines et humaines, obligation et devoir de notre génération, sera réalisée ou, du moins, sera hâtée si les fidèles du Christ demeurent fermes dans leurs résolutions, poursuivent avec ténacité les œuvres entreprises et ne se laissent pas séduire par de vaines utopies, ni détourner par des égoïsmes de partis.
3° Année de vie intense pour l’Eglise :
Elle doit pareillement déterminer l’avenir de l’Eglise, appliquée au dedans à rendre plus pure et à répandre davantage dans les peuples la sainteté de ses membres, tandis qu’elle s’efforce au dehors de faire passer et de diffuser son esprit de justice et d’amour jusque dans les institutions sociales.
4° L’Année Sainte doit avoir une portée profonde pour la vie de l’humanité :
Animé de ces sentiments et de ces désirs, pénétré de la dignité d’une tradition qui remonte au temps de Notre prédécesseur Boniface VIII, en ouvrant demain, de trois coups de marteau, la Porte sainte, Nous avons conscience d’accomplir non un acte purement traditionnel, mais un rite symbolique de haute portée, non seulement pour les chrétiens, mais pour toute l’humanité. Nous voudrions que ce triple coup résonne au fond des âmes de tous ceux qui ont des oreilles pour entendre.
5° Durant cette Année les hommes doivent se sentir plus près de Dieu :
Année sainte : Année de Dieu ! De Dieu dont la majesté et la grandeur condamnent le péché ; de Dieu dont la bonté et la miséricorde offrent le pardon et la grâce à qui est disposé à les accueillir ; de Dieu qui, en cette Année sainte, veut s’approcher encore plus de l’homme et se tenir plus que jamais près de Lui.
Dans le monde contemporain il y a des erreurs fondamentales à redresser :
1° Il faut retrouver le sens du péché :
Combien font du péché une simple faiblesse et de la faiblesse jusqu’à une vertu ! « Assurément, écrivait déjà le païen Salluste, nous avons perdu le vrai sens des mots : la distribution des biens des autres s’appelle libéralité, l’audace de faire le mal s’appelle courage ».
2° Il faut mettre en pleine clarté les dictées de la conscience droite :
Transformant artificieusement le sens des paroles pour les questions les plus importantes de la vie publique et privée, ils cachent ce que la conscience ne veut pas éclaircir, ils justifient ce que l’intime de leur âme condamne, ils nient ce qu’ils devraient loyalement reconnaître.
3° Il faut restaurer le sens de Dieu :
Combien mettent à la place du vrai Dieu leurs idoles, ou bien, tout en affirmant leur croyance en Dieu et la volonté de le servir, se font de lui une idée qui est le produit de leurs propres désirs, de leurs propres tendances, de leurs propres faiblesses. Dieu dans sa grandeur immense, dans sa sainteté immaculée, Dieu dont la bonté comprend si bien les cœurs qu’Il a formés et dont la bienveillance est toujours prête à venir à leur secours, n’est pas connu correctement de beaucoup.
4° Il faut avoir l’esprit chrétien authentique :
C’est pourquoi tant d’hommes sont chrétiens par pure habitude, tant sont étourdis et insouciants, tant d’âmes, d’autre part, sont tourmentées sans espérance, comme si le christianisme n’était pas lui-même la Bonne Nouvelle.
Fausses idées de Dieu, vaines créations d’esprits trop humains, que l’Année sainte doit dissiper et chasser des cœurs.
Ce que l’Année Sainte ne devra pas être :
La sympathie avec laquelle les peuples ont accueilli l’annonce de l’Année sainte, affermit la confiance que Nous avons mise en elle. Ce ne sera donc pas une fête bruyante, ni un prétexte à de pieuses distractions, ni même un vaniteux déploiement de forces catholiques au sens que le monde donne à ce mot, pour qui le succès consiste dans l’approbation momentanée des multitudes.
Mais au contraire l’Année Sainte devra être caractérisée par un retour à l’exercice des vertus chrétiennes :
L’Année sainte doit opérer plus sérieusement et plus profondément dans les âmes. Elle doit stimuler et promouvoir les vertus privées et publiques. Elle doit être et paraître plus intimement et franchement chrétienne. Elle devra correspondre à la volonté mystérieuse de Dieu. Elle devra se signaler comme l’Année du Grand Retour, l’Année du Grand Pardon, du moins dans la mesure où notre époque a été, même dans un passé récent, une époque d’apostasies et de fautes.
I. — Année du grand retour.
Pie XII lance un appel à tous les hommes :
Adressons donc, dès aujourd’hui, Notre parole au monde entier afin que chez tous et chacun des hommes, dans toutes les régions, sur tous les rivages, avec l’urgence propre à l’heure extraordinaire où nous sommes, s’accomplisse le Grand Retour désiré.
Cette invitation de Notre part veut être, avant tout, un appel de père, qui vit, peine, souffre, prié et espère pour le bien et le bonheur de ses fils. Et tous les hommes sur la terre sont Nos Fils, au moins en droit et par destination, même ceux qui Nous ont abandonné, qui Nous ont offensé, Nous ont fait et Nous font souffrir. Fils éloignés, égarés, déçus et ulcérés, vous particulièrement aux cœurs de qui des voix trompeuses et peut-être une vue inconsidérée des choses ont éteint l’affection que jadis vous nourrissiez pour la sainte Eglise, veuillez ne pas résister à l’offre de réconciliation que Dieu même vous fait par Notre entremise en un temps vraiment propice. Soyez, dès maintenant, persuadés que les chemins du retour à la Maison du Père sont doux, et plein de joie l’embrassement qui vous attend.
L’Année Sainte doit être marquée par le retour à Dieu des incroyants :
Que cette Année sainte marque avant tout le retour des âmes qui, pour des causes diverses et multiples, ont perdu de vue dans leur cœur l’image et le souvenir de leur Créateur, de qui dépend leur vie comme celle de tous les êtres, et en qui se trouve leur souverain bien.
Qu’ils en soient éloignés par suite de leur inertie ou de leur agnosticisme en face du plus grand problème de la vie, ou qu’ils Se disent satisfaits d’une fausse vision de l’univers, dans laquelle on refuse la place nécessaire aux premiers principes spirituels de tout ce qui est ou peut-être, ou que, ne pouvant supporter son indestructible présence, sottement jaloux de son pouvoir suprême, ils Lui fassent une folle guerre, cherchant à étouffer le témoignage que Lui rendent toutes les créatures, et leur cœur même, ils souffrent l’angoisse d’un exil, l’isolement de l’univers, le vide d’un désert auquel ils se sont eux-mêmes condamnés en acceptant l’athéisme. Pour eux, il n’y a qu’un remède : le retour, — retour à la réflexion et au bon sens humain, — retour à la recherche profonde et sereine de la raison des choses remontant degré par degré l’échelle du créé, de l’effet aux causes, jusqu’à ce que, pleinement apaisé, l’esprit investigateur trouve son repos, — retour enfin à l’humilité et à la docilité de la créature.
C’est alors qu’apparaîtra à leurs yeux — et ils pourront en quelque sorte le toucher dans le témoignage irréfragable de ses œuvres — le Dieu des vivants, Notre Père, l’Amour qui tourmente tant qu’il n’est pas possédé.
De même les païens seront attirés par le rayonnement du Jubilé :
Le cœur Nous dit que cette Année sainte verra beaucoup de ces retours, comme elle verra se multiplier les conversions à la foi chrétienne des païens en terres de missions. Ce sera certainement pour vous un réconfort de savoir que, depuis le Jubilé de 1925, le nombre des chrétiens en ces territoires éloignés a plus que doublé, tandis que dans certaines régions de l’Afrique, l’Eglise visible est devenue un soutien de la vie sociale, grâce a l’influence chrétienne profondément exercée sur les mœurs publiques et privées.
Néanmoins il faut déplorer en cette fin de 1949 que de nombreuses régions sont sous l’emprise des courants révolutionnaires athées :
Mais, avec la plus vive douleur de Notre âme, Nous ne pouvons détacher Notre pensée des graves dangers qui menacent et qui ont déjà désolé la religion et ses institutions en d’autres pays de l’Europe et de l’Asie, comme dans l’immense Chine où des révolutions tragiques ont réduit des jardins de vies florissantes en cimetières de morts.
Les croyants pécheurs doivent revenir eux aussi à la pratique intègre du christianisme :
Que l’Année sainte marque le retour à Jésus-Christ, Rédempteur des âmes attirées par les plaisirs trompeurs du péché et qui se trouvent loin de la Maison du Père. Il y a des croyants et des catholiques que, malheureusement, l’esprit aussi faible que la chair rend transfuges de leurs propres devoirs et oublieux des vrais trésors, où pour de longues années, ou dans une alternance habituelle de désertion et de retours éphémères. Ils s’illusionnent s’ils pensent posséder la vie chrétienne qui plaît à Dieu sans que la grâce sanctifiante demeure habituellement dans leur cœur.
Des faciles compromis entre terre et ciel, temps et éternité, sens et esprit, ils sont entraînés dans le danger de mourir de misère et de faim, loin de ce Jésus qui ne reconnaît pas pour siens ceux qui veulent servir deux maîtres. Pour ces blessés de l’esprit, lépreux, paralytiques, rameaux coupés sans sève vitale, que l’Année sainte soit un temps de guérison et de rétablissement. L’Ange de la piscine probatique veut renouveler pour eux tous le prodige des eaux guérisseuses. Qui ne voudra s’y baigner ?
Le vieux Père de la Parabole évangélique attend anxieux sur le seuil de la Porte sainte que le fils égaré rentre repentant. Qui voudra s’obstiner dans le désert de la faute ?
De même le Pape lance un appel à tous les chrétiens séparés de l’unique et vraie Eglise, afin qu’ils fassent eux aussi leur retour à l’Eglise catholique :
Oh ! si cette Année sainte pouvait saluer aussi le retour vraiment grand et attendu depuis des siècles de nombreux croyants en Jésus-Christ, séparés de l’unique Eglise véritable pour divers motifs. Avec des gémissements indicibles, l’Esprit qui est dans le cœur des hommes de bien élève aujourd’hui, comme le cri d’imploration, la Prière même du Seigneur : « Qu’ils soient un ! ».
Justement soucieux de l’audace avec laquelle se meut le front unique de l’athéisme militant, les hommes expriment aujourd’hui à haute voix ce qu’ils se demandaient depuis longtemps : « Pourquoi encore des séparations ? Pourquoi encore des schismes ? A quand l’union concordante de toutes les forces de l’Esprit et de l’Amour ? ».
Si d’autres fois est partie du Saint-Siège l’invitation à l’unité, en cette occasion Nous la répétons plus chaude et plus paternelle, Nous sentant poussé par les invocations et les supplications de tant et tant de croyants répandus sur toute la terre qui, après les tragiques et déplorables événements soufferts, tournent les yeux vers le Saint-Siège comme vers l’ancre de salut du monde entier.
Le Pape invite discrètement les Juifs à se tourner vers Notre-Seigneur Jésus-Christ :
Pour tous les adorateurs du Christ, sans exclure ceux qui, dans une sincère mais vaine attente, l’adorent comme promis dans les prédications des Prophètes et non encore venu, Nous ouvrons la Porte sainte et, devenu Père de tous par un inscrutable dessein de Jésus Rédempteur, Nous ouvrons aussi à tous Nos bras et Notre cœur.
Il faut que le monde entier fasse à nouveau acte de soumission entiers Dieu, maître et créateur :
Que, finalement, ce Jubilé soit l’année du Grand Retour de l’humanité entière aux desseins de Dieu.
Le monde moderne, dans la manière même dont il a tenté de secouer le joug suave de Dieu, a par le fait rejeté l’ordre établi par Lui et, avec le même orgueil que l’ange rebelle au début de la création il a prétendu en instituer un autre à sa guise. Après deux siècles de tristes expériences et d’égarements, tous ceux qui ont encore l’esprit et le cœur droits confessent que tels mesures et règlements qui ont le nom d’ordre, sans en avoir la substance, n’ont pas donné les résultats promis, ni ne répondent aux naturelles aspirations de l’homme. Cette faillite s’est manifestée dans un double terrain : celui des rapports sociaux et celui des rapports internationaux.
Le monde reniant Dieu a dû verser dans le désordre social. En effet, l’homme souverain a méconnu la nécessité d’une autorité supérieure :
En matière sociale, la contrefaçon des desseins de Dieu s’est opérée à la racine même, déformant la divine image de l’homme. A sa réelle figure de créature ayant origine et destin en Dieu a été substitué le faux portrait d’un homme autonome dans sa conscience, législateur incontrôlable de lui-même, irresponsable envers ses semblables et envers le groupe social, sans autre destin hors de la terre, sans autre but que de jouir des biens finis, sans autre loi que celle du fait accompli et de l’assoupissement indiscipliné de ses désirs.
De là est sorti et s’est fortifié pendant des lustres entiers, par les applications les plus variées dans la vie publique et privée, cet ordre beaucoup trop individualiste qui est aujourd’hui presque partout en crise grave.
Après les erreurs de l’individualisme libéral, le monde a connu les erreurs du socialisme marxiste :
Mais les innovateurs suivants n’ont rien apporté de mieux. Partant des mêmes prémices erronées et s’écartant dans une autre direction, ils ont conduit à des conséquences non moins funestes, jusqu’au bouleversement total de l’ordre divin, au mépris de la dignité de la personne humaine, à la négation des libertés les plus sacrées et les plus fondamentales, à la prédominance d’une seule classe sur les autres, à l’asservissement de toute personne et de toute chose à l’état totalitaire, à la légitimation de la violence et à l’athéisme militant.
La seule solution aux difficultés sociales présentes est de revenir aux principes chrétiens :
Aux tenants de l’un et de l’autre système social, tous deux à l’opposé des desseins de Dieu, que se fasse entendre de manière persuasive l’invitation à recourir aux principes naturels et chrétiens, qui fondent la justice effective sur le respect des libertés légitimes, de maniéré que, par la reconnaissance de l’égalité de tous dans l’inviolabilité des droits personnels, s’éteigne la lutte inutile qui exaspère les esprits dans la haine entre frères.
Pie XII fait un appel particulièrement pressant aux masses tentées par les promesses du communisme :
Mais, outre ces vœux, qui forment la constante sollicitude de Notre devoir apostolique, Nous adressons une paternelle exhortation à ceux qui mettent toute leur espérance dans les promesses d’une doctrine et de chefs qui font explicitement profession de matérialisme et d’athéisme.
Humbles et opprimés, si pénible que soit votre situation, et bien que vous conserviez le droit de revendiquer la justice, et les autres le devoir de vous la rendre, rappelez-vous que vous possédez une âme immortelle et un destin transcendant. Ne veuillez pas échanger les biens célestes et éternels avec les biens caducs temporels, spécialement en cette époque où de toutes parts les hommes de bien et des institutions secourables ont plus efficacement recueilli votre cri et compris votre drame, résolus à vous guider par les voies de la justice. La foi et l’espérance que vous mettez souvent en des hommes aussi affirmatifs dans leurs promesses que sûrs de ne pouvoir obtenir la solution rapide de tous ces problèmes qu’ils, font briller devant vos yeux, problèmes dont certains sont difficilement solubles à cause des limites même de la nature de l’homme, réservez-les en premier lieu aux promesses de Dieu, qui ne trompe pas.
Les sollicitudes légitimes qui vous assaillent pour le pain quotidien et pour une habitation convenable, indispensables à votre vie et à celle de vos familles, faites qu’elles ne contrastent pas avec vos destins célestes, qu’elles ne vous fassent pas négliger votre âme et les trésors impérissables que Dieu vous a confiés dans les âmes de vos enfants, qu’elles n’obscurcissent pas pour vous la vie, qu’elles n’empêchent pas l’obtention de ces biens éternels qui seront votre bonheur à jamais et qui se résument dans la suprême valeur pour laquelle nous sommes créés : Dieu, notre Béatitude.
Seule, une société éclairée par les règles de la foi. respectueuse des droits de Dieu, certaine du compte que ses chefs responsables devront rendre au Juge suprême dans l’intime de leur conscience et en présence des vivants et des morts, seule une telle société saura reconnaître et interpréter correctement vos besoins, et vos justes aspirations, défendre et promouvoir vos droits, vous guider sagement dans l’accomplissement de vos devoirs, selon la hiérarchie des valeurs et l’harmonie entre la vie domestique et la vie sociale établies par la nature.
N’oubliez pas que, sans Dieu, la prospérité matérielle est pour qui ne l’a pas, une blessure douloureuse, mais pour qui la possède, une séduction mortelle. Sans Dieu, la culture intellectuelle et esthétique est un fleuve séparé de sa source et de son embouchure : elle se réduit à un marais tout rempli de sable et de boue.
De même le monde refusant d’obéir à Dieu est tombé dans le chaos international, dans les guerres et les rivalités. Pour retrouver la paix, il faut se soumettre à l’ordre voulu par Dieu :
Nous attendons enfin pour cette Année sainte le retour de la société internationale aux desseins de Dieu, selon lesquels tous les peuples, dans la paix et non dans la guerre, dans la collaboration et non dans l’isolement, dans la justice et non dans l’égoïsme national, sont destinés à former la grande famille humaine, orientés à la perfection commune dans l’aide réciproque et dans l’équitable répartition des biens dont Dieu a confié le trésor aux hommes.
Chers Fils, si jamais occasion Nous parut propice pour exhorter les conducteurs de peuples à des pensées de paix, celle de l’Année sainte Nous semble plus que jamais opportune. Elle est et veut signifier aussi un puissant appel en même temps qu’une contribution à la fraternité des peuples.
Le pèlerinage à Rome apporte sa part à la construction d’une vaste fraternité entre les peuples :
Vers cette Mère des peuples qu’est Rome convergeront d’innombrables groupes de pèlerins divers de races, de nations, de langues, de mœurs, de sentiments, et dans ses murs vivront ensemble, se rencontreront dans les mêmes rues, reposeront dans les mêmes hôtels, participeront aux mêmes rites, s’abreuveront aux mêmes sources de l’Esprit, jouiront des mêmes réconforts, ceux qui reçurent l’ordre de semer la mort et ceux qui en subirent les épouvantables effets, celui qui envahit et celui qui lui fut soumis, celui qui clôtura les camps de fers barbelés et celui qui y souffrit d’une dure captivité.
N’avons-Nous pas raison de croire que ces milliers et ces milliers de Nos Fils et Filles deviendront l’avant-garde fidèle de la croisade pour la paix et que, eh même temps que Notre Bénédiction, ils porteront avec eux dans leur patrie la pensée, la force de la paix du Christ, afin d’y gagner de nouvelles recrues pour une si sainte cause.
Pie XII condamne sévèrement tous ceux qui voudraient porter atteinte à la paix :
A Dieu ne plaise que cette « Trêve de Dieu », inspiratrice et présage de desseins pacifiques ne soit troublée et violée par des projets insensés, non seulement entre les nations mais entre les divers groupes d’un même pays. Cette main sacrilège se condamnerait d’elle-même à la juste colère de Dieu et s’attirerait l’immanquable exécration de toute l’humanité.
Le Pape espère que le retour des hommes à Dieu prendra en 1950 de grandes proportions :
Nous Nous attendons donc à un grand Retour en cette année de grâces extraordinaires. Grand par le nombre des Fils à qui Nous réservons le plus affectueux accueil ; grand par l’éloignement des pays dont proviendront certains d’entre eux ; grand par les vastes et bienfaisantes répercussions qui ne manqueront pas d’en résulter. Que Nos Fils, que tous les hommes de bonne volonté aient à coeur de ne pas tromper les espérances du Père commun dont les bras levés vers le Ciel implorent de la miséricorde divine sur le monde, une nouvelle effusion de grâces dépassant toute mesure.
II. — Année de grand pardon.
D’ailleurs aux hommes revenant vers Dieu et se repentant, le pardon est accordé, la miséricorde divine est toujours prête à s’exercer :
Par cette faveur d’amour compatissant et bienveillant qui, de Rome, se répandra sur toute la terre, tout retour à Dieu, à Jésus-Christ, à l’Eglise et aux divins desseins, se scellera dans l’amoureux embrassement du Père des miséricordes qui pardonne toute faute et remet toute peine, à celui qui aime. Jésus Nous a révélé le vrai visage de Dieu en le représentant sous les traits du Père qui accueille, embrasse, pardonne l’Enfant prodigue revenant contrit et confiant à la maison dont il s’était sottement éloigné.
Si le Jubilé est pour les hommes un temps de retour extraordinaire, il sera pour Dieu une occasion de pardon plus large et plus amoureux. Et qui n’a besoin du pardon de Dieu ?
Mais l’homme pécheur doit d’abord se repentir sincèrement :
Si le Seigneur est prompt à pardonner, Il ne dispense pas le pécheur du repentir sincère, ni de la juste expiation. Que l’Année sainte soit donc principalement une année de repentir et d’expiation.
Le repentir et l’expiation intérieurs et volontaires sont l’indispensable présupposé du renouvellement humain, ils signifient l’arrêt dans la descente, expriment la reconnaissance des propres péchés, manifestent le sérieux du bon vouloir. Et l’expiation volontaire acquiert une plus grande valeur quand elle est collective et présentée en union avec le premier Expiateur des fautes humaines, Jésus-Christ Notre-Seigneur.
C’est pourquoi il faut faire durant cette année 1950 des actes de pénitence :
Expiez, Nos chers Fils, en cette Année sainte qui rappelle la grande Expiation du Calvaire, expiez vos fautes et celles des autres, ensevelissez par un repentir sincère tout le passé, persuadés que si la génération présente a été frappée si durement par les châtiments préparés par ses propres mains, c’est parce qu’elle a pu consciemment et impudemment pécher.
A la suite de ces péchés, l’humanité est d’ailleurs durement éprouvée :
Nous voyons défiler devant Nos yeux, comme en une lugubre revue, les visages douloureux des orphelins, des veuves, des mères en attente d’un retour qui peut-être n’arrivera pas, des persécutés pour la justice et pour la religion, des prisonniers, des réfugiés, des exilés forcés, des détenus, des chômeurs, des opprimés, de ceux qui souffrent dans l’esprit et dans la chair, des victimes de toute injustice. Tant et tant de larmes qui arrosent la face de la terre, tant et tant de sang qui l’empourpre tout en étant en soi une expiation et en beaucoup de cas, non pour des fautes personnelles, exigent à leur tour une autre expiation pour que la faute soit détruite et que sourie de nouveau la joie.
Qui voudra se tenir à l’écart de cette expiation dont le chef est le divin Crucifié lui-même et qui embrasse l’Eglise militante entière ?
Les hommes, à l’image de Dieu, doivent eux aussi se montrer miséricordieux et prêts à pardonner :
Avec de si larges promesses de la part de Dieu, peut-être jamais Année sainte ne vint plus opportunément conseiller la douceur, l’indulgence et le pardon d’hommes à hommes.
Quand, en des temps récents, prenant pour motifs une guerre malheureuse ou des fautes politiques, se déchaînèrent des vagues de représailles inconnues jusqu’alors dans l’histoire au moins quant au nombre des victimes, Notre cœur fut envahi d’une douleur amère, non seulement pour le malheur qui multipliait les malheurs et jetait dans le deuil des milliers de familles innocentes, mais parce que Nous y voyions, avec la plus grande affliction, le témoignage tragique que l’esprit chrétien était abandonné.
Qui veut être sincèrement chrétien, doit savoir pardonner. « Serviteur méchant, avertit la Parabole évangélique, ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon de servitude, comme j’ai eu pitié de toi ? ».
La charité et la miséricorde, lorsqu’il se présente de justes motifs, ne s’opposent pas au devoir d’une correcte administration de la justice, mais bien l’imprudente intolérance et l’esprit de représailles, surtout quand la vengeance exercée par le pouvoir public vise une erreur plutôt qu’une faute, ou quand la peine infligée justement se prolonge au-delà de toute limite raisonnable.
Les pouvoirs publics Sont invités à user de clémence envers ceux qui ont subi des condamnations :
Que le Seigneur inspire des desseins de réconciliation et de concorde à tous ceux qui sont revêtus de responsabilités publiques et que, sans préjudice du bien commun, l’on mette fin à ces restes de lois extraordinaires, lesquelles ne concernent pas les délits de droit commun qu’il faut punir, ces lois qui, de longues années après la cessation du conflit armé, suscitent en tant de familles, en tant d’individus des sentiments d’exaspération contre la société dans laquelle ils sont contraints de souffrir.
C’est pourquoi Nous supplions de nouveau les Autorités suprêmes des Etats, spécialement des Etats chrétiens, au nom de Jésus-Christ lui-même qui en donna le premier l’exemple en s’immolant pour ceux qui le tuaient, de bien vouloir exercer généreusement leur droit de grâce en faisant passer dans les faits en l’occasion si solennelle et si propice de l’Année sainte, ce tempérament de la justice punitive qui est prévu par les lois de tout pays civilisé.
La religion et la piété qui, comme Nous l’espérons, inspireront ces actes de bienveillance, loin d’énerver la force des lois ou d’en amoindrir le respect chez les citoyens, seront au contraire une solide raison pour les bénéficiaires, avec le retour à la liberté désirée et avec l’abréviation de la peine, de se relever moralement et, si le cas le comporte, de réparer le passé par un sincère et durable repentir, sous le signe de la foi. Nous-même et, avec Nous, tant de cœurs de parents affligés, demandons ce réconfort parce que la joie des fils est le bonheur du père.
Et dès maintenant nous exprimons Nos publics et fervents remerciements aux Gouvernants qui ont déjà, en des mesures variées, favorablement accueilli Notre vœu ou Nous ont laissé quelques espérances d’en obtenir l’accomplissement [3].
Le Saint-Père invite tous les chrétiens à se rendre, à Rome :
« Mets-toi maintenant en route avec assurance ».
Chers Fils, voici que Nous vous avons ouvert Notre cœur à la veille de l’ouverture de la Porte sainte. Veuillez y lire Nos intentions, Nos espérances, Nos vœux. Recueillez Notre invitation à la maison paternelle de près ou de loin, de toutes régions et continents, de toutes les frontières et par toutes les routes, traversant les océans et fendant les cieux. Venez à cette Rome qui vous ouvre ses bras toujours maternels.
« Mets-toi maintenant en route avec assurance » pèlerin venu du couchant, qui désires vénérer le haut lieu de Pierre.
Vous qui déjà pendant de longues années avez laissé le foyer domestique et vous êtes endurcis aux rigueurs des longs voyages avec les armées en guerre, avec les foules des émigrés, des réfugiés, reprenez la route, mais cette fois dans la joie, comme des légions pacifiques d’orants et de pénitents vers la Patrie commune des chrétiens. Puisque sans privilège de races ou de castes, Rome est la Patrie de tous, tout chrétien peut et doit dire : « Rome est ma Patrie » !
Ici se manifeste plus particulièrement la surnaturelle Providence de Dieu pour les âmes. Ici les saints ont puisé les règles et les inspirations de leur héroïsme. Cette terre bénie a connu les triomphes des premiers martyrs ; ce fut le lieu d’épreuves d’invincibles confesseurs. Ici est la pierre inébranlable où vous ancrerez vos désirs, le lieu et l’antique « tropaeum » du sépulcre glorieux du Prince des Apôtres qui soutient la chaire vivante du Vicaire du Christ.
Dans la splendeur des Basiliques, dans la beauté des liturgies solennelles, dans la pénombre des antiques cimetières chrétiens près des insignes reliques des saints, vous respirerez une atmosphère de sainteté, de paix et d’universalité, qui procurera à votre vie un profond renouvellement chrétien.
Le peuple de Rome est appelé à témoigner entiers tous la plus grande charité :
Et vous, chers Fils de Rome, plus voisins de Nous et lié à Nous par un ministère pastoral plus immédiat, qui plus d’une fois dans ces dix années passées Nous avez donné d’indubitables preuves d’attachement filial, vous ne le céderez à personne, pour vous élever par vos résolutions et votre conduite, jusqu’aux fins les plus hautes de l’Année sainte. Il vous convient de montrer une charité particulière, pour accueillir vos frères venus de loin, une manière de vivre exemplaire et une fervente pratique des devoirs religieux.
Le Pape termine en accordant à tous les hommes de bonne Volonté sa Bénédiction :
Que le Dieu tout-puissant et miséricordieux accueille ces vœux que Nous formons et, sur vous qui Nous écoutez, sur tous les hommes de bonne volonté, sur ceux dont Nous attendons le retour, que descendent comme gage des plus larges miséricordes du Ciel Notre Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1949, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien des A. A. S., t. XXXXI, 1949, p. 625.
- On sait que les cérémonies de l’Année Sainte débutent par l’ouverture de la porte sainte des quatre grandes basiliques romaines.[↩]
- On trouvera ces buts définis dans la Bulle Jubilaeum maximum du 26 mai 1949[↩]
- Dès le mois de décembre 1949, les gouvernements du Brésil, d’Espagne, d’Irlande, d’Italie, de la Saar avaient pris des dispositions pour amnistier un certain nombre de condamnés.[↩]