« Si j’avais un tel nez, il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand
Editorial
« Si j’avais un tel nez, il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
par le docteur Philippe de Geofroy
Les petites causes peuvent produire de grands effets. S’il est des nez en trompette que l’on ne remarque pas, la taille de celui de Cléopâtre aurait, selon Pascal, influencé l’histoire du monde. Élément central du visage, particulièrement remarquable de profil, il a longtemps été considéré comme un indicateur de statut, de beauté ou de noblesse. La symbolique a associé le nez droit à l’héroïcité et à la perfection morale ; le nez crochu était moins porteur. Cet appendice, surnommé par certains l’idiot du visage, a également été enrôlé pour le comique ou le tragi-comique. Chez Pinocchio, il est un reflet direct de la conscience. Chez Cyrano, il symbolise la bravoure, la virilité mais également la vulnérabilité et l’autodérision. Lors d’une mission médicale aux Philippines, certains habitants riaient beaucoup en voyant mon épouse. Elle a fini par comprendre qu’ils étaient fascinés par son « long nez ». Depuis longtemps mené par elle par le bout du mien, je ne l’avais pas vue sous cet angle ! Le nez ne laisse donc personne indifférent. Il en dit tellement long sur son propriétaire qu’il est tentant pour ce dernier d’en modifier l’apparence. Il fut donc condamné à rencontrer le chirurgien.
La chirurgie est une discipline médicale à part dans le traitement des maladies. Elle présente la particularité d’une pratique manuelle, à l’aide d’instruments divers, sur un corps vivant. C’est là l’origine d’une opposition que j’ai toujours connue au long de ma carrière entre la « caste » des médecins et celle des chirurgiens. Les premiers reprochent aux seconds d’être de simples travailleurs manuels imperméables à toute réflexion. Il s’agit toujours du complexe de supériorité de l’intellectuel ou de celui qui croit l’être. L’attaque, fruit d’une rivalité séculaire, est un peu caricaturale. Les études sont longues et, si une grande partie de l’activité d’un chirurgien se fait avec les mains dans un bloc opératoire, la réflexion est loin d’être absente de son activité. L’homme le plus habile du monde, s’il pratique une intervention qui n’est pas adaptée au cas à prendre en charge, obtiendra des résultats catastrophiques. Là, plus qu’ailleurs, il est indispensable de réfléchir avant d’agir. En cela c’est un métier assez complet dont le savoir n’est pas uniquement livresque et s’acquiert au cours d’un compagnonnage prolongé. Un solide bon sens, du sang-froid et une capacité d’adaptation importante sont des qualités nécessaires et même indispensables pour être chirurgien. L’activité chirurgicale concentre son activité sur les traumatismes, les tumeurs, les infections et parfois les malformations.
L’histoire de la chirurgie débute avec l’histoire de l’humanité. On retrouve, dès l’époque préhistorique, des séquelles de chirurgie à type d’amputation ou de craniotomie[1] sur des ossements très anciens. On y trouve également des traces de techniques de stabilisation de fractures complexes. Durant l’Antiquité, l’acte chirurgical est parfois pratiqué. Citons l’exécution d’un acte délicat : la chirurgie de la cataracte[2] en Inde au Ve siècle avant J.-C. Toujours en Inde, mais au 1er siècle avant J.-C., on pratique des reconstructions, après amputation de la pyramide nasale, par un lambeau frontal, encore utilisé aujourd’hui, très bel exemple de chirurgie plastique. Au Moyen Âge la médecine est pratiquée par des érudits alors que les actes instrumentaux sont réservés aux barbiers-chirurgiens pour la raison qu’ils manient mieux la lame que le latin. De cette époque nous vient probablement le mépris évoqué plus haut du médecin envers le chirurgien, même s’il rentre aujourd’hui un peu dans le cadre d’un jeu de rôle. La première véritable école de chirurgie débute en 1220 avec la création de la faculté de médecine de Montpellier. De véritables progrès apparaissent à la Renaissance, suscités, comme souvent, par la chirurgie de guerre. Ambroise Paré écrit un traité à propos des plaies par arquebuses et surtout, remplace la coagulation vasculaire jusque là faite par la chaleur et donc responsable d’hémorragie à la chute d’escarre, par la ligature avec du crin de cheval. On a fait mieux depuis mais le principe était novateur. Il sera ensuite reçu dans la Confrérie chirurgicale de Saint-Côme, malgré sa mauvaise connaissance du latin, très probablement grâce à l’appui du roi. En 1686, le succès de l’intervention sur la fistule anale de Louis XIV par Charles-François Félix redonne ses lettres de noblesse à la chirurgie. La médecine militaire, nous l’avons vu dans le Cahier numéro 151, participe également de façon importante au développement de la pratique chirurgicale. C’est cependant à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle qu’apparaît une amélioration importante et continue des techniques. En effet, pas de chirurgie réglée possible sans une connaissance précise de l’anatomie, de la physiologie et en particulier de la circulation, de la coagulation, de l’analgésie et de l’asepsie. Le développement des antibiotiques complétera efficacement ce panel. Tous ces progrès vont permettre une facilitation du geste en diminuant de façon importante le risque de complications et de décès. Précédemment on ne pratiquait de chirurgie que pour sauver des vies et on en acceptait donc plus facilement le risque vital. Les nouvelles techniques ayant diminué ce risque, on se prend à oser pratiquer la chirurgie dans des indications que l’on pourrait appeler de confort ; la vie du patient n’est plus en jeu. C’est donc logiquement à partir de ce moment que va apparaître le développement de la chirurgie plastique et esthétique. Si le risque de finir au cimetière s’éloigne, n’est-il pas tentant d’essayer d’améliorer « ce nez qui, des traits de son maître, a détruit l’harmonie », de retendre ces chairs un peu flasques, de « réparer des ans l’irréparable outrage » ?
La chirurgie plastique vise à réparer des défauts consécutifs à des pathologies ou à des malformations. Même s’il existe des textes très anciens qui décrivent ce type d’actes, ils touchent essentiellement les parties molles et on n’en trouve pas de trace sur les restes humains sauf éventuellement les momies. En dehors de quelques histoires ponctuelles liées à des personnalités particulières, cette chirurgie prendra véritablement son essor à la fin du XIXe siècle. Citons, entre autres, Gillies qui naît en 1882 en Nouvelle-Zélande et dont les fameux « crochets » sont toujours utilisés aujourd’hui par les plasticiens. Le premier écrit sur la rhinoplastie esthétique date de 1928. La Grande Guerre et son lot de « gueules cassées[3] » sera un immense champ de développement de nouvelles techniques chirurgicales. Il ne s’agit pas là d’assouvir des demandes esthétiques justifiées ou non, mais de réparer d’énormes pertes de substance au niveau de la face. Si les photos des résultats peuvent paraître parfois médiocres, la connaissance de l’état original des patients permet de mesurer l’immensité du service qui leur a été rendu. Ils peuvent enlever le pansement permanent qui servait à cacher l’étendue des dégâts. La chirurgie esthétique est une branche de la chirurgie plastique qui s’occupe plus particulièrement d’embellissement d’un patient sans pathologie préalable. Elle peut dans certains cas s’attaquer à de véritables disgrâces dont le caractère pathologique et le retentissement psychique éventuel sont tout à fait admissibles. Dans d’autres cas, nous sommes plutôt dans le cadre des nouvelles finalités non thérapeutiques de la médecine, ne s’attaquant pas à une maladie réelle mais visant plutôt à l’amélioration d’un homme considéré comme incomplet et perfectible ; nous nous approchons là du transhumanisme. Ces nuances importantes seront développées dans ce numéro.
Au début du mois de mars 2024 s’est déroulée la 17e mission Rosa Mystica. Comme l’année dernière, une quarantaine de volontaires de 11 nationalités ont sillonné les montagnes d’Alabel dans des camions-bennes (5h30 de voyage aller-retour le premier jour pour une cinquantaine de kilomètres), afin d’apporter des soins médicaux de base et les secours de la religion catholique à plus de 2000 personnes pendant six jours. Dans les villages où nous avions l’électricité (pour la stérilisation et le bistouri électrique), je m’occupais de la petite chirurgie cutanée et sous-cutanée sous anesthésie locale ; elle n’était ni plastique, ni esthétique mais très basique, nous ne faisons pas de la médecine de luxe ! Comme au Moyen Âge, les seuls soins dentaires possibles étaient des extractions dont 437 patients ont pu bénéficier ! L’ACIM a pu aussi prendre en charge financièrement des malades comme ce jeune garçon présentant une fracture, qui avait précédemment quitté l’hôpital sans traitement faute de moyens financiers. Tous les matins, lever à cinq heures afin de permettre à la vaillante troupe de pouvoir débuter les soins vers 8h30. Après un rapide et frugal déjeuner nous arrêtions les soins vers 16 heures pour avoir le temps de remballer tout le matériel et d’être à l’heure pour la messe du soir. Les deux prêtres américains, l’abbé Pfeiffer résidant aux Philippines et l’abbé Duncan résidant au Sri Lanka, n’ont pas chômé entre les cours de catéchisme, la distribution des sacramentaux et des sacrements. Depuis 2007, année de la première mission, grâce à vos prières et grâce à votre générosité nous avons pu, sauf en 2021 à cause du COVID, organiser cette mission annuelle dont on peut dire qu’elle fête aujourd’hui son 20e anniversaire. Elle avait en effet été conçue dès 2004 sous l’impulsion du docteur Jean-Pierre Dickès, venu faire une tournée de conférences de bioéthique en Asie, et de l’abbé Couture qui était alors supérieur du district d’Asie de la Fraternité Saint Pie X. Le docteur Dickès a pu en assurer l’organisation et la direction de 2007 à 2017. Cet assemblage hétéroclite de volontaires de nationalités, de milieux et d’âges très différents fonctionne parfaitement, témoignant de la protection permanente dont bénéficie la mission Rosa Mystica depuis sa fondation par sa très Sainte Patronne. Nous pensons déjà aux dates de l’année prochaine. Chers bienfaiteurs, continuez à prier pour nous, à nous aider et le Ciel nous aidera.
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Les Cahiers Saint Raphaël, publication de l’ACIM (Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé) depuis une quarantaine d’années, est une revue originale, qui répond aux questions que posent les grands problèmes contemporains d’éthique médicale. Sont également abordés des thèmes médicaux et de société.
La revue s’adresse aux professionnels de santé mais aussi à chacun d’entre nous qui vivons ces problèmes au quotidien.
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- Trépanation de la boîte crânienne probablement pour traitement d’hématome extradural ou traumatisme. La cicatrisation osseuse montre que le patient a survécu au geste.[↩]
- Traitement chirurgical de l’opacification du cristallin en basculant ce dernier dans le vitré (actuellement on enlève le cristallin et on le remplace par un implant).[↩]
- 15 000 combattants seront gravement touchés au visage.[↩]