Cahiers Saint-​Raphaël n°152 Les soins palliatifs

Détail du retable des sept sacrements par van der Weyden, 1445. Crédit photo : Artsdot.com

« Guérir par­fois, sou­la­ger sou­vent, conso­ler toujours. »

Editorial

Par le doc­teur Philippe de Geofroy

Guérir par­fois,

sou­la­ger sou­vent, conso­ler tou­jours… Cette phrase célèbre est attri­buée tan­tôt à Louis Pasteur, tan­tôt à Ambroise Paré, tan­tôt à Hippocrate. Elle montre bien que le soin pal­lia­tif n’est pas une inven­tion moderne. L’obtention de la gué­ri­son semble même être un objec­tif excep­tion­nel. L’histoire du soin pal­lia­tif com­mence avec l’his­toire de la méde­cine. N’oublions pas que la mor­ta­li­té est de 100% dans l’espèce humaine. Le soin médi­cal peut tout au plus pro­lon­ger la vie ou amé­lio­rer sa qua­li­té. Les soins que l’on appelle aujourd’­hui pal­lia­tifs n’ont pas comme voca­tion pre­mière la gué­ri­son d’une patho­lo­gie grave ris­quant d’emporter le malade. Quand la mala­die est incu­rable, ils ont pour objet de sou­la­ger mais sans agir sur la cause de ce mal. C’est fré­quent en méde­cine ; stric­to sen­su le para­cé­ta­mol est un soin pal­lia­tif. L’origine du mot pal­lia­tif ren­voie au man­teau (pal­lium) pour dire qu’on recouvre un mal sans le faire dis­pa­raître. En quelque sorte, on met la pous­sière sous le tapis. En France, la for­ma­li­sa­tion de ce type de soin date de 1987 avec la pre­mière ouver­ture d’une uni­té de soins pal­lia­tifs par le doc­teur Maurice Abiven[1]. Leur émer­gence fait suite à une réflexion médi­cale essayant de trou­ver un juste milieu entre, d’une part, la médi­ca­li­sa­tion à outrance de la fin de vie ou obs­ti­na­tion dérai­son­nable témoi­gnant d’un refus de l’échec médi­cal et, d’autre part, l’euthanasie hypo­crite qui se pra­tique depuis long­temps par le biais du tris­te­ment célèbre « cock­tait lytique ». Aujourd’hui, d’après la Société fran­çaise d’ac­com­pa­gne­ment et de soins pal­lia­tifs (SFAP), l’objectif recher­ché est de « sou­la­ger les dou­leurs phy­siques et les autres symp­tômes, mais aus­si de prendre en compte la souf­france psy­chique, sociale et spi­ri­tuelle ». Bien enten­du cela doit se faire dans le res­pect de cer­taines règles morales déve­lop­pées dans ce numé­ro des Cahiers, notam­ment par l’u­ti­li­sa­tion pro­por­tion­née de la séda­tion. La pra­tique de la loi Léonetti 2, reven­di­quée par la SFAP, risque d’entraîner des débor­de­ments si la séda­tion pro­fonde jus­qu’au décès est uti­li­sée sans discernement.

Aujourd’hui, après l’opposition achar­ne­ment thé­ra­peu­tique contre eutha­na­sie qui a accou­ché de la for­ma­li­sa­tion des soins pal­lia­tifs, la culture de mort revient à la charge en pro­po­sant de façon très per­verse une loi trai­tant à la fois des soins pal­lia­tifs et du sui­cide assis­té, ou de l’aide active à mou­rir, ver­sion adou­cie – dans le mot mais pas dans la chose – de l’euthanasie. Les deux mesures étant liées dans le pro­jet de loi, si on veut la pre­mière il fau­drait accep­ter la deuxième. Il y a une grande malice à vou­loir asso­cier dans le même texte de loi ces deux pra­tiques que tout oppose. Claire Fourcade, pré­si­dente de la SFAP le dit clai­re­ment et crû­ment : « Donner la mort n’est pas un soin ». Donner la mort, c’est sur­tout arrê­ter de prendre soin. Elle dénonce éga­le­ment la rup­ture du pacte de confiance soignant-​soigné. Peut-​on conti­nuer à regar­der de la même façon le pro­fes­sion­nel de san­té qui s’oc­cupe de nous si l’on sait que demain il peut deve­nir notre bour­reau[2]. Il faut savoir éga­le­ment que la plu­part des patients qui rentrent dans un ser­vice de soins pal­lia­tifs avec une demande d’eu­tha­na­sie aban­donnent cette der­nière dès lors qu’ils peuvent béné­fi­cier d’une prise en charge de qua­li­té. Pour ces rai­sons, la très grande majo­ri­té des pro­fes­sion­nels de san­té refuse aujourd’hui d’être impli­quée à titre per­son­nel dans le méca­nisme de l’eu­tha­na­sie. Il est très impor­tant d’ob­te­nir que le monde de la san­té soit tenu à l’é­cart de cette pra­tique plu­tôt que d’accepter une clause de conscience qui tien­dra jus­qu’à ce que le fait de se don­ner la mort soit recon­nu comme un droit fon­da­men­tal ou consti­tu­tion­nel au nom de la sacro-​sainte liber­té de choix. Et c’est là l’ob­jec­tif par­fai­te­ment avoué de l’Association pour le droit de mou­rir dans la digni­té (ADMD), asso­cia­tion qui milite en France, depuis long­temps, pour l’euthanasie et dont le pré­sident actuel Jonathan Denis a décla­ré : « Dès lors que le prin­cipe même de l’aide active aura été voté, le front des anti-​choix aura été bri­sé et nous pour­rons enfin avan­cer rapi­de­ment et faire évo­luer la loi vers ce que nous sou­hai­tons tous : une loi du libre choix ». À moyen terme la résis­tance du per­son­nel soi­gnant risque de s’é­mous­ser. Cela sera plus simple et deman­de­ra moins d’im­pli­ca­tion per­son­nelle de mettre en route une pro­cé­dure d’eu­tha­na­sie que d’as­sis­ter le mou­rant jus­qu’à la fin. Lorsque la pente est glis­sante, ce sont tou­jours les lois de la pesan­teur qui s’ap­pliquent. Tout cela nous indique à coup sûr que si l’on trans­gresse l’in­ter­dit de tuer, même de façon mini­ma­liste, toutes les dérives reven­di­quées sans com­plexe par les tenants de la culture de mort ne man­que­ront pas d’ar­ri­ver. On peut le consta­ter en Belgique et au Canada qui ont léga­li­sé l’eu­tha­na­sie depuis long­temps. On l’a vu pour la loi Veil.

Il n’est donc pas pos­sible de mettre dans le même panier l’é­li­mi­na­tion du patient et le déve­lop­pe­ment de vrais soins pal­lia­tifs pre­nant en compte les souf­frances cor­po­relles, psy­cho­lo­giques et spi­ri­tuelles du patient. Comment faire confiance à un gou­ver­ne­ment ultra­li­bé­ral et amo­ral qui nous pré­sente ce « pack eutha­na­sie – soins pal­lia­tifs » quand on sait que le pre­mier est un fac­teur d’é­co­no­mie[3] et le second un fac­teur d’aug­men­ta­tion des dépenses. On peut ima­gi­ner la pres­sion psy­cho­lo­gique qui pèse­ra sur les patients en fin de vie qui ne pour­ront pas s’empêcher de pen­ser, sur­tout si on le leur sug­gère : « J’embête tout le monde, je ne sers à rien, je coûte très cher à la socié­té… ». Ceux qui seraient ten­tés de prendre le pack com­plet pour avoir l’amélioration des soins pal­lia­tifs risquent, au bout du compte, de n’a­voir que l’eu­tha­na­sie. Et les soins pal­lia­tifs exis­tant déjà, y a‑t-​il vrai­ment besoin d’une loi pour aug­men­ter le nombre de ser­vices en capa­ci­té de les pro­di­guer ? Il s’a­git plu­tôt d’un pré­texte du cynisme macro­nien pour faire pas­ser la pilule de mort. La seule solu­tion viable est, si l’on peut dire, le res­pect abso­lu du « Tu ne tue­ras pas » ins­crit dans la conscience humaine. Non à l’eu­tha­na­sie et oui à de vrais soins pal­lia­tifs dans le res­pect de la morale catholique !

Toutes ces rai­sons natu­relles de s’op­po­ser à l’eu­tha­na­sie, les lec­teurs des Cahiers Saint-​Raphaël les connaissent déjà. Malheureusement vous et moi, les parois­siens ordi­naires du bout du banc, avons peu de poids face au gou­ver­ne­ment et aux lob­bys « tha­nac­ti­vistes » qui intro­duisent ou aggravent les lois les plus immo­rales les unes après les autres. Pouvons-​nous cepen­dant faire quelque chose ? Je crois que oui. Nous pou­vons, à notre niveau, si notre devoir d’é­tat nous en laisse le temps, appor­ter notre petite pierre à l’é­di­fice des soins pal­lia­tifs. Peut-​être pas pour les soins du corps, pour ceux d’entre nous qui ne sont pas pro­fes­sion­nels de san­té, mais cer­tai­ne­ment pour les soins d’ordre psy­cho­lo­gique et spi­ri­tuel. N’oublions pas qu’au delà des soins du corps, il y a l’éternité qui nous attend et nous pou­vons essayer d’aider le mou­rant à affron­ter la mort car « les souf­frances du temps pré­sent sont sans pro­por­tion avec la gloire à venir qui sera mani­fes­tée en nous »[4]. La visite des malades et des vieillards, sou­vent iso­lés en mai­son de retraite, est une œuvre de misé­ri­corde cor­po­relle qui ne demande pas des qua­li­tés phy­siques ou intel­lec­tuelles hors du com­mun. Il faut juste pas­ser par-​dessus une appré­hen­sion natu­relle mais avec un sou­rire, de la gen­tillesse et la grâce de Dieu cela ne peut que bien se pas­ser. La soli­tude de la fin de vie est une lourde épreuve qui peut être adou­cie par l’é­coute, de petites atten­tions et dis­trac­tions qui aide­ront d’abord à ne pas céder au déses­poir mais aus­si à l’acceptation et l’offrande des souf­frances. Les grands dis­cours ne sont pas utiles. Il fau­dra juste savoir pro­po­ser une aide spi­ri­tuelle au moment oppor­tun : prier avec le malade et sug­gé­rer la visite du prêtre avant que la séda­tion ne lui fasse perdre conscience, Pie XII le rap­pelle bien[5]. Il faut éga­le­ment l’encourager à régler ses affaires tem­po­relles[6]. Le méde­cin et le visi­teur de malade chré­tiens peuvent beau­coup pour aider à faire une bonne mort. Le témoi­gnage lu récem­ment d’une femme méde­cin atteinte d’un can­cer incu­rable dont elle connais­sait le pro­nos­tic et qu’elle a trai­né pen­dant quatre ans est éclai­rant. Affirmant la pro­gres­sion spi­ri­tuelle que ce temps lui a per­mis, elle écrit : « N’était-ce pas beau à vivre tout cela ? » « Plutôt qu’une aide active à mou­rir, donnez-​nous une aide active à vivre ». Et cette fin de vie condi­tionne notre éter­ni­té comme le sug­gère ce dic­ton popu­laire qui dit qu’on meurt comme on a vécu.

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Les Cahiers Saint Raphaël, publi­ca­tion de l’ACIM (Association catho­lique des infir­mières, méde­cins et pro­fes­sion­nels de san­té) depuis une qua­ran­taine d’années, est une revue ori­gi­nale, qui répond aux ques­tions que posent les grands pro­blèmes contem­po­rains d’éthique médi­cale. Sont éga­le­ment abor­dés des thèmes médi­caux et de société.

La revue s’adresse aux pro­fes­sion­nels de san­té mais aus­si à cha­cun d’entre nous qui vivons ces pro­blèmes au quotidien.

Vous pen­sez que ces ques­tions (avor­te­ment, contra­cep­tion, clo­nage, mani­pu­la­tions géné­tiques, eutha­na­sie etc…) sont fon­da­men­tales pour l’avenir de notre société ?

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Notes de bas de page
  1. Le Docteur Maurice Abiven était par ailleurs un catho­lique libé­ral jugeant les posi­tions de l’Église trop res­tric­tive en matière de contra­cep­tion et de pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée.[]
  2. « La main qui soigne ne peut pas être celle qui tue » dit éga­le­ment Claire Fourcade.[]
  3. Ce type de cal­cul a été réa­li­sé au Canada en 2017.[]
  4. Saint Paul Rm 8,18[]
  5. « Mais si le mou­rant a rem­pli tous ses devoirs et reçu les der­niers sacre­ments, si des indi­ca­tions médi­cales nettes sug­gèrent l’anes­thé­sie, si l’on ne dépasse pas dans la fixa­tion des doses la quan­ti­té per­mise, si l’on a mesu­ré soi­gneu­se­ment l’in­ten­si­té et la durée de celle-​ci et que le patient y consent, rien alors ne s’y oppose : l’anes­thé­sie est mora­le­ment per­mise ». Discours du pape Pie XII en réponse à trois ques­tions reli­gieuses et morales concer­nant l’analgésie. Salle Royale – Dimanche 24 février 1957.[]
  6. Affaires de suc­ces­sion, récon­ci­lia­tion fami­liale…[]