Le conseil génétique, un eugénisme bienveillant ? – Cahiers Saint-​Raphaël n°157

Crédit : PublicDomainPictures / Pixabay

« La qua­li­té d’une civi­li­sa­tion se mesure au res­pect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres. » 

Pr. Jérôme Lejeune

Editorial

Pour un conseil génétique éthique

par le doc­teur Philippe de Geofroy

Qui dit conseil géné­tique dit d’abord conseil, tout le monde croit com­prendre le mot, puis, géné­tique. Qu’est-ce à dire ? Ce der­nier terme mérite une brève expli­ca­tion : il embrasse tout ce qui est rela­tif aux gènes et à l’hérédité. Dans la pra­tique, il s’agit donc de conseiller ceux qui sont atteints d’une mala­die géné­tique ou sim­ple­ment sus­pects de l’être ou de pou­voir la trans­mettre. Ces conseils com­portent d’abord une éva­lua­tion objec­tive du risque de trans­mettre la mala­die ; jusque-​là, rien à redire. Mais ils peuvent éga­le­ment por­ter sur le ou les moyens d’éviter cette trans­mis­sion, et ces moyens sont à exa­mi­ner de près. Le pre­mier conseil géné­tique date­rait de la fin du XIXe siècle lorsqu’un méde­cin aurait dis­cu­té avec un patient du risque de déve­lop­per un can­cer compte tenu de son his­toire fami­liale. Mais le terme aurait été offi­cia­li­sé en 1947 par le géné­ti­cien amé­ri­cain Sheldon Reed. Il est inté­res­sant de noter, qu’à l’époque, il décrit ce nou­veau champ de la géné­tique comme un « tra­vail social sans conno­ta­tion eugé­nique ». Au sor­tir de la deuxième guerre mon­diale, la ques­tion de l’eugénisme était encore très pré­sente et ce scien­ti­fique avait déjà l’intuition du mau­vais usage qui pou­vait être fait de cette science nou­velle, comme le pro­fes­seur Jérôme Lejeune l’eut éga­le­ment plus tard de sa décou­verte du chro­mo­some sup­plé­men­taire de la tri­so­mie 21. Sheldon Reed avait réel­le­ment le désir d’aider les familles à com­prendre la mala­die et ses consé­quences. Pour lui ce gene­tic coun­sel­ling cor­res­pon­dait à l’idée de mettre un nom sur l’accompagnement médi­cal et psy­cho­lo­gique qu’il dési­rait pro­cu­rer aux por­teurs de mala­dies géné­tiques et à leur entou­rage. L’anglais coun­sel­ling exprime d’ailleurs mieux que sa tra­duc­tion fran­çaise l’i­dée d’aide, de sou­tien et d’assistance. Plus tard, en 1993, Harper allonge la pre­mière défi­ni­tion : « Procédure par laquelle des patients ou des appa­ren­tés qui pour­raient être por­teurs d’anomalies héré­di­taires sont mis au cou­rant des consé­quences de ces ano­ma­lies, des risques de les déve­lop­per et de les trans­mettre, ain­si que de la façon dont elles pour­raient être pré­ve­nues, évi­tées ou amé­lio­rées. » C’est donc là qu’on se rap­proche du risque eugé­nique qui avait été volon­tai­re­ment évi­té aupa­ra­vant. En 1995, un comi­té de bioé­thique, sous l’égide de l’Unesco, insiste éga­le­ment sur les choix consé­cu­tifs au diag­nos­tic. Certains de ces choix ne posent pas de pro­blème sur le plan moral. Par exemple, la mise en place d’un dépis­tage régu­lier chez une femme pré­sen­tant une pré­dis­po­si­tion impor­tante au can­cer du sein per­met­tra d’améliorer le pro­nos­tic de sa mala­die. La recherche de patients appa­ren­tés por­teurs de ce risque sera éga­le­ment béné­fique. Bien évi­dem­ment il n’en est pas de même lorsque le diag­nos­tic est soit pré­na­tal (inva­sif par amnio­cen­tèse ou bien­tôt non inva­sif par simple prise de sang chez la maman), en cas de mala­die géné­tique connue ou en cas de signes d’appel écho­gra­phiques, soit pré­im­plan­ta­toire dans le cadre d’une fécon­da­tion in vitro, avec toutes les consé­quences que vous pou­vez ima­gi­ner. L’article L2213‑1 du code de la san­té publique défi­nit les condi­tions larges dans les­quelles peut être pro­po­sée une inter­rup­tion médi­cale de gros­sesse qui, rappelons-​le, en cas de mal­for­ma­tion ou de patho­lo­gie grave et incu­rable, peut se dérou­ler jusqu’à la veille de l’accouchement après une « infor­ma­tion, claire, loyale et appro­priée » et le res­pect de « l’autonomie décisionnelle ».

La dic­ta­ture de la volon­té indi­vi­duelle et l’autonomie de la conscience, qui sont lar­ge­ment prô­nées dans les articles récents trai­tant du conseil géné­tique, ont accou­ché d’une « baguette magique » qui per­met de trans­for­mer un amas de cel­lules en être humain et vice et ver­sa : le pro­jet paren­tal ! Grâce à cette trou­vaille on peut, par le biais de la tech­no­lo­gie, se faire ser­vir sur un pla­teau l’enfant rêvé que la nature ne vou­lait pas don­ner. Il per­met éga­le­ment de sup­pri­mer ou d’éviter de conce­voir l’être humain qui ne coche pas toutes les cases de l’« enfant dési­ré ». Il coche par la même occa­sion, en l’ignorant volon­tai­re­ment ou non, la case de l’eugénisme, doc­trine visant à amé­lio­rer les carac­té­ris­tiques géné­tiques d’une popu­la­tion humaine par éli­mi­na­tion des por­teurs de gènes défec­tueux et non par intro­duc­tion de gènes plus per­for­mants. Ce fameux pro­jet paren­tal qui sub­jec­ti­vise com­plè­te­ment la notion d’être humain est tota­le­ment incom­pa­tible avec le res­pect de la vie depuis son com­men­ce­ment jusqu’à sa fin natu­relle. C’est lui qui admi­nistre la « digni­té humaine » au détri­ment de la digni­té onto­lo­gique, un peu comme on s’administre aujourd’hui un genre sans tenir compte du sexe bio­lo­gique, en fonc­tion de simples dési­rs. Grâce à lui, la mani­pu­la­tion et l’expérimentation sur l’embryon ou éven­tuel­le­ment son éli­mi­na­tion en fonc­tion des besoins peuvent se faire sans ver­gogne. Il a per­mis de rem­pla­cer l’impératif éthique de res­pect de la vie humaine par celui, beau­coup moins éthique, du confort de vie réel ou sup­po­sé de l’enfant à naître et de ses parents, pour abou­tir à une injonc­tion d’avortement comme il y aura sans doute dans quelques années, une injonc­tion d’euthanasie. Et si les cri­tères éco­no­miques ne sont pas expli­ci­te­ment avan­cés, ils sont bien réels. Le désir indi­vi­duel conver­ti en droit, c’est « la loi du plus fort » et cette loi est injuste ; c’est une régres­sion de la civi­li­sa­tion. « La qua­li­té d’une civi­li­sa­tion se mesure au res­pect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres » écri­vait le pro­fes­seur Jérôme Lejeune.

Vous voyez donc com­ment une science n’est plus au ser­vice de l’homme lorsque ses choix moraux ne reposent que sur des cri­tères sub­jec­tifs et non sur le res­pect de la loi natu­relle. La meilleure des inten­tions, du type de celles dont l’enfer est pavé, ne rat­tra­pe­ra pas une action immo­rale. Beaucoup des solu­tions pro­po­sées aujourd’hui à la suite du résul­tat d’un conseil géné­tique peuvent abou­tir à une dis­so­cia­tion entre l’acte conju­gal et la pro­créa­tion ou à l’élimination d’êtres humains, du stade embryon­naire jusqu’à la date de l’accouchement. Nous avons déve­lop­pé ces ques­tions dans un numé­ro récent des Cahiers sur les méthodes natu­relles de régu­la­tion des nais­sances. Examinons briè­ve­ment les dif­fé­rentes tech­niques pro­po­sées comme moyen diag­nos­tique ou consé­quence « thé­ra­peu­tique » d’un conseil géné­tique. Citons d’abord l’amniocentèse ou la biop­sie du tro­pho­blaste qui vont per­mettre un diag­nos­tic pré­coce de cer­taines mala­dies géné­tiques. Ces tech­niques pour­raient être jus­ti­fiées, mal­gré le petit risque qu’elles font cou­rir à l’embryon, si elles étaient orien­tées vers un trai­te­ment. Mais mal­heu­reu­se­ment elles vont abou­tir le plus sou­vent à l’élimination du malade par inter­rup­tion dite médi­cale de gros­sesse. On s’oriente actuel­le­ment, grâce à l’évolution de la tech­nique, vers un diag­nos­tic pré­na­tal non inva­sif par simple prise de sang mater­nel. D’une façon géné­rale, les tests de dépis­tage pré­na­tal sans rai­son médi­cale sérieuse sont à évi­ter en rai­son d’un risque inévi­table de dérive vers l’eugénisme. Autre tech­nique, faus­se­ment appe­lée thé­ra­peu­tique car elle repose encore ici sur l’élimination du malade, c’est la fécon­da­tion in vitro avec sélec­tion des embryons sains en fonc­tion de leur sta­tut géné­tique par diag­nos­tic pré­im­plan­ta­toire. Ici encore, dis­so­cia­tion entre pro­créa­tion et acte conju­gal, éli­mi­na­tion d’embryons qui sont, rappelons-​le, des êtres humains au début de leur déve­lop­pe­ment et, pour finir, eugé­nisme ! La même cri­tique peut être faite aux tech­niques repo­sant sur le don d’ovocytes ou de sper­ma­to­zoïdes. De sur­croît, elles ajoutent une rup­ture de la filia­tion bio­lo­gique réa­li­sant une forme d’adultère. La contra­cep­tion et la sté­ri­li­sa­tion volon­taire peuvent éga­le­ment faire par­tie des « conseils », elles sont éga­le­ment condam­nées par la morale pour les mêmes raisons.

Mais alors que reste-​t-​il pour ceux qui sont res­pec­tueux de la vie et des lois du mariage ? Bien enten­du la par­tie éva­lua­tion et conseil est non seule­ment licite mais recom­man­dée car elle per­met de connaître la gra­vi­té de la mala­die trans­mise et d’évaluer serei­ne­ment les risques d’avoir un enfant malade et de trans­mettre le gène défec­tueux à sa des­cen­dance. Elle per­met éga­le­ment d’alerter d’autres membres de la famille sur les pro­ba­bi­li­tés qu’ils ont d’être tou­chés. Une fois le risque connu, vous connais­sez main­te­nant la malice morale de beau­coup des solu­tions pro­po­sées par la méde­cine actuelle. Il reste la pos­si­bi­li­té, si la cause est pro­por­tion­née (à éva­luer en conscience par le couple et avec l’aide d’un conseiller spi­ri­tuel), d’éviter les nais­sances par les méthodes repo­sant sur la conti­nence. L’adoption peut tout à fait être envi­sa­gée. Tout cela est fort bien expli­qué dans le dis­cours du pape Pie XII du 12 sep­tembre 1958 au sep­tième congrès de la socié­té inter­na­tio­nale d’hématologie. Ce dis­cours part d’une mala­die héré­di­taire, la tha­las­sé­mie ou mal médi­ter­ra­néen, pour envi­sa­ger plus lar­ge­ment la ques­tion du conseil géné­tique. La recherche donne actuel­le­ment des espoirs concer­nant des tech­niques de modi­fi­ca­tion des gènes ou de leur expres­sion pour cer­taines pathologies.

Lors de ma pre­mière mis­sion aux Philippines en 2017 cer­tains jeunes volon­taires avaient été très impres­sion­nés par des enfants lour­de­ment han­di­ca­pés que nous avions reçus en consul­ta­tion. J’ai le sou­ve­nir d’un enfant déjà grand, por­té par sa mère, avec les yeux révul­sés et quatre membres fili­formes inertes et pen­dants. Là-​bas, pas de conseil géné­tique et pas d’avortement. J’avais rap­pe­lé à cette occa­sion aux jeunes volon­taires impres­sion­nés, la phrase du pro­fes­seur Lejeune déjà évo­quée dans ce texte expli­quant sim­ple­ment que le degré de civi­li­sa­tion ne se mesure pas à la taille de la pis­cine, au confort de la voi­ture ou du compte en banque.

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