« La qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres. »
Pr. Jérôme Lejeune
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Editorial
Pour un conseil génétique éthique
par le docteur Philippe de Geofroy
Qui dit conseil génétique dit d’abord conseil, tout le monde croit comprendre le mot, puis, génétique. Qu’est-ce à dire ? Ce dernier terme mérite une brève explication : il embrasse tout ce qui est relatif aux gènes et à l’hérédité. Dans la pratique, il s’agit donc de conseiller ceux qui sont atteints d’une maladie génétique ou simplement suspects de l’être ou de pouvoir la transmettre. Ces conseils comportent d’abord une évaluation objective du risque de transmettre la maladie ; jusque-là, rien à redire. Mais ils peuvent également porter sur le ou les moyens d’éviter cette transmission, et ces moyens sont à examiner de près. Le premier conseil génétique daterait de la fin du XIXe siècle lorsqu’un médecin aurait discuté avec un patient du risque de développer un cancer compte tenu de son histoire familiale. Mais le terme aurait été officialisé en 1947 par le généticien américain Sheldon Reed. Il est intéressant de noter, qu’à l’époque, il décrit ce nouveau champ de la génétique comme un « travail social sans connotation eugénique ». Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la question de l’eugénisme était encore très présente et ce scientifique avait déjà l’intuition du mauvais usage qui pouvait être fait de cette science nouvelle, comme le professeur Jérôme Lejeune l’eut également plus tard de sa découverte du chromosome supplémentaire de la trisomie 21. Sheldon Reed avait réellement le désir d’aider les familles à comprendre la maladie et ses conséquences. Pour lui ce genetic counselling correspondait à l’idée de mettre un nom sur l’accompagnement médical et psychologique qu’il désirait procurer aux porteurs de maladies génétiques et à leur entourage. L’anglais counselling exprime d’ailleurs mieux que sa traduction française l’idée d’aide, de soutien et d’assistance. Plus tard, en 1993, Harper allonge la première définition : « Procédure par laquelle des patients ou des apparentés qui pourraient être porteurs d’anomalies héréditaires sont mis au courant des conséquences de ces anomalies, des risques de les développer et de les transmettre, ainsi que de la façon dont elles pourraient être prévenues, évitées ou améliorées. » C’est donc là qu’on se rapproche du risque eugénique qui avait été volontairement évité auparavant. En 1995, un comité de bioéthique, sous l’égide de l’Unesco, insiste également sur les choix consécutifs au diagnostic. Certains de ces choix ne posent pas de problème sur le plan moral. Par exemple, la mise en place d’un dépistage régulier chez une femme présentant une prédisposition importante au cancer du sein permettra d’améliorer le pronostic de sa maladie. La recherche de patients apparentés porteurs de ce risque sera également bénéfique. Bien évidemment il n’en est pas de même lorsque le diagnostic est soit prénatal (invasif par amniocentèse ou bientôt non invasif par simple prise de sang chez la maman), en cas de maladie génétique connue ou en cas de signes d’appel échographiques, soit préimplantatoire dans le cadre d’une fécondation in vitro, avec toutes les conséquences que vous pouvez imaginer. L’article L2213‑1 du code de la santé publique définit les conditions larges dans lesquelles peut être proposée une interruption médicale de grossesse qui, rappelons-le, en cas de malformation ou de pathologie grave et incurable, peut se dérouler jusqu’à la veille de l’accouchement après une « information, claire, loyale et appropriée » et le respect de « l’autonomie décisionnelle ».
La dictature de la volonté individuelle et l’autonomie de la conscience, qui sont largement prônées dans les articles récents traitant du conseil génétique, ont accouché d’une « baguette magique » qui permet de transformer un amas de cellules en être humain et vice et versa : le projet parental ! Grâce à cette trouvaille on peut, par le biais de la technologie, se faire servir sur un plateau l’enfant rêvé que la nature ne voulait pas donner. Il permet également de supprimer ou d’éviter de concevoir l’être humain qui ne coche pas toutes les cases de l’« enfant désiré ». Il coche par la même occasion, en l’ignorant volontairement ou non, la case de l’eugénisme, doctrine visant à améliorer les caractéristiques génétiques d’une population humaine par élimination des porteurs de gènes défectueux et non par introduction de gènes plus performants. Ce fameux projet parental qui subjectivise complètement la notion d’être humain est totalement incompatible avec le respect de la vie depuis son commencement jusqu’à sa fin naturelle. C’est lui qui administre la « dignité humaine » au détriment de la dignité ontologique, un peu comme on s’administre aujourd’hui un genre sans tenir compte du sexe biologique, en fonction de simples désirs. Grâce à lui, la manipulation et l’expérimentation sur l’embryon ou éventuellement son élimination en fonction des besoins peuvent se faire sans vergogne. Il a permis de remplacer l’impératif éthique de respect de la vie humaine par celui, beaucoup moins éthique, du confort de vie réel ou supposé de l’enfant à naître et de ses parents, pour aboutir à une injonction d’avortement comme il y aura sans doute dans quelques années, une injonction d’euthanasie. Et si les critères économiques ne sont pas explicitement avancés, ils sont bien réels. Le désir individuel converti en droit, c’est « la loi du plus fort » et cette loi est injuste ; c’est une régression de la civilisation. « La qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres » écrivait le professeur Jérôme Lejeune.
Vous voyez donc comment une science n’est plus au service de l’homme lorsque ses choix moraux ne reposent que sur des critères subjectifs et non sur le respect de la loi naturelle. La meilleure des intentions, du type de celles dont l’enfer est pavé, ne rattrapera pas une action immorale. Beaucoup des solutions proposées aujourd’hui à la suite du résultat d’un conseil génétique peuvent aboutir à une dissociation entre l’acte conjugal et la procréation ou à l’élimination d’êtres humains, du stade embryonnaire jusqu’à la date de l’accouchement. Nous avons développé ces questions dans un numéro récent des Cahiers sur les méthodes naturelles de régulation des naissances. Examinons brièvement les différentes techniques proposées comme moyen diagnostique ou conséquence « thérapeutique » d’un conseil génétique. Citons d’abord l’amniocentèse ou la biopsie du trophoblaste qui vont permettre un diagnostic précoce de certaines maladies génétiques. Ces techniques pourraient être justifiées, malgré le petit risque qu’elles font courir à l’embryon, si elles étaient orientées vers un traitement. Mais malheureusement elles vont aboutir le plus souvent à l’élimination du malade par interruption dite médicale de grossesse. On s’oriente actuellement, grâce à l’évolution de la technique, vers un diagnostic prénatal non invasif par simple prise de sang maternel. D’une façon générale, les tests de dépistage prénatal sans raison médicale sérieuse sont à éviter en raison d’un risque inévitable de dérive vers l’eugénisme. Autre technique, faussement appelée thérapeutique car elle repose encore ici sur l’élimination du malade, c’est la fécondation in vitro avec sélection des embryons sains en fonction de leur statut génétique par diagnostic préimplantatoire. Ici encore, dissociation entre procréation et acte conjugal, élimination d’embryons qui sont, rappelons-le, des êtres humains au début de leur développement et, pour finir, eugénisme ! La même critique peut être faite aux techniques reposant sur le don d’ovocytes ou de spermatozoïdes. De surcroît, elles ajoutent une rupture de la filiation biologique réalisant une forme d’adultère. La contraception et la stérilisation volontaire peuvent également faire partie des « conseils », elles sont également condamnées par la morale pour les mêmes raisons.
Mais alors que reste-t-il pour ceux qui sont respectueux de la vie et des lois du mariage ? Bien entendu la partie évaluation et conseil est non seulement licite mais recommandée car elle permet de connaître la gravité de la maladie transmise et d’évaluer sereinement les risques d’avoir un enfant malade et de transmettre le gène défectueux à sa descendance. Elle permet également d’alerter d’autres membres de la famille sur les probabilités qu’ils ont d’être touchés. Une fois le risque connu, vous connaissez maintenant la malice morale de beaucoup des solutions proposées par la médecine actuelle. Il reste la possibilité, si la cause est proportionnée (à évaluer en conscience par le couple et avec l’aide d’un conseiller spirituel), d’éviter les naissances par les méthodes reposant sur la continence. L’adoption peut tout à fait être envisagée. Tout cela est fort bien expliqué dans le discours du pape Pie XII du 12 septembre 1958 au septième congrès de la société internationale d’hématologie. Ce discours part d’une maladie héréditaire, la thalassémie ou mal méditerranéen, pour envisager plus largement la question du conseil génétique. La recherche donne actuellement des espoirs concernant des techniques de modification des gènes ou de leur expression pour certaines pathologies.
Lors de ma première mission aux Philippines en 2017 certains jeunes volontaires avaient été très impressionnés par des enfants lourdement handicapés que nous avions reçus en consultation. J’ai le souvenir d’un enfant déjà grand, porté par sa mère, avec les yeux révulsés et quatre membres filiformes inertes et pendants. Là-bas, pas de conseil génétique et pas d’avortement. J’avais rappelé à cette occasion aux jeunes volontaires impressionnés, la phrase du professeur Lejeune déjà évoquée dans ce texte expliquant simplement que le degré de civilisation ne se mesure pas à la taille de la piscine, au confort de la voiture ou du compte en banque.
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