Le médicament, développement et pharmacovigilance – Cahiers Saint-​Raphaël n°159

Le faux cer­ti­fi­cat médi­cal. Rosa Mystica en couleurs.

Editorial

par le doc­teur Philippe de Geofroy

Comme la méde­cine, le médi­ca­ment prend racine à l’aube de l’humanité. C’était avant Big Pharma, mais le médi­ca­ment, ou son pré­cur­seur, exis­tait déjà. Les chasseurs-​cueilleurs consom­maient des plantes et s’en ser­vaient aus­si pour se soi­gner. Les fouilles archéo­lo­giques ont éta­bli que l’homme de Cro-​Magnon uti­li­sait déjà la camo­mille, le chanvre, l’ortie, l’achillée, la valé­riane… Vous sou­ve­nez vous d’Ötzi ? Cette momie conge­lée et déshy­dra­tée avait été décou­verte for­tui­te­ment dans un gla­cier le 19 sep­tembre 1991 à plus de 3000 m d’altitude en Italie à proxi­mi­té de la fron­tière autri­chienne. Il s’agissait d’un chasseur-​cueilleur ayant vécu entre 3350 et 3100 av. J.-C. Son intes­tin mon­trait des traces de tri­chi­nose[1] mais notre homme trans­por­tait avec lui une réserve d’un cham­pi­gnon (poly­pore du bou­leau) connu pour éra­di­quer ce para­site. Les civi­li­sa­tions pré­co­lom­biennes uti­li­saient le quin­qui­na pour ses pro­prié­tés anti­pa­lu­déennes et anti-​inflammatoires. 3000 ans avant Jésus-​Christ, un trai­té de méde­cine chi­noise recen­sait déjà 365 remèdes à base de plantes. On trouve des trai­tés com­pa­rables en Inde, chez les Égyptiens et chez les Grecs. Hippocrate pose déjà les bases d’une méde­cine fon­dée sur l’observation et le rai­son­ne­ment et sur laquelle a repo­sé notre vision thé­ra­peu­tique occi­den­tale avant d’abandonner par­tiel­le­ment les actes et les médi­ca­ments à visée thé­ra­peu­tique pour s’embarquer pro­gres­si­ve­ment vers une pseu­do méde­cine orien­tée vers l’assouvissement des dési­rs indi­vi­duels. La méde­cine par les plantes se pour­suit, notam­ment au pre­mier siècle, avec Dioscoride, méde­cin grec des armées de Néron, dont le trai­té De mate­ria medi­ca, une des trois sources les plus impor­tantes sur les plantes de l’Antiquité gréco-​romaine, res­te­ra la réfé­rence des apo­thi­caires jusqu’à la Renaissance. Passons rapi­de­ment sur Galien et Avicenne pour nous arrê­ter un ins­tant sur sainte Hildegarde de Bingen[2]. Elle était poé­tesse, musi­cienne mais elle est éga­le­ment consi­dé­rée comme la pre­mière phy­to­thé­ra­peute moderne. Son trai­té Des causes et des remèdes traite des mala­dies, de leurs symp­tômes et de leur trai­te­ment à base de végé­taux. Après plu­sieurs ten­ta­tives infruc­tueuses dont la der­nière en 1244, sa cano­ni­sa­tion popu­laire a été en quelque sorte for­ma­li­sée par Benoît XVI en 2012 et elle a été décla­rée la même année Docteur de l’Église. Cela ne cano­nise pas for­cé­ment toutes ses théo­ries médi­cales et phar­ma­ceu­tiques mais cela n’empêche pas ses écrits de dif­fu­ser beau­coup de conseils justes qui relèvent du simple bon sens. L’apothicaire (ce nom vient d’une expres­sion latine peu flat­teuse qui signi­fie « bou­ti­quier » car au départ c’est un savant mais aus­si un com­mer­çant, jon­glant avec les dosages déli­cats et le prix des épices rares) devien­dra pro­gres­si­ve­ment phar­ma­cien et sa for­ma­tion, d’abord par com­pa­gnon­nage, sera ensuite sanc­tion­née par des exa­mens et des diplômes qui lui don­ne­ront droit au mono­pole de la pré­pa­ra­tion et du com­merce des médicaments.

Au XIXe siècle, la bota­nique a fait beau­coup de pro­grès et les chi­mistes arrivent à iso­ler et extraire de nom­breuses molé­cules à par­tir des plantes. Citons la mor­phine à par­tir de l’opium, la qui­nine à par­tir de l’écorce de quin­qui­na, l’acide sali­cy­lique, connue sous le nom d’aspirine, à par­tir de l’écorce de saule et bien d’autres. On com­mence éga­le­ment à com­prendre les méca­nismes d’action de ces sub­stances natu­relles et la rela­tion entre struc­ture de la molé­cule et acti­vi­té bio­lo­gique. Cela per­met ensuite de com­men­cer à conce­voir et à syn­thé­ti­ser des molé­cules actives. À la fin du XIXe siècle, l’utilisation des hydro­car­bures va aider au déve­lop­pe­ment de nou­veaux pro­duits, mais les moyens néces­saires ne sont plus à la mesure de l’alambic ou de la cor­nue d’officine et l’industrie phar­ma­ceu­tique va se déve­lop­per. Le poids tech­no­lo­gique et finan­cier devient énorme. Big Pharma arrive avec ses forces et ses fai­blesses ! Il est évident que la com­mer­cia­li­sa­tion mon­diale d’une molé­cule dont on a mal éva­lué ou dont on a caché cer­tains effets secon­daires aura plus de reten­tis­se­ment que la vente par un apo­thi­caire véreux d’une pré­pa­ra­tion dont le prin­cipe actif a été rem­pla­cé par de la poudre de per­lim­pin­pin[3]. Le scan­dale récent du Médiator en est un exemple par­mi d’autres. Le labo­ra­toire Servier a été condam­né à plus de 180 mil­lions d’euros de dommages-​intérêts et 415 mil­lions d’euros de rem­bour­se­ment aux orga­nismes sociaux et mutuelles. Les der­niers déve­lop­pe­ments du médi­ca­ment repo­sant sur des pro­grès tech­no­lo­giques majeurs seront évo­qués dans ce numéro.

Ma petite his­toire croise celle du médi­ca­ment à la fin des trente glo­rieuses (mon bac­ca­lau­réat, pas très glo­rieux, date de 1975). Je com­mence donc à pres­crire au début des années 80. C’est encore la période faste où l’on découvre régu­liè­re­ment de nou­velles molé­cules com­mer­cia­li­sées à grand ren­fort d’un mar­ke­ting plu­tôt agres­sif et de cadeaux envers les méde­cins (par­fois somp­tueux pour les molé­cules coû­teuses pres­crites sur des durées longues notam­ment en gastro-​entérologie et en car­dio­lo­gie ; le retour sur inves­tis­se­ment était assu­ré pour le labo­ra­toire !) La Sécurité Sociale n’était pas trop regar­dante jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle n’a­vait pas besoin qu’on l’aide à creu­ser son trou en finan­çant des lar­gesses envers les méde­cins. Aujourd’hui, retour de bâton, un stylo-​bille ou un bloc de post-​it sont sus­pects de conflit d’intérêt mais le « trou de la sécu » est tou­jours confor­ta­ble­ment ins­tal­lé ! Le jeune méde­cin libé­ral, fraî­che­ment sor­ti de l’hôpital, est un peu inadap­té au nou­veau monde qu’il découvre. Habitué à prendre en charge des patho­lo­gies lourdes de CHU, il est un peu gauche face à ces patients qui viennent pour un gra­touillis dans la gorge. C’est ce que l’on appelle de la patho­lo­gie fonc­tion­nelle (l’examen des organes est nor­mal mais le patient se plaint). Au début on cache son igno­rance der­rière une ordon­nance sou­vent inutile (même si le visi­teur médi­cal du labo­ra­toire phar­ma­ceu­tique a exhi­bé une étude « bidon » garan­tis­sant l’efficacité de la molé­cule dans cette indi­ca­tion), vaso­di­la­ta­teur pour un acou­phène, flui­di­fiant ou séda­tif léger pour des pares­thé­sies pha­ryn­gées. En début de car­rière on n’a pas encore l’assurance d’un Docteur Knock pour deman­der au patient avec un regard péné­trant si cela « gra­touille davan­tage après avoir man­gé de la tête de veau à la vinai­grette ! » Avec les années, sans for­cé­ment deve­nir un escroc pour lequel tout bien por­tant est un malade qui s’ignore, on pres­crit moins et on parle plus ! En dehors de la patho­lo­gie infec­tieuse franche ou des dou­leurs post­opé­ra­toires, le vieil O.R.L. que je suis pres­crit peu. Je ne crois pas au médi­ca­ment qui ne fait pas mieux que l’effet pla­ce­bo et je ne crois d’ailleurs pas non plus au trai­te­ment miracle pour une mala­die qui gué­rit spon­ta­né­ment à 99 %. Aujourd’hui la très grande majo­ri­té des molé­cules cou­rantes est sub­sti­tuable par un géné­rique, les labo­ra­toires nous ont oubliés et le visi­teur médi­cal a déser­té la salle d’attente.

Au début du mois de février nous avons eu la joie de par­ti­ci­per à la dix-​huitième mis­sion Rosa Mystica. Je vous rap­pelle qu’il s’agit d’une mis­sion médi­cale et apos­to­lique aux Philippines fon­dée en 2004 par l’abbé Daniel Couture et le doc­teur Jean-​Pierre Dickès. Cette belle mis­sion, la der­nière est tou­jours la plus belle, vous sera racon­tée en détail dans ce numé­ro. Plus de 2000 patients ont été pris en charge cette année dans cinq vil­lages dif­fé­rents, dont l’approche, pour cer­tains, récla­ma plu­sieurs heures de trans­port rudi­men­taire sur des pistes boueuses… Les dif­fé­rentes acti­vi­tés (petite chi­rur­gie, den­tis­te­rie, consul­ta­tions médi­cales et pédia­triques) néces­sitent sou­vent la pres­crip­tion d’un trai­te­ment médi­ca­men­teux. Les patients sont très pauvres et la pre­mière phar­ma­cie est à trois heures de piste. Nous avons donc notre phar­ma­cie ambu­lante, dépla­cée quo­ti­dien­ne­ment dans de vieux car­tons abî­més par les mani­pu­la­tions fré­quentes mais aus­si par la pluie. Chaque arri­vée et chaque départ est ponc­tué par le va-​et-​vient des volon­taires qui déchargent ou chargent les camions de ces médi­ca­ments que nous dis­tri­buons gra­tui­te­ment aux popu­la­tions pauvres que nous visi­tons. Notre bud­get phar­ma­cie tourne aux alen­tours de 15 000 euros et il a été finan­cé cette année encore par de géné­reux dona­teurs, à tra­vers la plate-​forme Credo Funding. Cette aven­ture, par­mi d’autres, du médi­ca­ment à la mis­sion Rosa Mystica, vous sera décrite par le menu dans ce numé­ro par Elisabeth, notre fidèle pharmacienne.

Les médi­ca­ments sont des outils puis­sants mais ils doivent res­ter au ser­vice de la san­té et de la vie avant d’être au ser­vice des action­naires. Pour un déve­lop­pe­ment et une uti­li­sa­tion béné­fiques à tous, une éthique rigou­reuse et une vigi­lance constante s’im­posent. Mais les enjeux finan­ciers sont énormes. Le més­usage du médi­ca­ment, dont le reten­tis­se­ment est aggra­vé par la mon­dia­li­sa­tion et la taille gigan­tesque des labo­ra­toires, ne remet pour­tant pas en cause le prin­cipe de leur uti­li­sa­tion même si l’on ima­gine bien que le der­nier scan­dale sani­taire devien­dra sans doute rapi­de­ment l’avant-dernier. Saint François de Sales nous a bien dit que « là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ».

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Les Cahiers Saint Raphaël, publi­ca­tion de l’ACIM (Association catho­lique des infir­mières, méde­cins et pro­fes­sion­nels de san­té) depuis une qua­ran­taine d’années, est une revue ori­gi­nale, qui répond aux ques­tions que posent les grands pro­blèmes contem­po­rains d’éthique médi­cale. Sont éga­le­ment abor­dés des thèmes médi­caux et de société.

La revue s’adresse aux pro­fes­sion­nels de san­té mais aus­si à cha­cun d’entre nous qui vivons ces pro­blèmes au quotidien.

Vous pen­sez que ces ques­tions (avor­te­ment, contra­cep­tion, clo­nage, mani­pu­la­tions géné­tiques, eutha­na­sie etc…) sont fon­da­men­tales pour l’avenir de notre société ?

Vous sou­hai­tez avoir des réponses qui se réfèrent à la loi natu­relle et à la doc­trine catho­lique pour vous-​mêmes, afin de vivre chré­tien­ne­ment, mais aus­si pour vos enfants, pour tous ceux que vous côtoyez afin de les éclai­rer sur le sens et la valeur de la vie ? 

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Notes de bas de page
  1. Parasitose trans­mise par la consom­ma­tion de viande de gibier mal cuite. Les larves enkys­tées pré­sentes dans la viande sont ingé­rées. Après déve­lop­pe­ment dans l’in­tes­tin sous forme de vers, les larves pon­dues cir­culent dans l’or­ga­nisme et vont s’en­kys­ter dans le sys­tème mus­cu­laire ou sque­let­tique.[]
  2. Le numé­ro 109 des Cahiers Saint Raphaël lui a été consa­cré.[]
  3. Rien de nou­veau sous le soleil, voir la qua­trième de cou­ver­ture.[]

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Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé