Se consumer et s’éteindre.
Editorial
Se consumer et s’éteindre
par le docteur Philippe de Geofroy
Le burn out est une maladie moderne. Avec un goût, certes modéré, pour la psychologie ou la psychiatrie, j’ai traversé mes études de médecine débutées en 1976, sans jamais en avoir entendu le nom. J’avais un peu entendu parler de dépression réactionnelle mais j’ai compris qu’il s’agissait de quelque chose de différent. Encore une fois, sur un tel sujet, l’oto-rhino est à la peine. Qu’en est-il plus précisément ? Ce terme désigne un état d’épuisement physique et mental grave, lié au travail, au contraire de la dépression pour laquelle s’ajoute une profonde tristesse. Au début, dans le burn out, la personne veut travailler davantage, au contraire du dépressif qui devient le triste et pessimiste spectateur passif de sa vie. La mise en évidence de cette pathologie s’est faite dans une clinique gratuite destinée à la prise en charge des toxicomanes, tenue par le docteur Herbert Freudenberger, à New York, dans les années 70. De nombreux bénévoles enthousiastes étaient présents dans son service pour aider aux soins des patients. Mais il est évidemment très difficile de faire changer un toxicomane de comportement. Confrontés à l’échec et au surmenage, ces bénévoles, et le docteur Freudenberger lui-même, ont développé un comportement particulier se traduisant par un désinvestissement total vis-à-vis des patients. Le concept du burn out était né. Sa traduction française au sens littéral, « se consumer » ou « s’éteindre », permet d’en bien expliquer la nature. Imaginez une lampe à huile qui brûle. Elle va diffuser une lumière vive et chaleureuse et puis, à un moment, si la flamme n’est plus alimentée correctement en combustible, elle va finir par vaciller et s’éteindre. C’est un peu la même chose pour une personne en burn out. Un auteur de ce numéro utilise la métaphore inverse du sac de pierres que l’on porte sur son dos, progressivement rempli avec les épreuves de la vie ; avec la dernière pierre, même petite, on s’écroule. C’est une maladie qui touche surtout les personnalités enthousiastes, perfectionnistes, tournées vers les autres avec une compassion débordante mais également un besoin de reconnaissance. Les principaux symptômes sont l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation (le désinvestissement, sorte de recul cynique évoqué plus haut) et la disparition progressive du sentiment d’accomplissement personnel ou professionnel. Les prêtres, les enseignants, les professionnels de santé et les professions à fort investissement personnel sont les catégories les plus touchées. Le père Pascal Ide [1] reprend un peu l’image de la lampe à huile en expliquant que la vie de l’homme est comme une vasque qui reçoit, se remplit et se donne par débordement. Si l’on donne trop, si l’on donne mal, si l’on ne reçoit pas assez ou pas assez bien, il se produit un déséquilibre déclencheur de la maladie. La vasque se vide ou la chandelle commence à vaciller puis à s’éteindre. Nos bénévoles pour toxicomanes, non gratifiés par une reconnaissance (ou n’ayant peut-être pas su la voir) ou par des résultats tangibles, « se sont vidés » et ont fini par n’avoir plus rien à donner.
Certains auteurs, dont le père Ide, font un analogie entre le burn out et l’acédie[2] ou « démon de midi » . Le burn out serait la « forme laïque » de cette maladie de l’âme des pères du désert entraînant tristesse, lassitude et tiédeur pour les exercices spirituels quotidiens unissant l’ermite à Dieu. Voyons d’un peu plus près les similitudes : épuisement émotionnel d’un côté, abattement et lassitude de l’autre, les deux aboutissant à un sentiment d’impuissance. La dispersion et le vagabondage des pensées empêchent de se fixer sur son travail ou sur Dieu. Les distractions favorisent la tiédeur spirituelle (le fameux démon de midi) ; on peut évoquer le même phénomène, dans le burn out. Le rôle des écrans est important, non seulement à cause de leur rôle récréatif, mais aussi parce qu’ils permettent d’importer le travail à la maison et de perméabiliser la frontière entre vie privée et vie professionnelle, favorisant ainsi le surmenage. Le détachement et le cynisme du burn out ont leur équivalent dans la torpeur spirituelle avec une nonchalance dans la prière et un sentiment de vacuité. La mésestime de soi au niveau professionnel peut se comparer aux doutes sur la foi et sur l’engagement monacal, remettant en question la vocation religieuse. Malgré des nuances notables et les limites de cette comparaison évoquées dans la recension du livre du père Ide à la fin de ce numéro, ce parallèle permet de mettre en évidence, dans les deux cas, une sorte de recroquevillement sur soi que le père Ide appelle « maladie du don ». « L’acédie se manifeste donc comme un profond repli sur soi. L’agir n’est plus conçu comme un don de soi-même, qui est réponse à un amour qui nous précède et nous appelle, mais comme une pure recherche de notre propre satisfaction personnelle, dans la peur de “perdre” quelque chose », écrit Dom Charles Nault, OSB.
La prévention du burn out, ou son traitement lorsqu’il est déjà installé, sont indispensables. En effet, en l’absence de prise en charge, il peut évoluer vers une réelle dépression. Même si les antidépresseurs peuvent aider pendant une courte période, le traitement du burn out repose plutôt sur la psychothérapie. L’identification des facteurs de stress et la mise en place de stratégies pour les gérer sont importantes, de même que l’amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La gestion des émotions fait également partie des techniques à mettre en œuvre ainsi que l’acquisition d’une estime réaliste de ses capacités et des objectifs que l’on peut raisonnablement se fixer. Il s’agit de se réapproprier volontairement un équilibre de vie que l’on avait laissé s’échapper.
Vous comme moi ne sommes pas psychiatres et l’on n’apprend pas plus à pratiquer la médecine en lisant les Cahiers Saint-Raphaël qu’en regardant des vidéos sur YouTube. Cependant, il n’est pas totalement inutile d’avoir quelques repères pour différencier burn out et dépression. Un point important est le comportement de la personne malade : dans le burn out, dont la cause est en général nettement professionnelle, au début, il existe une impression de surcharge et d’épuisement mais avec en même temps un certain déni ; la personne lutte en étant hyperactive, en essayant de rattraper le temps perdu, mais sans réelle efficacité (cela est bien décrit par l’expression triviale de « pédaler dans la semoule » ). Dans la dépression on a plutôt tendance à se laisser aller ; on regarde le temps passer, on est spectateur passif de sa chute avec une sensation de grande tristesse, de découragement voire de désespoir. Dans un deuxième temps, les symptômes du burn out peuvent se rapprocher de ceux de la dépression. Bien évidemment cela est assez schématique et ne pourra être vraiment clarifié sans l’avis d’un professionnel de santé prudent et compétent.
Dans le dernier numéro des Cahiers, vous avez lu un compte rendu de la mission Rosa Mystica du mois de mars 2024 aux Philippines avec un magnifique cahier de photos en couleur car nous avons eu la joie cette année d’accueillir parmi les volontaires une photographe professionnelle. C’était la dix-septième mission ! Elle a eu un petit prolongement le 8 juin dernier. Blanche, la petite-fille du Docteur Jean-Pierre Dickès, s’est mariée devant l’abbé Daniel Couture, cofondateur de Rosa Mystica trois mois après avoir participé à sa première mission philippine comme infirmière. Que de chemins parcourus, parfois difficiles et boueux au sens propre et au sens figuré, depuis la première mission de 2007, mais que de grâces reçues et distribuées ! C’est une œuvre dont l’objet peut sembler lointain pour des Français. Géographiquement parlant c’est vrai, mais les dons qui lui sont consacrés ne sont cependant pas gaspillés. D’abord parce que tous les volontaires sont bénévoles, et vont même jusqu’à prendre en charge leurs frais de voyage jusqu’à Manille, mais également parce que les Philippins, pour la plupart très démunis, sont particulièrement reconnaissants pour les soins médicaux prodigués et extrêmement réceptifs à l’enseignement religieux, aux sacramentaux et aux sacrements qui leur sont proposés par nos aumôniers. Ce type d’œuvre est inimaginable en France[3] ! Selon la formule consacrée, tout cela n’a pas de prix mais a cependant un coût. Grâce à vos prières et grâce à vos dons, cette belle œuvre a pu se poursuivre jusqu’à cette année. La prochaine mission aura lieu du 2 au 9 février 2025. Tant sur le plan spirituel que sur le plan matériel, je vous remercie de continuer à faire en sorte que la mission Rosa Mystica ne tombe pas en acédie ou en burn out. Comme la lampe à huile évoquée plus haut, afin de poursuivre la diffusion de sa chaleur et de sa lumière, elle a besoin de carburant spirituel et matériel pour continuer, comme le buisson ardent, à brûler sans se consumer ni s’éteindre.
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Les Cahiers Saint Raphaël, publication de l’ACIM (Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé) depuis une quarantaine d’années, est une revue originale, qui répond aux questions que posent les grands problèmes contemporains d’éthique médicale. Sont également abordés des thèmes médicaux et de société.
La revue s’adresse aux professionnels de santé mais aussi à chacun d’entre nous qui vivons ces problèmes au quotidien.
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- Le burnout, une maladie du don, éditions Emmanuel, livre recensé dans ce numéro.[↩]
- Voir Cahier Saint-Raphaël numéro 147, Le démon de midi, par l’abbé Hervé de la Tour.[↩]
- Un dentiste proposant d’arracher des dents sur une chaise de jardin boulevard Saint Germain avec à côté, sur une deuxième chaise de jardin, un prêtre proposant la confession : nos deux compères seraient rapidement amenés à l’asile le plus proche ! Aux Philippines, nous sommes chaleureusement remerciés pour cela ; en France et en Europe la laïcisation des œuvres médico-sociales rend ce type d’apostolat impossible.[↩]