Comment rater son été ?

6-year-old boy falling asleep on his homework

C’est très facile. Il n’y a rien à faire. Tout est là, dans un aban­don rem­bour­ré et confor­table où l’on se satis­fait de se lais­ser aller, de veiller dou­ce­ment à ne pas se fati­guer, tout en se ber­çant de vel­léi­tés d’activités sys­té­ma­ti­que­ment conju­guées au futur. Au soleil et au bord de l’eau, sur le seuil d’un effort entre­vu mais négli­gem­ment repous­sé sans se hâter ni s’énerver.

Bien moins remuant que la colère, bien moins fati­gant que la luxure, la paresse est un défaut moel­leux, bon mar­ché, et peu ris­qué, appa­rem­ment. De quoi conten­ter bon nombre de fils d’Adam qui n’en demandent pas tant. Surtout pen­dant les congés payés.

L’Écriture Sainte a déli­cieu­se­ment peint ce tra­vers si humain :

« Le pares­seux dit : Il y a un lion dehors ! Je serai tué au milieu des places [1]. »

« La porte tourne sur ses gonds, ain­si le pares­seux sur sa couche.
Le pares­seux met sa main dans le plat, et il a de la peine à la por­ter à la bouche.
Le pares­seux est plus sage à ses yeux que sept conseillers pru­dents [2]. »

« Va vers la four­mi ô pares­seux ; consi­dère ses voies et deviens sage. Elle qui n’a ni chef, ni ins­pec­teur de tra­vaux, ni sou­ve­rain, elle amasse en été de quoi man­ger, elle recueille pen­dant la mois­son sa nour­ri­ture. Jusques à quand, ô pares­seux, seras-​tu cou­ché, quand te lèveras-​tu de ton som­meil ? Un peu de som­meil, un peu d’assoupissement, un peu croi­ser les mains sur son lit. Et ta pau­vre­té vien­dra comme un voya­geur, et ta disette comme un homme en armes [3]. »

Éloge de la paresse

Mais peut-​être que le pares­seux qui som­meille en tout lec­teur « qui s’abandonne à la douce paresse de la lec­ture » (Talleyrand) trouve le pro­pos quelque peu sévère.

Aussi faut-​il avant tout don­ner un bref et repo­sant éloge de la paresse. Imaginons un ins­tant que Napoléon eût été pares­seux et le monde n’eût pas été fati­gué de ses conquêtes ! Et si le démon était indo­lent, ne serions-​nous pas tou­jours dans un jar­din de délices à cueillir les fruits savou­reux qui s’offraient aux mains de nos pre­miers parents ? Les Italiens, avec leur dolce far­niente, ne savent-​ils pas mieux vivre que les Américains tout affai­rés ? Divine paresse. Comment peut-​on en dire tant de mal alors qu’elle est à la source de tant d’inventions, de pro­grès, de déli­ca­tesse ? Ne soyons pas injustes envers un défaut si humain ! La paresse condui­rait le lec­teur à clore ici la lec­ture et la réflexion si l’auteur de ces lignes avait fait l’effort d’abréger son pro­pos au lieu de lais­ser sa plume couler.

Le vrai visage de la paresse

Ce visage est triste, bla­sé, désa­bu­sé, acca­blé, déses­pé­ré. Le pares­seux est triste de l’effort à pro­duire. L’effort l’ennuie, le rebute.

Paresseux à gorge brune. Crédits pho­to : Wikimédia Commons. 

L’effort phy­sique, sans doute. Le réveille-​matin se fait entendre. Le pares­seux, d’un bras mal­ha­bile, l’éteint et rejoint l’inaction à peine quit­tée. Sa mère l’appelle pour un ser­vice de rien du tout. Pétrifié, le pares­seux fait le mort.

L’effort moral. Il doit pas­ser un coup de fil un peu déli­cat, reprendre un fils, ran­ger la mai­son, prendre des nou­velles de sa belle-​mère. La lumière jaillit dans son esprit ; un mot magique s’empare de son âme, un man­tra qu’il aime à répé­ter en se per­sua­dant qu’il y croie lui-​même : demain !

L’effort spi­ri­tuel. Une page de lec­ture spi­ri­tuelle l’accable. Il peine à l’achever. C’est trop dur et Dieu n’en demande pas tant. Une dizaine de cha­pe­let lui semble une mon­tagne. Le cha­pe­let ? C’est l’Everest. Un coup de fil d’une demi-​heure à un bon ami est tel­le­ment plus facile.

La tris­tesse et la peur. Car le pares­seux qui se réfu­gie der­rière son écran est un grand peu­reux. Tout savoir sur l’astronomie en 10 leçons ne l’effraie pas, quoiqu’il y ait quelque chose d’effrayant à enfer­mer l’univers dans un si petit volume. Mais mettre de l’ordre dans ses papiers, répondre à ses mails… Quant à faire une retraite de cinq jours ! Une tor­peur s’empare de lui à l’idée de remon­ter la pente. Au-​delà de la paresse de la cou­leuvre, il y a celle de la cigale : elle s’active mais ne fait pas son devoir ; elle est d’autant plus exci­tée qu’elle ne fait que ce que lui plaît (même au prix de sacri­fices et de renoncements).

L’activisme est une issue de secours à des­ti­na­tion des pares­seux. Donner et se don­ner l’illusion qu’on ne l’est pas parce qu’on s’affaire à tout autre chose qu’on devrait faire. « Qu’est-ce qu’un pares­seux ? se demande T. Bernard. C’est celui qui a le cou­rage de ne pas faire sem­blant de tra­vailler. »

Prier au lieu d’étudier, étu­dier au lieu de pas­ser la ton­deuse, aider sa jeune voi­sine au lieu d’écouter sa vieille tante qui vous met de la gri­saille dans le cœur. La paresse est une fuite et la marque d’une fai­blesse, d’une impuissance.

Les filles de la paresse

Les vices capi­taux, dont fait glo­rieu­se­ment par­tie la paresse, sont des parents pros­pères. La paresse ne compte plus ses enfants, elle en a tel­le­ment ! L’oisiveté n’est-elle pas la mère de tous les vices ?

Inutile d’accuser leur diable de père, elle recon­naît son propre visage en eux.

Le men­songe né de la paresse en porte la marque. C’est un men­songe crain­tif qui masque les vrais motifs de l’inaction : « Je n’ai pas fait ce tra­vail, je n’ai pas eu le temps ». Évidemment, à force de le lais­ser perdre en ses doigts.

Telle une mau­vaise herbe cou­vrant une terre à l’abandon, l’impureté coule des jours heu­reux. À peine son plai­sir suave, facile et peu coû­teux pointe à l’horizon, le pares­seux s’abandonne à elle, sans vrai­ment com­battre, quoique déçu par après de s’être lais­sé domi­ner. Pourquoi cher­cher des joies éle­vées et ache­tées au prix d’un effort per­sé­vé­rant alors qu’on peut pro­fi­ter d’un vil plai­sir à bas prix ? Ainsi rai­sonne la paresse.

Le décou­ra­ge­ment, voire le déses­poir, pro­cèdent de la même mère. À force (sic) de ne rien faire, d’aller de défaite en défaite, de recu­lade en recu­lade, on ne sait plus se domi­ner, se vaincre, accep­ter une dif­fi­cul­té. Le trou noir du décou­ra­ge­ment guette le pares­seux. Il s’y laisse choir et déchoir.

Une fille de la paresse semble pour­tant plus aimable, en appa­rence : le bavar­dage. Remuer la langue est peu fati­gant et même plai­sant. On com­mence par des futi­li­tés, puis, n’ayant plus rien à dire d’intéressant et guère de cou­rage pour abré­ger, on se dé­couvre des talents de conteurs de la vie d’autrui, et la paresse s’épanouit dans l’injustice de la médi­sance ou de la calomnie.

  1. Avant de par­tir en vacances, laisse impé­ra­ti­ve­ment ton mis­sel à la maison.
  2. Choisis ton lieu de vacances loin de toute messe traditionnelle.
  3. Assiste à n’importe quelle messe sous pré­texte qu’elle est juste à côté.
  4. Évite soi­gneu­se­ment de te confes­ser pen­dant tout l’été.
  5. Arrive tout juste au dé­but de la messe – alors qu’il n’y a pas de confes­sions pen­dant — et demande en­suite à tes enfants pour­quoi ils n’ont pas com­mu­nié. Recommence les dimanches suivants.
  6. Laisse tes enfants faire leur prière tout seuls et ne te pré­occupe aucu­ne­ment de leurs acti­vi­tés et fréquentations.
  7. Va voir des amis « ouverts » et laisse leurs enfants salir l’âme des tiens.
  8. Conserve tou­jours ton smart­phone à por­tée de main, de pré­fé­rence après 22 h, avec une connexion Internet à haut débit.
  9. Évite fer­me­ment toute oc­cupation un tant soit peu phy­sique (ran­don­née, brico­lage) et pri­vi­lé­gie les acti­vi­tés (sic) séden­taires : vau­tré de­vant un écran, affa­lé sur une chaise-​longue, éten­du sur le sable brûlant.
  10. Ne lis que des romans de gare et abstiens-​toi réso­lu­ment de toute lec­ture spi­ri­tuelle ou sérieuse.
Basilique de Fourvière : allé­go­rie de la paresse. Crédit pho­to : Pascal Deloche pour Godong. 

Cinq remèdes (davantage serait fatigant…)

Le drame est que l’Évangile résonne en tous sens d’appels inces­sants au renon­ce­ment, à l’effort, à la vio­lence, c’est-à-dire à la lutte achar­née et sans mer­ci contre toute espèce d’amour-propre. Las ! avant même d’avoir com­bat­tu, nous pour­rions rendre les armes. Aussi convient-​il de ter­mi­ner par don­ner quelques antidotes.

On aime­rait tous que le remède à la paresse soit de la même famille. Il n’en est rien ! C’est même tout le contraire.

Que celui qui veut res­ter assis par paresse se lève.

Que celui qui est hyp­no­ti­sé par son écran l’éteigne.

Que celui qui répugne à faire son devoir d’état l’accomplisse de suite. Maintenant !

Bref, agere contra, se vaincre dans les petites choses. Prendre l’habitude de se don­ner des prio­ri­tés et de les respecter.

Dans Le pas­sé ne meurt pas, Jean de Viguerie rap­porte le conseil que lui don­na un jour son grand-​père entré sur le tard dans la vie béné­dic­tine : « Commence ta jour­née par la chose qui te répugne le plus ».

Le diable de la paresse qui som­meille en cha­cun de nous s’ébroue d’une telle vio­lence qu’il juge indiscrète.

Aussi convient-​il de don­ner un troi­sième avis, sans doute plus ras­su­rant. « Celui qui est fidèle dans les petites choses, le sera dans les grandes ». S’il faut vaincre sa paresse, com­men­çons, réso­lu­ment certes, mais par des choses faciles, à notre por­tée. En se rap­pe­lant deux choses.

Primo, qu’en toute chose, c’est le pre­mier pas qui coûte, et que le pre­mier donne sou­vent un élan à toute la suite. Secundo, que la grâce de Dieu accep­tée ouvre à une deuxième grâce et fina­le­ment à un cha­pe­let de grâces. Un qua­trième conseil porte sur les moyens numé­riques. Devenir pares­seux est très facile. Quelques clics suf­fisent. Après on devient un expert. Aussi faut-​il por­ter ses efforts sur l’usage limi­té des écrans si l’on veut se corriger.

Enfin, un cin­quième conseil consiste à médi­ter sur les exemples de dévoue­ment, de géné­ro­si­té, de magna­ni­mi­té qu’on trouve dans l’Évangile, dans la vie des saints ou dans la vie des grands hommes. Cela tombe bien, des lec­tures d’été vous attendent ! Et si les vacances étaient l’occasion de battre en brèche la paresse ? Quel été réus­si ce serait !

Source : Le Chardonnet n°379, juillet-​août 2022. 

Notes de bas de page
  1. Proverbes 21, 13[]
  2. Proverbes 26, 14–16[]
  3. Proverbes 6, 6–11[]

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.