Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 décembre 1892

Lettre apostolique Custodi di quella Fede

Condamnation de la Franc-maçonnerie

Lettre de S. S. Léon XIII au peuple italien 

au sujet de la Franc-maçonnerie 

Fils bien-​aimés,

Gardien de cette foi à laquelle les nations chré­tiennes sont débi­trices de leur gran­deur morale et poli­tique, Nous man­que­rions à l’un de Nos devoirs suprêmes, si Nous n’élevions la voix sou­vent et bien haut contre la guerre impie par laquelle on essaye, bien cher-​fils, de vous ravir un si pré­cieux tré­sor. Instruits déjà par une longue et dou­lou­reuse expé­rience, vous avez subi les ter­ribles épreuves de cette guerre et vous la déplo­rez pro­fon­dé­ment dans votre cœur de catho­liques et d’Italiens.

Eh ! vrai­ment, peut-​on demeu­rer Italien de nom et d’affection, sans res­sen­tir vive­ment les outrages adres­sés aujourd’­hui aux divines croyances ?
Ces croyances consti­tuent la plus belle de nos gloires : elles ont don­né à l’Italie la pri­mau­té sur les nations, et à Rome le sceptre spi­ri­tuel du monde ; sur les ruines du paga­nisme et de la bar­ba­rie, elles ont fait sur­gir l’admirable édi­fice de la civi­li­sa­tion chré­tienne.
Sur cette terre, au sein de laquelle notre ado­rable Rédempteur a dai­gné fixer le siège de son règne, peut-​on, si l’on a le cœur et l’esprit catho­liques, contem­pler sans larmes sa sainte doc­trine repous­sée, son culte outra­gé, son Église com­bat­tue, son Vicaire en butte à tous les assauts, et tant d’âmes que son sang avait rache­tées per­dues pour toujours ?

Peut-​on enfin voir sans pleu­rer la par­tie la plus pri­vi­lé­giée de son trou­peau, un peuple tou­jours demeu­ré fidèle pen­dant dix-​neuf siècles, expo­sé aujourd’hui à toute heure au péril immi­nent de l’apostasie et entraî­né dans la voie des erreurs et des vices, des misères maté­rielles et des abjec­tions morales ?
La guerre dont Nous par­lons est diri­gée à la fois contre la patrie du ciel et contre la patrie de la terre ; elle attaque, avec la reli­gion de nos pères, cette civi­li­sa­tion qu’ils nous ont trans­mise toute res­plen­dis­sante de l’éclat des sciences, des lettres et des beaux-​arts. Cette guerre, chers fils, est donc deux fois scé­lé­rate ; elle n’est pas moins un crime de lèse-​humanité que de lèse-​divinité.
Mais d’où vient-​elle ? Elle sort sur­tout de cette secte maçon­nique dont Nous vous avons entre­te­nus au long dans l’Encyclique Humanum genus, du 20 avril 1884, et plus récem­ment, le 13 octobre 1890, en Nous adres­sant aux évêques, au cler­gé et au peuple d’Italie. Par ces deux lettres, Nous avons arra­ché le masque dont la maçon­ne­rie se cou­vrait aux yeux du peuple, et Nous l’avons dévoi­lée dans sa hideuse dif­for­mi­té, dans son action téné­breuse et funeste.

Aujourd’hui, consi­dé­rons ses déplo­rables effets en Italie ; car, depuis long­temps déjà, la secte s’est glis­sée en ce beau pays sous les spé­cieuses appa­rences de socié­té phi­lan­thro­pique et en se pré­sen­tant comme libé­ra­trice des peuples. Grâce aux com­plots, à la cor­rup­tion et à la vio­lence, elle est par­ve­nue à domi­ner l’Italie et Rome elle-​même. A quels troubles, à quelles cala­mi­tés n’a‑t-elle pas ouvert la voie depuis un peu plus de trente ans !
Des maux immenses ont pas­sé sur notre patrie et l’ont tor­tu­rée en un si court espace de temps. La reli­gion de nos pères est deve­nue le point de mire des per­sé­cu­teurs de toute sorte ; ils ont eu le des­sein sata­nique de sub­sti­tuer au chris­tia­nisme le natu­ra­lisme ; au culte de la foi, le culte de la rai­son ; à la morale catho­lique, la pré­ten­due morale indé­pen­dante ; au pro­grès de l’esprit, le pro­grès de la matière. Enfin, on a l’au­dace d’opposer aux sacrées maximes et aux lois saintes de l’Évangile, des lois et des maximes qui peuvent s’appeler le code de la révo­lu­tion ; à l’é­cole, à la science et aux arts chré­tiens, un ensei­gne­ment athée et un réa­lisme abject.

On a enva­hi le temple du Seigneur, dis­si­pé, par la confis­ca­tion des biens ecclé­sias­tiques, la plus grande par­tie du patri­moine indis­pen­sable au saint minis­tère ; et, par la conscrip­tion des clercs, réduit, au delà des limites extrêmes de la plus stricte néces­si­té, le nombre des ministres sacrés. Si l’on n’a pu empê­cher l’administration des sacre­ments, on a cher­ché néan­moins, par tous les moyens, à intro­duire et à sus­ci­ter les mariages et les enter­re­ments civils. Si l’on n’a pu encore réus­sir à arra­cher com­plè­te­ment des mains de l’Église l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse et le gou­ver­ne­ment des ins­ti­tu­tions cha­ri­tables, on tra­vaille sans cesse, avec des efforts per­sé­vé­rants, à tout laï­ci­ser, autant vaut dire à effa­cer de par­tout l’empreinte chré­tienne. Si l’on n’a pu étouf­fer la voix de la presse catho­lique, on a tout mis en œuvre pour la dis­cré­di­ter et l’avilir.

Et dans ces com­bats contre la reli­gion catho­lique, quelle par­tia­li­té, quelles contra­dic­tions ! On a fer­mé les monas­tères et les cou­vents et, d’autre part, on laisse se mul­ti­plier à leur gré les loges maçon­niques et les repaires des sectes : on a pro­cla­mé le droit d’association, mais la per­son­na­li­té juri­dique, dont les asso­cia­tions de toute cou­leur usent et abusent, est refu­sée aux seules socié­tés reli­gieuses. On exalte la liber­té des cultes et, en atten­dant, l’on réserve des into­lé­rances et des vexa­tions odieuses pré­ci­sé­ment à ce qui est la reli­gion des Italiens, alors qu’il fau­drait lui assu­rer un res­pect et une pro­tec­tion spéciales.

Pour la sau­ve­garde de la digni­té et de l’in­dé­pen­dance pon­ti­fi­cales, on a fait des pro­tes­ta­tions et des pro­messes géné­reuses, mais vous voyez à quels outrages Notre per­sonne est en butte tous les jours. Des mani­fes­ta­tions publiques de toute sorte trouvent le champ libre ; mais les diverses démons­tra­tions catho­liques sont aus­si­tôt inter­dites ou trou­blées.
On encou­rage, au sein même de l’Église, schismes, apos­ta­sies, révoltes contre les supé­rieurs légi­times ; les vœux de reli­gion, et notam­ment celui d’obéissance, sont réprou­vés comme contraires à la liber­té et à la digni­té humaines : et cepen­dant, on laisse vivre impu­né­ment des asso­cia­tions impies qui lient leurs adeptes par de cou­pables ser­ments et qui exigent même, dans le crime, une obéis­sance aveugle et absolue.

Sans exa­gé­rer la puis­sance de la franc-​maçonnerie, ni attri­buer à son action directe et immé­diate tous les maux dont nous souf­frons actuel­le­ment dans l’ordre reli­gieux, on sent néan­moins son esprit se mani­fes­ter dans les faits que Nous avons rap­pe­lés et dans une foule d’autres que Nous pour­rions men­tion­ner encore.
C’est cet esprit, adver­saire impla­cable du Christ et de l’Église, qui essaye de toutes les méthodes, use de tous les arti­fices, se pré­vaut de tous les moyens pour ravir à l’Église sa fille première-​née, au Christ son peuple de pré­di­lec­tion, à qui il a confié ici-​bas le siège de son Vicaire et le centre de l’unité catho­lique.
Nous n’a­vons pas aujourd’hui à conjec­tu­rer d’a­près de rares et fugi­tifs indices, ni à déduire des faits qui se suc­cèdent depuis trente ans, l’influence mal­fai­sante et très effi­cace de cet esprit sur toutes nos affaires publiques. Enorgueillie par ses suc­cès, la secte elle-​même a par­lé haut, elle nous a dit ce qu’elle avait fait dans le pas­sé, ce qu’elle se pro­pose dans l’avenir.
Les pou­voirs publics, com­plices ou non, ne sont, à ses yeux, en défi­ni­tive, que ses ins­tru­ments. En d’autres termes, la per­sé­cu­tion reli­gieuse qui a trou­blé, qui trouble encore notre Italie, la secte impie s’en fait gloire comme d’une œuvre prin­ci­pa­le­ment sienne ; œuvre exé­cu­tée sou­vent par d’autres mains, mais tou­jours immé­dia­te­ment ou média­te­ment, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, au moyen de ruses, de menaces, de séduc­tions, de révo­lu­tions ; œuvre ins­pi­rée, pous­sée en avant, encou­ra­gée, sou­te­nue par elle. Des ruines reli­gieuses aux ruines sociales, il n’y a qu’un pas.

Déchu des hau­teurs de l’espérance et de l’amour céleste, le cœur de l’homme, capable de goû­ter l’infini et qui en a le besoin, se rabat avec une avi­di­té insa­tiable sur les biens de la terre ; de là, par une consé­quence néces­saire, inévi­table, un conflit per­pé­tuel des pas­sions avides de jouir, de s’enrichir, de mon­ter plus haut, et par suite une large et inta­ris­sable source de haines, de dis­cordes, de cor­rup­tions et de crimes. Dans notre Italie, les désordres moraux et sociaux ne man­quaient pas sans doute, avant les désastres actuels : mais quel dou­lou­reux spec­tacle ne nous offre-​t-​elle pas de nos jours ?
Au foyer domes­tique s’amoindrit cet affec­tueux res­pect qui fait l’har­mo­nie de la famille ; l’autorité pater­nelle est trop sou­vent mécon­nue et par les fils et par les parents. Les que­relles sont fré­quentes ; les divorces ne sont pas rares. Dans les villes, chaque jour croissent les dis­cordes civiles, les haines enve­ni­mées entre les diverses classes de la socié­té, le débor­de­ment des géné­ra­tions nou­velles qui, gran­dies au souffle d’une liber­té mal com­prise, ne res­pectent plus rien ni en haut ni en bas. Partout des exci­ta­tions au vice, des délits pré­coces, des scan­dales publics. Au lieu de s’en tenir à la haute et noble mis­sion de recon­naître, de sau­ve­gar­der, de favo­ri­ser dans leur har­mo­nieux ensemble les droits divins et humains, l’État s’en croit presque l’arbitre, il les mécon­naît et les res­treint selon son caprice.

Enfin l’ordre social est géné­ra­le­ment ébran­lé jusque dans ses fon­de­ments. Livres et jour­naux, écoles et chaires d’enseignement, cercles et théâtres, monu­ments et dis­cours, pho­to­gra­phies et beaux-​arts, tout conspire à per­ver­tir les esprits et à cor­rompre les cœurs. Cependant, les peuples oppri­més et appau­vris fré­missent, les sectes anar­chistes s’agitent, les classes ouvrières lèvent la tète et vont gros­sir les rangs du socia­lisme, du com­mu­nisme, de l’anarchie. Les carac­tères s’affadissent, et un grand nombre de déses­pé­rés, ne sachant plus ni souf­frir noble­ment ni s’affranchir viri­le­ment de leurs misères, aban­donnent lâche­ment la vie par le sui­cide. Voilà les fruits que la secte maçon­nique nous a valus, à nous autres Italiens.
Et, après cela, elle ose se pré­sen­ter à vous avec de magni­fiques paroles, comme ayant bien méri­té de l’Italie ; elle ose Nous jeter à Nous, et à tous ceux qui écoutent Notre parole et sont fidèles à Jésus-​Christ, le titre calom­nieux d’ennemis de la patrie. Quels sont les mérites de la secte cri­mi­nelle envers notre pénin­sule ? Il est bon de le répé­ter, les faits le disent assez. Les faits disent que le patrio­tisme maçon­nique n’est qu’un égoïsme sec­taire, jaloux de tout domi­ner en s’assujettissant les États modernes qui, dans leurs mains, réunissent et concentrent tout.
Les faits disent que, dans les des­seins de la franc-​maçonnerie, les mots d’indépendance poli­tique, d’égalité, de civi­li­sa­tion, de pro­grès, ne tendent qu’à favo­ri­ser dans notre patrie l’in­dé­pen­dance de l’homme vis-​à-​vis de Dieu, la licence de l’erreur et du vice, la ligue d’une fac­tion au détri­ment des autres citoyens, et, pour les heu­reux du siècle, l’art de jouir plus lar­ge­ment des aises et des délices de la vie. Enfin, le but est de rame­ner aux luttes intes­tines, aux cor­rup­tions et aux hontes du paga­nisme, un peuple rache­té par le sang divin.

On ne sau­rait d’ailleurs s’en éton­ner. Une secte qui, après dix-​neuf siècles de civi­li­sa­tion chré­tienne, s’efforce d’abattre l’Église catho­lique et d’en tarir les sources divines ; une secte qui nie abso­lu­ment le sur­na­tu­rel, répu­die toute révé­la­tion avec tous les moyens de salut que la révé­la­tion nous pro­cure ; une secte qui, pour la réa­li­sa­tion de ses des­seins et de ses œuvres, ne se fonde que sur une nature infirme et cor­rom­pue comme la nôtre, ne peut être que le comble de l’orgueil, de la convoi­tise et de la sen­sua­li­té. Or, l’or­gueil opprime, la convoi­tise dépouille, la sen­sua­li­té cor­rompt, et lorsque ces trois concu­pis­cences sont pous­sées à l’extrême, les oppres­sions, les spo­lia­tions, les cor­rup­tions séduc­trices s’élargissent peu à peu, prennent des pro­por­tions déme­su­rées et finissent par deve­nir l’oppression, la spo­lia­tion, le foyer de cor­rup­tion de tout un peuple.

Laissez-​Nous donc, en Nous adres­sant à vous, dénon­cer la franc-​maçonnerie comme une enne­mie de Dieu, de l’Église et de notre patrie. Reconnaissez-​la pra­ti­que­ment pour telle, une fois pour toutes, et avec toutes les armes que la rai­son, la conscience et la foi vous mettent entre les mains, débarrassez-​vous d’un si cruel enne­mi. Que per­sonne ne se laisse plus trom­per par ses belles appa­rences, allé­cher par ses pro­messes, séduire par ses flat­te­ries, effrayer par ses menaces.

Rappelons-​nous que le chris­tia­nisme et la franc-​maçonnerie sont essen­tiel­le­ment incon­ci­liables, si bien que s’agréger à l’une, c’est divor­cer avec l’autre. Cette incom­pa­ti­bi­li­té entre la pro­fes­sion de catho­lique et celle de franc-​maçon, vous ne pou­vez plus l’ignorer désor­mais, fils bien-​aimés. Nos pré­dé­ces­seurs vous en ont clai­re­ment aver­tis, et de même, Nous vous en réité­rons hau­te­ment la décla­ra­tion.
Que ceux qui, par le plus grand mal­heur, ont don­né leur nom à quelqu’une de ces socié­tés de per­di­tion, sachent donc qu’ils sont stric­te­ment tenus de s’en sépa­rer, s’ils ne veulent pas res­ter retran­chés de la com­mu­nion chré­tienne et perdre leur âme dans le temps et dans l’éternité.
Que les parents, les édu­ca­teurs, les patrons, tous ceux qui ont charge des autres, sachent aus­si qu’ils ont le devoir rigou­reux d’empêcher, selon leur pou­voir, leurs sujets d’entrer dans celte secte cou­pable ou d’y res­ter s’ils y ont pénétré.

Il importe, dans une matière si grave, où la séduc­tion est de nos jours si facile, que le chré­tien se garde des pre­miers pas, redoute les plus légers périls, évite toute occa­sion, prenne les plus minu­tieuses pré­cau­tions, suive, pour tout dire, le conseil évan­gé­lique, eu conser­vant dans son cœur la sim­pli­ci­té de la colombe avec tonie la pru­dence du ser­pent. Que les pères et les mères de famille se gardent d’accueillir sous leur toit et d’admettre dans l’intimité du foyer domes­tique les per­sonnes incon­nues, ou du moins sur la reli­gion des­quelles ils ne sont pas assez, édi­fiés ; qu’ils aient soin de s’assurer d’abord que, sous le man­teau de l’ami, du maître, du méde­cin, ou de toute autre per­sonne ser­viable, ne se cache pas un astu­cieux, recru­teur de la secte. Ah ! dans com­bien de familles le loup a péné­tré sous la peau de l’agneau !

Il est beau assu­ré­ment de voir les socié­tés les plus variées sur­gir aujourd’hui dans tous les ordres de la vie civile, de toutes parts, avec une pro­di­gieuse fécon­di­té ; socié­tés ouvrières, socié­tés de secours mutuels, de pré­voyance, de sciences, de lettres, d’arts et autres sem­blables. Lorsqu’elles sont péné­trées d’un bon esprit moral et reli­gieux, elles deviennent cer­tai­ne­ment utiles et oppor­tunes. Mais, ici encore, et même sur­tout ici, a péné­tré et pénètre le poi­son maçonnique.

Il faut donc géné­ra­le­ment tenir pour sus­pectes et évi­ter les socié­tés qui, échap­pant à toute influence reli­gieuse, peuvent faci­le­ment être diri­gées et domi­nées plus ou moins par des francs-​maçons ; il faut évi­ter de même celles qui, non seule­ment prêtent leur aide à la secte, mais en forment pour ain­si dire la pépi­nière et l’atelier d’apprentissage.
Que les femmes ne s’agrègent pas faci­le­ment aux socié­tés phi­lan­thro­piques dont on ne connaît pas bien la nature et le but, sans avoir d’abord consul­té des per­sonnes sages et expé­ri­men­tées : sou­vent cette phi­lan­thro­pie, que l’on oppose avec tant de pompe à la cha­ri­té chré­tienne, n’est qu’un laisser-​passer pour la mar­chan­dise maçon­nique.
Que cha­cun évite toute liai­son, toute fami­lia­ri­té avec des per­sonnes soup­çon­nées d’appartenir à la franc-​maçonnerie ou à des Sociétés affi­liées. Qu’on les recon­naisse à leurs fruits et qu’on s’en éloigne, et ain­si qu’on laisse toute rela­tion fami­lière non seule­ment avec les impies et les liber­tins décla­rés qui portent au front le carac­tère de la secte, mais encore avec ceux qui se déguisent sous le masque de la tolé­rance uni­ver­selle, du res­pect pour toutes les reli­gions, de la manie de conci­lier les maximes de l’Évangile avec celles de la Révolution, le Christ avec Bélial, l’Église de Dieu avec l’État sans Dieu.

Quant aux livres et aux jour­naux qui dis­til­lent le venin de l’impiété, attisent dans les cœurs le feu des convoi­tises effré­nées et des pas­sions sen­suelles ; quant aux cercles et cabi­nets de lec­ture où rôde l’esprit maçon­nique, cher­chant une proie à dévo­rer, qu’ils soient en hor­reur à tous les chré­tiens et à cha­cun d’eux. De plus, comme il s’agit d’une secte qui a tout enva­hi, il ne suf­fit pas de se tenir sur la défen­sive, mais il faut des­cendre cou­ra­geu­se­ment dans l’arène et la com­battre de front : c’est ce que vous ferez, chers fils, en oppo­sant publi­ca­tions à publi­ca­tions, écoles à écoles, asso­cia­tions à asso­cia­tions, congrès à congrès, actions à actions.

La franc-​maçonnerie s’est empa­rée des écoles publiques. Vous, avec les écoles pri­vées, avec les écoles pater­nelles, avec celles que dirigent des ecclé­sias­tiques zélés et des reli­gieux ou des reli­gieuses, disputez-​lui l’instruction et l’éducation de l’enfance et de la jeu­nesse chré­tiennes, mais sur­tout que les parents chré­tiens ne confient pas l’éducation de leurs enfants à des écoles peu sûres. Elle a confis­qué le patri­moine de la bien­fai­sance publique ; vous, sachez y sup­pléer par le tré­sor de la cha­ri­té pri­vée. Elle a mis dans les mains de ses adeptes les œuvres pies ; vous, confiez à des ins­ti­tu­tions catho­liques celles qui dépendent de vous. Elle ouvre et main­tient des mai­sons pour le vice ; faites votre pos­sible pour ouvrir et main­te­nir des asiles à la ver­tu en péril. A ses gages, com­bat une presse anti­chré­tienne au double point de vue reli­gieux et social ; vous, de votre per­sonne et de votre argent, aidez, favo­ri­sez la presse catho­lique. Des Sociétés de secours mutuel et des éta­blis­se­ments de cré­dit sont fon­dés par elle pour ses par­ti­sans ; vous, faites de même, non seule­ment pour vos frères, mais pour tous les indi­gents ; vous mon­tre­rez ain­si que la vraie et sin­cère cha­ri­té est fille de Celui qui fait lever le soleil et tom­ber la pluie pour les justes et les pécheurs.

Que cette lutte du bien contre le mal s’étende à tout, et cherche, dans la mesure du pos­sible, à tout répa­rer. La franc-​maçonnerie tient fré­quem­ment ses congrès pour concer­ter de nou­veaux moyens d’at­taque contre l’Église ; vous aus­si, réunissez-​vous sou­vent pour mieux vous entendre sur les moyens et l’ordre de la défense. Elle mul­ti­plie ses loges ; vous aus­si mul­ti­pliez les cercles catho­liques et les comi­tés parois­siaux, favo­ri­sez les asso­cia­tions de cha­ri­té et de prière ; concou­rez à main­te­nir et à aug­men­ter la splen­deur du temple de Dieu.

La secte, désor­mais libre de toute crainte, se montre aujourd’hui au grand jour. Vous, catho­liques ita­liens, faites aus­si pro­fes­sion ouverte de votre foi, à l’exemple de vos glo­rieux ancêtres qui, intré­pides devant les tyrans, les sup­plices et la mort, la confes­saient et la scel­laient par le témoi­gnage de leur sang.
Quoi encore ? La secte s’ef­force d’asservir l’Église et de la mettre, humble ser­vante, aux pieds de l’État : vous, ne ces­sez pas de deman­der, et, par les voies légales, de reven­di­quer la liber­té et l’in­dé­pen­dance qui lui sont dues.
Pour déchi­rer l’u­ni­té catho­lique, elle essaye de semer dans le cler­gé lui-​même la ziza­nie, sus­cite des que­relles, fomente des dis­cordes, excite les esprits à l’insubordination, à la révolte, au schisme. Vous, res­ser­rant plus étroi­te­ment le nœud sacré de la cha­ri­té et de l’obéissance, rédui­sez ses des­seins à néant, ren­dez vaines ses ten­ta­tives, trom­pez ses espé­rances. Comme les fidèles de la pri­mi­tive Église, ne soyez tous qu’un cœur et qu’une âme, et, ras­sem­blés autour de la Chaire de saint Pierre, unis à vos pas­teurs, pro­té­gez les inté­rêts suprêmes de l’Église et de la Papauté, qui sont aus­si les inté­rêts suprêmes de l’Italie et de tout le monde chré­tien.
Le Siège Apostolique a tou­jours été l’inspirateur et le gar­dien jaloux des gran­deurs de l’Italie ; soyez donc Italiens et catho­liques ; libres et non sec­taires ; fidèles à la patrie et en même temps au Christ et à son Vicaire visible. Restez convain­cus qu’une Italie anti­chré­tienne et anti­pa­pale serait oppo­sée à l’ordre divin et, par consé­quent, condam­née à périr.

Fils bien-​aimés, la reli­gion et la patrie parlent par Nos lèvres. Ah ! écou­tez leur cri d’angoisse, levez-​vous tous ensemble, et com­bat­tez viri­le­ment les com­bats du Seigneur. Que le nombre, l’au­dace et la force des enne­mis ne vous épou­vantent pas, car Dieu est plus fort qu’eux, et, si Dieu est avec vous, que pourront-​ils contre vous ?
Afin que Dieu soit avec vous et vous accorde de plus abon­dantes grâces ; afin que ce Dieu com­batte avec vous, avec vous triomphe, redou­blez vos prières, accompagnez-​les des œuvres, des ver­tus chré­tiennes et sur­tout des œuvres de cha­ri­té envers les indi­gents.
Renouvelez tous les jours les pro­messes du bap­tême ; implo­rez avec humi­li­té, fer­veur et per­sé­vé­rance, les misé­ri­cordes divines. Comme gage de ces misé­ri­cordes et en témoi­gnage de Notre pater­nelle dilec­tion, Nous vous accor­dons, fils bien-​aimés, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 décembre 1892, quin­zième année de Notre Pontificat.

LÉON XIII, PAPE.