La loi sur « l’aide à mourir » (2)

Linsta­bi­li­té poli­tique de la France a au moins un bon effet : le par­cours vers la léga­li­sa­tion du sui­cide assis­té et de l’euthanasie a pris du retard. L’ exa­men au Sénat de la pro­po­si­tion de loi, qui était pré­vu en octobre, est de nou­veau repor­té en jan­vier 2026. Il est impos­sible de pré­voir quand aura lieu le vote final.

Au nom de la « liberté »

Par cette pro­po­si­tion de loi, la mort pro­vo­quée, la mort à la demande, devient un droit. Mais pour être mis en œuvre, ce « droit » nou­veau de celui qui demande à mou­rir implique que d’autres inter­viennent pour pro­vo­quer sa mort. Si la per­sonne qui demande à « béné­fi­cier » de l’aide à mou­rir a tous les droits, en revanche les autres n’ont que l’obligation d’obéir à ses dési­rs : droit pour les uns, sou­mis­sion à ce droit pour les autres.
Le méde­cin ne sera pas tenu (pour com­bien de temps ?) de par­ti­ci­per à la mise à mort, mais il sera tenu de diri­ger le deman­deur vers un méde­cin qui tue. La clause de conscience est par contre refu­sée aux phar­ma­ciens qui seront for­cés de pré­pa­rer ou déli­vrer la sub­stance létale au tueur : pas de choix pour eux, une som­ma­tion impi­toyable d’obéir aux ordres. Pas de clause de conscience non plus pour les éta­blis­se­ments de san­té et autres EHPAD : ils seront tenus d’organiser l’acte de mort dans leurs murs. Les uns et les autres seront condam­nés à par­ti­ci­per à ce qui est un homi­cide volon­taire, et ceci en vio­la­tion de leur conscience.

Au nom de la liber­té indi­vi­duelle de celui qui veut qu’on le fasse mou­rir, la liber­té sera refu­sée à d’autres qui n’échapperont pas à cette légis­la­tion mor­ti­fère. On ira jusqu’à contraindre des per­sonnes qui ont pour voca­tion de com­battre pour la vie, à don­ner la mort. « Les actes envi­sa­gés entrent en contra­dic­tion mani­feste avec le code de la san­té publique et les dif­fé­rents codes de déon­to­lo­gie des pro­fes­sions médi­cales », ont écrit des orga­ni­sa­tions de soignants.

On pré­tend faire de l’« aide active à mou­rir » un acte médi­cal, tel un soin. Tuer va deve­nir une option médi­cale par­mi d’autres. Et donc la mort va rem­pla­cer de plus en plus les soins. Mais don­ner la mort ne peut être un soin. Les soi­gnants sont là pour appor­ter le soin, pas la mort.

Ce que les gens veulent

On fait croire aux gens que l’alternative à l’euthanasie consiste à souf­frir atro­ce­ment. Et on mani­pule l’opinion publique par voie de son­dage, en deman­dant à une per­sonne si elle pré­fère souf­frir atro­ce­ment, ou avoir le choix de l’euthanasie. La réponse recher­chée arrive évi­dem­ment, car ce que veulent les gens, c’est juste ne pas souf­frir.
Le cri d’un malade « Je veux mou­rir » n’est pas une demande posi­tive, c’est avant tout un cri de détresse, un appel à l’aide. Il signi­fie, selon les cas : « Je souffre trop », « Je suis trop dimi­nué », « Je suis fati­gué de vivre ». Certains demandent à ter­mi­ner leur vie à cause de leur iso­le­ment, ou de la crainte d’être un far­deau pour les autres.
La méde­cine sait désor­mais sou­la­ger presque toutes les dou­leurs phy­siques. Mais il est vrai qu’il existe cer­taines souf­frances réfrac­taires aux cal­mants. Dans ces cas, une séda­tion plus forte peut être pro­po­sée au patient, si la mort n’est pas le but visé direc­te­ment.
La dou­leur morale trouve aus­si son apai­se­ment par un accom­pa­gne­ment atten­tion­né et les soins d’un per­son­nel dévoué. Presque imman­qua­ble­ment, quand les malades sont bien pris en charge, ils ne demandent plus à mou­rir. Ce dont les hommes ont besoin, ce n’est pas une aide à mou­rir, c’est une aide à vivre. A la fin de leur vie ils dési­rent être accom­pa­gnés et aidés jusqu’au bout, être entou­rés de com­pas­sion et d’amour, amour qui, même s’ils ne le savent pas, est un reflet de l’amour de Dieu.

Les pays où l’euthanasie est déjà légale

Pour com­prendre ce vers quoi nous allons, il suf­fit de consi­dé­rer ce qui se passe dans les pays qui ont déjà léga­li­sé l’euthanasie. Dans ces pays, le nombre d’euthanasies ne fait que croître, et rapi­de­ment, car ce genre de loi est tou­jours por­té à s’étendre.
Les Pays-​Bas sont le pre­mier pays en Europe à avoir auto­ri­sé l’euthanasie, par une loi de 2001. Depuis la pre­mière année de cette léga­li­sa­tion, le nombre d’euthanasies et sui­cides assis­tés a été mul­ti­plié par cinq. Maintenant, plus de 5 % des décès sont pro­vo­qués. Si les condi­tions éta­blies par la loi n’ont pas évo­lué au sens strict, leur inter­pré­ta­tion est deve­nue tou­jours plus large : eutha­na­sie de per­sonnes atteintes de troubles psy­chia­triques, de per­sonnes très âgées ou encore de malades souf­frant de plu- sieurs patho­lo­gies, mais ne res­pec­tant pas les condi­tions ini­tiales requises par la loi. Des per­sonnes sont eutha­na­siées au simple motif de leur défi­cience intel­lec­tuelle ou de leur trouble du spectre de l’autisme. L’euthanasie des enfants est pos­sible depuis février 2024.

En Belgique, l’euthanasie a été léga­li­sée en 2002 pour les adultes. En 2014, elle a été éten­due aux mineurs sans limite d’âge, sous cer­taines condi­tions concer­nant la capa­ci­té de dis­cer­ne­ment et l’accord paren­tal. En deux décen­nies, le nombre de cas d’euthanasie décla­rés a plus que décu­plé. L’euthanasie repré­sente désor­mais 3,6 % des décès (3991 cas en 2024). En 2023, 20 % des cas concer­naient des patients dont le décès n’était pas immi­nent.
Au Canada, l’euthanasie est auto­ri­sée depuis 2016. Il y eut cette année-​là 2300 eutha­na­sies ; en 2023 il y en a eu 15340, soit six fois plus. Dans ce pays le Parlement a chif­fré le « gain net finan­cier de l’aide médi­cale à mou­rir » : en 2020 il était de 149 mil­lions de dol­lars canadiens.

Les vrais mobiles

On voit ici appa­raître de vrais mobiles. L’homme pour­ra être mis à mort quand il n’est plus utile ou qu’il coûte cher à la socié­té.
Selon une étude de la Fondation pour l’innovation poli­tique[1], en France, avec le déve­lop­pe­ment de la mort pro­vo­quée, « on arri­ve­rait approxi­ma­ti­ve­ment à terme à 1,4 mil­liard d’euros d’économies annuelles de dépenses de san­té ». « De sur­croît, ces cal­culs n’incluent pas les éco­no­mies réa­li­sées sur les dépenses de retraite, ni les dépenses pour les per­sonnes han­di­ca­pées ni les autres formes de pres­ta­tions sus­cep­tibles d’être allouées à ces patients. Surtout l’exemple des pays étran­gers nous montre que les cri­tères légaux ini­tia­le­ment pré­vus par le légis­la­teur s’effacent les uns après les autres. Aussi, dès lors que celui de la proxi­mi­té de la fin de vie (décès pré­vi­sible à six mois) dis­pa­raît, il devient pos­sible, comme au Québec, et même sou­hai­table de pro­po­ser aux patients atteints d’une patho­lo­gie grave, “le choix” de l’euthanasie dès l’annonce du diag­nos­tic. Ce n’est plus en jour­nées ni en semaines, mais en mois voire en années qu’il fau­dra comp­ta­bi­li­ser les éco­no­mies ain­si réalisées. »

Les conséquences sur la civilisation

Légaliser l’euthanasie ou le sui­cide assis­té, c’est auto­ri­ser des mises à mort déli­bé­rées : il sera désor­mais per­mis de tuer. Or l’interdit de l’homicide n’appartient pas au domaine de la loi humaine, il relève d’une loi supé­rieure à la volon­té des hommes, la loi natu­relle, expres­sion de la loi divine : « Tu ne tue­ras pas ». Cet inter­dit est le seul garde-​fou valable, et un repère fon­da­men­tal de toute socié­té civi­li­sée. La trans­gres­sion de cet inter­dit consti­tue donc une bas­cule elle aus­si fon­da­men­tale. Un pays qui pré­tend légi­fé­rer pour éli­mi­ner ses vieux et ses malades ne peut plus reven­di­quer le sta­tut de nation civi­li­sée. Derrière le paravent des mots de « liber­té » ou de « digni­té , c’est un ren­ver­se­ment com­plet qui se joue.
Que va deve­nir l’article du code pénal sur la non-​assistance à per­sonne en dan­ger ? Que vont faire les pom­piers, les gen­darmes, les per­sonnes qui tentent de sau­ver un déses­pé­ré, par­fois au risque de leur vie ? Qu’adviendra-t-il des soi­gnants qui refu­se­ront de tra­hir leur voca­tion de se battre pour la vie, de soi­gner, de gué­rir quand c’est pos­sible, de sou­la­ger tou­jours ? Que restera-​t-​il de l’esprit d’un peuple qui lais­se­ra faire cet acte de mort sur les plus faibles ?

Légitimer qu’on puisse sup­pri­mer celui qui souffre pour sou­la­ger sa souf­france pro­vo­que­ra un chan­ge­ment de para­digme des soins pour tous les malades. Quand un patient ver­ra une blouse blanche s’approcher de lui, il se deman­de­ra : ami ou enne­mi ? Au lieu de tuer les grands malades, la civi­li­sa­tion catho­lique s’est obs­ti­née à les soi­gner même dans les cir­cons­tances extrêmes. Au lieu de lais­ser les déshé­ri­tés mou­rir seuls et aban­don­nés, elle a inven­té les hôpi­taux, les orphe­li­nats, les asiles de vieillards. Elle s’est employée à faire com­prendre à tous leur digni­té d’êtres humains à l’image de Dieu, quel que soit le mal­heur qui les frappe. Elle les a aidés à paraître devant Dieu par les secours de la vraie reli­gion. C’est cet esprit que Satan veut faire dis­pa­raître, l’esprit d’amour plus fort que l’indifférence, et d’espérance plus forte que le déses­poir humain.

Le changement de mentalité

On le constate par­tout et tou­jours : la léga­li­sa­tion du mal entraîne un chan­ge­ment de men­ta­li­té très rapide dans la socié­té. En peu de temps les consciences sont com­plè­te­ment faus­sées, ce qui est légal devient légi­time aux yeux de la majo­ri­té. Dans les pays où elle est légale, on assiste à une bana­li­sa­tion de l’euthanasie. D’après un son­dage réa­li­sé au Canada en 2023, la moi­tié des son­dés était favo­rable à l’euthanasie des per­sonnes han­di­ca­pées, 28% à celle des sans-​abri ou des per­sonnes pauvres. Personne ne s’étonnera plus que la loi puisse déci­der de la vie et de la mort des inno­cents, ou qui doit par­ti­ci­per de force à un homicide.

Cette loi va aus­si intro­duire dans l’esprit de beau­coup l’idée que, si jamais on devient gra­ve­ment malade, on peut dis­po­ser de notre vie ou de celle de nos proches. Si l’on tra­verse des moments très dif­fi­ciles aux­quels on vou­drait échap­per, il y aura désor­mais une porte de sor­tie orga­ni­sée par la socié­té pour ache­ver rapi­de­ment les exis­tences. Cette pos­si­bi­li­té fera que beau­coup se pose­ront cette ques­tion pour eux-​mêmes ou pour leurs proches. Ce sera à la famille de déci­der si elle sou­haite s’occuper de la grand-​mère ou du père âgé qui devien­dront un far­deau pour leurs propres enfants, et ensuite ce sera la maman démis­sion­naire qui sou­hai­te­ra le sui­cide assis­té pour son enfant parce qu’elle n’aura plus envie de s’en occu­per. Les débor­de­ments seront légion, et le pire est que la plu­part des gens l’accepteront et trou­ve­ront ça normal.

Affronter ce monde de mort

L’euthanasie était pour­tant tom­bée dans la répro­ba­tion géné­rale après le pro­cès de Nuremberg. En effet, dans l’Allemagne nationale-​socialiste a exis­té un pro­gramme d’élimination des per­sonnes han­di­ca­pées, Aktion T4, qui fut en vigueur en 1940–1941 et fera des mil­liers de vic­times. Parmi les voix qui se sont éle­vées contre ce pro­gramme d’eugénisme de masse mis en œuvre par l’État, la plus forte et cou­ra­geuse fut celle de l’évêque de Münster Mgr von Galen. Cet illustre évêque a pres­sen­ti qu’un fruit de l’euthanasie serait l’ensauvagement de la socié­té, jusque dans les familles : « On ne peut s’imaginer la dépra­va­tion morale, la méfiance uni­ver­selle qui s’étendra au cœur même de la famille si le saint com­man­de­ment de Dieu : “Tu ne tue­ras pas !”, que notre Créateur a écrit dans la conscience de l’homme, si ce com­man­de­ment est vio­lé, et sa vio­la­tion tolé­rée et exer­cée impu­né­ment ! » Ses paroles contri­bue­ront à ce que le pro­gramme soit arrê­té en octobre 1941.

Les évêques fran­çais actuels sont mal­heu­reu­se­ment inca­pables de ce lan­gage. Avec leur mol­lesse habi­tuelle, ils ont lamen­ta­ble­ment fait part de leurs « réserves », de leurs « réti­cences » ou leurs « inquié­tudes[2] ».

Le Comité des Nations unies char­gé de sur­veiller le res­pect de la Convention inter­na­tio­nale rela­tive aux droits des per­sonnes han­di­ca­pées, a qua­li­fié le pro­jet de loi fran­çais de poten­tiel­le­ment dis­cri­mi­na­toire, en assi­mi­lant impli­ci­te­ment la condi­tion des per­sonnes han­di­ca­pées à une vie de moindre valeur. Le han­di­cap ne doit pas être en soi un motif suf­fi­sant pour pou­voir deman­der l’euthanasie ou le sui­cide assis­té. Mais le gou­ver­ne­ment fran­çais tiendra-​t-​il compte de son avis ?

Les enne­mis de Dieu veulent façon­ner la socié­té selon leur concep­tion. Parmi eux, les mili­tants de la mort admi­nis­trée pour­suivent sans relâche leur tra­vail de pro­pa­gande idéo­lo­gique. Il faut nous pré­pa­rer à affron­ter le monde d’après cette loi de mort : for­mer nos esprits, affer­mir nos consciences, refu­ser cette volon­té de mort. Pour qu’au juge­ment der­nier, quand cer­tains enten­dront : « J’étais malade et vous m’avez eutha­na­sié », nous enten­dions de Notre-​Seigneur : « J’étais malade et vous m’avez visité. »

source : La Couronne de Marie – n°147

    Notes de bas de page
  1. Pascale Favre et Yves-​Marie Doublet, Les non-​dits éco­no­miques et sociaux du débat sur la fin de vie, Janvier 2025.[]
  2. Par exemple Mgr de Moulins-​Beaufort, à l’époque pré­sident de la Conférence des évêques de France (La Croix, 12 mai2025).[]