Si grande que soit la science des choses créées, elle finira par passer (1 Cor 13, 8) et céder la place à la vision du Créateur.
Introduction
Dans sa préface à Pie XII et la cité, le cardinal Opilio Rossi note que « le pape [Pie XII] exhorte théologiens et philosophes à étudier attentivement les divers courants et à recueillir jusqu’à la moindre parcelle de vérité contenue dans les recherches humaines, surtout dans la science. La doctrine de la foi et les nouvelles découvertes de la science peuvent se prêter un appui mutuel, même si, en matière de foi, le dernier mot revient au Magistère institué par le Christ[1] ».
Une rapide coup d’œil jeté aux discours adressés par le pontife à l’Académie pontificale des sciences permet de confirmer l’observation du prélat. Le Pasteur Angélique y manifeste son intérêt pour la paléontologie[2], la biologie[3], la physique atomique et nucléaire[4], la psychologie[5], l’optique[6], l’anatomie[7], l’astronomie[8], l’astrophysique[9], la géologie[10] et la minéralogie[11]. Il évoque par ailleurs « la voie du progrès humain, voie rude, voie marquée des traces des plus audacieux héros des découvertes, de Thalès, d’Aristote, d’Archimède, de Ptolémée, de Galien à Bacon, à Léonard de Vinci, à Copernic, à Galilée, à Kepler, à Newton, à Volta, à Pasteur, à Curie, à Hertz, à Edison, à Marconi, à cent autre[12] ».
Devant les savants, il justifie les raisons de son intérêt pour les sciences : « L’énigme de la création a tenu en haleine, depuis des siècles, l’admiration et l’intelligence de toutes les nations. […] Le secret de la vérité, caché depuis des siècles et enseveli dans l’univers, vous nous le révélez[13] ». Finalement, « dans cette recherche des lois qui gouvernent le monde, vous allez à la rencontre de Dieu et vous en cherchez les traces laissées par lui lorsqu’il en eut accompli la création[14] ».
Pour baliser le chemin qui mène de la création au Créateur, Pie XII traite d’abord des sciences en elles-mêmes (1), puis dans leurs rapports avec la philosophie (2) et la foi (3). Mettons nos pas dans les siens.
1. Les sciences en elles-mêmes
1.1 Une connaissance certaine par les causes
Le pontife prend soin de définir la science :
« Qu’est-ce, en effet, que la science, sinon la connaissance certaine des choses ? Et comment est-il possible d’acquérir cette connaissance si l’on ne scrute pas les principes et les causes des choses dont procède la démonstration de leur être et de leur nature et de leur action[15] ? »
Pour avoir une connaissance certaine par les causes, l’homme doit passer par des similitudes —d’abord sensibles puis intellectuelles— tirées de la réalité :
« La science n’est pas la science des rêves ou des images des choses, mais celle des choses elles-mêmes, au moyen des images que nous recueillons d’elles, car, ainsi que l’enseigne, après Aristote, le Docteur angélique[16], la pierre ne peut être dans notre âme, mais bien l’image ou la figure de la pierre qui, semblable à elle-même, se reproduit dans nos sens puis dans notre intelligence, afin que, par cette ressemblance, elle puisse être et qu’elle soit dans notre âme et dans notre étude et nous fasse revenir à elle en nous ramenant à la réalité[17]. »
1.2 Des faits aux hypothèses et aux théories
Dotée d’un objet spécifique, chaque science élabore sa propre méthodologie :
« Nobles champions des sciences et des arts humains, l’Église vous reconnaît la juste liberté de la méthode et des recherches, liberté sur laquelle Notre immortel prédécesseur Pie XI fondait cette Académie, sachant bien ce qu’enseigne le même Concile du Vatican, que l’Église “ne défend nullement que les disciplines de ce genre se servent chacune dans son domaine de principes qui leur sont particuliers et d’une méthode propre ; mais, reconnaissant cette juste liberté, elle veut éviter avec soin qu’elles acceptent des erreurs contraires à la divine doctrine, ou que, franchissant leurs limites propres, elles s’occupent de choses touchant à la foi et y jettent le désordre[18]”[19]. »
Le scientifique passe inlassablement de l’observation des faits à l’énoncé des hypothèses et à l’élaboration des théories :
« Chercher inlassablement des faits précis, élaborer des théories pour les expliquer, vérifier la théorie par de nouvelles observations, la corriger au besoin, la remplacer par une autre plus parfaite, qui tienne compte davantage des données acquises, tel est le labeur incessant de l’astronome, labeur qui, même aux yeux des profanes, apparaît titanesque[20]. »
La voie qui mène à la vérité est souvent semée d’obstacles et la solution qui semblait proche reste parfois hors de portée :
« Incessant est le progrès de la science. Il est bien vrai que les étapes successives de son avancement n’ont pas toujours été placées sur le chemin qui, des premières observations et découvertes, mènent directement à l’hypothèse, de l’hypothèse à la théorie, et enfin à l’obtention sûre et indubitable de la vérité[21]. »
1.3 « Entre Dieu et nous, il y a la nature[22] »
Mesurée par l’intelligence divine, la réalité naturelle est mesure de l’intelligence humaine :
« Les choses d’où notre esprit tire la science mesurent notre esprit et les lois que nous trouvons ou puisons en elles ; mais elles sont mesurées par l’éternelle intelligence divine, dans laquelle sont toutes les choses créées, comme dans l’esprit de tout artisan se trouvent toutes les œuvres de sa compétence[23]. »
Autant la conformité avec les idées divines est constitutive des natures créées, autant la conformité de l’intelligence humaine avec ces dernières leur est accidentelle :
« La vérité de la nature est inséparable au regard de l’art infaillible de l’intelligence créatrice qui la soutient dans l’être et dans l’agir et qui en mesure ainsi la vérité dans la réalité des choses. Au contraire, elle est accidentelle à la nature et aux choses, la relation de la vérité, dont les revêt, comme effet de sa contemplation et investigation, notre débile intelligence[24]. »
1.4 Une rationalité à découvrir
En examinant la nature, le scientifique y découvre une intelligibilité et une rationalité qu’elle ne s’est pas donnée à elle-même :
« Loi dit ordre ; et la loi universelle dit ordre dans les grandes choses comme dans les petites. C’est un ordre que votre intelligence et votre main retrouvent dérivant directement des tendances intimes renfermées dans les choses naturelles ; ordre que nulle chose ne peut créer ou se donner par elle-même, pas plus qu’elle ne peut donner l’être ; ordre qui dit Raison ordonnatrice dans un esprit, qui a créé l’univers et de qui “dépendent le ciel et toute la nature[25]” ; ordre qu’ont reçu avec l’être ces tendances et ces énergies et avec lequel, les unes et les autres collaborent à un monde bien ordonné[26]. »
« Le monde des corps, sans avoir une âme qui l’informe et le vivifie, sans avoir une intelligence qui le gouverne et le guide, se meut pourtant selon la raison comme s’il vivait, et agit de propos délibéré comme s’il comprenait. Ceci n’est-il pas la preuve la plus évidente que le monde est dirigé par la main de ce Maître, invisible en lui-même, mais visible dans son œuvre, qui est le Dieu omniscient, ordonnateur de l’univers avec un art suprême[27] ? »
1.5 Se conformer à la réalité des choses
Attentif à scruter un objet qui s’impose à lui, le scientifique doit chercher la vérité qui est conformité au réel :
« De même que nous ne créons pas la nature, nous ne créons pas davantage la vérité. […] Quand notre intelligence ne se conforme pas à la réalité des choses et veut rester sourde à la voix de la nature, elle s’égare dans l’illusion des songes et s’attache à de fallacieuses et trompeuses vanités[28]. »
« Les plus grands génies du passé et du présent ont eu la noble persuasion qu’ils étaient les hérauts d’une vérité identique et la même pour tous les peuples et toutes les races qui foulent le sol du globe et regardent le ciel ; une vérité qui s’appuie essentiellement sur une adaequatio rei et intellectus[29], laquelle n’est pas autre chose que la conformité acquise, plus ou moins parfaite, plus ou moins accomplie, de notre intelligence avec la réalité objective des choses naturelles, dans laquelle consiste la vérité de notre savoir[30]. »
« La vérité doit s’entendre comme l’accord du jugement de l’homme avec la réalité de l’être et de l’action des choses elles-mêmes, par opposition avec les représentations et les idées que l’esprit y introduit[31]. »
Encore faut-il éviter de confondre faits et interprétations :
« La distinction entre les faits certains et leur interprétation ou leur systématisation est aussi fondamentale pour le chercheur que la définition de la vérité. Le fait est toujours vrai, parce qu’il ne peut y avoir d’erreur ontologique. Mais il n’en va pas ainsi sans plus dans son élaboration scientifique. Ici, on court le danger de formuler des conclusions prématurées et de commettre des erreurs de jugement.
« Tout cela impose le respect des faits et de l’ensemble des faits, la prudence dans l’énonciation de propositions scientifiques, la sobriété du jugement scientifique, la modestie si appréciée chez le savant et qu’inspire la conscience des limites du savoir humain ; cela favorise l’ouverture d’esprit et la docilité du véritable homme de science bien éloigné de tenir à ses propres idées quand elles s’avèrent insuffisamment fondées et, finalement, cela conduit à examiner sans parti pris les opinions d’autrui et à les juger[32]. »
Lorsque plusieurs sciences étudient une même réalité mais sous des angles variés, elles ne sauraient se contredire :
« Il est rare qu’une seule science s’occupe d’un objet déterminé. Elles sont souvent plusieurs qui le traitent chacune sous un aspect différent. Si leur enquête est correcte, la contradiction entre leurs résultats est impossible, car cela supposerait une contradiction dans la réalité ontologique. Or, la réalité ne peut se contredire[33]. »
Si l’apparence d’une contradiction se faisait jour, elle ne pourrait résulter « que d’une observation fautive, ou de l’interprétation erronée d’une observation exacte, ou encore du fait que le chercheur, dépassant les limites de sa spécialité, s’est avancé sur un terrain qu’il ne connaît pas [34] ».
2. Science et philosophie
2.1 Un divorce malheureux
Que l’ignorance mutuelle entre la science et la philosophie, Pie XII ne peut que le constater et la regretter :
« Hélas ! depuis un certain temps la science et la philosophie se sont séparées. Il serait difficile d’établir les causes et les responsabilités d’un fait aussi dommageable. Il est certain que la cause de ce divorce n’est pas à chercher dans la nature même des deux voies qui conduisent à la vérité, mais dans les contingences historiques et dans les personnes, qui ne possédaient pas toujours la bonne volonté et la compétence qui eussent été nécessaires[35]. »
Plutôt que de s’ignorer, science et philosophie devrait s’appuyer l’une sur l’autre :
• la philosophie doit respecter le caractère expérimental de la méthode scientifique : « Si la science a le devoir de chercher sa cohérence et de s’inspirer de la saine philosophie, jamais celle-ci ne doit prétendre à déterminer les vérités, qui relèvent uniquement de l’expérience et de la méthode scientifique. Seule, en effet, l’expérience, entendue au sens le plus large, peut indiquer quelles sont, dans l’infinie variété des grandeurs et des lois matérielles possibles, celles que le Créateur a voulu vraiment réaliser[36]. »
• la science doit apporter à la philosophie cette connaissance des choses sensibles qui lui sert de point de départ : « La philosophie peut-elle être un rêve de l’esprit qui confond Dieu avec la nature, qui contemple avec complaisance des visions et des illusions d’idoles fantaisistes ? La philosophie ne consiste-t-elle pas, au contraire, à prendre solidement pied dans la réalité des choses que nous voyons et touchons, et à chercher les causes les plus profondes et les plus élevées de la nature et de l’univers ? Toute notre connaissance ne commence-t-elle pas par les sens[37] ? »
2.2 Les impasses à éviter
L’harmonie entre science et philosophie lorsque les sciences, loin de s’en tenir à l’observation des faits, en livrent une interprétation idéologiquement orientée :
« Y a‑t‑il opposition entre la recherche qui porte sur la nature physique et l’intelligence humaine ? Entre les sciences et la philosophie ? Certainement, il y a conflit entre les sciences qui ne voient pas la main de Dieu dans l’ordre qui existe dans l’univers, et la philosophie qui dans les lois de la nature reconnaît l’ordre ou l’arrangement de la raison divine, qui prend soin de l’univers et le gouverne[38]. »
« Cet ordre universel, vous le contemplez, vous le mesurez, vous l’étudiez ; il n’est pas ni ne peut être le fruit d’un besoin absolu aveugle, non plus que du hasard et de la fortune ; le hasard est une conception de l’imagination ; la fortune, un rêve de l’ignorance humaine. Dans l’ordre, vous cherchez une raison qui le gouverne ab intrinseco[39] une organisation de la raison dans un monde qui, même sans vie, se meut comme s’il vivait et agit selon son dessein comme s’il comprenait ; en un mot, vous cherchez la loi qui, précisément, est une ordonnance de la raison de Celui qui gouverne l’univers et l’a fixée dans la nature et dans les mouvements de son instinct inconscient. Dans cette recherche des lois qui gouvernent le monde, vous allez à la rencontre de Dieu et vous en cherchez les traces laissées par lui lorsqu’il en eut accompli la création[40]. »
Diverses voies sans issue sont signalées par Pie XII
Primo, le phénoménisme ainsi défini :
« Notre intelligence n’arriverait à acquérir la science que par les ressemblances reçues des choses, et c’est pourquoi seules les images des choses, et non les choses elles-mêmes, seraient l’objet de notre science et des lois que nous formulons concernant la nature[41]. »
De fait, le scientifique ne reste pas s’efforce à la surface des choses mais il en pénètre la substance cachée :
« La véritable loi de la nature que le savant formule à la suite d’une observation et d’une attention patiente dans son laboratoire, est bien plus et mieux qu’une simple description ou qu’un simple calcul intellectuel n’ayant pour objet que des phénomènes et non des substances réelles avec leurs propriétés. Elle ne s’arrête pas à l’apparence ni à l’image sensible, dont elle ne se contente pas, mais elle pénètre dans la profondeur de la réalité, recherche et découvre les forces intimes et occultes des phénomènes, en montre l’activité et les rapports[42]. »
« Les lois naturelles existent, pour ainsi dire, incarnées et secrètement opérantes au plus profond de la nature, et nous, par l’observation et l’expérimentation, nous les recherchons et les découvrons. Ne dites pas que la matière n’est pas une réalité, mais une abstraction façonnée par la physique ; que la nature est en soi insaisissable par l’esprit ; que notre monde sensible est un autre monde à part, tandis que le phénomène, qui est l’apparence du monde extérieur, nous fait songer à la réalité des choses qu’il cache. Non ! la nature, c’est la réalité, et une réalité qu’on peut connaître[43]. »
Secundo, le mécanisme qui soutient « que tout phénomène naturel se ram[ène] à un ensemble de forces physiques, chimiques et mécaniques, dans lequel le changement et l’action résult[ent] uniquement d’une disposition différente des particules dans l’espace et des forces ou déplacements, auxquels chacune d’elles [est] soumise. Il s’en[suit] que, théoriquement, on [peut] prévoir avec certitude un effet futur quelconque, à condition de connaître, au départ, toutes les données géométriques et mécaniques. Selon cette doctrine, le monde ne serait qu’une énorme machine, composée d’une série innombrable d’autres machines unies entre elles[44] ».
Or, force est de constater que « les progrès ultérieurs de la recherche expérimentale ont montré l’inexactitude de ces hypothèses. La mécanique déduite des faits du macrocosme est incapable d’expliquer et d’interpréter tous les phénomènes du microcosme : d’autres éléments entrent en jeu qui échappent à toute explication de nature mécaniste[45] ».
Tertio, l’idéalisme scientifique « dans lequel la considération du sujet agissant tient le rôle principal[46] ».
Quarto, le scepticisme qui affirme « qu’il faut se contenter de simples constatations de faits, et tenter de les faire entrer dans des représentations formelles synthétiques et simples, afin de prévoir les développements possibles d’un système physique à partir du donné initial. Cet état d’esprit signifie qu’on renonce à l’introspection conceptuelle et qu’on perd l’espoir d’accomplir des synthèses géniales universelles[47] ».
Quinto, la réduction de la science aux statistiques :
« L’affirmation que les lois naturelles ne souffrent aucune exception a été tellement ébranlée par le progrès de la science exacte, qu’aujourd’hui c’est tout juste si l’on ne tombe pas dans l’autre excès qui consiste à ne parler que de règles moyennes, de normes statistiques et de lois de probabilité. Pareille façon de penser est permise dans la mesure où de très nombreuses lois du monde sensible ou macrocosme manifestent un caractère statistique — car elles n’expriment pas la façon de se comporter de chaque être, mais le processus moyen d’un nombre immense d’êtres semblables — et ainsi se prêtent à être traitées au moyen du calcul des probabilités.
« Mais vouloir voir seulement des lois statiques dans le monde est une erreur de nos temps, […] c’est affirmer que l’on peut se passer de l’ancienne conception rigidement dynamique de la loi naturelle et qu’elle est devenue vide de sens. Bien plus, le récent positivisme s’est avancé si loin, à côté du conventionnalisme, qu’il a mis en doute la valeur même de la loi causale[48]. »
3. Science et foi
De même qu’il appelle de ses vœux une réconciliation des sciences et de la philosophie, Pie XII —fidèle aux enseignements du concile Vatican I— affirme que foi et science peuvent et doivent se prêter aide mutuelle :
« La foi n’est pas orgueilleuse, ce n’est pas une maîtresse qui tyrannise la raison ou la contredit ; le sceau de la vérité n’est pas diversement imprimé par Dieu dans la foi et dans la raison. Bien plutôt, au lieu de s’opposer, elles s’aident l’une l’autre, comme Nous l’avons déjà dit, puisque la droite raison démontre les fondements de la foi et, à sa lumière, en éclaire les termes, et que la foi préserve la raison de l’erreur, qu’elle l’en sauve lorsqu’elle y est tombée, et l’instruit par ses connaissances de tous genres[49]. »
En effet, Dieu aux hommes aussi bien par le monde qu’il a créé que par sa révélation :
« Dans ses études profondes, l’homme a deux livres : celui de l’univers, où la raison humaine étudie, cherchant la vérité des choses bonnes faites par Dieu ; celui de la Bible et de l’Évangile, où l’intelligence étudie à côté de la volonté, en quête d’une vérité supérieure à la raison, sublime comme le mystère intime de Dieu, connu de lui seul[50]. »
La distinction entre les faits établis et les hypothèses énoncées permet de désamorcer certains conflits apparents entre science et foi :
« Plusieurs réclament avec instances que la religion catholique tienne le plus grand compte [des sciences positives]. Ce qui, sans aucun doute, est chose louable lorsqu’il s’agit de faits véritablement établis, mais lorsqu’il s’agit d’hypothèses qui touchent à l’enseignement de l’Écriture ou de la Tradition, même si elles ont quelque fondement scientifique, il faut les accueillir avec prudence. Si de telles hypothèses s’opposaient directement ou indirectement à la doctrine révélée, par Dieu, elles seraient un postulat tout à fait inacceptable[51]. »
Donnons quelques précisions à ce propos :
« Il faut bien connaître ce que l’on appelle la méthode scientifique moderne, qui ne comporte pas seulement l’observation précise et méthodique de la nature, d’où peuvent être induites de véritables lois, mais aussi l’élaboration, a priori, d’hypothèses explicatives des phénomènes observés, qui, elles, ne sont que des possibilités, des vérités supposées, mais qui ne sont pas la conclusion d’une véritable démonstration.
« Cette méthode excelle pour les phénomènes quantifiables par des méthodes de mesure : les mathématiques permettent de les expliquer par des hypothèses de calculs, et, plus largement par des “théories”, qui expliquent, par déduction mathématique à partir de quelques lois supposées, tout un ensemble de phénomènes mesurables et quantifiables, et permet d’en prévoir l’évolution dans le temps.
« Mais, même dans ce cas, cette méthode est d’un point de vue logique basée sur la proposition conditionnelle : si A (la cause supposée) est vrai, alors B (l’effet observé) est vrai. A est l’hypothèse explicative, B le fait vérifiable par l’expérience. Lorsque l’expérience me permet de constater que B est vrai, elle n’entraîne nullement la vérité de A, qui demeure une hypothèse. C’est seulement si B est faux que l’on peut déduire que A est fausse. A strictement parler, on devrait dire : l’observation de B permet selon les lois connues de la science, d’affirmer qu’il est possible que la cause soit A. […]
« Une théorie géologique ou biologique, si elle parvient à expliquer, par un ensemble cohérent et logique de lois supposées, des faits observables, elle n’en demeure pas moins dans le domaine du possible et non du nécessaire, ou du vraisemblable et non du vrai à simplement parler. Elle a de surcroît la difficulté, par rapport aux théories physiques, de faire appel à des liens de cause à effet qui ne sont pas mathématiques [52]. »
La prudence est donc de mise dans l’énoncé des hypothèses et leur présentation au grand public :
« Les multiples recherches, aussi bien de la paléontologie que de la biologie et de la morphologie, sur les autres problèmes qui concernent les origines de l’homme, n’ont apporté jusqu’à présent rien de positivement clair et certain. Il ne reste donc qu’à laisser à l’avenir la réponse à la question ; un jour, peut-être la science, éclairée et guidée par la Révélation, pourra présenter des résultats sûrs et définitifs sur un sujet si important[53]. »
Conclusion
Dès le début de son pontificat, Pie XII manifestait aux membres de l’Académie pontificale des sciences l’intérêt que l’Église et son pontife suprême portent aux sciences et aux arts :
« Amie de la vérité, l’Église admire et aime le progrès du savoir humain à l’égal de celui des arts et de tout ce qu’elle sait être apte par sa beauté et sa bonté à exalter l’esprit et à promouvoir le bien. Est-ce que l’Église n’est pas elle-même le progrès divin dans le monde et la mère du plus haut progrès intellectuel et moral de l’humanité et de la vie civile des peuples ? Elle s’avance à travers les siècles, maîtresse de vérité et de vertu, luttant contre les erreurs, non contre les hommes qui errent, ne détruisant pas, mais édifiant, plantant des roses et des lis sans déraciner les oliviers et les lauriers [54]. »
D’où les encouragements qu’il prodigue aux hommes de science :
« Vous devez être, en un certain sens, les découvreurs des intentions de Dieu. Il vous appartient d’interpréter le livre de la nature, d’en exposer le contenu et d’en tirer les conséquences pour le bien commun[55]. »
Si grande que soit la science des choses créées, elle finira par passer (1 Cor 13, 8) et céder la place à la vision faciale du Créateur :
« Si notre corps vient du limon de la terre et doit retourner en poussière, notre âme, qui vient de Dieu, est immortelle et désire ardemment s’élever vers Dieu par l’échelle de la science de ce monde, science qui ne parvient pas à satisfaire pleinement l’immense avidité de la vérité qui nous agite. Le monde est l’école de Dieu, maître de toute science ; la figure de ce monde passe, nous restons seuls en face du Maître[56]. »
[1] Cardinal Opilio Rossi, « Préface » dans Pie XII et la cité. La pensée et l’action politique de Pie XII [Actes du colloque de la faculté de droit d’Aix-en-Provence], Paris, Tequi, 2000.
[2] Discours du 3 décembre 1939 et du 30 novembre 1941.
[3] Discours du 30 novembre 1941 et du 24 avril 1955.
[4] Discours du 30 novembre 1941 et du 8 février 1948.
[5] Discours du 21 février 1943, du 8 février 1948 et du 24 avril 1955.
[6] Discours du 21 février 1943.
[7] Discours du 8 février 1948.
[8] Discours du 24 avril 1955 et du 20 mai 1957.
[9] Discours du 22 novembre 1951.
[10] Discours du 24 avril 1955.
[11] Ibid.
[12] Discours du 3 décembre 1939.
[13] Ibid.
[14] Discours du 21 février 1943.
[15] Ibid.
[16] Cf. I, q. 76, a. 2, ad 4.
[17] Ibid.
[18] Concile Vatican I, Constitution Dei Filius, 24 avril 1870, c. 4.
[19] Discours du 3 décembre 1939.
[20] Discours du 20 mai 1957.
[21] Discours du 8 février 1948.
[22] Discours du 3 décembre 1939.
[23] Discours du 21 février 1943. Cf. saint Thomas d’Aquin, De Veritate, q. 1, a. 2 c : « Les réalités naturelles, d’où notre intelligence reçoit la science, mesurent notre intelligence, comme il est dit au 10e livre de la Métaphysique, mais sont mesurées par l’intelligence divine, en laquelle sont toutes choses… »
[24] Discours du 3 décembre 1939.
[25] Dante, Divine Comédie, Paradis, chant XXVIII, v. 42.
[26] Discours du 8 février 1948.
[27] Discours du 30 novembre 1941.
[28] Discours du 3 décembre 1939.
[29] Adéquation de la chose et de l’intelligence.
[30] Discours du 21 février 1943.
[31] Discours aux participants du 1er congrès de génétique médicale, 8 septembre 1953.
[32] Ibid.
[33] Ibid.
[34] Ibid.
[35] Discours du 24 avril 1955.
[36] Ibid.
[37] Discours du 30 novembre 1941.
[38] Ibid.
[39] De l’intérieur.
[40] Discours du 21 février 1943.
[41] Ibid.
[42] Discours du 8 février 1948.
[43] Discours du 21 février 1943.
[44] Discours du 24 avril 1955.
[45] Ibid.
[46] Ibid.
[47] Ibid.
[48] Discours du 21 février 1943.
[49] Discours du 3 décembre 1939.
[50] Ibid.
[51] Encyclique Humani generis, 12 août 1950.
[52] Abbé Jean-Luc Radier, « La foi et la théorie de l’évolution » dans L’existence de Dieu [Actes de l’université d’été 2007 de la Fraternité sacerdotale saint Pie X], p. 52–53.
[53] Discours du 30 novembre 1941.
[54] Discours du 3 décembre 1939.
[55] Discours du 24 avril 1955.
[56] Discours du 30 novembre 1941.
Abbé François KNITTEL
Source : Cahiers Saint Raphaël.
- Cardinal Opilio Rossi, « Préface » dans Pie XII et la cité. La pensée et l’action politique de Pie XII [Actes du colloque de la faculté de droit d’Aix-en-Provence], Paris, Tequi, 2000[↩]
- Discours du 3 décembre 1939 et du 30 novembre 1941.[↩]
- Discours du 30 novembre 1941 et du 24 avril 1955.[↩]
- Discours du 30 novembre 1941 et du 8 février 1948.[↩]
- Discours du 21 février 1943, du 8 février 1948 et du 24 avril 1955.[↩]
- Discours du 21 février 1943.[↩]
- Discours du 8 février 1948.[↩]
- Discours du 24 avril 1955 et du 20 mai 1957.[↩]
- Discours du 22 novembre 1951.[↩]
- Discours du 24 avril 1955.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours du 21 février 1943.[↩]
- Ibid.[↩]
- Cf. I, q. 76, a. 2, ad 4.[↩]
- Ibid.[↩]
- Concile Vatican I, Constitution Dei Filius, 24 avril 1870, c. 4.[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Discours du 20 mai 1957.[↩]
- Discours du 8 février 1948.[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Discours du 21 février 1943. Cf. saint Thomas d’Aquin, De Veritate, q. 1, a. 2 c : « Les réalités naturelles, d’où notre intelligence reçoit la science, mesurent notre intelligence, comme il est dit au 10e livre de la Métaphysique, mais sont mesurées par l’intelligence divine, en laquelle sont toutes choses… »[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Dante, Divine Comédie, Paradis, chant XXVIII, v. 42.[↩]
- Discours du 8 février 1948.[↩]
- Discours du 30 novembre 1941.[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Adéquation de la chose et de l’intelligence.[↩]
- Discours du 21 février 1943.[↩]
- Discours aux participants du 1er congrès de génétique médicale, 8 septembre 1953.[↩]
- Ibid.[↩]
- Ibid.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours du 24 avril 1955.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours du 30 novembre 1941.[↩]
- Ibid.[↩]
- De l’intérieur.[↩]
- Discours du 21 février 1943.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours du 8 février 1948.[↩]
- Discours du 21 février 1943.[↩]
- Discours du 24 avril 1955.[↩]
- Ibid.[↩]
- Ibid.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours du 21 février 1943.[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Ibid.[↩]
- Encyclique Humani generis, 12 août 1950.[↩]
- Abbé Jean-Luc Radier, « La foi et la théorie de l’évolution » dans L’existence de Dieu [Actes de l’université d’été 2007 de la Fraternité sacerdotale saint Pie X], p. 52–53.[↩]
- Discours du 30 novembre 1941.[↩]
- Discours du 3 décembre 1939.[↩]
- Discours du 24 avril 1955.[↩]
- Discours du 30 novembre 1941.[↩]







