L’inopportune Corédemptrice

Médaille miraculeuse

Le Dicastère pour la Doctrine de la foi rejette le titre marial de « Corédemptrice ».

D’après saint Pie X, « parce que Marie l’emporte sur tous en sain­te­té et en union avec Jésus-​Christ et qu’elle a été asso­ciée par Jésus-​Christ à l’œuvre de la rédemp­tion, elle nous mérite de congruo, comme disent les théo­lo­giens, ce que Jésus-​Christ nous a méri­té de condi­gno[1], et elle est le ministre suprême de la dis­pen­sa­tion des grâces[2] ». 

En quelques lignes, le saint Pontife résume ce que l’on peut dire de la par­ti­ci­pa­tion de la Mère de Dieu à l’œuvre du salut : méri­ter de manière secon­daire les grâces du salut, les dis­pen­ser, et cela de manière uni­ver­selle[3]. Cette doc­trine est très tra­di­tion­nelle, même si elle est ici expri­mée en des termes propres aux théo­lo­giens. Elle com­mence d’être expri­mée par les Pères de l’Eglise lorsqu’ils parlent de Marie comme de la « nou­velle Eve[4] », à la suite de saint Paul qui par­lait de Jésus comme du Nouvel Adam (Rm 5 et I Cor 15), pour don­ner une idée de son rôle unique quoique second dans l’œuvre du salut. A l’Annonciation, Marie a accep­té que le Verbe se fasse chair ; au pied de la Croix, elle a accep­té la Passion, et de ce fait contri­bué à four­nir et offrir la vic­time du sacrifice.

Notre action de grâces remonte avant tout au Fils de Dieu qui seul a accom­pli l’acte de s’offrir en sacri­fice de valeur infi­nie. Mais nous sommes rede­vables à Notre Dame aus­si de notre salut, quoiqu’à un titre secon­daire. Il faut l’en remer­cier, elle aus­si, et ne pas rendre vain le glaive qui a trans­per­cé son Cœur en ren­dant la grâce sté­rile en nous. Il en résulte aus­si que c’est par son inter­ces­sion qu’il faut deman­der tous les secours divins sur­na­tu­rels dont nous avons besoin.

Pour expri­mer en un mot cette doc­trine, les écri­vains ecclé­sias­tiques ont depuis long­temps pro­po­sé le terme « Corédemptrice », qui a plu­sieurs fois fait l’objet d’études, de col­loques[5], et de demandes de défi­ni­tions dogmatiques.

La réponse de Rome est tom­bée ce mar­di 4 novembre via une « Note doc­tri­nale sur cer­tains titres mariaux qui se réfèrent à la coopé­ra­tion de Marie à l’œuvre du salut » inti­tu­lée Mater Populi fide­lis. Ce terme, qui a été employé par plu­sieurs papes, de Pie XI à Jean-​Paul II, est décla­ré « tou­jours inop­por­tun » « pour défi­nir la coopé­ra­tion de Marie ». La rai­son en est que « lorsqu’une expres­sion néces­site des expli­ca­tions nom­breuses et constantes, afin d’éviter qu’elle ne s’écarte d’un sens cor­rect, elle ne rend pas ser­vice à la foi du Peuple de Dieu et devient gènante[6]. » (n°22)

On est ravi d’apprendre qu’il faut exclure de l’enseignement de l’Eglise des expres­sions sus­cep­tibles d’interprétations fausses. Pourrions-​nous à ce pro­pos sug­gé­rer une révi­sion – assez com­plète – du Concile Vatican II ? Les théo­lo­giens romains peuvent comp­ter sur une vaste docu­men­ta­tion accu­mu­lée depuis 60 ans. Mais peut-​être y a‑t-​il des inop­por­tu­ni­tés plus oppor­tunes que d’autres !

L’explication à appor­ter est que le rôle de la Sainte Vierge dans la Rédemption ne rem­place pas le rôle prin­ci­pal de Jésus Sauveur. Mais les expli­ca­tions pro­po­sées par la note du Dicastère pour la Doctrine de la foi, pas­sa­ble­ment com­pli­quées, cari­ca­turent les ensei­gne­ments mariaux tra­di­tion­nels[7], mettent au condi­tion­nel la valeur méri­toire de la com­pas­sion de Notre Dame[8] et esca­motent sa por­tée uni­ver­selle (n°67–70).

Il nous reste à suivre l’enseignement du pape Léon, le trei­zième, selon qui « par la Volonté de Dieu, Marie est l’intermédiaire par laquelle nous est dis­tri­bué cet immense tré­sor de grâces accu­mu­lé par Dieu, puisque la grâce et la véri­té ont été créées par Jésus-​Christ ; ain­si, de même qu’on ne peut aller au Père suprême que par le Fils, on ne peut arri­ver au Christ que par Sa Mère[9] ».

    Notes de bas de page
  1. Les théo­lo­giens entendent par mérite de condi­gno le titre strict à rece­voir de Dieu une récom­pense pour une action méri­toire. En effet Dieu s’engage à récom­pen­ser les bonnes œuvres mues par la cha­ri­té sur­na­tu­relle, pro­por­tion­nel­le­ment à la valeur méri­toire de l’œuvre. Le mérite de congruo indique que Dieu récom­pen­se­ra, non en ver­tu de cet enga­ge­ment et selon cette pro­por­tion, mais parce qu’il est conve­nable qu’une âme dévouée à Lui reçoive ses faveurs.[]
  2. Saint Pie X, ency­clique Ad diem illum lae­tis­si­mum, 2 février 1904.[]
  3. Bien sûr, Notre Dame n’a pu méri­ter les grâces qui l’ont ren­due capable de méri­ter elle-​même.[]
  4. Saint Justin, saint Irénée, Tertullien.[]
  5. Jusqu’en l’an de grâces 2025, un col­loque en mai à Paris.[]
  6. Faute d’orthographe gênante, ain­si que l’italique, authen­tiques dans la ver­sion du site inter­net du Vatican, consul­tée le 5 novembre.[]
  7. Comme si on par­lait d’un « dépôt de grâces sépa­ré de Dieu » dont Marie pour­rait dis­po­ser. Comme si on consi­dé­rait la Vierge comme « source » elle-​même de la grâce (n°45), ou « cause prin­ci­pale de la grâce » (n°50), ou comme méri­tant Elle-​même sa propre sanc­ti­fi­ca­tion pre­mière (n°67).[]
  8. En note 37 ; ce point est attri­bué à quelques théo­lo­giens alors qu’il est affir­mé par saint Pie X. Mais la parole de François, dans son style syno­dal inimi­table, pèse plus lorsqu’il taxe cette doc­trine de ton­tería (12 décembre 2019) ![]
  9. Léon XIII, ency­clique Octobri mense, 22 sep­tembre 1891.[]