La conduite au cimetière

« Il est pré­fé­rable, ose-​t-​on écrire, que ce soit un membre de la famille ou un ami mais non pas le prêtre qui dise la prière au cime­tière ». Cette phrase me fait mal. Quel triste aveu. Le prêtre renonce donc à être un ami ?

Il est des moments pri­vi­lé­giés où le prêtre a conscience de faire vrai­ment ce pour quoi il a été ordon­né ; Lorsqu’il célèbre le Saint Sacrifice, lorsque, au nom du Christ, il par­donne aux pécheurs qui, un par un, viennent deman­der la paix de leur conscience, le prêtre sait qu’il est prêtre.

J’ai le même sen­ti­ment lorsque je conduis un défunt ou cime­tière. Le cime­tière est une terre sainte. La porte du cime­tière c’est la porte du para­dis (même si chez nous elle n’est pas triom­phale comme dans les enclos parois­siaux bretons.).

Comment un pas­teur n’aurait-​il pas l’am­bi­tion légi­time de conduire cha­cun de ses parois­siens jus­qu’à la porte du para­dis ? Ce jour-​là, d’ailleurs chez nous c’est sou­vent la paroisse entière qui marche der­rière la croix, pré­fi­gu­rant et réa­li­sant le ras­sem­ble­ment du peuple de Dieu en marche vers la Terre Promise.

Aucune conduite au cime­tière ne res­semble à une autre : ce défunt (cette défunte) je l’ai connu per­son­nel­le­ment ou bien je connais ceux qui le pleurent ou encore on m’a cité tel évè­ne­ment de son exis­tence et décou­vert un aspect de son cœur.

Parfois, c’est vrai, la dou­leur de la famille est poi­gnante. Le prêtre fait corps avec elle davan­tage peut-​être que le plus proche parent car le prêtre tient dans ses mains le corps du Christ crucifié.

Les larmes sont humaines, elles sont chré­tiennes aus­si et si un jour le maté­ria­lisme triom­phait, on ne pleu­re­rait plus les morts, on les jetterait.

Les cime­tières sont divers. A Mesnil, à Ergnies et à Maison-​Roland ils entourent l’é­glise. Par quelle porte déro­bée le prêtre devrait-​il donc s’en­fuir s’il vou­lait par mal­heur appli­quer à la lettre les recom­man­da­tions imbé­ciles de la pas­to­rale moder­niste ? et s’é­clip­ser pour lais­ser le champ libre à un laïc ? A Brucamps la mon­tée au cime­tière est rude comme celle d’un cal­vaire. En haut on ne voit plus que le ciel. A Domqueur le che­min bor­dé de haies, ombra­gé ne donne en aucune sai­son l’im­pres­sion de mener en enfer. Fleuri au prin­temps, jon­ché de feuilles mortes à l’au­tomne c’est vrai­ment le che­min du repos non seule­ment éter­nel mais pas­sa­ger. A Cramont, c’est vrai, le cime­tière est balayé par le vent et quand il y a de la tem­pête tout ce qu’on a posé sur les tombes est bous­cu­lé. En hiver on aurait envie de ren­trer sous terre. Ce n’est pas une rai­son pour y envoyer un laïc à ma place. J’ai de très bonnes et vastes chapes noires, très confor­tables que j’ai sau­vées de la débâcle liturgique.

A l’heure où l’on fait des son­dages pour tout et pour rien, a‑t-​on deman­dé l’a­vis des fidèles pour décla­rer sot­te­ment « La pré­sence du prêtre au cime­tière n’est pas indis­pen­sable » ? « Il est pré­fé­rable ose-​t-​on écrire (ano­ny­me­ment dans le bul­le­tin offi­ciel du dio­cèse) que ce soit un membre de la famille ou un ami mais non pas le prêtre qui dise la prière au cime­tière ». Cette phrase me fait mal. Quel triste aveu. Le prêtre renonce donc à être un ami ? N’est-​il pas sou­vent trai­té lors de beau­coup de deuils comme un véri­table membre de la famille ?

Le prêtre qui a écrit cette lamen­table phrase a‑t-​il son­gé que sa pré­sence au cime­tière serait un jour, un jour au moins, pour lui indispensable ?

Abbé Ph. SULMONT