Dix minutes extraordinaires

Monsieur l’abbé à votre avis, quel est le plus grand bon­heur du prêtre ?

Serait-​ce lorsque, à l’image du bon Pasteur qu’était saint Vincent de Paul, vous aban­don­nez vos bre­bis pour aller vous occu­per des gens per­dus, des pauvres et des nus, qui s’éloignent de Dieu quand ils sont dans le besoin ?

Effectivement, belle joie que celle-​ci, car Jésus a pro­mis le Royaume des cieux à cet homme : « J’avais faim et vous m’avez don­né à man­ger ; venez, les bénis de mon Père ! » Mais le prêtre a de plus grandes joies…

Est-​ce plu­tôt lorsque vous prê­chez la Foi révé­lée et que vous trans­met­tez la richesse de la doc­trine catho­lique, racine du salut : « Celui qui croi­ra et sera bap­ti­sé sera sau­vé, celui qui ne croi­ra pas sera condam­né… sans la Foi, nul ne peut plaire à Dieu[1] » ?

Oui, c’est là une grande joie, sur­tout dans le contexte actuel où la plu­part des gens ignorent abso­lu­ment tout de ces richesses… mais il y a mieux.

Alors c’est sûre­ment votre prière quo­ti­dienne de l’Office divin (le bré­viaire). Quelle chance d’être en per­ma­nence utile aux autres en inter­cé­dant pour eux : « Les per­sonnes que vous diri­gez, se trouvent-​elles tout d’un coup enve­lop­pées dans la nuit obs­cure des pas­sions et des tem­pêtes, le ciel lui-​même semble-​t-​il ne leur pré­sen­ter que des ténèbres épaisses ? Faites alors, plus que jamais, l’office d’un chien vigi­lant et fidèle ; veillez conti­nuel­le­ment sur elles pen­dant leur nuit téné­breuse : et que vos cris et vos prières s’élèvent sans cesse vers le Seigneur, afin d’attirer sur vos frères les grâces pré­cieuses dont ils ont besoin[2]. » 

Oui, même lorsque nous sommes malades, cette joie demeure… mais elle n’est pas non plus la plus grande.

Est-​ce d’accueillir dans votre prieu­ré quelqu’un se décla­rant athée, musul­man ou franc-​maçon, se met­tant à genoux et vous implo­rant de l’instruire de la Foi pour reve­nir à son Créateur ?

Oh, les prêtres expé­ri­mentent cette conso­la­tion de plus en plus… quel bon­heur quand on se couche ces soirs-​là… mais il y a beau­coup mieux !

Quand des fidèles ou des familles se déchirent et que vous par­ve­nez, grâce à Dieu, à les récon­ci­lier tota­le­ment. Jésus a bien dit : « Bienheureux les arti­sans de paix… »

Bienheureux, certes, mais cette béa­ti­tude des paci­fiques est sur­tout une pro­messe du Ciel ….

J’imagine alors que c’est de bap­ti­ser, la joie de faire deve­nir enfant de Dieu : « Quiconque est engen­dré de Dieu, la semence de Dieu demeure en lui… Nous avons été ren­dus par­ti­ci­pants de la nature divine… Nous sommes dès à pré­sent enfants de Dieu. Mais ce que nous serons n’est pas encore appa­ru[3]

Non, il y a une joie plus grande…

Lorsque vous don­nez l’absolution au nom de Dieu à un pécheur qui se vau­trait dans la boue et qui mani­feste de vrais signes de contrition ?

On goûte dou­ble­ment cette joie, pour lui et pour soi, car le Seigneur a dit « Bienheureux ceux qui font misé­ri­corde, car ils obtien­dront eux-​mêmes la miséricorde. »

Quand une dame en pleurs vient vous sup­plier de rai­son­ner sa fille qui se laisse embar­quer dans une secte New-​Age, s’est mise en concu­bi­nage, et que non seule­ment vous y par­ve­nez, mais la per­sua­dez de suivre une retraite spi­ri­tuelle. Votre jour­née est réus­sie, non ?

C’est sur­tout un sou­la­ge­ment pour son âme. Mais c’est vrai, on savoure une allé­gresse car « si l’un de vous s’égare loin de la véri­té et qu’un autre l’y ramène, sachez que celui qui ramène le pécheur du che­min où il s’égarait, sau­ve­ra cette âme de la mort, et cou­vri­ra une mul­ti­tude de péchés[4]. »

À l’image de saint François, cette plus grande joie ne serait-​elle pas lorsque des chré­tiens vous accusent d’être schis­ma­tiques, lefeb­vristes, hors de l’Église ou inté­gristes ? Jésus avait pré­dit : « Vous serez excom­mu­niés, et qui­conque vous met­tra à mort s’imaginera rendre un culte à Dieu[5]. »

Il est vrai que ce « bon­heur par­fait » se goûte peu à peu, à mesure que l’humilité prend racine en nous. Je me sou­viens de ce vieux prêtre bou­té hors de sa paroisse par son évêque, car il refu­sait la nou­velle Messe pro­tes­tan­ti­sante de Paul VI. Il appe­lait cette épreuve déchi­rante « la misé­ri­corde de Dieu ». Monseigneur Lefebvre, dans sa fameuse décla­ra­tion du 21 novembre 1974, affir­mait par­ler « sans aucune amer­tume, sans aucune rébel­lion » : c’est cette humi­li­té et dou­ceur qu’à notre tour nous cher­chons à vivre, mais bien impar­fai­te­ment… cette joie n’est donc pas la plus grande.

Le céli­bat sacerdotal ?

Effectivement, cette joie est pure si elle vient de la cha­ri­té, car la rai­son en est que « le bon Pasteur aime ses bre­bis et donne sa vie pour elles », et que l’amour du prêtre pour le Sacré-​Cœur le pousse à ne pas par­ta­ger son cœur. Vous vous en appro­chez un peu…

Je n’y par­viens pas… qu’allez-vous me dire ? Le cœur à cœur pro­lon­gé devant le taber­nacle ? Le sacri­fice de l’obéissance, les muta­tions, la joie de retrou­ver son trou­peau à la sor­tie des messes ? Je donne ma langue au chat.

Les dix minutes extra­or­di­naires. Celles qu’on attend et qu’on désire chaque matin. Ce sont les dix minutes divines dans la Messe, entre la Consécration et la Communion. Car le prêtre vient de faire des­cendre Jésus sur l’autel et il se retrouve face à face, phy­si­que­ment, avec le Seigneur. Les yeux dans les yeux, pourrait-​on dire, Il sup­plie le prêtre : « Prends-​moi et donne-​moi au Père pour toi et tous les hommes. » Quelle inti­mi­té ! Le prêtre est à vingt cen­ti­mètres de Lui. Lui, le Fils éter­nel, la deuxième Personne de la Trinité, qui s’offre en sacri­fice pour nous. Qui prie pour nous, à notre place. Et bien mieux que nous.

Qui mieux que le prêtre peut vrai­ment prendre conscience de la bles­sure faite par l’humanité au cœur de Dieu, du désastre où elle s’est jetée, de l’impossibilité de reve­nir sur ce qui a été fait, quand il tient en ses mains ce Corps et ce Sang du Fils de Dieu ! Il prend conscience du cri de Dieu à Caïn : « Ecoute le sang de ton frère crier vers moi de la terre ![6] » auquel répond le cri d’étonnement admi­ra­tif de saint Jean : « Il nous aime et nous a lavé de nos péchés dans son Sang[7] ! »

Tenir l’Amour Vivant de Dieu dans ses mains et en deve­nir le par­fait ins­tru­ment, voi­là le bon­heur inima­gi­nable du prêtre. Prions pour que de nom­breux jeunes puissent un jour l’apprécier.

Source : Lettre sur les Vocations n°33, avril 2025

Notes de bas de page
  1. Mc XVI 16, Heb 11.[]
  2. St Jean Climaque, Lettre au Pasteur[]
  3. Jn I, 3 ; Pet II, 1[]
  4. Jac V, 19[]
  5. Joan XVI, 2[]
  6. Gen IV, 10[]
  7. Apoc I, 5[]

FSSPX

M. l’ab­bé Guillaume GAUD est actuel­le­ment Directeur du Séminaire Saint Curé d’Ars de Flavigny sous l’au­to­ri­té de la Maison Générale et donc supé­rieur majeur. Il est connu pour ses com­pé­tences à pro­pos de l’Islam.