Monsieur l’abbé à votre avis, quel est le plus grand bonheur du prêtre ?
Serait-ce lorsque, à l’image du bon Pasteur qu’était saint Vincent de Paul, vous abandonnez vos brebis pour aller vous occuper des gens perdus, des pauvres et des nus, qui s’éloignent de Dieu quand ils sont dans le besoin ?
Effectivement, belle joie que celle-ci, car Jésus a promis le Royaume des cieux à cet homme : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger ; venez, les bénis de mon Père ! » Mais le prêtre a de plus grandes joies…
Est-ce plutôt lorsque vous prêchez la Foi révélée et que vous transmettez la richesse de la doctrine catholique, racine du salut : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné… sans la Foi, nul ne peut plaire à Dieu[1] » ?
Oui, c’est là une grande joie, surtout dans le contexte actuel où la plupart des gens ignorent absolument tout de ces richesses… mais il y a mieux.
Alors c’est sûrement votre prière quotidienne de l’Office divin (le bréviaire). Quelle chance d’être en permanence utile aux autres en intercédant pour eux : « Les personnes que vous dirigez, se trouvent-elles tout d’un coup enveloppées dans la nuit obscure des passions et des tempêtes, le ciel lui-même semble-t-il ne leur présenter que des ténèbres épaisses ? Faites alors, plus que jamais, l’office d’un chien vigilant et fidèle ; veillez continuellement sur elles pendant leur nuit ténébreuse : et que vos cris et vos prières s’élèvent sans cesse vers le Seigneur, afin d’attirer sur vos frères les grâces précieuses dont ils ont besoin[2]. »
Oui, même lorsque nous sommes malades, cette joie demeure… mais elle n’est pas non plus la plus grande.
Est-ce d’accueillir dans votre prieuré quelqu’un se déclarant athée, musulman ou franc-maçon, se mettant à genoux et vous implorant de l’instruire de la Foi pour revenir à son Créateur ?
Oh, les prêtres expérimentent cette consolation de plus en plus… quel bonheur quand on se couche ces soirs-là… mais il y a beaucoup mieux !
Quand des fidèles ou des familles se déchirent et que vous parvenez, grâce à Dieu, à les réconcilier totalement. Jésus a bien dit : « Bienheureux les artisans de paix… »
Bienheureux, certes, mais cette béatitude des pacifiques est surtout une promesse du Ciel ….
J’imagine alors que c’est de baptiser, la joie de faire devenir enfant de Dieu : « Quiconque est engendré de Dieu, la semence de Dieu demeure en lui… Nous avons été rendus participants de la nature divine… Nous sommes dès à présent enfants de Dieu. Mais ce que nous serons n’est pas encore apparu[3].»
Non, il y a une joie plus grande…
Lorsque vous donnez l’absolution au nom de Dieu à un pécheur qui se vautrait dans la boue et qui manifeste de vrais signes de contrition ?
On goûte doublement cette joie, pour lui et pour soi, car le Seigneur a dit « Bienheureux ceux qui font miséricorde, car ils obtiendront eux-mêmes la miséricorde. »
Quand une dame en pleurs vient vous supplier de raisonner sa fille qui se laisse embarquer dans une secte New-Age, s’est mise en concubinage, et que non seulement vous y parvenez, mais la persuadez de suivre une retraite spirituelle. Votre journée est réussie, non ?
C’est surtout un soulagement pour son âme. Mais c’est vrai, on savoure une allégresse car « si l’un de vous s’égare loin de la vérité et qu’un autre l’y ramène, sachez que celui qui ramène le pécheur du chemin où il s’égarait, sauvera cette âme de la mort, et couvrira une multitude de péchés[4]. »
À l’image de saint François, cette plus grande joie ne serait-elle pas lorsque des chrétiens vous accusent d’être schismatiques, lefebvristes, hors de l’Église ou intégristes ? Jésus avait prédit : « Vous serez excommuniés, et quiconque vous mettra à mort s’imaginera rendre un culte à Dieu[5]. »
Il est vrai que ce « bonheur parfait » se goûte peu à peu, à mesure que l’humilité prend racine en nous. Je me souviens de ce vieux prêtre bouté hors de sa paroisse par son évêque, car il refusait la nouvelle Messe protestantisante de Paul VI. Il appelait cette épreuve déchirante « la miséricorde de Dieu ». Monseigneur Lefebvre, dans sa fameuse déclaration du 21 novembre 1974, affirmait parler « sans aucune amertume, sans aucune rébellion » : c’est cette humilité et douceur qu’à notre tour nous cherchons à vivre, mais bien imparfaitement… cette joie n’est donc pas la plus grande.
Le célibat sacerdotal ?
Effectivement, cette joie est pure si elle vient de la charité, car la raison en est que « le bon Pasteur aime ses brebis et donne sa vie pour elles », et que l’amour du prêtre pour le Sacré-Cœur le pousse à ne pas partager son cœur. Vous vous en approchez un peu…
Je n’y parviens pas… qu’allez-vous me dire ? Le cœur à cœur prolongé devant le tabernacle ? Le sacrifice de l’obéissance, les mutations, la joie de retrouver son troupeau à la sortie des messes ? Je donne ma langue au chat.
Les dix minutes extraordinaires. Celles qu’on attend et qu’on désire chaque matin. Ce sont les dix minutes divines dans la Messe, entre la Consécration et la Communion. Car le prêtre vient de faire descendre Jésus sur l’autel et il se retrouve face à face, physiquement, avec le Seigneur. Les yeux dans les yeux, pourrait-on dire, Il supplie le prêtre : « Prends-moi et donne-moi au Père pour toi et tous les hommes. » Quelle intimité ! Le prêtre est à vingt centimètres de Lui. Lui, le Fils éternel, la deuxième Personne de la Trinité, qui s’offre en sacrifice pour nous. Qui prie pour nous, à notre place. Et bien mieux que nous.
Qui mieux que le prêtre peut vraiment prendre conscience de la blessure faite par l’humanité au cœur de Dieu, du désastre où elle s’est jetée, de l’impossibilité de revenir sur ce qui a été fait, quand il tient en ses mains ce Corps et ce Sang du Fils de Dieu ! Il prend conscience du cri de Dieu à Caïn : « Ecoute le sang de ton frère crier vers moi de la terre ![6] » auquel répond le cri d’étonnement admiratif de saint Jean : « Il nous aime et nous a lavé de nos péchés dans son Sang[7] ! »
Tenir l’Amour Vivant de Dieu dans ses mains et en devenir le parfait instrument, voilà le bonheur inimaginable du prêtre. Prions pour que de nombreux jeunes puissent un jour l’apprécier.
Source : Lettre sur les Vocations n°33, avril 2025