Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 11 de janvier 2007



Billetin du Tiers-​Ordre séculier pour les pays de langue française

Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq, aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur, 

Enfants de la Très Sainte Vierge et du Carmel, nous nous devons d’a­li­men­ter notre vie inté­rieure par l’exer­cice quo­ti­dien de l’o­rai­son men­tale. C’est de ce sujet que vous entre­tien­dra ce bulletin. 

L’oraison est « une élé­va­tion de l’âme vers Dieu pour s’en­tre­te­nir inti­me­ment avec Lui, dans le double but de Le. glo­ri­fier et de. trou­ver en Lui le vrai bon­heur » [Dom Godefroid Bélorgey/​La pra­tique de l’o­rai­son men­tale, éd. du Cerf, 1948, t.l, p. 591]. 

Par cette pra­tique, nous réa­li­sons la fin pour laquelle Dieu nous a créés : Sa glo­ri­fi­ca­tion et notre bonheur. 

Nous n’al­lons pas à l’o­rai­son pour nous y recher­cher ou y trou­ver quelque conso­la­tion. S’il en était ain­si, nous ris­que­rions fort de ne jamais y per­sé­vé­rer et de tout aban­don­ner dès les pre­mières séche­resses. C’est avant tout pour glo­ri­fier Dieu que nous nous livrons à l’exer­cice de l’o­rai­son. Alors quelle joie pour l’âme de savoir que ce but est tou­jours atteint quel que soit le sujet sur lequel l’o­rai­son porte, que nous soyons dans la séche­resse, en état d’im­puis­sance, ou même tenté.

Comment glorifions-​nous Dieu ? En Lui ren­dant nos devoirs et en deve­nant meilleurs. Et quels sont nos devoirs envers Dieu ? Le caté­chisme nous les apprend : l’a­do­ra­tion, l’ac­tion de grâces, la demande de par­don et la demande de grâces. Cela est tout naturel. 

« Quand vous allez voir un grand per­son­nage, vous com­men­cez par le regar­der pour prendre conscience de vos rela­tions avec lui ; vous êtes alors sai­si de res­pect. De même, dès que nous nous met­tons en pré­sence de Dieu, nous sommes sai­sis par le Tout de Dieu en face de notre néant et nous le pro­cla­mons par l’a­do­ra­tion. Puis, stu­pé­faits de l’a­mour de ce Dieu qui nous aime, nous Le remer­cions. Conscients de notre ingra­ti­tude, nous Lui deman­dons par­don et enfin nous implo­rons son aide pour mieux L’aimer et Le ser­vir désor­mais plus géneu­reu­se­ment. Tout se suit et découle logi­que­ment du pre­mier acte. » [Dom Bélorgey op. cit. p. 61].

S. nous ne négli­gions pas ce pre­mier acte, nos orai­sons seraient bien meilleures. C est par­fois le seul moyen de sor­tir de la sécheresse.

L’adoration est la pre­mière de nos obli­ga­tions. Dieu cherche des ado­ra­teurs en esprit et en véri­té [Jn 4,23].

« Adorer Dieu, c’est se mettre dans la véri­té devant Lui. Si l’hu­mi­li­té nous met déjà dans la véri­té, c’est sur­tout par rap­port à nous-​mêmes ; elle montre à l’homme sa misère, son néant. Mais quand l’âme s’a­baisse, en retour Dieu l’é­lève et lui donne l’a­mour ; c’est alors que naît l’a­do­ra­tion qui nous met dans la véri­té sur­tout par rap­port à Dieu. » [Dom Bélorgey, op. cit., p- 631. 

Les grandes âmes ont soif d’a­do­ra­tion. Elles y puisent des joies très pures, immenses. Ce sen­ti­ment d’ad­mi­ra­tion intense s’é­pa­nouit en amour de com­plai­sance et de bien- veillance. L’âme se réjouit de la toute par­faite « Beauté » de Dieu, puis elle désire de toutes ses forces l’ac­com­plis­se­ment pro­chain et com­plet de la volon­té de Dieu qui fera de tous les hommes de par­faits adorateurs. 

La consi­dé­ra­tion de notre néant, après ce regard d’a­do­ra­tion de la sain­te­té infi­nie, fait naître l’ac­tion de grâces. Comment Vous si par­fait et si grand, avez-​Vous pu tant m’ai­mer, moi qui ne suis rien ? Et Dieu attend notre retour d’a­mour. Il y trouve Sa gloire. 

« Apres L’avoir ado­ré, remercions-​Le de son amour éter­nel, de ces grâces par­ti­cu­lières par les­quelles Il s’est révé­lé à nous, de tant de grâces igno­rées, de tous ces bien­faits conti­nuels par les­quels Il se penche sur nous pour nos pré­ser­ver, de tant de grâces offertes que nous n’a­vons pas accep­tées ! » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 64].

Et ce Dieu qui m’aime de toute éter­ni­té, qui m’a tout don­né, et qui S est livré pou^mon saL, je conti­nue à L’offenser ! Nous glo­ri­fions Dieu encore, en recoure a^on par­don. Pardon de n’a­voir pas répon­du à tant d’a­mour. La confu­sion et le regret sin­cère de tant de fautes et d’in­dé­li­ca­tesses don­ne­ront a l’toe­la volon­té d^aimer Dieu de toutes ses forces pour répa­rer le passe, car « la cha­ri­té couvre une mul­ti­tude de péchés. » [I Pet. 4,8]. Le Père aime les âmes qui ont cette véri­table com­ponc­tion née de l’a­mour et y conduisant. 

Alors vient le moment de deman­der les grâces, et, en pre­mier lieu, un amour plus ardent, plus fort, plus géné­reux, qui sache oublier, se don­ner, se livrer entiè­re­ment. « Mon Dieu, je suis faible. Aidez-​moi ! Accordez-​moi la lumière. Accordez-​moi aus­si la force néces­saire. Si sou­vent j’ai pris des réso­lu­tions et je suis re- tom­bé. Aidez-​moi à voir loya­le­ment ma fai­blesse. Faites que je mette le maxi­mum d’a­mour dans cha­cun de mes actes. Par-​dessus tout je Vous demande de pou­voir mieux Vous glo­ri­fier. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 66].

Rendant ain­si nos devoirs envers Dieu, nous ten­dons vers Lui, nous nous appro­chons de Lui, nous Le trou­vons quand bien même rien ne semble nous at- tirer spécialement.

« C’est la gloire de Mon Père que vous por­tiez du fruit. » [Jn 15, 8]. 

Notre orai­son doit por­ter des fruits/​elle doit nous rendre meilleurs. Alors Dieu sera encore glorifié. 

Ce qui fait la valeur d’un homme c’est ce qu’il est, et non ce qu’il dit ou ce qu’il fait. La gloire que nous ren­dons à Dieu dépend donc de notre état de cha­ri­té envers Lui, c’est-​à-​dire de l’in­ten­si­té de notre vie inté­rieure. En aug­men­tant le degré de celle-​ci, nous aug­men­tons la valeur de nos actions et ren­dons ain­si une plus grande gloire à Dieu. Ce pro­grès est le résul­tat de la per­sé­vé­rance dans l’o­rai­son. Quels sont les fruits que l’o­rai­son nous fera por­ter, aidés de la grâce ? « Declina a malo et fac bonum », « Détourne-​toi du mal et fais le bien. » [PS. 36,27].

D’abord la fuite du péché. L’âme se met­tant en silence devant Dieu, se place dans la grande lumière divine. Alors elle se voit telle qu’elle est aux yeux de Dieu : « in lumine tuo vide­bi­mus lumen », « et dans ta lumière nous voyons la lumière. » [PS. 35,10]. Ce n’est plus à la lumière de notre juge­ment propre, ou de notre amour propre, que nous nous connais­sons. Dieu Lui-​même fait connaître à l’âme ce qui Lui déplaît, ce qu’il faut arra­cher, ce qu’il faut Lui don­ner. Souvent II opère Lui-​même ce tra­vail de déta­che­ment.

Puis l’o­rai­son nous sti­mule afin que nous accom­plis­sions le bien avec une grande inten­si­té d’a­mour. En voyant ce que Dieu a fait par amour pour nous, nous com­pre­nons quel amour nous Lui devons.

Mais le fruit, plus excellent encore, que nous reti­rons de l’o­rai­son est notre iden­ti­fi­ca­tion à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ.

« La contem­pla­tion de Dieu, de ses per­fec­tions infi­nies, l’in­ti­mi­té avec Jésus, cette atten­tion amou­reuse qui nous tient unis à Lui, ont un pou­voir plus grand de trans­for­ma­tion en Lui et de pro­grès que tous nos efforts per­son­nels dans la ver­tu. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 68]. 

Comme autre­fois, sur les routes de Palestine, il suf­fi­sait de tou­cher Son vête­ment pour être gué­ri, de même on ne peut s’ap­pro­cher de Lui, à pré­sent, dans l’o­rai­son, sans res­sen­tir les bien­faits de Son contact vivi­fiant et trans­for­mant. Cette trans­for­ma­tion cepen­dant ne se pro­duit que par per­sé­vé­rance à bien faire orai­son. Si nous fai­sons effort mal­gré tout, pour essayer de nous unir à Dieu, notre orai­son sera bonne. Et Dieu ne man­que­ra pas d’a­gir dans l’âme. 

Et « si nous per­sé­vé­rons, un jour vien­dra où nous décou­vri­rons cette action mys­té­rieuse de Dieu. Nous consta­te­rons un pro­grès, peut-​être sur un point auquel nous ne fai­sions pas atten­tion. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 69]. 

Dans l’o­rai­son, tout en glo­ri­fiant Dieu, nous trou­vons le vrai bon­heur, car nous y trou­vons Dieu Lui-même. 

« Que l’on est heu­reux, écri­vait la bien­heu­reuse Elisabeth de la Trinité, quand on vit dans l’in­ti­mi­té avec Dieu, quand on fait de sa vie un cour à cour, un échange d’a­mour avec le divin Maître. » [L. 161 à Françoise de Sourdon].

En effet, d’où vient notre mal­heur sinon de notre oppo­si­tion à la volon­té divine ? L’oraison nous met en pré­sence de Dieu ; dans ce divin contact, notre intel­li­gence et notre volon­té se règlent sur l’in­tel­li­gence et sur la volon­té divines. L’oraison nous place ain­si dans l’ordre vou­lu par Dieu et nous pro­cure la paix et, avec elle, le bonheur.

« II s’a­git d’un bon­heur d’ordre spi­ri­tuel qui doit s’é­ta­blir peu à peu au centre de notre âme et demeu­rer envers et contre tout… Plus on pro­gresse dans l’o­rai­son, plus elle devient source de lumière et de force, et par suite source de paix et de joie. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 72].

L’oraison nous montre, pra­ti­que­ment, que notre bon­heur est en Dieu, dans l’ac­com­plis­se­ment de Sa volon­té, fût-​il accom­pa­gné de grandes souffrances. 

« Combien d’âmes « sacri­fiées » sont deve­nues des âmes « trans­fi­gu­rées » ? Au début de leur épreuve c’é­tait la révolte, puis ce fut l’ac­cep­ta­tion rési­gnée, enfin le Fiat. Certaines en arrivent au Magnificat ; elles aiment leurs souf­frances qui les ont rame­nées vers Dieu et elles rayonnent la paix et le bon­heur au milieu des pires dou­leurs. » [Dom Bélorgey/​op. cit., p. 72].

Leur vie a été trans­for­mée par l’oraison. 

Celle-​ci délivre des illu­sions, des impres­sions. Par elle on voit toutes choses dans la lumière divine, avec esprit de foi. 

Pour accep­ter la volon­té divine, on se remé­more que « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » [Rm., 8, 28]. La pen­sée que Dieu ne veut que notre bien aide l’âme à fran­chir les petits obs­tacles qui l’ar­rê­taient. L” habi­tude de l’o­rai­son sim­pli­fie ce tra­vail com­men­cé par la médi­ta­tion. L’âme en reçoit plus de lumière et se sou­met plus rapi­de­ment. Elle vit alors dans un cour à cour avec Dieu, en recou­rant à Lui très sou­vent pen­dant la jour­née. Lui confiant . toutes ses peines. Au lieu de pas­ser son temps repliée sur elle-​même, en proie a ses impres­sions, lais­sant l’i­ma­gi­na­tion et la sen­si­bi­li­té gros­sir les petites dif­fi­cul­tés de la vie cou­rante, elle parle de tout à Jésus et dès lors, elle s’oublie.

« Quand Jésus est pré­sent, tout est bon et rien ne semble dif­fi­cile. » [Imit., L.II, ch. 8,1].

Elle voit qu’on ne peut trou­ver Jésus sans Sa croix et que cette croix, Il sait la rendre douce.

« Vous que l’ex­pé­rience a ins­truits, vous savez bien par vous-​mêmes et en toute véri­té que la croix est imbi­bée d’onc­tion. » [St Bernard, in Dedicatione Ecclesise, serm. 1,5].

Quand l’o­rai­son se sim­pli­fie au point de se réduire à un simple regard amou­reux l’âme vit habi­tuel­le­ment en pré­sence de Dieu. Dans cette com­mu­nion de tous les ins­tants, elle « s’im­prègne de l’Esprit de Jésus, se pénètre de ses sen­ti­ments. Oublieuse d’elle-​même, elle juge toutes choses dans la lumière divine et ne cherche plus qu’à réa­li­ser le plan de Dieu. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 74–75]. Elle puise en même temps dans l’o­rai­son la force d’ac­com­plir tous les sacri­fices qu’il lui demande. 

« C’est ain­si que naît la folie de la Croix, toutes les souf­frances dès lors paraissent douces. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 75]. 

L’oraison pro­cure la paix à l’âme, la met­tant dans l’ordre qui consiste avant tout à glo­ri­fier Dieu. La paix du cour ne quitte pas les âmes d’o­rai­son, « paix intime, paix inal­té­rable, paix au-​dessus de tout sen­ti­ment, paix indé­pen­dante des vicis­si­tudes non seule­ment de la vie humaine, mais de la vie spi­ri­tuelle. » [R.P. Grou/​Maximes spi­ri­tuelles, 24ème maxime]. 

Enfin l’o­rai­son com­mu­nique la joie, fruit du Saint-​Esprit, effet de la pré­sence de Dieu dans l’âme. Elle rend l’âme géné­reuse, la ren­dant tou­jours plus atten­tive au ser­vice de notre Père. Ainsi les saints étaient-​ils tou­jours joyeux et pai­sibles, parce que par une vie d’o­rai­son intense, ils pos­sé­daient d’une façon aus­si actuelle que pos­sible le Souverain Bien selon toute la capa­ci­té de leur cour.

Par leur vie d’o­rai­son, ils anti­ci­paient la vie du ciel et se pré­pa­raient à rem­plir l’of­fice habi­tuel des élus : glo­ri­fier Dieu pour l’é­ter­ni­té et trou­ver en Lui le bon­heur sans fin. 

Que la Reine du Carmel nous obtienne cette grâce.

Je vous bénis. 

Abbé L.-P. Dubroucq +