Billetin du Tiers-Ordre séculier pour les pays de langue française
Editorial de Monsieur l’abbé Louis-Paul Dubroeucq, aumônier des tertiaires de langue française
Cher frère, Chère sœur,
Enfants de la Très Sainte Vierge et du Carmel, nous nous devons d’alimenter notre vie intérieure par l’exercice quotidien de l’oraison mentale. C’est de ce sujet que vous entretiendra ce bulletin.
L’oraison est « une élévation de l’âme vers Dieu pour s’entretenir intimement avec Lui, dans le double but de Le. glorifier et de. trouver en Lui le vrai bonheur » [Dom Godefroid Bélorgey/La pratique de l’oraison mentale, éd. du Cerf, 1948, t.l, p. 591].
Par cette pratique, nous réalisons la fin pour laquelle Dieu nous a créés : Sa glorification et notre bonheur.
Nous n’allons pas à l’oraison pour nous y rechercher ou y trouver quelque consolation. S’il en était ainsi, nous risquerions fort de ne jamais y persévérer et de tout abandonner dès les premières sécheresses. C’est avant tout pour glorifier Dieu que nous nous livrons à l’exercice de l’oraison. Alors quelle joie pour l’âme de savoir que ce but est toujours atteint quel que soit le sujet sur lequel l’oraison porte, que nous soyons dans la sécheresse, en état d’impuissance, ou même tenté.
Comment glorifions-nous Dieu ? En Lui rendant nos devoirs et en devenant meilleurs. Et quels sont nos devoirs envers Dieu ? Le catéchisme nous les apprend : l’adoration, l’action de grâces, la demande de pardon et la demande de grâces. Cela est tout naturel.
« Quand vous allez voir un grand personnage, vous commencez par le regarder pour prendre conscience de vos relations avec lui ; vous êtes alors saisi de respect. De même, dès que nous nous mettons en présence de Dieu, nous sommes saisis par le Tout de Dieu en face de notre néant et nous le proclamons par l’adoration. Puis, stupéfaits de l’amour de ce Dieu qui nous aime, nous Le remercions. Conscients de notre ingratitude, nous Lui demandons pardon et enfin nous implorons son aide pour mieux L’aimer et Le servir désormais plus géneureusement. Tout se suit et découle logiquement du premier acte. » [Dom Bélorgey op. cit. p. 61].
S. nous ne négligions pas ce premier acte, nos oraisons seraient bien meilleures. C est parfois le seul moyen de sortir de la sécheresse.
L’adoration est la première de nos obligations. Dieu cherche des adorateurs en esprit et en vérité [Jn 4,23].
« Adorer Dieu, c’est se mettre dans la vérité devant Lui. Si l’humilité nous met déjà dans la vérité, c’est surtout par rapport à nous-mêmes ; elle montre à l’homme sa misère, son néant. Mais quand l’âme s’abaisse, en retour Dieu l’élève et lui donne l’amour ; c’est alors que naît l’adoration qui nous met dans la vérité surtout par rapport à Dieu. » [Dom Bélorgey, op. cit., p- 631.
Les grandes âmes ont soif d’adoration. Elles y puisent des joies très pures, immenses. Ce sentiment d’admiration intense s’épanouit en amour de complaisance et de bien- veillance. L’âme se réjouit de la toute parfaite « Beauté » de Dieu, puis elle désire de toutes ses forces l’accomplissement prochain et complet de la volonté de Dieu qui fera de tous les hommes de parfaits adorateurs.
La considération de notre néant, après ce regard d’adoration de la sainteté infinie, fait naître l’action de grâces. Comment Vous si parfait et si grand, avez-Vous pu tant m’aimer, moi qui ne suis rien ? Et Dieu attend notre retour d’amour. Il y trouve Sa gloire.
« Apres L’avoir adoré, remercions-Le de son amour éternel, de ces grâces particulières par lesquelles Il s’est révélé à nous, de tant de grâces ignorées, de tous ces bienfaits continuels par lesquels Il se penche sur nous pour nos préserver, de tant de grâces offertes que nous n’avons pas acceptées ! » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 64].
Et ce Dieu qui m’aime de toute éternité, qui m’a tout donné, et qui S est livré pou^mon saL, je continue à L’offenser ! Nous glorifions Dieu encore, en recoure a^on pardon. Pardon de n’avoir pas répondu à tant d’amour. La confusion et le regret sincère de tant de fautes et d’indélicatesses donneront a l’toela volonté d^aimer Dieu de toutes ses forces pour réparer le passe, car « la charité couvre une multitude de péchés. » [I Pet. 4,8]. Le Père aime les âmes qui ont cette véritable componction née de l’amour et y conduisant.
Alors vient le moment de demander les grâces, et, en premier lieu, un amour plus ardent, plus fort, plus généreux, qui sache oublier, se donner, se livrer entièrement. « Mon Dieu, je suis faible. Aidez-moi ! Accordez-moi la lumière. Accordez-moi aussi la force nécessaire. Si souvent j’ai pris des résolutions et je suis re- tombé. Aidez-moi à voir loyalement ma faiblesse. Faites que je mette le maximum d’amour dans chacun de mes actes. Par-dessus tout je Vous demande de pouvoir mieux Vous glorifier. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 66].
Rendant ainsi nos devoirs envers Dieu, nous tendons vers Lui, nous nous approchons de Lui, nous Le trouvons quand bien même rien ne semble nous at- tirer spécialement.
« C’est la gloire de Mon Père que vous portiez du fruit. » [Jn 15, 8].
Notre oraison doit porter des fruits/elle doit nous rendre meilleurs. Alors Dieu sera encore glorifié.
Ce qui fait la valeur d’un homme c’est ce qu’il est, et non ce qu’il dit ou ce qu’il fait. La gloire que nous rendons à Dieu dépend donc de notre état de charité envers Lui, c’est-à-dire de l’intensité de notre vie intérieure. En augmentant le degré de celle-ci, nous augmentons la valeur de nos actions et rendons ainsi une plus grande gloire à Dieu. Ce progrès est le résultat de la persévérance dans l’oraison. Quels sont les fruits que l’oraison nous fera porter, aidés de la grâce ? « Declina a malo et fac bonum », « Détourne-toi du mal et fais le bien. » [PS. 36,27].
D’abord la fuite du péché. L’âme se mettant en silence devant Dieu, se place dans la grande lumière divine. Alors elle se voit telle qu’elle est aux yeux de Dieu : « in lumine tuo videbimus lumen », « et dans ta lumière nous voyons la lumière. » [PS. 35,10]. Ce n’est plus à la lumière de notre jugement propre, ou de notre amour propre, que nous nous connaissons. Dieu Lui-même fait connaître à l’âme ce qui Lui déplaît, ce qu’il faut arracher, ce qu’il faut Lui donner. Souvent II opère Lui-même ce travail de détachement.
Puis l’oraison nous stimule afin que nous accomplissions le bien avec une grande intensité d’amour. En voyant ce que Dieu a fait par amour pour nous, nous comprenons quel amour nous Lui devons.
Mais le fruit, plus excellent encore, que nous retirons de l’oraison est notre identification à Notre-Seigneur Jésus-Christ.
« La contemplation de Dieu, de ses perfections infinies, l’intimité avec Jésus, cette attention amoureuse qui nous tient unis à Lui, ont un pouvoir plus grand de transformation en Lui et de progrès que tous nos efforts personnels dans la vertu. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 68].
Comme autrefois, sur les routes de Palestine, il suffisait de toucher Son vêtement pour être guéri, de même on ne peut s’approcher de Lui, à présent, dans l’oraison, sans ressentir les bienfaits de Son contact vivifiant et transformant. Cette transformation cependant ne se produit que par persévérance à bien faire oraison. Si nous faisons effort malgré tout, pour essayer de nous unir à Dieu, notre oraison sera bonne. Et Dieu ne manquera pas d’agir dans l’âme.
Et « si nous persévérons, un jour viendra où nous découvrirons cette action mystérieuse de Dieu. Nous constaterons un progrès, peut-être sur un point auquel nous ne faisions pas attention. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 69].
Dans l’oraison, tout en glorifiant Dieu, nous trouvons le vrai bonheur, car nous y trouvons Dieu Lui-même.
« Que l’on est heureux, écrivait la bienheureuse Elisabeth de la Trinité, quand on vit dans l’intimité avec Dieu, quand on fait de sa vie un cour à cour, un échange d’amour avec le divin Maître. » [L. 161 à Françoise de Sourdon].
En effet, d’où vient notre malheur sinon de notre opposition à la volonté divine ? L’oraison nous met en présence de Dieu ; dans ce divin contact, notre intelligence et notre volonté se règlent sur l’intelligence et sur la volonté divines. L’oraison nous place ainsi dans l’ordre voulu par Dieu et nous procure la paix et, avec elle, le bonheur.
« II s’agit d’un bonheur d’ordre spirituel qui doit s’établir peu à peu au centre de notre âme et demeurer envers et contre tout… Plus on progresse dans l’oraison, plus elle devient source de lumière et de force, et par suite source de paix et de joie. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 72].
L’oraison nous montre, pratiquement, que notre bonheur est en Dieu, dans l’accomplissement de Sa volonté, fût-il accompagné de grandes souffrances.
« Combien d’âmes « sacrifiées » sont devenues des âmes « transfigurées » ? Au début de leur épreuve c’était la révolte, puis ce fut l’acceptation résignée, enfin le Fiat. Certaines en arrivent au Magnificat ; elles aiment leurs souffrances qui les ont ramenées vers Dieu et elles rayonnent la paix et le bonheur au milieu des pires douleurs. » [Dom Bélorgey/op. cit., p. 72].
Leur vie a été transformée par l’oraison.
Celle-ci délivre des illusions, des impressions. Par elle on voit toutes choses dans la lumière divine, avec esprit de foi.
Pour accepter la volonté divine, on se remémore que « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » [Rm., 8, 28]. La pensée que Dieu ne veut que notre bien aide l’âme à franchir les petits obstacles qui l’arrêtaient. L” habitude de l’oraison simplifie ce travail commencé par la méditation. L’âme en reçoit plus de lumière et se soumet plus rapidement. Elle vit alors dans un cour à cour avec Dieu, en recourant à Lui très souvent pendant la journée. Lui confiant . toutes ses peines. Au lieu de passer son temps repliée sur elle-même, en proie a ses impressions, laissant l’imagination et la sensibilité grossir les petites difficultés de la vie courante, elle parle de tout à Jésus et dès lors, elle s’oublie.
« Quand Jésus est présent, tout est bon et rien ne semble difficile. » [Imit., L.II, ch. 8,1].
Elle voit qu’on ne peut trouver Jésus sans Sa croix et que cette croix, Il sait la rendre douce.
« Vous que l’expérience a instruits, vous savez bien par vous-mêmes et en toute vérité que la croix est imbibée d’onction. » [St Bernard, in Dedicatione Ecclesise, serm. 1,5].
Quand l’oraison se simplifie au point de se réduire à un simple regard amoureux l’âme vit habituellement en présence de Dieu. Dans cette communion de tous les instants, elle « s’imprègne de l’Esprit de Jésus, se pénètre de ses sentiments. Oublieuse d’elle-même, elle juge toutes choses dans la lumière divine et ne cherche plus qu’à réaliser le plan de Dieu. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 74–75]. Elle puise en même temps dans l’oraison la force d’accomplir tous les sacrifices qu’il lui demande.
« C’est ainsi que naît la folie de la Croix, toutes les souffrances dès lors paraissent douces. » [Dom Bélorgey, op. cit., p. 75].
L’oraison procure la paix à l’âme, la mettant dans l’ordre qui consiste avant tout à glorifier Dieu. La paix du cour ne quitte pas les âmes d’oraison, « paix intime, paix inaltérable, paix au-dessus de tout sentiment, paix indépendante des vicissitudes non seulement de la vie humaine, mais de la vie spirituelle. » [R.P. Grou/Maximes spirituelles, 24ème maxime].
Enfin l’oraison communique la joie, fruit du Saint-Esprit, effet de la présence de Dieu dans l’âme. Elle rend l’âme généreuse, la rendant toujours plus attentive au service de notre Père. Ainsi les saints étaient-ils toujours joyeux et paisibles, parce que par une vie d’oraison intense, ils possédaient d’une façon aussi actuelle que possible le Souverain Bien selon toute la capacité de leur cour.
Par leur vie d’oraison, ils anticipaient la vie du ciel et se préparaient à remplir l’office habituel des élus : glorifier Dieu pour l’éternité et trouver en Lui le bonheur sans fin.
Que la Reine du Carmel nous obtienne cette grâce.
Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubroucq +