Billetin du Tiers-Ordre séculier pour les pays de langue française
Editorial de Monsieur l’abbé Louis-Paul Dubroeucq, aumônier des tertiaires de langue française
Cher frère, Chère sœur,
Le 9 novembre 1906, sour Elisabeth de la Trinité quittait ce monde pour entrer dans la Vie éternelle, cette vie à laquelle elle aspirait tant, qui est partici- pation plénière à la vie divine. « ]e vais à la lumière, à l’amour, à la vie », telles furent ses dernières paroles prononcées quelques jours avant de rendre sa belle âme à Dieu.
Profondément touchée par un verset de FÉpître de saint Paul aux Éphésiens [I, l2], elle y avait trouvé sa vocation de « louange de gloire, laudem gloriae ». Pratiquant cet office, à présent, pour l’éternité, elle nous invite également à nous y exercer ici-bas, à être, nous aussi, des louanges de gloire à la Sainte Trinité.
La connaissance que Dieu a de lui-même et de ses perfections infinies engendre la gloire divine interne. Et comme tout est un en Dieu, Dieu est sa Gloire, comme il est l’Être, la Vérité, l’Éternité. Il est la Gloire à l’exclusion de tout autre être, parce que seul il est le bien absolu et que seul il peut avoir de ce bien absolu une connaissance parfaite qui entraîne une louange et un honneur adéquats [st Thomas, commentaire de l’Épître aux Hébreux, ch 1, lect. 2]. Cependant c’est au Fils qui procède du Père selon l” intelligence que l’on rapporte plus spécialement la gloire dans la Trinité. Il est « le rayonnement de la gloire du Père » [Heb. 1, 2]. Cette gloire interne de Dieu est iwcessaire : Dieu ne peut pas ne pas la vouloir ni la chercher, puisque cette gloire c’est lui-même, nécessairement connu et aimé de lui-même [st Thomas, la, q.l9/ a.3].
La gloire interne eût pu suffire à Dieu, car, comme Dieu, elle est infinie et on ne lui peut rien ajouter. Cependant, sans rien ajouter au bonheur de Dieu, la gloire peut se manifester à l’extérieur par des créatures qui rendent témoignage à la bonté du créateur. Cette gloire extérieure n’est pas absolument nécessaire, la création étant un acte essentiellement libre. Mais puisqu’il existe des créatures, celles-ci ne peuvent pas ne pas être ordonnées à la gloire extérieure de Dieu comme à leur fin dernière [vérité de foi définie par Vatican I, sess. 3, can. 5. D.S. 3025]. Ainsi les créatures inintelligentes glorifient Dieu en manifestant la bonté et l’excellence de Dieu au regard des créatures intelligentes. Quant à celles-ci, elles sont données à la gloire extérieure formelle de Dieu, parce qu’étant douées de raison, elles peuvent et doivent reconnaître la bonté du créateur, reflétée dans les créatures, et en exprimer à Dieu leur louange et leur gratitude [I Cor., 11, 7 ; cf. D.T.C., art. gloire].
« Ainsi la nature entière, sortie de la bonté diffusive de Dieu, revient, par un incessant retour, vers cette même bonté, pour la manifester et la proclamer. La gloire de Dieu n’est pas autre chose nue cette manifestation : elle s’exprime en ce mouvement essentiel à fond d’être, par lequel toute chose s’ordonne à Dieu : mouvement d’amour, chant de louange provoqué par l’Infinie Bonté, principe et terme de tout bien et de tout amour. » [R.P. Héris, Le Mystère du Christ, 1929, 1ère partie, ch. 1]. « Dieu dans nos bonnes actions, ne cherche pas son utilité mais sa gloire qui est la manifestation de sa bonté ». [1a2ae,q.114, ad 2m].
Cette gloire de son Père, Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a recherchée tout au long de sa vie ici-bas. A’âge de douze ans, nous le trouvons dans le Temple, tot aux intérêts et à la gloire de son Père. Ce temple où il est apparu, séparé de ses parents, pour être tout entier aux intérêts de son Père, nous représente un autre temple.
« Chacun de nous, dit Origène, s’il est bon et parfait, appartient à Dieu et possède en lui Jésus-Christ : il est le vrai temple de Dieu. Jésus-Christ a quitté le temple de pierre ; « Votre maison sera laissée déserte » disait-il. Il a le quitté le temple de pierre pour venir en ces temples vivants qui sont répandus dans le monde entier ; et c’est dans ces temples qu’il fait entendre cette parole : » Ne faut-il pas oue je sois aux intérêts de mon Père ? « » [Origène, Hom. 20 m Luc.].
Cette passion de la gloire de Dieu, J ésus l’a allumée dans le cour de tous ceux qui lui ont appartenu. Il met dans le cour de tous ceux qui sont à lui un amour très grand pour leurs parents, tendre et généreux . et cependant il ne craint pas de leur demander, à certains moments, de contrister le cour de leur père et de leur mère, pour les vouer à des intérêts plus hauts et montrer à tous la supériorité de ces intérêts.
Dans son discours après la Cène, Jésus « levant les yeux au ciel […] dit : Père, [“heure est venue ; glorifiez voire Fils. » [.In ‑17, 1]. Quelle est- cette gloire qu’il demande ? Certains l’ont entendue de sa Passion, de la gloire qu’il eut quand son Père le livra pour nous.
« En effet, dit saint Jean Chrysostome, non seulement le Père,mais le Fils aussi y trouva la gloire dans les vertus qu’il i/pratiqua. » [Hom. 80, n.l], dans le don qu’il nous fit de lui-même.
« Mais, dit saint Augustin, si sa Passion est déjà pour lui une gloire, combien plus la Résurrection ! Dans sa Passion c’est l’humilité qui apparaît plutôt que la gloire, et. qui mérite la gloire ; et. à la Résurrection la gloire vient récompenser le mérite de l’humilité. Il dit donc à son Père : Voici l’heure, l’heure de semer, de semer l’humliation, préparez-en le fruit, préparez la gloire. » [Trin. 104, in Joan. n3].
Il demande cette gloire parce qu’elle doit être bienfaisante au monde ; il la demande plus encore parce qu’elle doit rendre gloire à son Père.
« Père, glorifiez votre Fils, afin qu’aussi votre Fils vous glorifie. » [Jn ‑17,1].
Et comment le Père peut-il être glorifié ?
« Nous comprenons, dit saint Augustin, que celui qui avait été humilié dans sa forme d’esclave ait été exalté. Mais le Père n’avait subi aucune humiliation pareille, et sa gloirene pouvait être ni diminuée ni augmentée en elle-même. Oui, mais cette gloire pouvait être augmentée parmi les hommes. Dieu avait moins de gloire quand il était connu seulement, en ]udée, que quand du levant au couchant les enfants louaient le nom du Seigneur. C’est par sa Résurrection que Jésus-Clinst a donné cette gloire à son Père. » [Tnn. 105, n‑l].
Et même, pouvait-on dire que la Judée connaissait Dieu ? Il se plaignait lui-même qu’Israël ne le connût point. [Is. 1, 3]. Jésus veut faire connaître son Père dans le monde entier, dans sa grandeur, dans sa sainteté, dans sa bonté, dans sa sagesse ; il veut faire resplendir partout la beauté de son Père ; et il veut que ce rayonnement provoque partout la louange.
Afin que votre Fils vous glorifie !
« II a, dit saint Hilaire, la certitude de rendre à son Père une gloire égale a celle que le Père lui donne : cette demande de la gloire qui doit tourner à la gloire du Père, établit qu’il y a en lui comme en son Père une vertu divine. » [Trin., L.3, n.l2].
Là sont établies l’unité parfaite et la parfaite égalité du Père et du Fils.
« Le Père glorifie le Fils comme le Fils glorifie le Père. » [Bossuet, La Cène, 2ème paît., 33ème j].
Dès lors, il nous est permis de demander la gloire véritable, la grâce dans la vie présente, la béatitude dans l’autre. Jésus rend gloire à son Père et lui demande cette gloire pour lui-même afin de continuer l’ouvre qui lui a été confiée.
« Afin que comme vous lui avez donné puissance sur toute chair, il donne à tous ceux aue vous lui avez donnés la vie éternelle. » [Jn 17, 2].
« Sur toute chair », prenant de l’homme la partie la plus fragile, où la mort exerçait ses ravages d’une façon plus marquée ; la rédemption sétendra jusque là.
« Ce n’est plus seulement aux Juifs qu’il annoncera le salut : c’est à tous les hommes toute chair verra le salut, de Dieu, comme l’annonçait le Prophète ; et alors Dieu sera vraiment glorifié. » [,st Jean Chrysostome, ibid..].
Il aimait à rappeler que cette miséricorde première venait de lui.
« Personne ne peut venir à mon si mon Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi. » [Jn 6, 66].
Jésus veut donner au Père la gloire la plus grande : il veut, à ceux que le Père lui a donnés, donner ce qu’il y a de plus grand, la vie étemelle. Et la vie eternelle sera pour Dieu la plus grande gloire qui puisse lui être rendue.
« La vie éternelle consiste en ceci qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu et celui nue vous avez envoyé Jésus-Christ. » [Jn 5, 3].
Que Dieu soit connu, qu’il soit connu comme le seul vrai Dieu, qu’il soit connu dans sa sainteté, qu’il soit connu dans sa bonté, comme ayant envoyé Jésus-Christ pour racheter l’homme, pour l’adopter et le sanctifier, qu’il soit connu comme le Père de Jésus-Christ, qu’il soit connu de cette connaissance qui est préconisée dans l’Écriture, où le cour se réuni à l’esprit pour connaître, de cette connaissance qui est la préparation de la vie future,
« quand nous connaîtrons Dieu tel qu’il est, et que la louange accompagnera cette connaissance : alors ce sera la glorification parfaite parceque la louange sera parfaite. Si on a défini la gloire un grand renom accompagné de louange, et si on loue l’homme en s’en rapportant à sa renommée, comment louera-t-on Dieu quand on le verra en lui-même ? » [St Augustin, Trin. 105 ; cf. RP Th. M. Thiriet, L’évangile médité avec les Pères, 1905].
« Comment imiter dans le ciel de mon âme cette occupation incessante des bienhenreux dans le Ciel de la gloire ? Comment poursuivre cette louange, cette adoration ininterrompues ? Saint Paul me donne une lumière là-dessus lorsqu’il écrit aux siens que « le Père les fortifie en puissance par son Esprit quant à l’homme inté-rieur, en sorte que Jésus-Christ habite par la foi en leurs cours et qu’ils soient enracinés et fondés en l’amour [Ephes. 3. 16–17]. » Etre enraciné et fondé en l’amour : telle est, me semble-t-il, la condition pour remplir dignement son office de laudem gloriae. L âme qui pénètre et qui demeure en ces « profondeurs de Dieu » chantées parle roi- prophète, qui fait par conséquent tout » en Lui, avec Lui, par Lui et pour Lui », avec cette limpidité du regard qui lui donne une certaine ressemblance avec l’Etre simple – cette âme par chacun de ses mouvements, de ses aspirations, comme par chacun de ses actes, quelques ordinaires qu’ils soient, « s’enracine » plus profondément, en Celui qu’elle aime. Tout en elle rend hommage en Dieu trois fois saint : elle est pour ainsi dire un Sanctus perpétuel, une louange de gloire incessante ! … » [bse Elisabeth de la Trinité, lDernière retraite, 8ème jour].
En renouvelant bien souvent, au cours de nos journées, l’offrande de nous-mêmes à la Très Sainte Trinité, unissons-nous au sacrifice parfait de Notre-Sauveur, renouvelé sur nos autels, ne faisant qu’un avec Lui. Alors « par Lui, avec Lui, en Lui » est rendu à Dieu Père Tout-Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire.
« Faites chaque jour cinquante offrandes de vous-même à Dieu ; et faites-les avec une grande ferveur et un grand désir de posséder Dieu. »[Ste Thérèse d’Avila, Avis et pensées diverses, n. 30].
A Lourdes, la Très sainte Vierge récitait avec Bernadette le Gloria Patri. Que cette pensée nous accompagne sans cesse afin que toute notre vie soit une louange de gloire, un continuel Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto en union avec notre bonne Mère du Ciel.
+ Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubrœucq +