Bulletin du Tiers-Ordre séculier pour les pays de langue française
Editorial de Monsieur l’abbé Louis-Paul Dubroeucq,
aumônier des tertiaires de langue française
Cher frère, Chère sœur,
Dans le prolongement du thème de notre retraite annuelle axé sur la Sainte Messe, il me plaît de vous entretenir dans ce bulletin d’une dévotion remise en valeur ces derniers siècles, celle du Précieux Sang de Notre-Seigneur.
Le pape Benoît XIV, au milieu du XVIIème siècle, fit composer la messe et l’office. Pie IX, en 1849, rendit universelle et plus solennelle cette fête, la fixant au premier dimanche de juillet, en souvenir et reconnaissance de la grande victoire obtenue par les armées pontificale et française sur la révolution de 1848 qui avait chassé le pape des états pontificaux. Il voulut montrer par là que cette libération était due aux mérites du Sauveur. Saint Pie X la fixa au 1er juillet, lors de la réforme du bréviaire, et le pape Pie XI, à l’occasion du jubilé de la rédemption, en 1933, voulut donner une plus grande solennité à cette fête
« afin, dit-il, que le souvenir du sacrifice sanglant du Sauveur soit plus profondément et solidement gravé dans l’esprit et le cœur des fidèles et afin que tous les hommes, les chrétiens surtout, puissent recueillir des fruits plus abondants du Sang précieux de l’Agneau immaculé, par lequel tous ont été rachetés. »
Dans une lettre au supérieur général des Missionnaires du Précieux Sang, le pape Pie XII formulait ce souhait :
« Puissent les hommes se souvenir que ce prix fut offert au Père éternel pour nous racheter de la captivité du démon, et nous rendre notre qualité d’enfant adoptif de Dieu. Il faut que les fidèles aient à cœur de se repentir de leurs fautes, d’expier, de réparer, dans la mesure du possible, les outrages faits au Rédempteur, et de lui témoigner un ardent amour par une vie vraiment chrétienne. Par sa Passion, Jésus-Christ a consacré la douleur humaine. Aussi ceux qui souffrent doivent s’efforcer de supporter avec patience leurs douleurs et leurs peines, le regard tourné vers le ciel, en se souvenant de cette parole : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de Moi ».»
Le pape Jean XXIII promulgua le 24 février 1960 les Litanies du Précieux Sang, en les accréditant officiellement pour toute l’Église et en les insérant au Rituel. Le 30 juin 1960, paraissait une Lettre apostolique dans laquelle le pape renouvelait son désir de mettre en honneur le plus possible la dévotion au Précieux Sang en insistant pour que le mois de juillet (mois consacré à cette dévotion par Pie IX en 1850, et qui est aussi le mois de Notre-Dame du Mont-Carmel) soit spécialement consacré à la méditer et à la pratiquer avec ferveur. Le 12 octobre de la même année, il ordonnait l’insertion d’une invocation spéciale dans les Louanges divines qui suivent la Bénédiction du Saint-Sacrement. Le pape voulait par là conjurer les dangers qui menacent l’Église et les nations.
Toute l’histoire de l’Église est l’histoire de la dévotion au Précieux Sang, car c’est l’histoire du salut et de la sanctification des âmes par les sacrements, canaux répandant sur le monde les grâces et bénédictions de toutes sortes obtenues par le Sang de Jésus. C’était la grande dévotion de saint Paul, éminent théologien de la grâce et de la rédemption par le Sang. Celle-ci présente un double aspect : le Sang de Jésus « prix de notre rachat », le Sang de Jésus « vie de nos âmes ». C’est ce dernier que nous considèrerons ici, le Sang de Jésus, source abondante de vie divine.
Saint Thomas d’Aquin a écrit : « Il y a une seule cause de la sanctification des hommes : le Sang du Christ. » [3a, q.60, a3, ad 2m]. En effet, toute grâce nous vient par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous la mérite et nous la communique, par tous les mystères de sa vie, mais principalement par sa Passion, par son Sacrifice sur la Croix, en versant tout son Sang pour nous. Le Docteur Angélique ne fait que reprendre saint Paul, écrivant aux Hébreux :
« Le Sang du Christ nous sanctifie, bien autrement que le sang des boucs et des génisses … Car il purifie nos consciences des œuvres mortes, pour nous permettre de servir le Dieu vivant. » [Heb., IX, 13–14]. « C’est pour sanctifier le peuple par son Sang, dit encore l’Apôtre, que le Christ a enduré sa Passion hors les portes de Jérusalem. » [Heb., XIII, 11–12].
Par la vertu de son Sang, Jésus est entré dans le sanctuaire du ciel [Heb., IX, 12]; par ce même Sang divin, nous avons la confiance d’y entrer à sa suite, pour la vie éternelle. [Heb., X, 19]. Saint Ignace d’Antioche avait une soif ardente pour le Sang qui donne la vie ; il écrit aux Romains :
« Je veux pour breuvage le Sang du Christ, qui est Charité incorruptible et vie éternelle. » Et aux Éphésiens [I, 1] : « Vous êtes les imitateurs de Dieu, rappelés à la vie par le Sang de Dieu. »
Avant lui, saint Clément de Rome exhortait les fidèles de Corinthe au culte du Précieux Sang :
« Contemplons attentivement, leur écrit-il, le Sang du Christ, et reconnaissons combien il est précieux à son Père, lui qui, répandu pour notre salut, a infusé au monde entier la grâce de la pénitence. » [VII, 4].
Dans son traité Du Saint-Esprit [Prol., 2], saint Ambroise commentait ainsi le verset de saint Paul :
« Ils buvaient de la pierre qui les suivait, et la pierre était le Christ [I Cor., X, 4]: cela ne se rapporte pas à la Divinité, mais à son Humanité, qui inonda les cœurs des peuples, tourmentés par la soif, du fleuve de son Sang. »
Au Moyen Âge, saint Albert le Grand met en lumière la vertu du Sang adorable du Sauveur comme principe de vie surnaturelle ; ainsi dans son traité Du Vénérable Sacrement de l’autel [ Ed. Borgnet, Paris, 1890, t. 38, p. 294–295], il écrit :
« Selon la Genèse, le siège de l’âme, principe et cause de la vie, se trouve dans le sang ; c’est pourquoi nul ne vit de l’esprit du Christ qui n’est pas uni à son Sang très pur. »
De même que c’est le Sang qui, dans tout organisme, entretient et renouvelle la vie animale, de même, dans le Corps Mystique du Christ, c’est le Précieux Sang de Jésus qui vivifie les membres, entretient, renouvelle, accroît la grâce et les vertus surnaturelles. C’est ce qu’affirme saint Bonaventure dans un sermon pour le 3ème dimanche après l’Épiphanie :
« La vie corporelle du Christ est dans le Sang du Christ, et ainsi notre vie spirituelle et éternelle est dans le Sang de Jésus-Christ : celui qui boit mon Sang, est-il écrit, demeure en Moi [Jn, 6, R7] .»
Chacune des actions de la vie de Jésus a contribué à l’œuvre de notre rédemption, mais c’est surtout par sa Passion et par sa mort que Jésus nous a sauvés. En versant son Précieux Sang au Calvaire, Jésus a expié le péché ; en reprenant son Sang au jour de Pâques, Il a ressuscité son corps et rendu la vie à nos âmes. Un mystère de vie est renfermé dans le Sang de Jésus, d’une fécondité inépuisable. Le Père Faber s’étend sur ce sujet, dans son bel ouvrage sur Le Précieux Sang :
« Tous les actes surnaturels, écrit-il, sont dus à son action. Il n’y a rien de saint sur la terre qui puisse en être séparé ; tout ce qui nous sanctifie en dépend. » [Ed. Tequi, 1909, ch. I, p. 20].
Ayons à cœur, bien chers tertiaires, de recourir à cette puissance qui nous est donnée dans le Sang très précieux de Jésus, surtout à la sainte messe, afin d’obtenir miséricorde pour les âmes et qu’elles vivent de Dieu. C’est, dit le saint curé d’Ars, la meilleure et la plus efficace des prières, car la plus agréable des offrandes qu’on puisse faire à Dieu. Sainte Catherine de Sienne avait choisi cette dévotion entre toutes les autres comme un remède nécessaire pour son époque, remède auquel, d’après elle, on n’avait pas attaché assez d’importance. Aussi implorait-elle souvent la miséricorde divine « par le Sang de Notre-Seigneur ». Et Jésus fit connaître un jour à sainte Marie-Madeleine de Pazzi, carmélite, la puissance de l’offrande du Précieux Sang pour apaiser le courroux divin ; Il se plaignait du petit nombre de ceux qui travaillaient à cet apaisement de la justice de son Père. Aussi fit-elle cette offrande jusqu’à cinquante fois par jour, et Notre-Seigneur lui révéla le nombre des âmes qu’elle sauvait par ce moyen si facile. Le Sang de Jésus-Christ possède une très grande puissance d’intercession. Sa présence dans le ciel est une force qui n’est surpassée que par la toute-puissance divine. C’est bien ce que comprit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dont l’âme apostolique fut marquée profondément par une grâce qui ne tarda pas à éveiller en elle un zèle ardent pour le salut des pécheurs ; à la vue d’une image de Jésus crucifié, contemplant une de ses mains divines percée et sanglante, elle s’écrie :
« Mon cœur se fendit de douleur à la vue de ce Sang précieux qui tombait à terre sans que personne s’empressât de le recueillir. Je résolus de me tenir continuellement en esprit au pied de la croix, pour recevoir la divine rosée du salut et la répandre ensuite sur les âmes. » [Histoire d’une âme, ch.V].
Il faut avoir le « sens » du Sang du Christ, de ce Sang qu’Il a versé pour nous jusqu’à la dernière goutte, et qui par les sacrements, en particulier la confession, vient continuer d’inonder nos âmes, les laver, les purifier, les enrichir des mérites infinis du Rédempteur. « Baignez-vous dans le Sang, noyez-vous dans le Sang, revêtez-vous du Sang du Christ », s’écriait sans cesse sainte Catherine de Sienne. Dans l’office de la fête du Précieux Sang, saint Paul nous invite à correspondre au don du Christ : « Jésus, pour sanctifier le peuple par son Sang, a souffert en dehors des portes de Jérusalem… Sortons avec Lui, portant son opprobre. » [Heb. XIII, 12] Si nous voulons que le Sang du Christ produise en nous tous ses fruits, nous devons y joindre le nôtre. Le Sien est si précieux qu’une seule goutte suffit pour sauver le monde entier : 3
Cujus una stilla salvum facere / Totum mundum quit ab omni scelere [Adoro te]. Pour notre rédemption « Jésus endura une croix dont Il méprisa l’infamie… Et vous, nous reprend saint Paul, vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang, dans la lutte contre le péché .» [Heb., XII, 4].
Le sang qui rejaillit du renoncement total à notre moi et de l’acceptation de tout ce qui mortifie notre amour-propre, le Sang de Jésus nous le demande pour l’unir au Sien.
Avides de vie divine, allons à la source d’où elle jaillit afin d’y puiser les grâces d’oraison, d’union à Jésus, les trésors d’un amour généreux, afin d’être transformés par la vertu du Sang adorable en Celui qui est notre vie, et de pouvoir dire avec l’Apôtre :
« Non, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »
Et faisons nôtre ce mot prononcé par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus :
« Oh ! Je ne veux pas laisser perdre ce Sang précieux. Je passerai ma vie à le recueillir pour les âmes ! » [Novissima Verba, 1er août 1897].
Ô Notre-Dame de Compassion, donnez-moi d’être blessé des plaies, d’être enivré de la Croix et du Sang de votre Fils. Fac me plagis vulnerari, / Fac me Cruce inebriari, / Et cruore Filii. [Stabat Mater].
† Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubroeucq †