Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 14 d’octobre 2007

Bulletin du Tiers-​Ordre sécu­lier pour les pays de langue fran­çaise


Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq, 

aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur, 

Dans le pro­lon­ge­ment du thème de notre retraite annuelle axé sur la Sainte Messe, il me plaît de vous entre­te­nir dans ce bul­le­tin d’une dévo­tion remise en valeur ces der­niers siècles, celle du Précieux Sang de Notre-​Seigneur.

Le pape Benoît XIV, au milieu du XVIIème siècle, fit com­po­ser la messe et l’office. Pie IX, en 1849, ren­dit uni­ver­selle et plus solen­nelle cette fête, la fixant au pre­mier dimanche de juillet, en sou­ve­nir et recon­nais­sance de la grande vic­toire obte­nue par les armées pon­ti­fi­cale et fran­çaise sur la révo­lu­tion de 1848 qui avait chas­sé le pape des états pon­ti­fi­caux. Il vou­lut mon­trer par là que cette libé­ra­tion était due aux mérites du Sauveur. Saint Pie X la fixa au 1er juillet, lors de la réforme du bré­viaire, et le pape Pie XI, à l’oc­ca­sion du jubi­lé de la rédemp­tion, en 1933, vou­lut don­ner une plus grande solen­ni­té à cette fête 

« afin, dit-​il, que le sou­ve­nir du sacri­fice san­glant du Sauveur soit plus pro­fon­dé­ment et soli­de­ment gra­vé dans l’es­prit et le cœur des fidèles et afin que tous les hommes, les chré­tiens sur­tout, puissent recueillir des fruits plus abon­dants du Sang pré­cieux de l’Agneau imma­cu­lé, par lequel tous ont été rache­tés. »

Dans une lettre au supé­rieur géné­ral des Missionnaires du Précieux Sang, le pape Pie XII for­mu­lait ce souhait : 

« Puissent les hommes se sou­ve­nir que ce prix fut offert au Père éter­nel pour nous rache­ter de la cap­ti­vi­té du démon, et nous rendre notre qua­li­té d’en­fant adop­tif de Dieu. Il faut que les fidèles aient à cœur de se repen­tir de leurs fautes, d’ex­pier, de répa­rer, dans la mesure du pos­sible, les outrages faits au Rédempteur, et de lui témoi­gner un ardent amour par une vie vrai­ment chré­tienne. Par sa Passion, Jésus-​Christ a consa­cré la dou­leur humaine. Aussi ceux qui souffrent doivent s’ef­for­cer de sup­por­ter avec patience leurs dou­leurs et leurs peines, le regard tour­né vers le ciel, en se sou­ve­nant de cette parole : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de Moi  ».»

Le pape Jean XXIII pro­mul­gua le 24 février 1960 les Litanies du Précieux Sang, en les accré­di­tant offi­ciel­le­ment pour toute l’Église et en les insé­rant au Rituel. Le 30 juin 1960, parais­sait une Lettre apos­to­lique dans laquelle le pape renou­ve­lait son désir de mettre en hon­neur le plus pos­sible la dévo­tion au Précieux Sang en insis­tant pour que le mois de juillet (mois consa­cré à cette dévo­tion par Pie IX en 1850, et qui est aus­si le mois de Notre-​Dame du Mont-​Carmel) soit spé­cia­le­ment consa­cré à la médi­ter et à la pra­ti­quer avec fer­veur. Le 12 octobre de la même année, il ordon­nait l’in­ser­tion d’une invo­ca­tion spé­ciale dans les Louanges divines qui suivent la Bénédiction du Saint-​Sacrement. Le pape vou­lait par là conju­rer les dan­gers qui menacent l’Église et les nations.

Toute l’his­toire de l’Église est l’his­toire de la dévo­tion au Précieux Sang, car c’est l’his­toire du salut et de la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes par les sacre­ments, canaux répan­dant sur le monde les grâces et béné­dic­tions de toutes sortes obte­nues par le Sang de Jésus. C’était la grande dévo­tion de saint Paul, émi­nent théo­lo­gien de la grâce et de la rédemp­tion par le Sang. Celle-​ci pré­sente un double aspect : le Sang de Jésus « prix de notre rachat », le Sang de Jésus « vie de nos âmes ». C’est ce der­nier que nous consi­dè­re­rons ici, le Sang de Jésus, source abon­dante de vie divine.

Saint Thomas d’Aquin a écrit : « Il y a une seule cause de la sanc­ti­fi­ca­tion des hommes : le Sang du Christ. » [3a, q.60, a3, ad 2m]. En effet, toute grâce nous vient par Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui nous la mérite et nous la com­mu­nique, par tous les mys­tères de sa vie, mais prin­ci­pa­le­ment par sa Passion, par son Sacrifice sur la Croix, en ver­sant tout son Sang pour nous. Le Docteur Angélique ne fait que reprendre saint Paul, écri­vant aux Hébreux : 

« Le Sang du Christ nous sanc­ti­fie, bien autre­ment que le sang des boucs et des génissesCar il puri­fie nos consciences des œuvres mortes, pour nous per­mettre de ser­vir le Dieu vivant. » [Heb., IX, 13–14]. « C’est pour sanc­ti­fier le peuple par son Sang, dit encore l’Apôtre, que le Christ a endu­ré sa Passion hors les portes de Jérusalem. » [Heb., XIII, 11–12].

Par la ver­tu de son Sang, Jésus est entré dans le sanc­tuaire du ciel [Heb., IX, 12]; par ce même Sang divin, nous avons la confiance d’y entrer à sa suite, pour la vie éter­nelle. [Heb., X, 19]. Saint Ignace d’Antioche avait une soif ardente pour le Sang qui donne la vie ; il écrit aux Romains : 

« Je veux pour breu­vage le Sang du Christ, qui est Charité incor­rup­tible et vie éter­nelle. » Et aux Éphésiens [I, 1] : « Vous êtes les imi­ta­teurs de Dieu, rap­pe­lés à la vie par le Sang de Dieu. »

Avant lui, saint Clément de Rome exhor­tait les fidèles de Corinthe au culte du Précieux Sang : 

« Contemplons atten­ti­ve­ment, leur écrit-​il, le Sang du Christ, et recon­nais­sons com­bien il est pré­cieux à son Père, lui qui, répan­du pour notre salut, a infu­sé au monde entier la grâce de la péni­tence. » [VII, 4]. 

Dans son trai­té Du Saint-​Esprit [Prol., 2], saint Ambroise com­men­tait ain­si le ver­set de saint Paul : 

« Ils buvaient de la pierre qui les sui­vait, et la pierre était le Christ [I Cor., X, 4]: cela ne se rap­porte pas à la Divinité, mais à son Humanité, qui inon­da les cœurs des peuples, tour­men­tés par la soif, du fleuve de son Sang. »

Au Moyen Âge, saint Albert le Grand met en lumière la ver­tu du Sang ado­rable du Sauveur comme prin­cipe de vie sur­na­tu­relle ; ain­si dans son trai­té Du Vénérable Sacrement de l’au­tel [ Ed. Borgnet, Paris, 1890, t. 38, p. 294–295], il écrit : 

« Selon la Genèse, le siège de l’âme, prin­cipe et cause de la vie, se trouve dans le sang ; c’est pour­quoi nul ne vit de l’es­prit du Christ qui n’est pas uni à son Sang très pur. »

De même que c’est le Sang qui, dans tout orga­nisme, entre­tient et renou­velle la vie ani­male, de même, dans le Corps Mystique du Christ, c’est le Précieux Sang de Jésus qui vivi­fie les membres, entre­tient, renou­velle, accroît la grâce et les ver­tus sur­na­tu­relles. C’est ce qu’af­firme saint Bonaventure dans un ser­mon pour le 3ème dimanche après l’Épiphanie :

« La vie cor­po­relle du Christ est dans le Sang du Christ, et ain­si notre vie spi­ri­tuelle et éter­nelle est dans le Sang de Jésus-​Christ : celui qui boit mon Sang, est-​il écrit, demeure en Moi [Jn, 6, R7] .» 

Chacune des actions de la vie de Jésus a contri­bué à l’œuvre de notre rédemp­tion, mais c’est sur­tout par sa Passion et par sa mort que Jésus nous a sau­vés. En ver­sant son Précieux Sang au Calvaire, Jésus a expié le péché ; en repre­nant son Sang au jour de Pâques, Il a res­sus­ci­té son corps et ren­du la vie à nos âmes. Un mys­tère de vie est ren­fer­mé dans le Sang de Jésus, d’une fécon­di­té inépui­sable. Le Père Faber s’é­tend sur ce sujet, dans son bel ouvrage sur Le Précieux Sang :

« Tous les actes sur­na­tu­rels, écrit-​il, sont dus à son action. Il n’y a rien de saint sur la terre qui puisse en être sépa­ré ; tout ce qui nous sanc­ti­fie en dépend. » [Ed. Tequi, 1909, ch. I, p. 20].

Ayons à cœur, bien chers ter­tiaires, de recou­rir à cette puis­sance qui nous est don­née dans le Sang très pré­cieux de Jésus, sur­tout à la sainte messe, afin d’ob­te­nir misé­ri­corde pour les âmes et qu’elles vivent de Dieu. C’est, dit le saint curé d’Ars, la meilleure et la plus effi­cace des prières, car la plus agréable des offrandes qu’on puisse faire à Dieu. Sainte Catherine de Sienne avait choi­si cette dévo­tion entre toutes les autres comme un remède néces­saire pour son époque, remède auquel, d’a­près elle, on n’a­vait pas atta­ché assez d’im­por­tance. Aussi implorait-​elle sou­vent la misé­ri­corde divine « par le Sang de Notre-​Seigneur ». Et Jésus fit connaître un jour à sainte Marie-​Madeleine de Pazzi, car­mé­lite, la puis­sance de l’of­frande du Précieux Sang pour apai­ser le cour­roux divin ; Il se plai­gnait du petit nombre de ceux qui tra­vaillaient à cet apai­se­ment de la jus­tice de son Père. Aussi fit-​elle cette offrande jus­qu’à cin­quante fois par jour, et Notre-​Seigneur lui révé­la le nombre des âmes qu’elle sau­vait par ce moyen si facile. Le Sang de Jésus-​Christ pos­sède une très grande puis­sance d’in­ter­ces­sion. Sa pré­sence dans le ciel est une force qui n’est sur­pas­sée que par la toute-​puissance divine. C’est bien ce que com­prit sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus dont l’âme apos­to­lique fut mar­quée pro­fon­dé­ment par une grâce qui ne tar­da pas à éveiller en elle un zèle ardent pour le salut des pécheurs ; à la vue d’une image de Jésus cru­ci­fié, contem­plant une de ses mains divines per­cée et san­glante, elle s’écrie : 

« Mon cœur se fen­dit de dou­leur à la vue de ce Sang pré­cieux qui tom­bait à terre sans que per­sonne s’empressât de le recueillir. Je réso­lus de me tenir conti­nuel­le­ment en esprit au pied de la croix, pour rece­voir la divine rosée du salut et la répandre ensuite sur les âmes. » [Histoire d’une âme, ch.V].

Il faut avoir le « sens » du Sang du Christ, de ce Sang qu’Il a ver­sé pour nous jus­qu’à la der­nière goutte, et qui par les sacre­ments, en par­ti­cu­lier la confes­sion, vient conti­nuer d’i­non­der nos âmes, les laver, les puri­fier, les enri­chir des mérites infi­nis du Rédempteur. « Baignez-​vous dans le Sang, noyez-​vous dans le Sang, revêtez-​vous du Sang du Christ », s’é­criait sans cesse sainte Catherine de Sienne. Dans l’office de la fête du Précieux Sang, saint Paul nous invite à cor­res­pondre au don du Christ : « Jésus, pour sanc­ti­fier le peuple par son Sang, a souf­fert en dehors des portes de Jérusalem… Sortons avec Lui, por­tant son opprobre. » [Heb. XIII, 12] Si nous vou­lons que le Sang du Christ pro­duise en nous tous ses fruits, nous devons y joindre le nôtre. Le Sien est si pré­cieux qu’une seule goutte suf­fit pour sau­ver le monde entier : 3

Cujus una stil­la sal­vum facere /​ Totum mun­dum quit ab omni sce­lere [Adoro te]. Pour notre rédemp­tion « Jésus endu­ra une croix dont Il mépri­sa l’in­fa­mie… Et vous, nous reprend saint Paul, vous n’a­vez pas encore résis­té jus­qu’au sang, dans la lutte contre le péché .» [Heb., XII, 4]. 

Le sang qui rejaillit du renon­ce­ment total à notre moi et de l’ac­cep­ta­tion de tout ce qui mor­ti­fie notre amour-​propre, le Sang de Jésus nous le demande pour l’u­nir au Sien.

Avides de vie divine, allons à la source d’où elle jaillit afin d’y pui­ser les grâces d’o­rai­son, d’u­nion à Jésus, les tré­sors d’un amour géné­reux, afin d’être trans­for­més par la ver­tu du Sang ado­rable en Celui qui est notre vie, et de pou­voir dire avec l’Apôtre :

« Non, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

Et fai­sons nôtre ce mot pro­non­cé par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : 

« Oh ! Je ne veux pas lais­ser perdre ce Sang pré­cieux. Je pas­se­rai ma vie à le recueillir pour les âmes ! » [Novissima Verba, 1er août 1897].

Ô Notre-​Dame de Compassion, donnez-​moi d’être bles­sé des plaies, d’être enivré de la Croix et du Sang de votre Fils. Fac me pla­gis vul­ne­ra­ri, /​ Fac me Cruce inebria­ri, /​ Et cruore Filii. [Stabat Mater].

† Je vous bénis. 

Abbé L.-P. Dubroeucq †