Le réalisme* dans l’éducation,
par M. l’abbé Nicolas Jaquemet
La première chose à quoi s’engagent les époux le jour de leur mariage, c’est d’avoir des enfants et de les éduquer. C’est la fin primaire du mariage. Cette éducation est un vaste domaine qui recouvre la formation de l’intelligence et celle de la volonté sans oublier la formation du caractère, de la sensibilité et du développement du corps. Mais le point principal de cette éducation reste la formation des vertus de l’enfant.
La finalité de l’éducation des vertus sera de faire de l’enfant un homme libre, au sens évangélique du terme, c’est-à-dire déterminé par la seule vérité, et non pas de le laisser à un état d’esclave de ses passions, du monde ou du démon. « La Vérité vous rendra libre » nous dit Notre-Seigneur.
L’élément positif de cette éducation sera de faire que le petit d’homme agisse conformément à sa nature humaine, aux lois de celle-ci, le décalogue, d’agir donc conformément à la volonté de son Créateur.
L’élément négatif sera de se défaire de ses passions désordonnées, de ses caprices et autres désordres générés par les restes du péché originel dans son âme.
Bref, l’éducation des vertus se résume dans le fait d’acquérir, de conquérir une réelle ressemblance avec Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.»
Avant de voir les moyens de former la vertu chez l’enfant et donc le rôle des parents, il nous faut voir ce qu’est une vertu.
Le mot vertu vient du latin « vis, virtutis : la force ». La vertu est une capacité, une force, une énergie qui tend à l’action. Comme exemple nous pouvons prendre la force motrice d’une locomotive mettant celle-ci en mouvement. La vertu est une disposition qui nous incline à agir dans un sens bien déterminé et d’une façon constante. La vertu n’est donc pas quelque chose de passager ; c’est ainsi que cette disposition constante prendra le nom d’habitude. L’enfant ayant la vertu d’obéissance obéira toujours. La vertu est une disposition qui appartient à l’âme. Elle est une disposition de l’âme. Si cette vertu est une disposition de l’intelligence, on parlera de vertu intellectuelle qui incline à penser le vrai. Si cette vertu appartient à la volonté, nous parlerons de vertu morale parce qu’elle incline à vouloir le bien. Voilà donc la dernière caractéristique de la vertu morale, elle est une bonne disposition, elle nous incline toujours à accomplir des actes bons, conformes à la loi de notre Créateur. Si cette disposition constante nous incline au mal, ce n’est pas une vertu bien sûr, mais un vice.
Ainsi, nous arrivons à la définition d’une vertu : elle est une constante disposition de l’âme à faire le bien. Ici nous pouvons distinguer les vertus naturelles des vertus surnaturelles. Ces dernières, qu’elles soient théologales (Foi, Espérance, Charité) ou morales (prudence, justice, force et tempérance en sont les quatre vertus cardinales), sont reçues dans l’âme avec la grâce sanctifiante le jour de notre baptême. Si nous les avons reçues de Dieu, nous ne pouvons aussi les pratiquer par nos seules forces, mais toujours avec Lui. Voilà la raison des grâces actuelles, dont la source sont la prière et les sacrements. Ces grâces sont de bonnes pensées et de bonnes inspirations par lesquelles Dieu nous meut, tout en restant libre, et nous aide dans toutes nos actions. Pour les vertus naturelles, celles-ci ne viennent que de nous-même et quelques fois par héritage familial. Ces vertus naturelles n’excèderont pas nos propres forces humaines. Ce qui est absolument capital de bien comprendre, c’est qu’elles s’acquièrent par la répétition d’actes bons. C’est parce que l’enfant multipliera les actes d’obéissance, qu’il deviendra réellement obéissant. C’est parce que le petit d’homme saura toujours réfréner l’appétit des ses papilles gustatives, qu’il contractera la vertu de tempérance, et cela de même pour toutes les vertus.
Ainsi donc, pour grandir dans les vertus morales, l’homme, de 0 à 77 ans, aura toujours besoin d’apporter son concours. Au risque de se répéter, il doit multiplier l’acte vertueux.
La vertu morale est donc l’habitude de faire le bien, habitus acquis en répétant des actes bons.
Que va produire cette répétition d’actes bons ? Elle va créer la vertu, oui mais encore ! Cette répétition d’actes vertueux fera que ceux-ci deviendront faciles, rapides, constants, prompts et posés avec joie. Voilà le principe de la fortune de Monsieur Henry Ford, inventeur du travail à la chaine. L’opérateur répétant le même acte, l’exécute plus rapidement et plus aisément. L’enfant vraiment obéissant obéira toujours joyeusement. C’est un des signes flagrant de la présence de cette vertu en lui.
C’est bien évidemment ici, dans cette nécessité de répéter l’acte vertueux, qu’intervient l’action des parents. C’est ici que se place principalement une grande partie de l’éducation des enfants. En effet, de même que l’enfant possède des facultés intellectuelles mais n’en n’use que graduellement jusqu’à la pleine acquisition de la raison, de même l’enfant possède une volonté, dont l’objet est le bien, mais n’en produira les actes que progressivement. Ainsi, devant le bien à faire ou le mal à éviter, devant un acte à poser pour acquérir telle ou telle vertu, l’enfant ne peut se déterminer tout seul. Son intelligence et sa volonté faibles par nature et par son jeune âge, endommagées par le péché originel, comment ce petit d’homme fera-t-il pour acquérir ces vertus, pour répéter les actes qui en sont le principe ? Qui le déterminera si ce n’est pas les parents et tout éducateur ?
Voilà donc le rôle essentiel des parents dans l’éducation de leurs enfants. En même temps qu’ils leur montrent le bien à faire par une vie exemplaire, ils doivent leur faire eux-mêmes répéter les actes de vertu, selon les circonstances de temps et lieux, et cela de 0 à 7 ans et bien plus. Abandonné à ses propres forces, l’enfant est incapable de ce travail.
Voilà donc le réalisme de l’éducation.
L’écueil devant être évité est celui de parents, qui, par manque de force, laissent la petite plantule sans tuteur ou mettent tous leurs espoirs, pour l’éducation de leurs chérubins, dans l’école, le scoutisme, la Croisade Eucharistique… S’il est vrai que ces institutions ont une certaine valeur éducatrice, il est vrai aussi qu’elles ne sont que des compléments de l’éducation parentale. La première et principale part dans l’acquisition des vertus revient aux parents, sachant que l’éducation est pratiquement achevée, au moins dans ses grands traits, à l’âge de 7 ans.
Nous ne le répèterons jamais assez, les parents doivent faire poser l’acte de vertu. Bien plus, ils doivent non seulement faire poser l’action vertueuse, mais surtout contraindre l’enfant jusqu’à ce que celui-ci cède, avec bien évidemment toute la prudence que requièrent les circonstances. Ici il n’y a pas de place à la liberté, au « s’il veut » « s’il ne veut pas », aux choix et goûts personnels parce que vous l’avez compris, c’est l’existence même de la vertu qui est en jeu. Si ce n’est pas le cas, si les parents capitulent, abdiquent, nous aurons un enfant roi, capricieux et sans grande vertu, qui pourrait devenir un tyran. Ici, nous avons l’archétype de l’éducation libérale que Mgr Lefebvre définissait comme une « absence de contrainte ». C’est une démission des parents. Devant cela, nous comprenons mieux ce grand principe d’éducation « ce que je demande, je l’obtiens toujours ».
Abbé Nicolas Jaquemet +, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
* Il faut entendre ce réalisme par ce qui est conforme à la nature humaine.