Editorial de la LAB n° 23 de février 2016 – Les fondements du nouveau socle, par M. l’abbé Ludovic Girod
Le nouveau socle dont il s’agit est celui publié par le ministère de l’éducation nationale en avril dernier et qui s’intitule « Socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».
Ce socle est nouveau car il remplace l’ancien qui datait de juillet 2006. Ce texte officiel rassemble et synthétise tout ce qu’un élève doit apprendre à l’école durant le temps de sa scolarité obligatoire, soit de 6 à 16 ans, ce qui correspond à l’école primaire et au collège.
Les objectifs de ce socle commun doivent être atteints par tous les élèves, y compris ceux de nos écoles hors contrat ou ceux qui sont scolarisés à la maison. Il diffère des programmes scolaires qui ne concernent eux que les écoles publiques et privées sous contrat.
C’est donc sur les contenus de ce nouveau socle que nous serons jugés lors des inspections menées par les fonctionnaires de l’éducation nationale. Il est donc intéressant de savoir de quoi il se compose et de dégager les fondements sur lesquels il s’appuie.
Un socle creux
La lecture des contenus de ce socle est éminemment déconcertante. On s’attendrait à y trouver une série de chapitres correspondant aux matières à enseigner (français, mathématiques, langues étrangères…) avec des objectifs précis et clairement définis. C’était le cas du socle précédent dont la lecture était facile, la compréhension aisée. Un élève devait ainsi à 16 ans connaître en français : « la nature des mots et leur fonction » ou « la conjugaison des verbes », en mathématiques : « les quatre opérations et leur sens » ou « les identités remarquables ». Ce précédent socle pouvait être critiqué en raison de certains de ses contenus (la Bible et le Coran mis sur le même pied dans la connaissance du « fait religieux ») ou de ses manques (pas d’analyse logique en français). Dans le nouveau socle, vous rechercheriez en vain une telle exposition. A peine pouvez-vous trouver, de-ci, de-là, des bribes du contenu d’un programme.
Les titres des chapitres vous plongent dès l’abord dans un abîme de perplexité.
Nous avons ainsi cinq « domaines » :
1. les langages pour penser et communiquer
2. les méthodes et outils pour apprendre
3. la formation de la personne et du citoyen
4. les systèmes naturels et les systèmes techniques
5. la représentation du monde et l’activité humaine.
Comme le remarque M. l’Abbé Bourrat, directeur de l’enseignement pour les écoles de la Fraternité Saint-Pie X en France : « 4 domaines sur 5 sont en effet des cadres formels, des outils de communication, des démarches intellectuelles dont le contenu est secondaire. Il ne s’agit plus de disciplines d’enseignement mais de cadres, de structures pour l’esprit et le comportement humain » [1]. Le seul domaine qui ose définir des connaissances est le troisième, qui correspond aux nouveaux programmes de morale et d’éducation civique. Ce n’est plus un socle, c’est un échafaudage hétéroclite dressé autour du vide. L’enfant est censé exercer son esprit critique, mener des expérimentations mais sans avoir pris la peine d’étudier sérieusement les éléments fondamentaux de chaque matière.
Prenons l’exemple du français. Cette matière est abordée tout d’abord dans le domaine 1, au premier paragraphe intitulé : « Comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit ». Il s’agit ici non de connaître la structure de la langue ou d’avoir étudié la littérature, mais uniquement d’utiliser le français dans des situations de communication, d’échanges. Une mention du français se retrouve dans le domaine 5 : « L’élève imagine, conçoit et réalise des productions de natures diverses, y compris littéraires… ». L’élève est invité à produire, mais nulle part nous ne lisons qu’il doit d’abord s’approprier les textes des grands auteurs, goûter la littérature, enrichir sa culture. Ce socle est décidément bien creux. Je ne peux résister au plaisir de citer Alain Finkielkraut : « l’école qui donnait la langue avant de donner la parole, c’était mieux que l’école qui fait l’inverse sous prétexte d’encourager la créativité ; les humanités, c’était mieux que le prêchi-prêcha écocitoyen des enseignements pratiques interdisciplinaires » [2].
Précisons également que l’étude du français côtoie à égalité dans le premier domaine les langues étrangères, les langages mathématiques, scientifiques et informatiques et les langages des arts et du corps. Et il s’agit bien d’égalité entre le français et les autres langages. Le nouveau livret scolaire indique le barème du contrôle continu en classe de 3ème en vue de l’obtention du diplôme national du brevet : 50 points attribués pour chacun d’entre eux !
Une éducation du comportement
De fait, ce socle ne vise pas précisément à définir des contenus d’enseignement mais à éduquer un comportement, à formater les esprits.
Le terme de « compétences » utilisé dans le titre l’indique déjà. Il est défini par la suite : « aptitude à mobiliser ses ressources (connaissances, capacités, attitudes) pour accomplir une tâche ou faire face à une situation complexes et inédites ».
Le socle fait la part belle à la mise en situation, à la réactivité de l’élève, à la pédagogie par projet. Glanons quelques expressions typiques : « [l’élève] adapte son niveau de langue et son discours à la situation, il écoute et prend en compte ses interlocuteurs », « l’élève sait que la classe, l’école, l’établissement sont des lieux de collaboration, d’entraide et de mutualisation des connaissances », « il comprend en outre l’importance de s’impliquer dans la vie scolaire (actions et projets collectifs, instances), d’avoir recours aux outils de la démocratie », « l’élève sait mener une démarche d’investigation », « l’élève imagine, conçoit et fabrique des objets et des systèmes techniques », « l’élève connaît l’importance d’un comportement responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé », « il mobilise son imagination et sa créativité au service d’un projet personnel ou collectif ».
Ce primat de l’action, et même plus précisément de la réaction de l’élève face à une situation, a pour fondement toutes les pédagogies modernes qui se sont développées au 20ème siècle, tant en France que dans les pays anglo-saxons, notamment les Etats-Unis.
Ainsi l’américain John Dewey envisage l’école comme un lieu de vie où l’enfant a conscience d’appartenir à un groupe et accepte d’apporter sa collaboration. L’environnement scolaire visera à faire adopter par les élèves une conduite morale démocratique. Ce spécialiste de psychologie appliquée rejette comme inappropriées les notions traditionnelles de disciplines et de programmes. Ses principes seront appliqués aux Etats-Unis et entraîneront un véritable désastre éducatif.
L’étude exclusive du comportement (en anglais behaviour, d’où le behaviorisme) incite à créer dans la classe le cadre propice à la formation de tel ou tel comportement que l’enseignant veut former dans l’apprenant. Eduquer, c’est par conséquent produire un stimulus qui va déclencher une réponse comportementale, autrement dit, conditionner l’élève. Dans cette perspective, le contenu des connaissances est sacrifié au bénéfice des compétences, des savoir-faire et des savoir-être.
A tout cela s’ajoute la « pédagogie par projet » : l’enfant vient en classe pour faire des choses, et à l’occasion de ces actes, l’enfant intègre telle ou telle connaissance qui lui est utile. L’enfant devient donc le centre du système scolaire, le professeur est un adulte de référence, une personne-ressource, un animateur pour mener à bien un projet [3]. De nombreux éléments introduits dans les programmes répondent à ces principes : les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) mis en place au collège, les parcours éducatifs (parcours citoyen, parcours avenir, parcours d’éducation artistique et culturelle) également pour les collégiens, les travaux personnels encadrés (TPE), qui comptent pour la note du bac, en première.
Ainsi s’éclaire le contenu de ce socle commun : pas de connaissances précises, mais des mises en œuvre, des expériences, des confrontations, des méthodes, afin de former le parfait citoyen du 21ème siècle. Pour terminer, je laisserai la parole à un étudiant d’HEC qui écrit dans une tribune du Monde : « A bas les connaissances fondamentales qui emplissent ces esprits sans construire. Il s’agit de valoriser en classe ce qui est nécessaire dans la société » [4]. Madame le ministre a déjà son remplaçant.
Abbé Ludovic Girod, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Courrier de la Ville n° 23 de février 2016/LPL du 7 mars 2016
Intégralité de la LAB n° 23de février 2016 au format pdf
- – Abbé Bourrat, intervention sur le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, session des institutrices, Le Pointet, juillet 2015.[↩]
- – Débat entre Juppé et Finkielkraut, Le Point, jeudi 14 janvier 2016, n° 2262, page 38.[↩]
- – Un bon résumé de ces théories modernes se trouve dans l’article de Henri Nivesse, Les fondements idéologiques du « pédagogisme », in Les Cahiers de l’Education, n°11, mai 2008.[↩]
- – Cité par Alain Finkielkraut dans Le Point.[↩]