Le beau métier de professeur
Abbé François-Marie Chautard, Recteur
Chers parents, bienfaiteurs et amis,
Quel jeune professeur, après avoir sué sur la préparation de son premier cours, tremblé peut-être devant son premier auditoire, n’a-t-il pas goûté la joie de cette communion intellectuelle avec ses élèves où le maître transmet à des intelligences vivantes un savoir qui l’a lui même enthousiasmé ?
Quel professeur ne goûte-t-il pas la joie du vieux Socrate, se plaisant à éveiller les intelligences à l’amour de la vérité ? Quel maître ne savoure-t-il pas ces instants bénis où il voit l’oeil de ses élèves s’éclairer en découvrant une vérité, leurs lèvres dessiner un sourire de connivence lorsqu’ils se prennent au « jeu » et comprennent une fine subtilité ? Il y a là une joie d’autant plus pure qu’elle est plus spirituelle.
Sans doute, le métier de professeur n’est pas de tout repos. Comme tout fils d’Adam, le maître doit travailler la terre à la sueur de son front. Et cette terre est parfois rétive. Elle ne veut pas toujours écouter, apprendre, se taire, qu’on la travaille pour qu’elle produise du fruit.
La joie est ici soeur de la patience. S’il faut du temps pour faire germer le blé, qu’il en faut davantage pour former un esprit !
Les talents du professeur
De multiples talents lui sont nécessaires. Il lui faut susciter l’intérêt de ses élèves pour la matière qu’il enseigne. Il lui faut donc luimême être passionné de son sujet, habité de son sujet de telle sorte que ce dernier s’élance spontanément à l’assaut de l’esprit de ses élèves.
Le professeur est tout sauf un automate chargé de répéter la leçon d’un morne manuel. Car le professeur n’écrit pas des leçons sur de mortes tablettes. Ce sont des esprits vivants qu’il doit atteindre, des intelligences vivantes et actives dont il doit susciter l’activité intérieure.
Une erreur redoutable
Il est en effet une erreur funeste dans l’éducation des hommes. C’est de croire que l’esprit est un réceptacle de connaissances qu’il suffit de remplir pour le former comme si à force de donner d’innombrables leçons reçues par des élèves, ces derniers deviendraient savants. Certes, à force d’entendre des vérités, d’écouter des leçons, ils retiendront un certain nombre de connaissances, mais un peu à la manière d’une mémoire inerte qui emmagasine les connaissances sans vraiment les assimiler. Et encore cette acquisition de connaissances est lente lorsqu’elle est purement passive.
Cette erreur procède d’une méconnaissance de l’intelligence. Cette faculté est vivante, active. Certes, comme le rappelle Aristote, c’est une tabula rasa à la naissance ; aussi doit-on apporter à l’intelligence de nombreuses connaissances si l’on ne veut pas la laisser végéter. Mais celle-ci les reçoit selon son mode, comme un esprit vivant. De même qu’un estomac n’est pas un cellier qui recevrait passivement ses plats mais exerce sur eux une activité assimilatrice, de même l’intelligence exerce sur les connaissances qu’on lui présente une activité assimilatrice.
Le maître a donc un double rôle : choisir les « mets » qu’il présente à l’intelligence et susciter l’activité assimilatrice de l’intelligence.
Pour prendre une analogie connue du réalisme aristotélicien, les connaissances « brutes » apportées par le maître sont la matière du cours. Or, la matière du cours ne représente pas grand chose si elle n’est animée d’un talent pédagogique dont tout l’art est de présenter les connaissances aux élèves de telle sorte qu’ils exercent eux-mêmes tout leur esprit sur ces vérités. Il faut alors au professeur à la fois adapter cette matière aux dispositions intellectuelles de ses élèves – et Dieu sait si elles varient suivant l’heure de la journée, l’activité présente, ou les vacances qui approchent – et guider les esprits pour qu’ils se saisissent dans les meilleures conditions de cette vérité, afin qu’habilement semée dans une terre bien disposée, cette semence puisse être travaillée par la terre et produire, tempore opportuno, tout son fruit.
On comprend ici combien l’enseignement est une collaboration du maître et des élèves, où le maître ne « fait » que nourrir, orienter et présider le travail intellectuel de ses élèves.
On pressent tout ce que cette « chimie » de l’enseignement suppose par ailleurs d’autorité et de compétence chez le professeur, de silence dans la classe, de régularité dans les cours, de développement de la mémoire, d’application des esprits.
Notre époque fait la part belle aux ingénieurs. Mais n’y a‑t-il pas une ingénieurie savante et pleine de tact dans la formation d’un esprit ?
Nos anciens avaient l’estime du savoir et des maîtres qui la dispensent. Et l’une des tares de notre enseignement national est d’avoir perdu cette estime des maîtres.
Au service de la vérité
En formant les esprits, le professeur se fait le serviteur de la vérité. Notre mentalité revendicatrice a perdu l’honneur du service. On voit le service comme une dévalorisation de l’individu. Il n’en fut pas toujours ainsi. Au cours du grand siècle, on se faisait une gloire d’entrer au service du roi. Et ne dit-on pas du service de Dieu : servire Deo regnare ? Le service vaut ce qu’il sert. Et quand il sert la vérité, ce service grandit l’homme, le hisse au niveau de cette vérité qu’il sert.
Une amitié
Ce service n’est d’ailleurs pas purement cérébral et désincarné. Plus le maître sait développer en ses élèves cet appétit de connaissance et l’art de les approfondir, plus une amitié, une filiation intellectuelle se fait jour. S’il y a une forme d’amitié bien profonde et solide, c’est celle de la génération. La transmission de la vie est une chose si grande qu’elle s’accompagne d’une amitié très solide entre les parents et les enfants. Il y a quelque chose d’équivalent dans la génération d’un esprit. C’est l’amitié du maître et de l’élève d’autant plus profonde qu’elle a sa source dans la transmission d’un bien excellent : l’amour et l’apprentissage de la vérité.
Au service de la chrétienté
En servant la vérité, en formant les esprits, l’homme sert le bien commun de la société. Hélas, ce métier de l’enseignement, pourtant si grand par les talents qu’il requiert, le bien qu’il sert et les bienfaits qu’il procure, semble ne pas attirer beaucoup de jeunes gens de la Tradition.
N’y a‑t-il pas pourtant là un grand moyen de servir son pays, de « faire de la politique » au sens noble du terme ? On se lamente sur les malheurs des temps et la décadence de l’enseignement et de nos mentalités. Mais pourquoi si peu de jeunes gens s’enrôlent dans l’éducation de la jeunesse ?
Nos francs-maçons nationaux se glorifient des hussards de la République, ils se vantent d’avoir investi la place, M. Peillon s’est acharné à vouloir détruire les derniers vestiges de notre civilisation chrétienne, et nos jeunes de la Tradition n’auraient pas le cœur de s’engager dans un tel combat ?
On n’ose croire à des raisons d’argent quand tant de socialistes militants s’en privent. On n’ose imaginer que des chrétiens portant l’empreinte du Christ dans leur cœur et dans leur âme ne forment pas le vœu de servir le Christ Roi mais de s’installer dans la vie ? On n’ose penser que les mouvements politiques ne soient qu’une échappatoire pour écarter les vrais combats politiques.
C’est pourquoi nous espérons que de nombreux jeunes bacheliers puis de jeunes étudiants se porteront vers ce noble et si bienfaisant métier afin qu’ils puissent goûter cette joie d’oeuvrer au bien commun, de savourer la joie de l’enseignement, et de pouvoir dire eux aussi, au soir de leur vie : tradidi quod et accepi : j’ai transmis ce que j’ai reçu.
Abbé François-Marie Chautard, Recteur
Lettres aux parents et Bienfaiteurs de l’ISPX
Archives des Lettres aux parents, amis et bienfaiteurs de l’Institut Saint-Pie X