Ecône : sermon des ordinations par Mgr de Galarreta

Excellences,

chers confrères,

chers ordi­nands,

mes bien chers frères,

Nous voi­ci réunis, une année de plus, au sémi­naire d’Ecône, la Maison mère de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, afin de confé­rer le dia­co­nat et le sacer­doce, afin d’accomplir par là ce qui consti­tue la voca­tion et la mis­sion de la Fraternité. Il s’agit de trans­mettre, conser­ver, vivre le sacer­doce catho­lique afin d’assurer la péren­ni­té de la Foi et de l’Eglise catholique.

Le Prêtre est un alter Christus, un autre Christ. Il agit in per­so­na Christi, en la per­sonne du Christ. C’est donc vrai­ment le sacer­doce du Christ par­mi nous. C’est la pré­sence du Christ par­mi nous. Le prêtre assure la conti­nui­té des bien­faits de l’Incarnation de Notre Seigneur, de sa vie, son ensei­gne­ment, sa grâce, sa rédemp­tion. Et c’est là vrai­ment ce qui est l’essentiel. Au tra­vers de cette crise – crise de la foi, crise de l’Eglise – il est évident que nous ne pou­vons pas nous abs­traire, igno­rer la situa­tion dans laquelle nous sommes, et sur­tout la situa­tion de la sainte Eglise. A vrai dire, pour l’essentiel rien ne change. Pour l’essentiel il n’y a rien de changé.

Le libéralisme tente de concilier le catholicisme et la pensée issue de 1789

Mgr Lefebvre avait bien vu et défi­ni quel est le mal de notre temps, de la socié­té, et sur­tout le mal dans l’Eglise. Ce mal s’appelle tout sim­ple­ment le libé­ra­lisme. C’est cette conci­lia­tion, cet essai de conci­lia­tion entre l’Eglise et le monde, entre la foi catho­lique et les prin­cipes libé­raux, entre la reli­gion catho­lique et la pen­sée issue de 1789. Tout est là, tout le pro­blème gît là. Tout le reste ce ne sont que des jus­ti­fi­ca­tions théo­riques, sub­tiles, sophis­ti­quées, de la théo­lo­gie moder­niste pour jus­ti­fier cette adap­ta­tion faite par le Concile Vatican II et par les auto­ri­tés avec le monde issu de la révo­lu­tion, avec le monde libéral.

Et je vou­drais vous citer quelques paroles dues à celui qui était alors le car­di­nal Ratzinger dans les­quelles il affirme avec sim­pli­ci­té et clar­té pré­ci­sé­ment cela. Dans un sou­ci de fidé­li­té et de pré­ci­sion, je vais vous les lire. Elles sont assez courtes.

« Vatican II avait rai­son de sou­hai­ter une révi­sion des rap­ports entre l’Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, même si elles sont nées hors de l’Eglise, peuvent, une fois exa­mi­nées et amen­dées, trou­ver leur place dans sa vision [du monde] ». (Entretien sur la foi, car­di­nal Ratzinger et Vittorio Messori, 1985, Fayard, p. 38)

« Le pro­blème des années soixante était d’acquérir les meilleures valeurs expri­mées par deux siècles de culture libé­rale ». (Entretien avec Vittorio Messori, men­suel Jesus, novembre 1984, p. 72)

Le pape actuel, Benoît XVI, à l’époque car­di­nal Ratzinger, montre éga­le­ment com­ment la consti­tu­tion Gaudium et spes est le « tes­ta­ment du Concile », indique son inten­tion et défi­nit sa phy­sio­no­mie en ces termes :

« Si l’on cherche un diag­nos­tic glo­bal du texte [de Gaudium et spes] on pour­rait dire qu’il est, en liai­son avec les textes sur la liber­té reli­gieuse et sur les reli­gions du monde, une révi­sion du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-​syllabus. Le texte joue le rôle d’un contre-​syllabus dans la mesure où il repré­sente une ten­ta­tive pour une récon­ci­lia­tion offi­cielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était deve­nu depuis 1789 ». (Les prin­cipes de la théo­lo­gie catho­lique, car­di­nal Joseph Ratzinger, 1982, Téqui, p. 427)

Voilà des textes et des affir­ma­tions assez clairs. C’est un aveu d’importance capi­tale, auto­ri­sé et qui nous dis­pense de prou­ver ces affir­ma­tions. Si eux-​mêmes confessent que c’est comme cela, il n’est plus besoin que nous le prou­vions. Vatican II a été bel et bien une conci­lia­tion de la reli­gion catho­lique, de la foi de l’Eglise avec le libé­ra­lisme, avec la révo­lu­tion et les prin­cipes de la Révolution fran­çaise, et même – comme le pape le dit ailleurs – de la pen­sée de la foi avec la pen­sée des Lumières. Ces affir­ma­tions appellent plu­sieurs réflexions, plu­sieurs remarques.

Car tout d’abord com­ment est-​il pos­sible qu’il y ait des valeurs tou­chant si essen­tiel­le­ment l’ordre natu­rel et sur­na­tu­rel – pour s’en convaincre, il suf­fit de regar­der l’Eglise avant et après le Concile ! –, com­ment peuvent-​elles, ces valeurs, naître en dehors de l’Eglise ? L’Eglise n’est donc pas la dépo­si­taire de la Vérité ? L’Eglise catho­lique n’est pas la vraie Eglise ? Et la Vérité évo­lue alors au gré de l’histoire et du temps, des cultures et des lieux ? Il n’est pas vrai de dire que ce sont des valeurs nées en dehors de l’Eglise. Déjà, un auteur comme Chesterton disait que les idées de la Révolution fran­çaise sont des idées catho­liques deve­nues folles. Et nous pour­rions dire avec plus de pré­ci­sion : ce sont des véri­tés catho­liques indû­ment trans­po­sées dans l’ordre natu­rel, des idées qui sont vraies dans l’ordre sur­na­tu­rel, avec des limites, mais qui ont été trans­po­sées direc­te­ment dans l’ordre naturel.

Si vrai­ment le Concile Vatican II avait pris les valeurs libé­rales et les avait cor­ri­gées, puri­fiées et amen­dées, alors on aurait retrou­vé tout sim­ple­ment la véri­té catho­lique de tou­jours, puisque ce sont des véri­tés chré­tiennes défor­mées. Le libé­ra­lisme est une héré­sie chré­tienne, catho­lique, de par son ori­gine, je veux dire.

D’autre part, il était quand même témé­raire de vou­loir cette conci­lia­tion alors qu’un magis­tère constant des papes, pen­dant deux siècles et demi, a condam­né ces sup­po­sées valeurs : elles ont été condam­nées en gros et en détail. Non seule­ment la pos­si­bi­li­té d’une telle conci­lia­tion était condam­née, mais il était éga­le­ment condam­né d’affirmer la néces­si­té d’une telle conci­lia­tion. C’est le Syllabus, c’est Pie IX.

Il y a là un des péchés ori­gi­nels du Concile. Très sou­vent ils nous mettent devant les yeux le magis­tère et l’autorité. Souvent c’est le seul argu­ment qu’ils ont. Alors qu’ils ont, eux, com­men­cé par se débar­ras­ser d’un magis­tère de deux siècles et demi, et par faire pré­ci­sé­ment ce que les papes avaient à l’avance condam­né. C’est plus que téméraire.

Ensuite on cherche une conci­lia­tion avec le monde, avec un monde éloi­gné de Dieu et oppo­sé à Dieu. Voyez le monde, il suf­fit de regar­der autour de nous pour com­prendre de quel monde il s’agit. Or, l’Ecriture est très claire. Saint Jean nous dit : « Tout ce qui vient du monde est concu­pis­cence de la chair, concu­pis­cence des yeux et orgueil de la vie ». (I, Jean, 2, 16). Et l’apôtre saint Jacques disait aux chré­tiens : « Adultères, ne savez-​vous pas que l’amitié de ce monde est une ini­mi­tié contre Dieu. Quiconque veut donc être ami de ce monde, se rend et s’établit enne­mi de Dieu ». (Jacques, 4, 4)

L’esprit d’indépendance conduit à la déification de l’homme

Car enfin, quelle est l’essence, la sub­stance, le noyau de cette pen­sée libé­rale ? Les papes et les grands auteurs du XIXe et du XXe siècle ont déjà tout dit. C’est tout d’abord le natu­ra­lisme, c’est la néga­tion de l’ordre sur­na­tu­rel, de la Révélation, de la grâce, et en consé­quence et dans cet ordre, néga­tion de l’Eglise, du Christ, de Dieu. Le natu­ra­lisme cohé­rent abou­tit à l’athéisme. Et le com­mu­nisme est là pour nous le rap­pe­ler : on n’avait jamais vu une telle hor­reur dans l’histoire de l’humanité. Deuxièmement, c’est l’esprit d’indépendance et de rébel­lion. Indépendance par rap­port à tout : indé­pen­dance de l’intelligence par rap­port au Vrai, de la volon­té par rap­port au Bien, de l’homme par rap­port à Dieu, par rap­port à l’autorité. Et troi­siè­me­ment, c’est la déi­fi­ca­tion de l’homme. Déjà saint Pie X le signa­lait : l’homme se sub­sti­tue à Dieu, il se fait dieu et il ordonne la gloire à lui-​même et la créa­tion à lui-même.

Donc on a ten­té, on a essayé une conci­lia­tion avec ces idées-​là, fon­ciè­re­ment et radi­ca­le­ment contraires à la Foi catho­lique, et tout sim­ple­ment contraires à l’ordre natu­rel, à la réa­li­té. Bien sûr, puisqu’il s’agit d’une ten­ta­tive de conci­lia­tion, ils n’ont pas réaf­fir­mé ces prin­cipes tels quels. Ils n’ont pas nié l’ordre sur­na­tu­rel mais ils l’ont réduit et inclus dans la nature. Ils n’ont pas nié l’Eglise, mais ils ont mis l’Eglise au ser­vice du monde, le royaume des cieux sur la terre, au ser­vice du monde et au ser­vice de cette entre­prise huma­niste de l’unité du genre humain et de la paix, tou­jours dans l’ordre natu­rel. Voyez Assise par exemple, Assise III qui est pré­sen­té ainsi.

Ils n’ont pas nié le Christ, mais ils ont mis le Christ au ser­vice de l’homme. Le Christ est uni à tout homme, il révèle l’homme à l’homme et, avec sa grâce, il fait que l’homme soit un homme par­fait. Voilà leur doc­trine. Ils n’ont pas affir­mé l’indépendance abso­lue de l’homme par rap­port à Dieu, mais ils sont pas­sés de l’ordre objec­tif à un ordre sub­jec­tif. Objectivement par­lant, oui, il y a un dieu, il y a une vraie reli­gion, il y a une véri­té. L’homme aurait donc une obli­ga­tion morale d’y adhé­rer. Mais de toutes façons, quoiqu’il arrive, l’homme se sauve en sui­vant sa conscience, sa véri­té et sur­tout en exer­çant sa liber­té. Car c’est là, la digni­té onto­lo­gique et sacrée de l’homme. L’exercice de la liber­té, non dans le sens tra­di­tion­nel – la liber­té de se mou­voir dans le bien – mais le simple fait d’élire entre le bien et le mal, l’homme trouve là sa per­fec­tion et son salut.

Ils n’ont pas affir­mé la divi­ni­té de l’homme, mais ils ont opé­ré un retour anthro­po­lo­gique par le per­son­na­lisme qui a mis le bien com­mun, et tout bien com­mun, au ser­vice de l’homme indi­vi­duel­le­ment, de la per­sonne. Et en der­nière ins­tance, on met au ser­vice de la per­sonne le bien com­mun divin, uni­ver­sel, suprême, qui est Dieu. Car Dieu est le bien com­mun suprême. C’est pour cela que le Concile affirme que l’homme est la seule créa­ture que Dieu aime pour elle-​même. Que Dieu aime pour elle-​même ! Et Dieu trouve sa gloire dans la gloire de l’homme, non pas dans la gloire que l’homme rend à Dieu, mais dans la glo­ri­fi­ca­tion de l’homme.

Et donc nous avons le même but que les libé­raux, les huma­nistes et les révo­lu­tion­naires. Pas de pro­blème ! Nous cher­che­rons tous la glo­ri­fi­ca­tion de l’homme et par là nous obtien­drons aus­si la gloire de Dieu. Aussi leur dieu est-​il fini et per­fec­tion­né par la gloire de l’homme. Rien de moins !

Tout restaurer dans le Christ pour remédier au mal présent

Voyez com­ment est impos­sible cette conci­lia­tion. Et ils en ont appli­qué rigou­reu­se­ment toutes les consé­quences. Mgr Lefebvre nous disait : Ils L’ont décou­ron­né. Oui, ils ont sys­té­ma­ti­que­ment mécon­nu la pri­mau­té et la royau­té de Notre Seigneur, ses droits, les droits de Dieu. On est pour les droits de l’homme. Négation des droits de Dieu avec la décla­ra­tion des droits de l’homme. Ils ont décou­ron­né Notre Seigneur en Lui-​même dans ses droits par la liber­té de conscience, par la liber­té de pen­sée, par la liber­té du péché, par la liber­té de culte, par la liber­té reli­gieuse. Il a été décou­ron­né vrai­ment. Mais ils ont décou­ron­né aus­si Notre Seigneur dans son Eglise par l’œcuménisme, car si le Christ est roi, l’Eglise est la reine. Et ils ont décou­ron­né Notre Seigneur dans son Vicaire et dans ses évêques par la col­lé­gia­li­té et par la démo­li­tion, en der­nière ins­tance, de toute autorité.

Voilà la pen­sée avec laquelle le Concile a ten­té la conci­lia­tion. Et alors, bien sûr, main­te­nant il y a la conci­lia­tion de la conci­lia­tion, enten­dez l’herméneutique de la conti­nui­té. Et il y en a même qui nous res­semblent ou qui étaient des nôtres, et ne sont plus des nôtres, qui tentent la conci­lia­tion de la conci­lia­tion de la conci­lia­tion. C’est peine per­due, leur entre­prise est vouée à l’échec d’avance : bonum ex inte­gra cau­sa, malum ex quo­cumque defec­tu. Le bien pro­cède d’une cause tota­le­ment bonne, intègre, le mal de n’importe quel défaut dans la cause.

Mais ici il s’agit d’un défaut essen­tiel, car c’est l’essentiel de la pen­sée libé­rale qui est tota­le­ment et radi­ca­le­ment contraire à la foi catho­lique. C’est la chose elle-​même qu’on cherche à conci­lier qui est contraire. On ne peut pas faire un cercle car­ré. C’est impos­sible. On ne peut même pas le conce­voir. C’est du bon sens. On peut deman­der à quelqu’un de Martigny si on peut aller en même temps à Rome, la Ville éter­nelle, et à Paris, la cité des Lumières. Demandez-​lui si on peut prendre le même che­min pour arri­ver à ces deux termes ! En Espagne, on dit que cela revient à mettre un cierge à Dieu et un autre cierge au diable. Déjà l’apôtre saint Paul l’avait dit plus ou moins en ces termes : « Ne vous atta­chez pas avec les infi­dèles à un même joug ». (2, Cor. 6, 14). Car quelle socié­té peut-​il y avoir entre la jus­tice et l’iniquité ? Quelle conci­lia­tion entre les lumières et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et le diable ? Entre le fidèle et l’infidèle ? Entre le Temple de Dieu et le temple des idoles ? Or, dit saint Paul, le temple de Dieu c’est l’Eglise. Alors quelle conci­lia­tion peut-​il y avoir ? Aucune.

Si Mgr Lefebvre nous a signa­lé avec pré­ci­sion le mal, il nous a indi­qué aus­si avec pré­ci­sion et clair­voyance le remède. Il nous a signa­lé le remède : c’est Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Et c’est plus pré­ci­sé­ment le Christ Prêtre et le Christ Roi. Il n’y a pas de salut, il n’y a pas de rédemp­tion pos­sible, ni pour les indi­vi­dus ni pour les socié­tés, en dehors du sacer­doce et en dehors de la royau­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Car il accom­plit sa mis­sion et par son sacer­doce et par sa royau­té. « Personne ne peut poser un autre fon­de­ment que celui qui a été posé par la main de Dieu, le Christ Jésus », affirme saint Paul, (Cor. 3,11). Et saint Pierre dit dans le même sens : la pierre qui a été reje­tée par les archi­tectes, par les construc­teurs est deve­nue la pierre d’angle. Car il n’y a pas de salut dans aucun autre, en per­sonne d’autre si ce n’est en Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Et il n’y a pas d’autre nom sous les cieux par lequel les hommes puissent être sau­vés que le nom de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. (cf. Actes, 4, 11–12)

Lorsque saint Paul dans l’épître aux Ephésiens veut fon­der notre espé­rance fer­me­ment, il nous rap­pelle com­ment Dieu le Père a déployé sa puis­sance et la puis­sance de sa force en res­sus­ci­tant Notre Seigneur des morts, en le fai­sant s’asseoir à sa droite et met­tant sous son auto­ri­té toute prin­ci­pau­té, toute auto­ri­té, toute domi­na­tion, tout trône. Ainsi que tout ce qui peut se nom­mer en ce siècle et dans le siècle à venir. Dieu lui a tout sou­mis en ce siècle et dans le siècle à venir. Il l’a consti­tué Chef de l’Eglise qui est son corps. L’Eglise est la plé­ni­tude de Celui qui est tout en tous. Le Christ est tout en tous dans l’Eglise. Et Dieu lui a tout sou­mis. (cf. Eph. 1, 20–23)

Dans l’épître aux Hébreux l’apôtre est encore plus clair en disant qu’il lui a tout sou­mis, qu’il n’a rien lais­sé qui ne lui soit pas sou­mis (cf. Heb, 2,8). Il n’a rien lais­sé en dehors de son empire, de sa royau­té, et donc opor­tet illum regnare, il faut qu’Il règne (cf. I Cor. 15, 25). C’est là qu’est l’idéal du prêtre, du sacer­doce : tout fon­der en Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, tout ins­tau­rer, tout res­tau­rer dans le Christ, mais aus­si tout réunir, tout réca­pi­tu­ler, tout ordon­ner à Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Tout est à vous, vous êtes au Christ, le Christ est à Dieu. Voilà le des­sein de Dieu de toute éter­ni­té : tout res­tau­rer, tout réunir dans le Christ. Et en dehors de son sacer­doce et de sa royau­té, la vie de l’homme est un cau­che­mar sans issue. Nous le voyons bien dans la socié­té dans laquelle nous vivons ; il n’y a ni véri­té, ni ver­tu, et hélas ni salut, ni rédemp­tion, ni jus­tice. Tout cela nous vient par Notre Seigneur, par son sacer­doce, par sa royau­té : Je suis la voie, la véri­té et la vie. (Jean, 14, 6)

Et donc, chers confrères, chers ordi­nands, la vie du prêtre est jus­te­ment de sou­mettre toute intel­li­gence à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui est la véri­té, toute volon­té à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui est la vie, et d’offrir à tous les hommes la seule voie du salut qui est Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Pourquoi aller à Rome ?

Si les choses sont comme cela, quelqu’un pour­rait me dire : mais alors pour­quoi avoir des contacts avec ces gens-​là, pour­quoi aller à Rome ? Il sem­ble­rait que par prin­cipe il ne faille pas avoir de contacts, aucun contact avec eux. Eh bien ! C’est tout le contraire : par prin­cipe il faut que nous ayons des contacts et par prin­cipe il faut que nous allions à Rome. Ensuite évi­dem­ment c’est la pru­dence qui déter­mine les cir­cons­tances et qui déter­mine ce qu’il faut vrai­ment faire dans un cas concret. Mais, par prin­cipe, il faut y aller tout d’abord parce que nous sommes catho­liques, apos­to­liques et romains. Ensuite si Rome est la tête et le cœur de l’Eglise catho­lique, nous savons que néces­sai­re­ment la crise trou­ve­ra sa solu­tion, la crise se résou­dra à Rome et par Rome. En consé­quence le peu de bien que nous ferons à Rome est beau­coup plus grand que beau­coup de bien que nous ferons ailleurs.

D’autre part, cari­tas Christi urget nos, la cha­ri­té du Christ nous presse (2 Cor. 5,14). Il faut com­prendre com­bien il est dif­fi­cile de quit­ter l’erreur alors qu’on a vécu toute sa vie dans l’erreur. Il est extrê­me­ment dif­fi­cile d’avoir la lumière et la force pour rompre avec toute une série d’attaches d’ordre natu­rel, toute une vie vouée à cela, tout un ensei­gne­ment avec la cau­tion de l’autorité et les consé­quences qui s’ensuivent. Reconnaissons que cela n’est pas facile, et ayons pitié. Car enfin ils ont besoin tout sim­ple­ment de ce que nous avons déjà reçu gra­tui­te­ment, la lumière et la grâce. Car qu’est-ce que nous avons que nous n’ayons reçu ? (1, Cor. 4, 7) Eh bien ! Eux, ils ont besoin tout sim­ple­ment de rece­voir ce que nous avons eu la grâce de rece­voir par la misé­ri­corde et la lar­gesse de Dieu. La cha­ri­té nous en fait un devoir.

Ceux qui s’opposent farou­che­ment et par prin­cipe à tout contact avec les moder­nistes me rap­pellent un pas­sage de l’Evangile. Lorsque Notre Seigneur n’a pas été reçu dans une ville, Jacques et Jean – les fils du ton­nerre – lui pro­posent, s’Il le veut, de faire tom­ber le feu du ciel pour consu­mer cette ville. Et Notre Seigneur, indul­gent, passe sur cet orgueil monu­men­tal mais naïf des apôtres – comme si Notre Seigneur avait besoin d’eux pour résoudre les pro­blèmes ! –, et il leur répond : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. (cf. Luc 9, 51–56). Oui, ils n’avaient pas encore reçu le Saint-​Esprit qui répand la cha­ri­té dans les cœurs, et ils ne savaient pas de quel esprit ils étaient. Ils étaient tom­bés dans le zèle amer.

Nous avons cru à la charité

Et quel est cet esprit ? C’est l’Esprit de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Ce n’est pas trop com­pli­qué, il faut regar­der com­ment Notre Seigneur a fait face à ses enne­mis, à ses adver­saires. Aussi bien saint Jean que saint Paul nous disent : c’est en cela que nous avons vrai­ment connu l’amour de Dieu, que le Père nous a aimés et le Christ a don­né sa vie pour nous, alors que nous étions des pécheurs, alors que nous étions ses enne­mis. C’est là sur­tout que se mani­feste la cha­ri­té de Dieu, et nous avons cru à cette cha­ri­té. Alors nous devons faire de même. (cf.1 Jean, IV, 9–16 et Eph. II)

Comment cet amour de Notre Seigneur s’est-il mani­fes­té ? Par la guerre, les ana­thèmes, les condam­na­tions, ou en fai­sant tom­ber le feu du ciel ? Non ! Cette œuvre d’amour s’est accom­plie par l’humilité, par l’humiliation, par l’obéissance, par la patience, par la souf­france, par la mort et en par­don­nant encore à ses enne­mis sur la Croix. Tout au long de sa vie Notre Seigneur a déployé tous les moyens pos­sibles et rai­son­nables pour faire admettre la véri­té par les pha­ri­siens et pour leur offrir le salut et le par­don. Voilà tout sim­ple­ment ce que nous devons suivre.

Je ne vois pas en quoi la fer­me­té doc­tri­nale serait contraire à la sou­plesse, à l’ingéniosité, et même à la har­diesse de la cha­ri­té. Je ne vois pas. Je ne sais pas en quoi l’intransigeance doc­tri­nale serait contraire aux entrailles de la misé­ri­corde, au zèle mis­sion­naire et apos­to­lique de la cha­ri­té. On n’a pas à choi­sir : ou la foi ou la cha­ri­té ; on doit embras­ser les deux. Et encore sans la cha­ri­té je ne suis rien même si j’ai une foi à dépla­cer les mon­tagnes. Si je n’ai pas la cha­ri­té je ne suis rien. Si je donne ma vie pour les pauvres et que je n’ai pas la cha­ri­té, je ne suis rien. (cf. 1, Cor. 13, 3)

Relisez l’éloge de la cha­ri­té par saint Paul dans son épître aux Corinthiens (cf. 1, Cor. 13), appli­quez cela à la vie de Notre Seigneur, et vous sau­rez sans confu­sion pos­sible quel est l’esprit catho­lique. La cha­ri­té est patiente, la cha­ri­té est bonne, elle n’est pas envieuse, la cha­ri­té ne cherche pas son inté­rêt, elle ne tient pas compte du mal, elle rend le bien pour le mal, la cha­ri­té excuse tout, croit tout, espère tout, souffre tout. Voilà com­ment nous pour­rons vrai­ment coopé­rer à la res­tau­ra­tion de la foi, à cette res­tau­ra­tion de toutes choses dans le Christ. Et si le remède est dans le Christ, le sacer­doce et la royau­té du Christ, ce remède passe néces­sai­re­ment par le cœur de notre mère la Très Sainte Vierge Marie.

Notre Seigneur a été et sera tou­jours exclu­si­ve­ment le fruit de la Vierge Marie, du cœur de Marie. C’est elle qui est la mère du Christ, mère de Dieu, la mère de tous les hommes, la co-​rédemptrice du genre humain, la média­trice de toutes les grâces. Celle qui dis­tri­bue et qui donne toutes les grâces. Elle est vrai­ment la reine de toute la créa­tion, reine du ciel et de la terre. Comme le dit saint Bernard, nous avons tout obte­nu par la Vierge Marie, nous devons donc aller avec fer­veur, dévo­tion et constance au cœur de Marie, afin d’obtenir les grâces qui nous sont néces­saires, et sur­tout cette vie forte dans la foi, dans l’espérance et dans la cha­ri­té. Car il nous faut aimer avec force.

Allons donc vrai­ment et sou­vent, par une dévo­tion vraie et inté­rieure, au cœur de Marie, à ce Trône de la grâce afin d’obtenir le secours néces­saire au temps oppor­tun, afin d’être en der­nière ins­tance de vrais chré­tiens et de vrais prêtres de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Ainsi soit-il.

Pour conser­ver à ce ser­mon son carac­tère propre, le style oral a été main­te­nu. (Transcription et inter­titres par DICI du 07/​07/​11)

Ce ser­mon du 29 juin 2011 est dis­po­nible en ver­sion audio

FSSPX Premier assistant général

Mgr Alfonso de Galarreta, né en Espagne en 1957, a été sacré évêque auxi­liaire de la Fraternité Saint-​Pie X le 30 juin 1988 par Mgr Marcel Lefebvre. Ayant exer­cé de nom­breuses res­pon­sa­bi­li­tés notam­ment comme Supérieur du dis­trict d’Amérique du Sud et direc­teur du sémi­naire de La Reja, il est actuel­le­ment Premier Assistant du Supérieur géné­ral de la Fraternité.