En 992, le Pape Jean XV décrète que chaque fois que le 25 mars, date de l’Annonciation et patronne de la Basilique, va coïncider avec le Vendredi Saint, c’est-à-dire en une rencontre merveilleuse des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, une année jubilaire sera accordée avec abondance de grâces. Or, en 2005, le Vendredi Saint était le 25 mars et eut lieu le 30e jubilé. Les prochains jubilés du Puy sont en 2016, puis en 2157 ! La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X organise un pèlerinage au Puy du samedi 9 avril au dimanche 10 avril 2016.
La fondation de l’Eglise du Velay
Les antiques traditions de l’Eglise du Puy nous enseignent que le premier évêque du Velay fut saint Georges, envoyé dans les Gaules par saint Pierre en vue d’évangéliser les hauts plateaux du Centre. Le Prince des Apôtres lui adjoignit comme compagnon de route saint Front, futur évêque de Périgueux.
Mais à peine eurent-ils atteint la petite ville de Bolsène – au nord de Rome – que Georges trépassa. Abattu, Front repartit pour Rome où Pierre lui remit son bâton de marche, lui demandant de le déposer sur la tombe du défunt, enseveli depuis six jours. Saint Front s’exécuta et Georges ressuscita. Tous deux reprirent leur route.
Le bâton miraculeux fut ensuite partagé en deux moitiés et saint Georges déposa sa partie dans l’église de Saint-Paulien, siège primitif de l’évêché du Velay. On porte au crédit du premier évêque du Velay la très spéciale dévotion qu’il avait à la Sainte Vierge. Jamais il ne manquait de la citer dans ses homélies et de chanter sa louange.
Les apparitions de la Sainte Vierge Marie et la Dédicace de la cathédrale
Avant de mourir « pour la seconde fois » de façon très paisible parmi ses ouailles (en l’an 84 selon les anciennes traditions ; vers le milieu du IIIème siècle, selon d’autres), saint Georges eut le temps de se rendre sur le Mont-Anis où une veuve venait d’être miraculeusement guérie par l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie. Cette pieuse femme malade, baptisée par saint Front, s’était sans succès soumise à la médecine des hommes. Elle s’était alors adressée à la Sainte Vierge qui lui fit entendre ces paroles :
« Levez-vous, ma fille, du lit où vous ne sauriez trouver la santé, et allez la chercher sur le Mont-Anis où elle vous sera rendue. »
Elle se fit porter au lieu indiqué, y vit une grande pierre noire et carrée en forme d’autel sur laquelle elle se reposa et s’endormit. Cette pierre était un autel sacré sur lequel les druides accomplissaient les cérémonies du culte. Dans son sommeil lui apparut une Dame rayonnante de clarté entourée d’anges. Elle s’enhardit à demander quelle était cette reine :
« C’est, répondit un des anges, l’auguste Mère du Sauveur qui, entre tous les lieux du monde, s’est choisi spécialement cet endroit, pour y être servie et honorée jusqu’à la fin des siècles ; et afin que vous ne preniez pas ce que vous voyez pour un vain songe, sachez que la guérison que vous désirez vous est accordée. »
A la nouvelle de ce miracle, saint Georges était accouru sur le Mont Anis et fut doublement étonné, en ce jour du 11 juillet, de voir le lieu couvert de neige et un cerf gambadant qui traçait l’enceinte du sanctuaire que Notre-Dame voulait voir ériger en ce lieu. Saint Georges ne planta qu’une haie d’aubépines. Le lendemain 12 juillet, la neige avait disparu et l’aubépine s’épanouissait comme une couronne virginale. Malgré la venue de saint Martial de Limoges, premier pèlerin du Mont-Anis, qui désigna dans l’enclos la place que devait occuper l’autel de la basilique future et qui remit à l’Eglise du Puy une relique de très grand prix – un soulier de la Sainte Vierge – le projet traîna et n’aboutit que plus tard. Il fallut attendre l’épiscopat de saint Evode ou Vosy, septième évêque du Velay – vers 220 selon les uns, vers 375 de façon plus vraisemblable selon les autres – et une nouvelle guérison miraculeuse au même endroit, sur la pierre qu’on appellera Pierre des fièvres, pour que fût enfin entrepris le sanctuaire réclamé à nouveau par la Vierge Marie :
« Ma fille, dit-elle à la malade, c’en est fait, vous êtes guérie. Allez trouver mon serviteur Vosy ; dites-lui, de ma part, qu’il ne manque pas de jeter ici au plus tôt les fondements du sanctuaire que n’ont pu m’y élever ses prédécesseurs… C’est ici que j’accorderai aux supplications de la piété le soulagement des malades et la consolation des affligés. J’ai choisi cette montagne entre mille pour donner une audience favorable à ceux qui viendront m’y présenter leurs demandes et leurs requêtes. »
En confirmation de cela, la neige tomba à nouveau en abondance. Saint Vosy jugea bon de transférer le siège épiscopal de Saint-Paulien à Anicium ou Mont-Anis, devenant le premier évêque du Puy, nom qui sera donné au Mont-Anis au début du XIe siècle [1]. Aidé de saint Scutaire, patricien romain, architecte et l’un de ses successeurs, il construisit le sanctuaire qui ne comprenait alors que ce que l’on appelle la « chambre angélique », c’est-à-dire l’abside et la première travée de l’actuelle cathédrale du Puy. Il enfermait la Pierre des fièvres.
L’église fut consacrée du vivant de saint Vosy, non par la main des hommes mais par le ministère des anges, à la lueur de milliers de torches célestes dont plus de trois cents furent recueillies à la suite de la cérémonie par la piété des fidèles. Elle fut achevée par saint Scutaire dans la première moitié du Ve siècle. En raison des apparitions de la Sainte Vierge et de la consécration angélique, la cathédrale du Puy, tout comme la ville et le diocèse, est placée sous le patronage de Notre-Dame de l’Annonciation, vocable qui unit le 25 mars et la dévotion à Notre-Dame et la dévotion aux saints anges. De plus, la fête de la Dédicace de la cathédrale est fixée au 11 juillet, jour de la première chute de neige. Ce sanctuaire angélique allait devenir le plus vénéré des lieux de pèlerinage de la chrétienté en l’honneur de Notre-Dame, avec Sainte-Marie-Majeure à Rome. Accomplissant de nombreux miracles de guérison sur cette antique pierre druidique du Mont- Anis, la Bienheureuse Vierge Marie apparut comme l’instrument de la victoire du catholicisme sur le paganisme antique.
Le Puy et Lourdes
Notre-Dame du Puy va apparaître également comme l’instrument de la victoire du catholicisme sur l’Islam, à l’époque de Charlemagne.
Par deux fois, en tant que roi des Francs puis en tant qu’empereur, Charlemagne se rendit au Puy. Pour mieux assurer le service du Mont-Anis et mieux pourvoir à la majesté du culte, il développa le chapitre de Notre-Dame en créant dix canonicats supplémentaires. Voici en quels termes s’exprime l’empereur :
« Nous avons visité dernièrement la basilique ou très sainte et angélique église de la bienheureuse Marie d’Anicium… Pour l’accroissement du culte et du service divin, dans une si sainte basilique où les fidèles de toutes les parties du monde viennent implorer le secours de Dieu et … la très clémente Mère de Dieu… nous créons dix chanoines qui prieront pour l’augmentation et la dilatation de toute l’Eglise apostolique et romaine. »
De plus, en compagnie de Rorice ou Borice, évêque du Puy, Charlemagne s’occupa de réduire, dans les Pyrénées, la province de Bigorre où un chef sarrasin s’était constitué une sorte de souveraineté indépendante. Il l’assiégea dans son imprenable citadelle de Mirambelle. Devant l’insuccès de l’entreprise, Rorice du Puy se mit en prière et invoqua la Reine du Ciel. Grâce à l’intercession de Notre-Dame et à un miracle qu’elle accomplit, l’évêque rencontra le chef musulman, jusqu’alors intraitable, qui s’adoucit et fut touché par la grâce. Il fit don de sa seigneurie de Bigorre à Sainte- Marie du Mont-Anis, ce qu’approuva Charlemagne. Quelque temps plus tard, le chef maure ratifia la convention dans l’église angélique du Puy. Il y reçut le baptême avec ses hommes dans les meilleures dispositions.
Le château de Mirambelle et la ville qui l’entoure s’appellent désormais Lourdes. Le Puy, Lourdes : deux lieux où apparut la Bienheureuse Vierge Marie à des siècles de distance, mais lieux qui vivent de Notre-Dame, dans un lien très étroit de parenté spirituelle. En 1062, devant l’évêque du Puy Pierre II de Mercoeur, le comte Bernard Ier de Bigorre renouvela l’allégeance à Notre- Dame du Puy de son domaine , exempt de toute autre suzeraineté que celle de Notre-Dame.
En 1307, l’évêque du Puy et son chapitre céderont à Philippe le Bel l’hommage de Lourdes et de la Bigorre, lequel sera remplacé par un tribut annuel et perpétuel qui sera versé jusqu’à la Révolution française.
Ainsi, l’église angélique du Puy revendique hautement et à juste titre son droit d’aînesse et de suzeraineté sur la terre de Lourdes.
Plus près de nous, les pèlerinages reprendront de Lourdes au Puy et celui du 15 août 1829 sera l’un des plus marquants. De plus, le 11 février 1856, le pape Pie IX signera le décret d’érection de la cathédrale du Puy, église-mère de Lourdes, en basilique mineure, soit deux ans jour pour jour avant la première apparition de la Bienheureuse Vierge Marie à Lourdes, église-fille du Puy. La Sainte Vierge reste maîtresse et du Puy et de Lourdes.
Les papes au Puy
La dévotion à la Vierge du Mont Anis ne cessera de croître au cours des siècles. Les pèlerins malades prendront l’habitude de s’étendre sur la Pierre des fièvres pour obtenir leur guérison. Les pèlerins pécheurs trouveront auprès de Notre-Dame soulagement et conversion.
De plus dès 951, partira du Puy la première des quatre grandes routes qui conduiront au tombeau de l’apôtre saint Jacques à Compostelle ; à partir de la fin du Xème siècle, en 992, se mettra en place le Grand Pardon ou Jubilé du Puy.
Papes, rois, saints, pèlerins inconnus sont venus innombrables et fervents se prosterner dans l’église angélique et apporter à Notre-Dame le tribut de leur vénération et de leurs prières. Et tout d’abord, relevons l’hommage de six papes venus vénérer la Vierge du Puy. Sans s’être rendu au Puy, le pape saint Léon IX écrivit dans une bulle célèbre de 1051 :
« Nulle part, la Sainte Vierge ne reçoit un culte plus spécial et plus filial de respect, d’amour et de vénération que celui que les fidèles de la France entière lui rendent dans cette église du Mont-Anis, autrement dite du Puy-Sainte-Marie .»
A cette occasion, il concéda à l’évêque du Puy Etienne II de Mercoeur le privilège du pallium. En 1095, le bienheureux Urbain II, ancien grand-prieur de Cluny, fut le premier pape à se rendre au Puy, en vue de lancer la Croisade contre les musulmans et pour la délivrance des Lieux Saints. Il y présida la fête du 15 août et passa la journée au pied de l’autel de Notre-Dame, lui confiant la formidable entreprise qu’il avait conçue. De là, il partit pour Clermont où se tint le concile, convoqué par une lettre du pape datée du Puy. Le pape choisit comme légat et chef spirituel de la croisade l’évêque du Puy, Adhémar de Monteil, qui mourra de la peste à Antioche en 1098. C’est à l’occasion du départ de la Croisade que, selon la tradition, l’évêque du Puy composa le Salve Regina appelé immédiatement Antiphona de Podio ou Antienne du Puy. Elle fut probablement chantée pour la première fois dans la cathédrale du Puy.
Au XIIe siècle, cinq papes se rendront au Puy. Pascal II s’y trouva le 14 juillet 1107. Gélase II, fuyant l’Italie en raison du conflit l’opposant à l’empereur Henri V se réfugia en France, la terre hospitalière des pontifes romains persécutés. Il visita le Puy en 1118 avant de mourir à Cluny. L’année suivante en 1119, Callixte II, pape bourguignon élu à Cluny, vint mettre son pontificat sous la protection de la puissante Reine du Mont-Anis. En 1130, Innocent II, chassé de Rome par les intrigues de l’antipape Pierre de Léon, se rendit au Puy pour supplier Notre-Dame de mettre un terme aux divisions de l’Eglise. Alexandre III, fuyant l’empereur Frédéric Ier Barberousse, vint rendre hommage à la Vierge du Puy en août 1162 et en juin 1165.
Les rois au Puy
Evoquons ma intenant l’hommage des rois venus prier la Vierge. Nous avons déjà mentionné le double pèlerinage de Charlemagne au Puy. Son fils, Louis le Pieux, s’y rendit en 795 alors qu’il n’était que roi d’Aquitaine. Devenu empereur en 814, il y revint deux fois en 832 et 833. En 877, son fils l’empereur Charles le Chauve fit également le pèlerinage.
En 892, le roi de France Eudes vint implorer la Vierge Marie pour qu’elle protège le royaume des invasions normandes. En 1029, la dévotion amena également le roi Robert II aux pieds de Notre-Dame du Puy, ainsi que Louis VI un petit peu plus tard [2]. En 1146, Louis VII ne voulut pas partir à la seconde Croisade sans se mettre sous la protection de la Vierge du Puy. Son fils, Philippe-Auguste agira de la même façon en 1188 avant d’entreprendre la troisième Croisade.
Saint Louis vint au Puy en 1245[3] puis en 1254. Nous verrons plus loin que, très probablement, lors du second voyage à l’issue de la septième Croisade, il fit hommage au sanctuaire de la fameuse « Vierge noire » détruite en 1794.
Philippe III en 1283 et Philippe IV en 1285 firent de somptueux présents à la bienheureuse Vierge Marie lors de leur venue.
Accompagné de ses oncles, les ducs de Berry et de Bourgogne, Charles VI vint vénérer la Vierge à l’Annonciation de 1394. Il semblait alors remis de deux terribles accès de folie qui l’avaient terrassé en 1392 et 1393.
A l’Annonciation de 1420, le futur Charles VII confia à Notre-Dame la situation désespérée de la France, juste avant la vente du royaume aux Anglais. Devenu roi, Charles VII reviendra quatre fois encore à l’église angélique. En 1422, au début de son règne, il accourut au Mont-Anis pour demander aide et protection. Il y revint en janvier 1424, et en décembre 1425 dans la « grande pitié du royaume de France ». Sans être présent au Grand Pardon de 1429 qui fut un véritable pèlerinage national, du 25 mars au 3 avril, le roi, ainsi que le peuple, mit toute son espérance en le secours de Notre- Dame. Tant de confiance allait être récompensée. Une intervention miraculeuse se produisit : Jeanne d’Arc apparut et la France fut miraculeusement sauvée.
Jeanne d’Arc voulut ellemême mettre son entreprise sous la protection de Notre-Dame du Puy. Elle concevait ce jubilé comme le point de départ de la rédemption de la France. Dans l’esprit de l’héroïne, c’était au moment où la prière de la France entière retentirait sous les voûtes du sanctuaire du Mont-Anis que la sainte Vierge manifesterait son intervention miraculeuse en faveur du pays occupé. La conviction de sainte Jeanne d’Arc était si forte que, ne pouvant se rendre au Puy, retenue à Poitiers, elle se fit représenter au jubilé par sa mère, Isabelle Romée, par ses frères Jean et Pierre et par plusieurs chevaliers de son escorte de Vaucouleurs à Chinon. Jeanne d’Arc pria donc au Puy par le truchement de sa famille et de son entourage. Le jubilé s’acheva début avril 1429. Le 29 du même mois, Jeanne entrait dans Orléans et la délivrait totalement le 8 mai suivant. Le 17 juillet de la même année, dans l’octave de la dédicace de Notre-Dame du Puy, Charles VII était enfin sacré à Reims et couronné roi de France. Il n’était pas ingrat. Il voulut manifester sa reconnaissance en venant en 1434 remercier solennellement Notre- Dame du Puy qui avait daigné bénir sa couronne et sauver la France.
Voici venir maintenant le roi Louis XI, trois fois pèlerin du Mont-Anis. Jeune prince, il accompagna son père en 1434. Devenu roi et inquiet de son salut au soir de sa vie, il vint au Puy en 1475 et 1476 en manifestant des largesses royales à l’égard de tous. En 1449, fut institué au Puy le troisième Angelus, récité le midi. L’usage fut consacré en 1455 par Callixte III et Louis XI l’étendit à tout le royaume en 1476.
En 1495, Charles VIII au retour de la guerre d’Italie vint remercier Notre- Dame de l’avoir puissamment protégé.
C’est du fond de sa prison de Madrid, après la défaite de Pavie en 1525, que François Ier s’engagea à se rendre au Puy s’il recouvrait la liberté. Libéré l’année suivante, il se rendit au Mont-Anis en 1533. L’entrée de François Ier, accompagné de la reine, des trois princes ses fils, du cardinal de Lorraine, du nonce, d’évêques nombreux, de six ambassadeurs, d’une suite nombreuse, fut la plus brillante dont les annales du Puy aient conservé le souvenir. Ce fut en même temps la dernière des visites d’un roi de France au Puy.
Toutefois, en 1621 encore, le roi Louis XIII avouera au pape sa spéciale dévotion à la Vierge du Puy à laquelle il se consacra personnellement en 1629. Fort des grâces nombreuses qu’il en reçut, il consacra son royaume à Notre- Dame en 1638. On peut d’ailleurs dire que l’Assomption est devenue la fête « principale » de la cathédrale du Puy, accompagnée ce jours-là de la grande procession dans les rues de la ville.
Plus près de nous, la reine Marie-Amélie se rendra au Puy à l’occasion du Jubilé de 1842 [4].
Enfin, le dimanche 2 mars 1941, le maréchal Pétain, chef de l’Etat français, effectua une visite officielle au Puy. Il fut accueilli par les autorités civiles et religieuses. Reçu à l’évêché par Monseigneur Martin, évêque du Puy et par l’archevêque de Chambéry et les évêques de Clermont et de Viviers, il se rendit ensuite à la cathédrale pour assister à la Messe et vénérer la Vierge noire. Le Maréchal entendait venir comme « Charles VII » selon sa propre expression. La similitude était judicieuse puisque, dans les deux cas, il y avait « grande pitié dans le royaume de France ». L’évêque du Puy reprit dans son homélie l’exemple de Charles VII et établit le parallèle entre la France d’alors, ses besoins et sa délivrance par la Vierge du Puy et la situation présente du pays qui nécessitait également le recours à la Vierge du Puy.
Les saints au Puy
Si les papes ne sont venus au Puy qu’à la fin du Xe siècle et au XIIe siècle, lors de la grande période de l’efflorescence mariale, si les rois ont cessé au XVIe siècle de prier la Vierge du Mont Anis sur l’emplacement même des apparitions et des miracles, les saints, eux, n’ont jamais interrompu le pèlerinage du Puy. Certains, comme sainte Jeanne d’Arc, ont puisé leur force dans la dévotion à la Vierge du Puy sans pouvoir la prier sur place, mais nombreux sont ceux qui l’ont visitée et lui ont rendu hommage. Aujourd’hui encore, venir prier au Puy, c’est mettre ses pas dans les pas des saints qui n’ont jamais cessé de fréquenter ce haut-lieu marial privilégié. Prier sur place la Vierge noire, c’est continuer une prière qui n’a jamais été interrompue.
Rappelons maintenant le souvenir de quelques saints qui ont voulu honorer les gloires de la Vierge du Puy. Nous avons déjà évoqué saint Martial, l’apôtre du Limousin, qui offrit au Puy un soulier de la Sainte Vierge toujours visible dans le trésor de la cathédrale. Nous rappellerons au début du VIIIe siècle saint Eudes, premier abbé du Monastier et son successeur et neveu saint Théodfrède, second abbé, mort martyrisé par les sarrasins le 19 octobre 728.
Vinrent au Puy également les abbés de Cluny qui ne manquèrent pas de puiser prudence et force auprès de Notre-Dame. Saint Mayeul, 4e abbé de 948 à 994, accomplit au Puy en 960 un miracle qui laissa un tel souvenir que l’Université de la cathédrale le choisit pour son patron.
Son successeur saint Odilon, abbé de 994 à 1049, fut lui-même élevé au Puy. Il vint souvent prier la Vierge du Mont-Anis. En 1031, l’évêché de la ville fut attribué à son neveu Etienne II de Mercoeur. Plus tard, saint Pierre le Vénérable, abbé de 1126 à 1156, vint au Puy en 1138 où il accomplit un miracle fameux, puis en 1146, en même temps que Louis VII.
Saint Robert de Turlande, après un pèlerinage à Rome, vint prier au Puy avant de fonder le célèbre monastère de La Chaise-Dieu où il mourut en 1067 entouré de 300 moines.
Saint Hugues, évêque de Grenoble, vint à deux reprises en 1087 et 1130 offrir ses hommages et ses prières à Notre-Dame. La seconde fois, il y rencontra Innocent II. Saint Etienne de Muret, fondateur de l’ordre de Grandmont vint en pèlerinage au Puy avant 1124 [5].
L’ordre de saint Dominique peut se réclamer de très forts liens avec Le Puy. Au moment où le Sud de la France gémissait sous l’hérésie des Albigeois, Dieu suscita saint Dominique. Alors qu’il la priait dans la cathédrale du Puy, la Sainte Vierge lui apparut soudainement. Elle l’encouragea dans ses labeurs :
« Si vous voulez arrêter le débordement des maux qui affligent en ce moment une portion notable de l’Église, prêchez sans relâche aux pauvres égarés les mystères de la Rédemption et amenez-les à les méditer, car tout le mal actuel vient de l’ignorance et de l’oubli des vérités de la foi. »
Elle l’encouragea à développer partout le Rosaire en vue de la conversion des hérétiques, pratique qui, ainsi, se rattache à la dévotion à Notre-Dame du Puy.
Au soir de la vie de saint Dominique fut établi au Puy un couvent de religieux dominicains à proximité de l’église Saint-Laurent. Saint Thomas d’Aquin visita lui-même l’établissement, y enseigna et pria la célèbre Vierge[6]. Un peu plus tard, saint Roch, vraisemblablement tertiaire dominicain, vint également prier aux pieds de Notre-Dame. A l’automne 1416, le couvent abrita saint Vincent Ferrier qui, alors qu’il prêchait pendant quinze jours, visita la Vierge du Mont-Anis.
Plus tard encore, en 1602, naîtra au Puy la bienheureuse Agnès de Langeac, tertiaire dominicaine, élevée dans l’amour de Notre-Dame du Puy, à laquelle elle se consacra dès l’âge de sept ans. En 1631, elle fut gratifiée d’une vision lors de son oraison l’invitant à prier pour un prêtre qu’elle ne connaissait pas. Trois ans plus tard, en mars 1634, elle rencontra ce prêtre. Il s’agissait de Monsieur Olier, futur fondateur de la Société de Saint-Sulpice venu confier son projet à la Vierge du Puy. Soeur Agnès le recommanda à Monsieur de Condren, supérieur de l’Oratoire de France et le soutint dans son œuvre de formation et de sanctification du clergé de France. En 1652, l’évêque du Puy confiera son séminaire aux Sulpiciens, juste retour des choses.
Si saint François d’Assise ne vint pas au Puy, il ne pouvait manquer d’y établir une maison de son vivant. Les Franciscains s’y fixèrent en 1223. L’illustre thaumaturge saint Antoine de Padoue y fut deux ans gardien et y enseigna la théologie. Les religieux se chargèrent de répandre au loin la renommée et la popularité du pèlerinage. Le Grand Pardon du Puy associait en effet deux mystères particulièrement chers à saint François, l’homme de la Crèche et des Stigmates : l’Annonciation et le Vendredi-Saint.
Fille de sainte Claire d’Assise et réformatrice, sainte Colette vint au Puy en 1425, munie d’une bulle de Martin V, en vue de fonder un couvent de Clarisses. Elle y revint en 1432 pour y installer les religieuses dans un établissement tout neuf. Le 2 juillet, la petite troupe de 15 religieuses vénéra la Vierge Noire à la cathédrale, et l’évêque « mit les soeurs en possession » de leur monastère. Il est encore aujourd’hui le cœur du quartier où sainte Colette avait choisi de l’implanter il y a plus cinq siècles.
Faut-il évoquer saint François-Régis, apôtre du Velay et du Vivarais ? Il passa sept années d’une vie bien remplie à l’ombre de Notre-Dame du Puy. Professeur au collège, catéchiste éminent, confesseur infatigable, prédicateur de missions populaires dans les campagnes du Velay et du Vivarais, soutien des pauvres, il mourut en mission à La Louvesc en 1640.
La liste des saints déjà imposante ne peut que s’allonger. Mentionnons, plus près de nous, la venue au Puy de saint Benoît-Joseph Labre, le pèlerinmendiant. Saint Bénilde, Frère des Écoles Chrétiennes vécut à Saugues, dans le diocèse du Puy, de 1841 à sa mort en 1862. Il fut un dévot très fervent de Notre- Dame du Puy. Il en fut de même de sainte Euphrasie Pelletier venue vénérer la Vierge du Puy à qui elle confia certainement son œuvre de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur.
Bien loin d’être exhaustive, cette série de saints fait mesurer l’ampleur de la dévotion des fidèles de toute la Chrétienté à la Vierge du Puy. Mais c’est plus encore à l’occasion des jubilés [7] que se manifestera le recours des chrétiens à Notre-Dame du Puy.
Les statues de la Bienheureuse Vierge du Puy
C’est sur le lieu des apparitions de la Sainte Vierge et des multiples miracles accomplis sur la « Pierre des Fièvres » qu’a été construite la cathédrale. Le cœur de l’édifice en est la « chambre angélique » consacrée par les anges où se trouve le maître-autel surmonté de la statue de Notre-Dame du Puy. L’actuelle représentation de celle qui est apparue deux fois en ce lieu et par l’intercession de laquelle tant de miracles et de guérisons ont été obtenus est une œuvre récente. Elle remplace deux statues plus anciennes aujourd’hui détruites.
1) La première statue : la Vierge primitive
Les anciennes traditions du Puy sur cette première statue sont diverses : selon les unes, elle aurait été apportée par les anges le jour de la Dédicace de la cathédrale. Selon d’autres, elle serait venue avec saint Vosy lors du transfert du siège de l’évêque de Saint-Paulien au Mont-Anis. D’autres affirment qu’elle fut donnée au sanctuaire par Dagobert Ier, Clovis II ou Charlemagne. Quoi qu’il en soit, il est très difficile de se faire une idée précise et de la provenance et de la représentation elle-même de la Vierge. Toutefois, il semble que la statue ait été conservée dans la Cathédrale jusqu’aux Guerres de religion au 16e siècle. Il est probable que les enseignes des pèlerins telles qu’elles étaient frappées au 13e siècle la reproduisaient ou, du moins, s’en inspiraient. Ces enseignes, petites plaquettes d’étain ou de plomb de deux centimètres sur quatre que les pèlerins cousaient à leur chapeau ou leur vêtement étaient des souvenirs de pèlerinage. Toutes représentaient la même image :
Notre-Dame du Puy était assise, tenant l’enfant sur le genou gauche et une tige fleurdelisée à la main droite. Elle était entourée de la légende : SIGILLUM BEATE MARIE DE PODIO, c’est-à-dire : sceau de Notre-Dame du Puy.
En 1096, l’existence de la statue nous est révélée par le comte de Toulouse, Raymond de Saint- Gilles. Avant de partir pour la première Croisade, il donna plusieurs villages à l’Eglise du Puy, à charge pour elle de célébrer tous les ans la fête de saint Gilles et de « faire brûler, nuit et jour, un cierge devant la Sainte Vierge ». L’origine de cette première statue reste bien mystérieuse.
2) La deuxième statue : la Vierge Noire
La plus célèbre des statues de la sainte Vierge vénérée dans la cathédrale du Puy fut sans conteste l’antique « Vierge noire ». Elle prit la place de l’ancienne statue, longtemps conservée par la suite « derrière l’autel », selon les anciennes chroniques. Nous possédons d’elle plusieurs représentations, dont une dans un Livre d’Heures du XVe siècle conservée à Vienne et une autre dans un ouvrage de Faujas de Saint-Fond intitulé « Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay » publié à Grenoble en 1778. Désirant savoir comment on pouvait travailler le basalte, le savant géologue demanda à étudier la célèbre statue, car on lui avait affirmé qu’elle était taillée dans cette pierre. Ayant obtenu du Chapitre l’autorisation de la dévêtir et de l’examiner, il consacra quatre séances en octobre et novembre 1777 à l’étude de la statue. Il la fit reproduire avec la plus scrupuleuse exactitude par son dessinateur Veyrenc.
Il écrivit :
« …elle me parut si digne d’attention que je l’étudiai avec le plus grand soin au cours de quatre séances successives et la fis représenter telle qu’elle apparaissait sous le manteau dont on la recouvrait… La statue a deux pieds trois pouces de hauteur (environ 72 centimètres), elle est dessinée d’une manière rude et raide, son attitude est celle d’une personne assise sur un siège tenant un enfant sur son giron. La statue, qui est en bois, paraît être d’une seule pièce et pesant environ 25 livres ; le fauteuil sur lequel elle repose est détaché (mobile). La statue est en cèdre et paraît très ancienne mais voici ce qu’il y a de remarquable : toute la statue est entièrement enveloppée de plusieurs bandes d’une toile assez fine très fortement collée sur le bois… Sur ces toiles collées, on a d’abord jeté une couche de blanc à gouache sur laquelle on a peint à la détrempe les draperies accompagnées d’ornements, de différentes couleurs… La face de la Mère et celle de l’enfant sont d’un noir foncé imitant l’ébène, mais les mains sont peintes en blanc… La forme du visage présente un ovale extrêmement allongé. Les yeux sont constitués de deux portions demi-sphériques d’un verre très commun, ce qui donne à la statue une allure étonnante… Le nez est d’une grosseur et d’une longueur démesurée. La couronne de cuivre qui a la forme d’un casque à oreillettes mobiles est ornée de plusieurs camées antiques. »
Après un examen minutieux, Faujas de Saint- Fond conclut que, fort de la tradition, et compte tenu de la façon dont la statue est marouflée et peinte, compte tenu également de la présence de croix grecques semblables à celles des représentations égyptiennes, il pourrait bien s’agir d’une statue très antique en provenance d’Egypte. Mais, en raison de la forme du visage de la Vierge, peut-être la statue pourrait-elle provenir du Liban où l’auraient sculptée les premiers chrétiens à partir d’un modèle égyptien. L’examen de caractères probablement hébreux qui se trouvaient sur le revers de la manche gauche de la Vierge n’a rien révélé, l’inscription trop déformée et rendue illisible n’ayant pu être déchiffrée. Il ne faut pas s’en étonner car il est certain que la statue a bien souvent été repeinte au cours des siècles. Une personne présente, un des portiers de la Cathédrale, avait d’ailleurs expliqué à Faujas de Saint-Fond qu’à force de faire toucher des chapelets et d’autres objets à la statue, les frottements l’avaient détériorée et que, récemment, un peintre avait repeint les visages. Un des auteurs du XVIIe siècle, Odo de Gissey, écrivait que, à l’occasion de la Semaine Sainte, il était d’usage de laver la statue « avec une éponge baignée dans le vin ».
Quelles que soient les hésitations de Faujas de Saint-Fond sur l’exacte provenance de la statue, ses conclusions soulignaient de façon accusée le caractère oriental de la statue. Au moment de sa destruction en 1794, on constata à nouveau, après avoir coupé d’un coup de sabre le nez de la Vierge, que la statue était en bois de cèdre. Elle fut alors jetée au feu. Lorsqu’elle fut brûlée d’un côté, un soldat la retourna avec une barre. Les toiles dont elle était couverte ayant flambé, une petite porte s’ouvrit alors dans le dos de la Vierge et il sortit de la cavité qu’elle fermait un petit parchemin roulé que personne n’osa retirer. Ainsi partit en fumée l’ultime moyen de percer le mystère de l’origine et de la provenance de la statue.
La tradition relatée au XVIe siècle par plusieurs auteurs et reprise au siècle suivant affirme qu’elle était l’œuvre du prophète Jérémie, l’un des grands prophètes de Juda qui avait annoncé la venue de la Bienheureuse Vierge Marie et l’Incarnation du Verbe.
Ces historiens relatent avec plus ou moins de détails les vicissitudes de cette statue sculptée par le prophète : soit celui-ci la remit aux prêtres de Moïse qui l’auraient gardée dans leur trésor de Babylone avant qu’elle n’arrive en possession d’un sultan qui l’aurait donnée à un roi de France ; soit elle fut sculptée par Jérémie lors de sa captivité d’Egypte. D’abord conservée par les Juifs, elle serait entrée par la suite dans les collections des princes d’Egypte. C’est ainsi qu’elle aurait appartenu aux chefs païens, puis aux princes chrétiens avant d’entrer en possession des monarques musulmans qui vénéraient à leur façon Jésus et sa Mère. En 1250, le soudan d’Egypte la remit à saint Louis qui la déposa au Puy en 1254[8].
Que saint Louis ait fait don de cette statue au Puy est l’opinion la plus commune sur l’arrivée de la statue dans le sanctuaire. Etait-elle déjà vénérée en ce lieu avant 1254 ? Rien ne permet de l’affirmer avec certitude.
Il faut relever que, Vierge noire, elle n’a pas de similitude artistique avec les Vierges noires romanes si répandues en Auvergne et en Velay ; il nous faut admettre une origine orientale à la Vierge vénérée au Puy pendant plus de cinq siècles et qui attira tant de fidèles.
Louis XI, étant venu en pèlerinage au Puy en 1475, donna 1200 écus d’argents et 100 marcs d’or pour faire une niche digne d’abriter la Vierge pour laquelle il avait une dévotion particulière. Ce travail fut confié à un orfèvre de la ville, originaire du Limousin, qui fondit et cisela une sorte d’édicule en vermeil qu’on appela la « chadaraïta » : l’aspect de ce monument est conservé par des tableaux et des gravures anciennes. Puis, en 1729, un nouveau maître-autel remplaça l’ancien et fut spécialement aménagé pour recevoir la célèbre statue dans une niche située au-dessus du tabernacle. La « chadaraïta » disparut alors et fut envoyée à la fonte. L’autel dédié à l’Annonciation et la niche du XVIIIe siècle sont toujours là.
De 1255 à 1723, la statue sera, par quinze fois, portée en procession dans les rues de la ville. Un imposant tableau, qui orne le bas-côté nord de la nef de la Cathédrale, rappelle la treizième procession, celle de 1630, en action de grâce de la délivrance de la peste de 1629. Le 2 mai 1723, après que la grande peste de Marseille eut étendu ses ravages dans tout le midi et jusqu’aux portes du Puy en épargnant la ville, Mgr de Conflans, pour remercier Notre-Dame d’une protection si sensible, fit porter, pour la quinzième fois, la statue miraculeuse en procession. Ce fut le dernier triomphe de la Vierge noire. Elle ne sortit plus de la cathédrale que pour être ignominieusement détruite et brûlée. Le 19 janvier 1794, elle fut dépouillée de ses vêtements et arrachée du maître-autel pour faire place à la déesse Raison. Le 8 juin 1794, jour de la Pentecôte, elle fut mise dans la charrette de l’éboueur et brûlée sur la place du Martouret, face à l’Hôtel de Ville. Après cela, les cendres furent dispersées. Ainsi disparut celle qui était peut-être la plus antique statue de Notre-Dame de toute la chrétienté.
3) L’actuelle statue de Notre-Dame du Puy
Une conférence ecclésiastique tenue au Puy en 1844 fit remarquer que la « dévotion à Notre-Dame du Puy était attachée au lieu et non à une statue dont on s’était passé depuis si longtemps ». Toutefois, continuait la Conférence, « si par un crime irréparable, on ne possédait plus la Vierge Noire qui avait été l’objet de la vénération publique pendant plusieurs siècles, il ne fallait pas pour cela laisser inoccupée la place qui lui avait été réservée dans la construction de l’autel au siècle précédent ». Aussi fut-il décidé d’installer à nouveau une statue à l’emplacement et en remplacement de l’ancienne. On alla la chercher dans la chapelle voisine Saint- Maurice, proche de la Visitation Sainte-Marie où une statue de la Vierge était en grande vénération et on la porta à la Cathédrale.
L’actuelle statue, exposée dans la niche au-dessus du tabernacle du maître-autel, fut solennellement intronisée en 1844. Datant du XVIIe siècle et de même taille que l’ancienne (72 centimètres), il s’agit d’une copie assez fidèle de l’ancienne telle qu’on la voyait revêtue de son manteau d’apparat, ne laissant émerger que les deux têtes noires, celle de Notre-Dame et celle de l’Enfant-Jésus.
En présence de soixante mille personnes, elle fut couronnée au nom du pape Pie IX et par décision du Chapitre de Saint-Pierre de Rome le 8 juin 1856, soixante-deux ans après le sacrilège du 8 juin 1794. Ce couronnement avait été demandé par l’évêque du Puy, Mgr de Morlhon. A cette occasion, elle fut portée en procession dans les rues de la ville et reçut, place du Martouret où avait brûlé l’ancienne statue, l’hommage officiel de réparation du maire et des autorités civiles du Puy.
Elle a présidé les six derniers jubilés, ceux de 1853, 1864, ceux de 1910, 1921, 1932 et celui de 2005. Elle a également entendu les supplications et les appels angoissés de nombreuses mères et épouses lors des guerres en 1870, 1914 et 1940. Elle a accueilli de fervents pèlerinages comme celui de la Jeunesse Française du 15 août 1942 qui fut, à plus d’un titre, comparable au Jubilé de 1429. Venus de toute la France et des Colonies, plus de 10.000 membres de diverses associations de jeunesse vinrent prier Notre-Dame du Puy pour leur patrie. La veille de la fête, un imposant chemin de croix se déroula dans toute la ville et sur les pentes abruptes qui conduisent à la Cathédrale. Deux messes pontificales furent célébrées le 15 août, et l’aprèsmidi, la grandiose procession de la Vierge du Puy parcourut les grandes artères de la ville. Au cours d’une station sur la place du Breuil, les Vierges de France furent successivement présentées : Notre-Dame de Boulogne, Notre-Dame de Strasbourg, Notre-Dame de Metz, etc. Comme l’écrivait un témoin :
« c’était la fille aînée de l’Eglise qui priait sa douce Reine. »
De grandes solennités, présidées par le cardinal Feltin, archevêque de Paris, eurent lieu en 1956, pour fêter le centenaire du couronnement de la Vierge du Puy. Tous les ans, au 15 août, elle processionne dans les rues de la ville au milieu des manifestations de joie et des élans de prière.
En dehors de ces manifestations, elle trône au-dessus de l’autel majeur de la cathédrale. Tout autour d’elle et de son Fils dans le tabernacle, brûlent en permanence vingt-et-une lampes de cuivre, ornées de splendides émaux. Les plus grandes et les plus belles sont suspendues devant l’autel. Les plaques d’émail, serties sur leurs flancs, représentent des scènes de la vie de Notre- Dame ou des épisodes de la vie de son Fils : l’Annonciation, la Nativité de Jésus, la Présentation de Jésus au Temple, la fuite en Egypte, la Sainte Famille, la Crucifixion au Calvaire, la déposition de Croix, l’apparition de Jésus ressuscité à sa Mère, l’Assomption de Marie et son couronnement comme Reine du Ciel et de la terre. Les artistes ont également évoqué sur ces émaux les grandes dates de l’histoire de la ville mariale comme la suzeraineté du Puy sur Lourdes ou le don d’une épine de la Sainte Couronne du Christ par saint Louis. Sont évoqués également les saints spécialement liés au Puy.
La vie de Notre-Dame ici-bas s’achève par son Assomption au Ciel avec son corps et son âme, magnifiquement représentée à l’avant du choeur de la cathédrale, en surplomb, accrochée à l’arc triomphal. Elle se continue ici-bas au Puy, dans cette ville des apparitions de Notre-Dame, dans ce plus vénérable sanctuaire marial de France.
La Cathédrale du Puy
Du paganisme au Christianisme
Si les traditions relatives à la fondation de l’Eglise du Puy restent assez bien connues, il est beaucoup plus difficile de se faire une idée précise des constructions édifiées sur le rocher du Mont Anis, à l’époque païenne ou au début de l’époque chrétienne. On se souvient que la Pierre des fièvres, où était apparue Notre-Dame, appartenait à un dolmen ou à un autel sacré sur lequel les druides accomplissaient les cérémonies du culte. Cette pierre fut probablement enfermée dans un temple à l’époque gallo-romaine.
Fort des fouilles entreprises en 1865–1866 sous la « chambre angélique » de la cathédrale, c’est-à-dire à l’emplacement primitif de la Pierre des fièvres et dans les parties environnantes, on put constater qu’un temple païen y avait été édifié primitivement. En témoignent encore aujourd’hui d’importants fragments encastrés dans les murs de construction de l’actuelle cathédrale. Nous possédons deux témoins notables de cette époque :
L’un se trouve au-dessus de la porte papale de la cathédrale, donnant sur le midi de l’église. Ce fragment antique, sous forme de linteau retravaillé au VIe siècle, comporte une inscription en l’honneur de saint Scutaire, compagnon de saint Vosy , l’évêque bâtisseur de la cathédrale à qui il succéda. Au centre, un chrisme entre l’Alpha et l’Omega domine l’inscription chrétienne : « Scutari papa vive Deo » : Scutaire, Père, vivez en Dieu. Le haut de ce linteau s’orne d’une frise qui se poursuit au chevet de la cathédrale et qui paraît avoir une origine celtique. Sur l’autre face du linteau, on pouvait lire, avant qu’elle ne soit encastrée dans le mur, une inscription païenne du type de celles qu’on rencontre dans la région lyonnaise, dédiée à Auguste et à un dieu oriental. Le texte en est le suivant : « Adidoni et Augusto Sex Talonius Musicus D.S.P.P. [9] » : à Adidon et Auguste, Sextus Talonius Musicus de son argent a élevé ce monument.
Le deuxième témoin de cette époque païenne se trouve au rez-de-chaussée du clocher et sur le mur extérieur de l’abside. Sont encastrés des bas reliefs de facture alexandrine représentant des amours jouant au latroncule – un thème de banquet funéraire – un Hercule désarmé par des amours ; de plus quatre blocs de pierres sont sculptés sur le thème de la chasse : des lions terrassant un cerf ou poursuivant des onagres, des cerfs et des biches fuyant dans la forêt ; on y voit aussi des monstres empruntés au bestiaire oriental : chimère, griffon, aigle. A proximité, se trouvent les restes d’une fontaine antique dont les eaux sont louées sur une inscription qui court au-dessus de ces reliefs : « Fons ope divina languentibus est medicina subveniens gratis ubi deficit ars Hypocratis » : cette fontaine, par secours divin, sert de remède aux malades, venant gratuitement en aide quand fait défaut l’art d’Hippocrate. Au-dessus de l’ensemble, se trouve une frise décorative identique à celle qui domine le linteau de la porte papale.
Pierre druidique, fragments celtiques et gréco-romains, tout cela confirme les antiques traditions du Puy. Lorsque ce temple fut démoli, la Pierre des fièvres se retrouva à découvert et c’est à son emplacement que Notre-Dame voulut apparaître par deux fois. Victorieuse de tous les faux cultes, Notre-Dame retira ce lieu du paganisme et, en quelque sorte, le baptisa. Les anges le consacrèrent par la suite. On a vu que la « chambre angélique » primitive enfermant la Pierre des fièvres se trouvait à l’emplacement du sanctuaire actuel et de la travée la plus rapprochée du sanctuaire.
L’église angélique
La première basilique reste mal connue. Lors des travaux de reconstruction du chevet de la cathédrale en 1865–1866, on découvrit, sous le pavé du chœur, les restes de l’édifice primitif fondé sur le rocher, long de 24 mètres environ sur 11 mètres 72 de large, à nef unique. L’église angélique subira bien des modifications au cours des siècles.
Au VIe siècle, on y ajouta probablement des collatéraux, celui du sud devant recevoir l’inscription de saint Scutaire, toujours en place au-dessus de la porte papale.
Au VIIIe siècle, on allongea vers l’ouest l’édifice et on y transporta la Pierre des fièvres qui se trouvait encore près de l’autel. La Pierre des fièvres va d’ailleurs connaître bien des déplacements au cours des siècles. « Devant l’affluence des malades qui s’y couchaient surtout dans la nuit du samedi au dimanche et en étaient grandement soulagés », elle fut installée au-delà du chœur, près de l’actuelle statue de sainte Jeanne d’Arc. Puis, elle fut déplacée et installée sous le porche d’entrée peu avant la Révolution de 1789. Enfin, à l’occasion des grandes restaurations entreprises de 1995 à 1999, elle fut à nouveau changée de place et remontée dans la chapelle du Saint Crucifix, proche de son lieu primitif où elle se retrouve mise à l’honneur depuis 1999.
Au XIe siècle, la cathédrale occupait toute la partie plane du rocher d’Anis. C’est celle que connut le bienheureux Urbain II, le premier des six papes venus au Puy. C’est celle également où retentit pour la première fois le Salve Regina.
Le fort afflux de pèlerins en ce lieu où, selon saint Léon IX, la Vierge était vénérée plus que partout ailleurs, le développement des pèlerinages à Saint-Jacques qui assignait au Puy le rang de tête d’une des routes de Compostelle firent que la ville sainte du Puy irradia sur une bonne partie de la Chrétienté. Urbain II venant au Puy consacra ce prestige en instituant l’évêque du Puy Adhémar de Monteil comme son légat à la Première Croisade. Cela conduisit également à agrandir la cathédrale devenue trop petite. L’actuel édifice résulte des modifications et ajouts du XIIe siècle.
L’actuelle cathédrale
Les travaux qui élèveront la cathédrale que nous voyons aujourd’hui commencèrent vraisemblablement à la fin du XIe siècle et se poursuivirent en plusieurs étapes tout au long du XIIe siècle. Ces travaux laissèrent subsister l’ancienne église servant de chevet et sans doute déjà bien remaniée. On y ajouta d’abord le clocher angélique. Le transept et les deux premières travées en partant du sanctuaire furent reconstruites ou largement reprises.
Dans une deuxième campagne, on poussa le vaisseau en direction de l’Ouest en ajoutant les troisième et quatrième travées, en même temps qu’on accrochait un porche à la montagne. Toujours intactes aujourd’hui, ces travées sont les plus belles de la cathédrale. Ce premier prolongement dans le vide, sur le flanc de la colline, permit d’ajouter sous les bas-côtés deux chapelles en forme de crypte fermées par les fameuses « portes de cèdre » du XIIe siècle. Situées de chaque côté du porche d’entrée, elles sont dédiées à saint Gilles, le saint du sud de la France et à saint Martin, le saint du nord : deux saints dont les tombeaux sont également points de départ des routes de Compostelle.
Un quart de siècle plus tard, dans une dernière étape, on s’aventura complètement dans le vide en y jetant les deux dernières travées de la nef portées par de forts piliers en même temps qu’on élevait le grand porche d’entrée et la façade.
Il faut admirer l’accord de la masse architecturale de l’édifice avec son prestigieux décor : les collines environnantes, la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe au sommet de son rocher vertigineux et la ville ancienne. Il faut de plus contempler la science qui présida à l’accord des laves, des calcaires, des tuiles, spécialement dans les polychromies de la façade de la cathédrale et dans celles des arcades du cloître attenant qui évoquent l’Espagne ommeyade et la mosquée de Cordoue. Ce décor manifeste la forte influence orientale qui arriva au Puy par les chemins d’Espagne.
Malgré les nombreuses réfections très radicales entreprises au XIXe siècle pour sauver un monument mal en point, la cathédrale mérite une visite approfondie. Elle fut peu imitée et, avec sa façade couronnée de clochers-arcades simulés, ses coupoles peu élevées et portées par d’épais piliers, son plan d’origine oriental, la cathédrale attire par son étrangeté.
L’accès des pèlerins se fait habituellement par le grand porche de façade qui conduit à la Porte dorée, sous la cathédrale. Un riche programme iconographique apparaît à cet endroit, présentant aux pèlerins, avec ordre et clarté, ce que la Sainte Ecriture contient d’essentiel. Le peuple chrétien médiéval, ordinairement illettré mais religieusement bien formé, pouvait comprendre plus facilement que nous les enseignements spirituels présentés par la peinture, la sculpture, le vitrail, etc.
Le décor de la troisième travée du porche d’entrée mérite qu’on s’y arrête. Il comporte deux portes romanes sculptées appelées « portes de cèdre » et des fresques murales.
Les fameuses « portes de cèdre » du XIIe siècle en bois sculpté ferment les deux chapelles latérales, Saint-Gilles au nord et Saint-Martin au sud : la porte du nord présente des scènes de l’enfance du Christ, de la Nativité à la Présentation au Temple. Court sur cette porte, douze fois répétée, une inscription arabe : « al mulk lilah » : souveraineté à Allah. La porte du sud retrace des épisodes allant de la résurrection de saint Lazare à la Pentecôte en passant par la Crucifixion. Quant aux fresques murales des XIIe et XIIIe siècles, elles représentent la Vierge en majesté portant l’Enfant et une Transfiguration imitées de l’art byzantin. Sur les portes et sur les fresques , la Vierge de la Nativité ou la Vierge glorieuse est associée aux épreuves et au triomphe de son Fils, parce que l’iconographie est conçue pour les pèlerins venant en foule assister au Jubilé qui unit, le Vendredi Saint 25 mars, l’Incarnation et la Rédemption.
A l’intérieur de la cathédrale, les pèlerins ne disposaient que d’un espace réduit. D’une part, le chœur des chanoines, fermé par un jubé disparu en 1781, occupait un emplacement imposant. D’autre part, la cathédrale n’avait cessé d’accumuler les béquilles des miraculés qui s’amoncelaient, ainsi que de nombreux ex-voto et des tableaux offerts par les corporations. De plus, la dévotion des grands se manifestait par l’offrande de reliquaires somptueux ou par la création de chapelles adjointes au chevet.
La nef est couverte de coupoles octogonales très remaniées au XIXe siècle, sauf celles des troisième et quatrième travées restées intactes. L’influence arabe s’y fait fortement sentir : cintres aux claveaux de pierres de couleurs différentes, arcs polylobés, mosaïque polychrome. On se souvient que les liens entre le Puy et l’Espagne s’étaient multipliés dès le milieu du Xe siècle. L’influence byzantine déjà signalée dans les fresques du porche d’entrée et que l’on retrouve également dans celles qui sont peintes dans le bras gauche du transept, se manifeste ici par la forme des coupoles. Le poids des coupoles repose sur huit arcs soutenus par vingt-quatre colonnettes jumelles qui s’appuient elles-mêmes sur une corniche surmontant les arcades aveugles. Ces coupoles sont celles qui imitent le mieux les coupoles de la croisée du Couvent rouge et du Couvent blanc d’Assouan en même temps qu’elles s’inspirent des techniques sassanides et byzantines.
L’actuel sanctuaire ou « chambre angélique » est une reconstruction du XIXe siècle. En 1865, l’architecte Mimey détruisit presque totalement la partie la plus ancienne de l’église, reste de la première construction. N’épargnant que très peu de choses, il la reconstruisit avec un plan et une élévation très différents de ce qui existait. Il reste aujourd’hui le lieu le plus saint de la basilique. La Vierge Noire s’y trouve au-dessus du maître-autel.
Entre 1855 et 1888, l’architecte Petitgrand réédifia le clocher pyramidal situé au chevet, abattu à plusieurs reprises par la foudre, mais respecté par les révolutionnaires à cause du coq qui le surmontait. Il suivit, semble-t-il, les données originales.
Ce n’est par d’abord pour sa grande beauté que la cathédrale doit être visitée. C’est parce son histoire est un chapitre de l’histoire de l’Eglise et de l’histoire nationale de la France. Il faut venir au Puy et faire revivre la splendeur première de ce sanctuaire. Il faut que la Vierge reçoive à nouveau la vénération enthousiaste des foules. Il faut que personne ne manque le Grand pardon de 2016.
Nous accéderons au sanctuaire « in spiritu humilitatis et in animo contrito ». C’est ce que demandait une antique inscription qu’on lisait encore au XVIe siècle vers la porte papale :
« Si ta vie est impure, alors garde-toi d’entrer ;
Tant que tu vis dans le mal, ne viole pas ce sanctuaire ».
C’est ce que demande encore l’inscription gravée sur les marches du grand porche d’entrée :
« Si tu ne te gardes du crime, garde-toi de franchir ce seuil ;
car la Reine du Ciel veut un culte exempt de toute souillure ».
Mais nous y accéderons également « fortes in fide », pleins de confiance et d’espérance en Notre-Dame. Plus puissante et plus forte qu’une armée rangée en bataille, elle a largement prouvé ici plus qu’ailleurs qu’elle est l’instrument des victoires de Dieu.
Abbé Claude Boivin †, 25 décembre 2015
Sources : Hermine n° 48 de décembre 2015 et supplément fourni par M. l’abbé Boivin
- Dans divers travaux d’érudition publiés en 1978, le chanoine Fayard a mis en évidence les étapes complexes de l’élaboration des divers groupes de manuscrits racontant les origines de la fondation de l’église du Puy. 1) Le récit le plus ancien de la fondation, composé vers 1125, reprend un texte de fond conservé depuis le VIIIe siècle. 2) Un second récit composé au XIIIe siècle reprend un document fixé au XIe siècle. 3) Un auteur anonyme écrivant en 1470 se base sur un autre récit du XIIIe siècle dont le noyau primitif pourrait remonter à l’an mil. [↩]
- La présence de Louis VI le Gros est affirmée par Michel Pommarat dans : La Vierge noire du Puy p. 3, note 3, Le Puy, sans date (début 1997).[↩]
- Cette première venue est parfois contestée.[↩]
- L’affirmation de la venue au Puy de la reine Marie-Amélie en 1842 est tirée de la plaquette de Raymond Faux : Le Puy-en-Velay, cité de la Vierge : historique du pèlerinage , p. 19, Le Puy, 2002. [↩]
- Certains auteurs anciens affirment également la venue de saint Bernard de Clairvaux au Puy. [↩]
- L’affirmation de la venue de saint Thomas d’Aquin au Puy est tirée d’un dépliant sur les sanctuaires du Puy édité en 2004. [↩]
- Le mot jubilé a été inventé par saint Jérôme pour transcrire le mot hébreu yôbel. Il le définit comme une année de rémission. L’étymologie du mot reste problématique : pour les uns, il dérive de jôbel, la corne de bélier utilisée pour inaugurer l’année jubilaire ; pourd’autres, il viendrait de yobil (rappel) ou de yobal (rémission). Lire sur La Porte Latine l’histoire du « Grand Pardon ou Jubilé de Notre-Dame du Puy » par M. l’abbé Claude Boivin, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.[↩]
- Il est à noter que Le Caire s’appelait Babylone à l’époque de saint Louis. [↩]
- D.S.P.P. : de sua pecunia posuit. [↩]