Abjuration : le mot d’Yves Chiron

Yves Chiron – Aletheia n°95

Hier 30 juillet, en l’é­glise de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, à Paris, un pas­teur luthé­rien sué­dois, Sten Sandmark, et un autre pro­tes­tant, ont abju­ré solen­nel­le­ment « toute erreur, héré­sie et secte contraires à la sainte Eglise catho­lique, apos­to­lique et romaine ». Le pas­teur Sandmark avait fait, en juillet der­nier, une « Déclaration publique » pour expli­quer les rai­sons de son « retour à l’Eglise »

Cette conver­sion a atti­ré l’at­ten­tion des médias sué­dois et alle­mands. La céré­mo­nie solen­nelle d’ab­ju­ra­tion, qui a eu lieu hier, contraste avec la conver­sion, dis­crète, qui avait été celle du Pasteur Schutz, fon­da­teur de la Communauté de Taizé. Conversion si dis­crète qu’elle ne fut appa­rente que le jour des funé­railles de Jean-​Paul II lorsque le car­di­nal Ratzinger, aujourd’­hui Benoît XVI, lui don­na la com­mu­nion. Certains se sont indi­gnés, et s’in­dignent encore, que le futur Benoît XVI ait don­né la com­mu­nion à « un pro­tes­tant ». C’est qu’ils igno­raient que frère Roger Schutz avait fait, depuis plu­sieurs années, pro­fes­sion de foi catholique.

L’abjuration du pasteur Sandmark

Le pas­teur Sandmark a mani­fes­té l’in­ten­tion de rejoindre la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X. Aussi la céré­mo­nie d’ad­ju­ra­tion d’hier était-​elle pré­si­dée par Mgr Tissier de Mallerais, assis­té de l’ab­bé Schmidberger et de l’ab­bé de Cacqueray, supé­rieur du District de France de la Fraternité Saint-​Pie X.

La céré­mo­nie d’ab­ju­ra­tion a eu lieu avant la messe. Après un dis­cours de pré­sen­ta­tion fait par Mgr Tissier de Mallerais, le Pasteur Sandmark s’est age­nouillé devant l’é­vêque et a pro­non­cé une Professio fidei qui était à la fois une abju­ra­tion solen­nelle de ses erreurs de jadis et une pro­fes­sion solen­nelle de la foi catho­lique. Puis son com­pa­gnon a fait de même.

Après le chant du Miserere (le Psaume 50), Mgr Tissier de Mallerais a absout les deux conver­tis des peines cano­niques qui frappent les héré­tiques et les schis­ma­tiques. Puis il leur a confé­ré le sacre­ment de confir­ma­tion, avant qu’ils ne reçoivent la com­mu­nion au cours de la messe qui a suivi.

Cette céré­mo­nie, solen­nelle et émou­vante, s’est dérou­lée dans une église bon­dée. C’est la pre­mière fois qu’une céré­mo­nie publique d’ab­ju­ra­tion par un pas­teur pro­tes­tant avait lieu dans une église de la FSSPX.

« L’Eglise conci­liaire empêche les conver­sions » a décla­ré Mgr Tissier de Mallerais dans son dis­cours d’ou­ver­ture de la céré­mo­nie. L’expression, polé­mique, est exa­gé­rée. En revanche, il est vrai que la céré­mo­nie d’ab­ju­ra­tion telle qu’elle s’est dérou­lée hier à Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet n’existe plus dans ce que Mgr Tissier de Mallerais appelle « l’Eglise conci­liaire ». En témoignent les conver­sions des pas­teurs Max Thurian et Roger Schutz, les deux fon­da­teurs de la Communauté de Taizé.

La conversion du pasteur Roger Schutz

Ces conver­sions se sont accom­plies dans une telle dis­cré­tion qu’elles ont été connues non au moment où elles se sont pro­duites mais à l’oc­ca­sion d’autres évé­ne­ments. C’est quand l’or­di­na­tion sacer­do­tale de Max Thurian a été ren­due publique en 1988 (ordi­na­tion célé­brée par l’ar­che­vêque de Naples l’an­née pré­cé­dente), que sa conver­sion au catho­li­cisme a été connue. C’est quand Roger Schutz a reçu la com­mu­nion au cours des obsèques de Jean-​Paul II, en avril 2005, que l’on a sup­pu­té son appar­te­nance à l’Eglise catho­lique. La chose fut si sur­pre­nante que le car­di­nal Barbarin, arche­vêque de Lyon, après les obsèques, a inter­pel­lé le car­di­nal Kasper, Président du Conseil pon­ti­fi­cal pour la pro­mo­tion de l’Unité des chré­tiens, sur cette com­mu­nion urbi et orbi. Tout le monde, ou presque, croyait Frère Roger encore pro­tes­tant. Le car­di­nal Kasper a répon­du : « Frère Roger est for­mel­le­ment catho­lique »[1].

Après avoir inter­ro­gé l’é­vê­ché d’Autun, le Conseil pon­ti­fi­cal pour l’Unité des chré­tiens et le Prieur de la Communauté de Taizé, on peut essayer d’é­ta­blir l’i­ti­né­raire de la conver­sion, dis­crète, de Roger Schutz.

La com­mu­nau­té semi-​monastique que le Pasteur Schutz a fon­dée, en 1940, à Taizé, com­mu­nau­té vouée au rap­pro­che­ment entre les chré­tiens, n’a comp­té, au départ, que des pro­tes­tants. À par­tir de 1949, Roger Schutz et Max Thurian ont été reçus régu­liè­re­ment au Vatican, par Mgr Montini d’a­bord (le futur Paul VI), puis par les papes eux-​mêmes à par­tir de Jean XXIII. Les deux pas­teurs de Taizé furent par­mi les « obser­va­teurs » non-​catholiques invi­tés au concile Vatican II, dès la pre­mière ses­sion (1962). Max Thurian sera aus­si, à par­tir de 1966, par­mi les six obser­va­teurs non-​catholiques au Consilium char­gé de pré­pa­rer les réformes litur­giques qui abou­ti­ront, notam­ment, à la pro­mul­ga­tion d’un Novus Ordo Missæ.

À par­tir de 1969, la Communauté de Taizé a accueilli des « frères » catho­liques puis, en 1971, un accord fut trou­vé pour ins­ti­tuer un « repré­sen­tant » de la Communauté de Taizé auprès du Saint-​Siège. Ce « repré­sen­tant » avait comme mis­sion « de trai­ter les ques­tions com­munes entre Taizé et l’Eglise catho­lique en har­mo­nie avec la pen­sée du Saint-​Père ; de per­mettre une meilleure col­la­bo­ra­tion dans les acti­vi­tés ocu­mé­niques entre Taizé et l’Eglise catho­lique ; et de favo­ri­ser l’é­ta­blis­se­ment de liens orga­niques entre elles »[2].

Cet accord, ren­du public à l’é­poque (L’Osservatore roma­no, 9–10 août 1971), pré­pa­rait en fait, semble-​t-​il, le pas­sage à l’Eglise catho­lique des deux fon­da­teurs de Taizé, Roger Schutz et Max Thurian. Ce « pas­sage », cette conver­sion, se firent en 1972, dans la cha­pelle de l’é­vê­ché d’Autun, dio­cèse où se trouve Taizé. Il y eut pro­fes­sion de la foi catho­lique puis com­mu­nion des mains de Mgr Le Bourgeois.

Aucun acte écrit ne reste, semble-​t-​il, de cet évé­ne­ment mais Frère Roger a don­né le témoi­gnage oral de cette adhé­sion à la Foi catho­lique au suc­ces­seur de Mgr Le Bourgeois, Mgr Séguy.

Par la suite, des pra­tiques catho­liques, comme l’a­do­ra­tion eucha­ris­tique et le sacre­ment de la confes­sion, seront éta­blies dans la Communauté de Taizé. Roger Schutz, deve­nu catho­lique, n’a plus, évi­dem­ment, célé­bré le culte pro­tes­tant à Taizé ou ailleurs et, puis­qu’il n’é­tait pas deve­nu prêtre, il rece­vait la com­mu­nion d’un prêtre catho­lique. « Pour ce qui est du minis­tère du Pape, il décla­rait et écri­vait que l’u­ni­té des chré­tiens devait se faire autour du pas­teur de l’Eglise du Christ, qu’est l’é­vêque de Rome »[3].

Roger Schutz aimait à dire : « J’ai trou­vé ma propre iden­ti­té de chré­tien en récon­ci­liant en moi-​même la foi de mes ori­gines avec le mys­tère de la foi catho­lique, sans rup­ture de com­mu­nion avec qui­conque » (allo­cu­tion au pape Jean-​Paul II, en 1980, lors de la Rencontre euro­péenne des jeunes à Rome). La for­mule, reprise encore dans son der­nier livre (Dieu ne peut qu’ai­mer), peut-​être jugée très insa­tis­fai­sante parce qu’elle ne dit rien des rétrac­ta­tions néces­saires à une conver­sion. Mais Roger Schutz n’é­tait pas un théologien.

Il est vrai que la dis­cré­tion de sa conver­sion n’a pas eu la lim­pi­di­té et la solen­ni­té d’une abju­ra­tion. Mais qui ose­rait dou­ter de sa sin­cé­ri­té ? Le car­di­nal Ratzinger, en lui don­nant la com­mu­nion en avril 2005, avait agi, bien sûr, en connais­sance de cause. Et c’est être mal infor­mé que de l’ac­cu­ser, aujourd’­hui encore, d” « avoir don­né la com­mu­nion à un pro­tes­tant »[4].

Yves Chiron

Aletheia n° 95 du 1er août 2006

Notules

[1] Témoignage écrit de Mgr Séguy, ancien évêque d’Autun, à l’auteur, le 19 jan­vier 2006.

[2] Lettre de Mgr Johan Bonny, du Conseil pon­ti­fi­cal pour l’Unité des chré­tiens, à l’auteur, le 13 mai 2006.

[3] Id.

[4] L’accusation figure dans le pro­cès qu’instruisent, déjà, contre Benoît XVI des sites tra­di­tio­na­listes fran­çais et amé­ri­cains et cer­taines revues traditionalistes.

Tout le dossier sur cette conversion

Le doss­sier com­plet du récit de l’abjuration