Biriatou : le prêtre privé d’église
Le 8 juillet les portes de l’église resteront fermées.
La messe traditionaliste célébrée par l’enfant du pays
aura lieu au bas des marches sur la cancha.
Dans le même temps la crise des vocations s’amplifie.
I – La messe en place libre
Biriatou. L’évêque refusant l’église au jeune prêtre du village ordonné
à Ecône, David dira sa première messe sur la place libre de Biriatou
(La Semaine du Pays Basque – Dominique Mariau)
Le 29 juin, David Aldalur sera ordonné prêtre à Ecône au sein de la Fraternité Saint-Pie X, où il aura effectué la fin de ses études de théologie (Bac + 5). Ordonné en Suisse, un basque de Biriatou, dont le père est né à Irun et la mère en Bretagne, a forcément un projet immédiat : dire la messe pour ses amis, devant sa famille, ses copains d’enfance, ses copains de jeux, ses condisciples. De la commune de Biriatou en passant par le Sacré Cœur d’Hendaye, du conservatoire de Xistu au groupe folklorique Luixa où il fut un as du fandango, trustant les récompenses avec sa cavalière, sans oublier les frontons où il se distinguait, David, né en 1983, s’est forgé une solide identité basque avant d’aller décrocher son Bac à Carcassonne : « J’ai introduit la pelote basque dans la citadelle » dit-il non sans humour. Et en plus c’est vrai !
N’empêche que ce gamin ouvert et sportif a été touché par la vocation dès l’âge de huit ans. Il sait ce qu’il veut : il sera prêtre, c’est le but naturel, le sens de sa vie. Après Carcassonne, une année à Dijon et il part à Ecône, près de Sion, rejoindre la Fraternité Saint-Pie X, pour ses cinq ans de doctorat : » deux ans de philo, trois ans de théologie, avec les sciences morales, le droit canon, la vie pastorale ».
Cinq années d’étude basées à priori sur le programme antérieur au concile Vatican II. « De fait on travaille sur ce qui existait avant les changements, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’adaptation. moi, ce qui m’a choqué, c’est de voir que l’on jetait les fondamentaux aux orties. c’est comme si l’Eglise n’avait pas existé avant 1960 ! En outre, ça s’est passé très brutalement en France, d’où les polémiques qui ont surgi. En Espagne et en Italie, par exemple, il y a eu des évolutions, mais cela s’est passé en douceur ».
Oui à Quimper. Non à Bayonne.
Ces considérations étant posées, le jeune homme, nous l’avons dit, entend bien donner la primeur des ses offices à ceux qui l’ont encouragé et aidé. Il a donc programmé une messe à Biriatou, et une autre en Bretagne. Et c’est là que le problème est arrivé. Si les ecclésiastiques locaux étaient d’accord pour prêter l’église de Biriatou, l’évêque de Bayonne, Mgr Pierre Molères, a dit non. Et il a donné trois raisons à David et à sa famille :
1 – Il s’agit d’une requête sentimentale.
2 – Il aurait été conditionné par [son] milieu social.
3 – Il refuse que l’évêque concélèbre cette messe.
Ce refus mis à part, ce n’est pas la guerre, Mgr Molères a accordé une audience à David, et un peu plus tard à ses parents. Mais il n’a pas pour autant ouvert les portes de l’église. Par contre, l’évêque de Quimper saisi de la même demande par David a dit qu’il pouvait dire une messe où il le souhaitait dans son diocèse. En résumé, les recommandations du Vatican sont assez souples pour que chaque prélat interprète comme sa conscience le lui dicte.
Cette rebufade n’a pas entamé, bien au contraire, la foi de David et de sa famille. Mais le jeune garçon se pose des questions sur la situation actuelle de l’église catholique dans sa globalité : « tout le monde voit bien que les églises sont de moins en moins fréquentées, que le nombre de baptêmes est en diminution, que des séminaires ferment. Il serait peut-être temps de remettre les vraies priorités à l’ordre du jour. Les tenants d’un catholicismemoderne et ceux d’une version plus traditionnelle ont le droit d’exister, ce sont les croyants qui doivent y trouver leur compte, et il serait téméraire de mettre à l’écart ceux qui ont la fibre traditionnelle. »
En place libre
Au Pays Basque, où, pendant des siècles, les curés ont été fustigés, voire traités de sorciers sous les rois de France et d’Espagne, et même sous les républiques, on a pris de la distance avec ce genre de vaine querelle. On préfère manier l’intelligence situationnelle. A Biriatou par exemple , on respectera les consignes de l’évêché. Le 8 juillet, lorsque David viendra célébrer la messe pour ses amis d’enfance, ses profs, ses maîtres de catéchisme et sa famille, [NDLR : tous les lecteurs de LPL sont cordialement invités..] les portes de l’église resteront closes. Mais la messe aura bien lieu…sur la place libre, au pied des marches qui mènent au sanctuaire. Le village fait corps derrière son enfant, et le maire a donné son feu vert. Une chapelle sera dressée au fronton, et ce sera pour les Biriatuar, gens de foi et grands pilotari , l’occasion d’unir deux éléments clefs de leur culture. On tendra un toit de toile si le temps est pluvieux, et comme on sera devant l’auberge, on pourra lever son verre à la santé du nouveau prêtre après l’office.
En somme, ce qui aurait pu ressembler à une brimade risque fort de s’achever en un excellent moment, où l’émotion, la joie et la chaleur des retrouvailles s’exprimeront dans un cadre unique et tellement bien adapté à l’événement ! N’empêche que David ne peut s’empêcher de glisser pudiquement : « quelque part, ça me fait mal. » Il avait tellement rêvé de célébrer sa première dans l’église où il a été baptisé et où il a ressenti les premiers signes de sa vocation.
II – Histoire d’une rupture
(La Semaine du Pays Basque – Dominique Mariau)
La rupture entre Ecône et le Vatican est à l’image de la vie de Marcel Lefebvre, archevêque fondateur de la Fraternité Saint-Pie X : un enchaînement complexe de désaccords sur des points de détail entre des gens animés de convictions semblables. Mgr Lefebvre (1905–1991) était issu d’une famille très catholique du nord de la France : sur huit enfants, cinq embrassèrent une carrière religieuse. Son père, deux fois condamné à mort par le régime nazi pour faits de résistance mourut en février 1944 au camp de concentration de Sonnenberg. Et paradoxalement, certains fustigeront plus tard son fils Marcel pour des tendances un peu trop à droite de la droite. En fait, Marcl Lefebvre était évidemment anti-nazi, et après la libération, il fut bien considéré par Pie XII qui lui confia une importante mission en Afrique : former des évêques. Mission réussie puisqu’il laissa sa place… à un évêque africain.
C’est pendant le concile Vatican II, au début des années 60, qu’il manifesta ses premiers refus du modernisme proposé par Rome. Il fonda la Fraternité Saint-Pie X en 1970, un séminaire à Ecône, près de Sion, où il distilla une formation appréciée, comme il l’avait fait en Afrique. Sauf que cette fois le pape Paul VI cria stop dès 1976, ce qui ne fit pas reculer le français, lequel continua à défendre une liturgie traditionnelle avec la messe en latin, et à s’opposer à tout rapprochement avec les protestants. La rupture s’accentua avec Jean-Paul II en 1988, en dépit de la médiation d’un certain…Joseph Ratzinger, qui depuis a fait une belle carrière.
De grands mots furent employés : excommunication, schisme, hérésie, mais la rupture entre Rome et Ecône ne fut jamais totale. Implantée dans cinquante pays sur les cinq continents, la Fraternité Saint-Pie X a parfaitement survécu à son bouillant fondateur, et si on imagine mal un retour au sein du giron pontifical, on doit constater qu’il existe aujourd’hui une meilleure compréhension entre les traditionalistes et les progressistes. Ce qui fait l’unanimité, c’est que l’enseignement reçu à Ecône est de qualité, et que les éléments qui en sont issus sont aptes à faire carrière partout dans le monde.
III – Mal de vocation
(Colette Larruburu – La semaine du Pays Basque )
Diocèse. L’abbé Crouzat analyse les éléments objectifs de cette désaffection.
La voie traditionaliste ne semble pas être matière à enrayer la crise.
A l’heure où les vocations font cruellement défaut, les « irréligieux » que nous sommes ne peuvent s’empêcher de se poser la question : mais pourquoi donc Mgr Pierre Molères ne laisse-t-il pas ce jeune Biriatar dire sa messe dans son village natal ? « Au sens strict, commente l’abbé Louis Crouzat, responsable du service diocésain des vocations, Mgr Pierre Molères est parfaitement dans son droit.. Ecône n’est pas en communion avec Rome. Après, le fait que l’évêque de Quimper permette à ce jeune homme de célébrer une messe dans son diocèse alors que Mgr Molères lui refuse de le faire dans le sien, relève de l’appréciation de chacun, selon sa conscience. Quoiqu’il en soit depuis 1976 (voir ci-dessus Histoire d’une rupture), Marcel Lefebvre est schismatique [NDLR : En 1976 Mgr Lefebvre n’a été « que » suspens]. Je voudrais insister sur un point. On focalise pour expliquer la rupture entre les traditionalistes et les progressistes sur cette histoire de messe en latin. Or, au fil des ans, nous avons bien compris que ce n’est pas cela l’essentiel.Trois points dérangent plus les traditionalistes. En premier lieu, le décret sur l’oecuménisme : les traditionalistes n’ont pas compris que la majorité des évêques soient entrés en discussion avec les représentants des autres religions. En second lieu, la déclaration sur les religions non chrétiennes. Ils n’ont pas compris que nous nous interrogions sur le judaïsme et les autres religions et en particulier sur le point de savoir si elles pouvaient ou non être sauvées. Dernier point, le droit à la liberté religieuse. Ils n’ont pas compris que nul ne peut être contraint d’agir contre sa conscience. En clair, le point de rupture porte plus sur le régime légal de liberté religieuse que sur le fait ou non de dire la messe en latin. Par ailleurs pour être plus précis, à l’initiative de Jean-Paul II, depuis 1990 la fraternité de saint-Pierre [NDLR : sic] qui regroupe des prêtres et des fidèles ont la possibilité de célébrer la messe selon le rite Pie V. Aujourd’hui, le pape Benoît XVI envisage de libéraliser l’usage de la messe de saint Pie V. Cela voudrait dire, si cette règle rentrait en application que n’importe quel fidèle peut demander à son curé de célébrer la messeen latin selon le rite de Pie V et que n’importe quel prêtre peut l’imposer à ses fidèles. Mais, nous n’en sommes pas là. C’est pourquoi Mgr Molères ne fait qu’appliquer strictement le droit dans le cas précis de ce jeune homme. »
Blessure
L’abbé Crouzat avoue » bien sûr que c’est une blessure cette histoire de Biriatou comme c’est une blessure de voir des jeuness’orienter vers la famille traditionaliste. pourquoi le font-ils ? Je ne saurais le dire. Ils pensent peut-être que les limites de la chrétienté sont floues et que dans cette famille-là, ils auront plus de repères. Qu à tort ou a raison, il leur sera plus facile de vivre leurs certitudes dans ce cadre-là. Certains croient aussi que les attributs de la fonction comme la soutane leur donneront une autorité présumée. Est-ce suffisant ? »
Reste une question : Ecône est-elle une des solutions pour enrayer la crise des vocations ? « Ce catholicisme-là, nous l’avons connu pendant quatre siècles, jusqu’au milieu du XXe siècle exactement. Et ça n’a pas empêché une proportion significative de fidèles de s’éloigner. De même le concile Vatican II instauré par Jean XXIII en partie pour enrayer ce déclin, n’a pas inversé la tendance. »
Eléments objectifs
Les chiffres eux sont têtus. Depuis 2000, il y a eu quatre ordinations dans le diocèse alors que dans les années 1950, ‚on en comptait 15 par an. Les clefs pour enrayer cette tendance ? « Personne ne les a, rétorque l’abbé. On peut tout de même établir trois éléments objectifs. La courbe annuelle du nombre de prêtres ordonnés annuellement en France est rigoureusement parallèle à la courbe du taux de pratiquants recensés. Et ce, depuis 50 ans. Conclusion, s’il y a moins de prêtres, c’est aussi parce qu’il y a moins de fidèles. A noter également que les 2/3 des séminaristes et novices sont issus de familles catholiques où au moins un des parents est pratiquant militant. dernier fait objectif, en remontant sur deux siècles, on constate que les religieux étaient issus de familles nombreuses et c’est encore le cas aujourd’hui à 60%. »
Face à ce constat, un élément subjectif : le célibat – chacun a encore à l’esprit l’histoire du père Léon Laclau – n’est-il pas un des facteurs de la désaffection ? » Plus que le célibat, c’est l’engagement à vie qui pose problème. La capacité à être mobile est tellement valorisée aujourd’hui que probablment cela induit une difficulté. De plus, du fait de la rareté de la fonction, les gens ont peur aussi d’être seuls. C’est peut-être à nous qu’il revient de donner des liens visibles de notre fraternité. Nous gagnerions à travailler là-dessus. »
La messe est dite. Moins de fidèles, moins de prêtres. Des fidèles peu pratiquants pour la plupart qui veulent compter sur la présence d’un prêtre à trois moments de leur vie : baptême, mariage et enterrement. « L’inhumation au cimetière est de plus en plus souvent accompagnée par un civil. De même que la visite préparatoire à l’heure de la mort. Nous ne sommes pas arrivés comme dans d’autres diocéses à confier la messe d’obsèques à des civils. Mais, nous allons vite nous y trouver confrontés. La génération de 1950 va bientôt rendre « son tablier ». Une génération qui a donné beaucoup de prêtres ».
Les chiffres en bref
Dans les années 1950 on comptait 15 ordinations par an dans le diocése.
Dans les années 1960, 14. Dans les années 1980, 22.
Dans les années 1990, 11. Depuis 2000, on en comptabilise 4.