Chine. La volte-​face d’un évêque relance la querelle entre Bertone et Zen


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In Eucharistie Miséricordieuse du 03/​12/​09

Rome, le 03 décembre 2009 – (E.S.M.) – Pour le secré­taire d’Etat du Vatican, l’Eglise clan­des­tine doit se mon­trer au grand jour et se mettre en règle avec les auto­ri­tés chi­noises. Pour le car­di­nal Zen, elle ne doit pas le faire, car ce serait se livrer à l’en­ne­mi. L’affaire de l’é­vêque de Baoding.

Chine. La volte-​face d’un évêque relance la que­relle entre Bertone et Zen

Le 03 décembre 2009 – Eucharistie Sacrement de la Miséricorde – En deux jours, les catho­liques qui vivent en Chine ont reçu deux exhor­ta­tions très dif­fé­rentes l’une de l’autre, écrites par deux poids lourds de l’Eglise mon­diale : le car­di­nal Tarcisio Bertone et le car­di­nal Joseph Zen Zekiun.

Bertone et Zen sont tout à fait qua­li­fiés pour s’occuper de la Chine. Le pre­mier est secré­taire d’Etat et donc res­pon­sable de toute la géo­po­li­tique de l’Eglise, le second est évêque émé­rite de Hong-​Kong et fait par­tie de la com­mis­sion vou­lue par le Vatican pour suivre la mise en appli­ca­tion de la Lettre-pro­gramme écrite par Benoît XVI aux catho­liques chi­nois en juin 2007.

Les car­di­naux Bertone et Zen sont tous deux salé­siens et se connaissent depuis très long­temps, ce qui ne les empêche pas d’être sou­vent en désac­cord à pro­pos de la Chine. Le pre­mier paraît plus « réa­liste », le second plus com­ba­tif. Chacun des deux estime faire la bonne inter­pré­ta­tion de la lettre du pape.

Ces der­nières semaines, une affaire concer­nant un évêque chi­nois a de nou­veau fait écla­ter la diver­gence entre eux.

LES ANTÉCÉDENTS

L’évêque, c’est Francis An Shuxin, 60 ans, coad­ju­teur du dio­cèse de Baoding, dont le pre­mier titu­laire, l’évêque James Su Zhimin, 75 ans, est déte­nu depuis 1996 dans un lieu inconnu.

Mgr An Shuxin a lui aus­si été empri­son­né. Dix ans. Il a été libé­ré le 24 août. Mais à un prix éle­vé : il a dû s’inscrire à l’Association patrio­tique, l’outil poli­tique uti­li­sé par les auto­ri­tés chi­noises pour contrô­ler l’Eglise natio­nale et la sépa­rer de Rome.

La déci­sion de l’évêque An Shuxin a trou­blé le cler­gé et les fidèles. Baoding se trouve dans le Hebei, la région de Chine ayant la plus forte concen­tra­tion de catho­liques, au moins un mil­lion et demi, pour la plu­part non recon­nus offi­ciel­le­ment. En plus de Su Zhimin, deux autres évêques « clan­des­tins » du Hebei sont actuel­le­ment en pri­son : Cosma Shi Enxiang, évêque de Yixian, 85 ans, arrê­té et dis­pa­ru le 13 avril 2001, et Julius Jia Zhiguo, évêque de Zhengding, 74 ans, de nou­veau arrê­té le 30 mars.

En même temps que l’évêque An Shuxin, deux prêtres de son dio­cèse sont sor­tis de pri­son en échange d’une ins­crip­tion à l’Association patrio­tique. Certains évêques, prêtres et fidèles ont vu dans le geste des trois hommes une tra­hi­son, un pas­sage à l’ennemi. Selon d’autres, c’est au contraire néces­saire pour sor­tir de la clan­des­ti­ni­té, que Benoît XVI a défi­nie, dans sa lettre de 2007, comme une situa­tion « pas nor­male dans la vie de l’Eglise ».

Le désar­roi n’a pas été limi­té au Hebei, il a aus­si atteint le Vatican. On entend sou­vent dire que la curie romaine incite les évêques et prêtres clan­des­tins à obte­nir la recon­nais­sance offi­cielle pour nor­ma­li­ser la vie des dio­cèses, même s’il faut pour cela se plier à cer­tains dik­tats du régime. Dans le cas de l’évêque An Shuxin, les soup­çons se sont por­tés sur la congré­ga­tion vati­cane pour l’é­van­gé­li­sa­tion des peuples, au point qu’elle s’est sen­tie obli­gée d’affirmer – le 3 novembre, dans un com­mu­ni­qué – qu’elle n’avait jamais exer­cé de pres­sions sur lui.

LA LETTRE DE BERTONE

Dans ce contexte, le car­di­nal Tarcisio Bertone, secré­taire d’Etat, envoie de Rome, le 16 novembre, une lettre aux prêtres de l’Eglise chinoise.

Le point de départ est l’Année Sacerdotale lan­cée dans le monde entier par le pape Joseph Ratzinger.

Dans sa lettre, datée du 10 novembre, Bertone ne parle pas de l’affaire de l’évêque de Baoding. Mais il est facile d’y voir une réfé­rence quand le car­di­nal exhorte « à une récon­ci­lia­tion au sein de la com­mu­nau­té catho­lique et à un dia­logue res­pec­tueux et construc­tif avec les auto­ri­tés civiles, sans renon­cer aux prin­cipes de la foi catholique ».

On peut aus­si appli­quer faci­le­ment aux com­mu­nau­tés clan­des­tines l’af­fir­ma­tion de Bertone selon laquelle « une com­mu­nau­té ne peut se replier sur elle-​même, comme si elle était auto­suf­fi­sante, mais elle doit res­ter en com­mu­nion avec toutes les autres com­mu­nau­tés catho­liques ».

Toutefois, dans l’ensemble, la lettre de Bertone est inté­res­sante à d’autres titres. En exhor­tant les prêtres chi­nois à pra­ti­quer les ver­tus, elle met en évi­dence leurs vices : la fré­quente infi­dé­li­té aux vœux de pau­vre­té et de chas­te­té, le côté batailleur, le faible zèle pas­to­ral, l’insuffisance des études, le peu d’envie de sus­ci­ter des voca­tions, l’ab­sence d’élan missionnaire…

En effet les don­nées chif­frées ne sont pas encou­ra­geantes. Sur les dix der­nières années, la popu­la­tion catho­lique en Chine n’a pas varié. Les voca­tions sacer­do­tales baissent, ain­si que les voca­tions reli­gieuses fémi­nines. Les prêtres et les évêques sont trop vieux ou trop jeunes. Il manque la géné­ra­tion inter­mé­diaire et les jeunes prêtres ne sont pas aptes à être évêques. Cet état de fai­blesse de l’Eglise est per­çu par le régime comme un encou­ra­ge­ment à exer­cer sur elle de fortes pres­sions et des contrôles. Depuis deux ans, le Saint-​Siège n’a pas réus­si à nom­mer un seul nou­vel évêque en Chine.

LES INSTRUCTIONS DE ZEN

A en juger d’après les 23 pages d’instructions dif­fu­sées le 18 novembre par le car­di­nal Zen – son énième com­men­taire de la lettre de Benoît XVI de 2007 – la res­pon­sa­bi­li­té de ce déce­vant état de fait retombe pour une bonne part sur les auto­ri­tés vaticanes.

D’après Zen, une idée est en train de prendre pied : l’époque héroïque de l’Eglise clan­des­tine serait finie, tous ses évêques et prêtres devraient entrer dans l’Eglise offi­cielle recon­nue par le régime.

Selon Zen, cette idée pro­duit en Chine un asser­vis­se­ment encore pire de l’Eglise vis-​à-​vis du pou­voir et elle est fon­dée sur une inter­pré­ta­tion abu­sive de la lettre de Benoît XVI.

Dans son ins­truc­tion dif­fu­sée ces jours-​ci, en effet, le car­di­nal réexa­mine de fond en comble la lettre du pape, en l’expliquant d’une façon que Zen juge la seule correcte.

D’après Zen, quand Benoît XVI écrit que « la clan­des­ti­ni­té est une situa­tion qui n’est pas nor­male dans la vie de l’Eglise », il n’ordonne pas aux com­mu­nau­tés clan­des­tines de céder aux pré­ten­tions du gou­ver­ne­ment, mais il leur dit de résis­ter aus­si long­temps que la situa­tion anor­male qui pro­voque la clan­des­ti­ni­té conti­nue­ra à exister.

Selon Zen, le pape n’interdit pas aux com­mu­nau­tés clan­des­tines de deman­der et d’obtenir la recon­nais­sance offi­cielle, mais il ne les incite pas non plus à le faire d’un cœur léger. Au contraire. Le pape les aver­tit que « presque tou­jours » le régime concède la recon­nais­sance à condi­tion que soient accom­plis des actes « incon­ci­liables avec la doc­trine catholique ».

L’inscription à l’Association patrio­tique est, selon le car­di­nal Zen, un de ces actes qu’un évêque clan­des­tin ne devrait jamais accom­plir, pas même pour obte­nir sa liberté.

A l’ob­jec­tion selon laquelle ni le pape ni les auto­ri­tés vati­canes n’obligent les évêques offi­ciel­le­ment recon­nus qui se sont déjà ins­crits à l’Association patrio­tique à la quit­ter, Zen répond que ce com­pro­mis est dû à des cir­cons­tances his­to­riques. L’Eglise per­met aux évêques illé­gi­times nom­més par le gou­ver­ne­ment et qui, se repen­tant, reviennent à la com­mu­nion avec Rome, de res­ter dans l’Association, mais seule­ment de façon pro­vi­soire et avec l’intention sin­cère de chan­ger au plus tôt cet état de fait.

DERNIÈRES NOUVELLES DE PÉKIN

Au Vatican, l’ins­truc­tion du car­di­nal Zen a été accueillie comme son énième acte d’ac­cu­sa­tion contre la ligne « diplo­ma­tique » de la curie.

Il y a encore quelques mois ceux qui, au Vatican, s’occupaient de la Chine étaient sur­tout Mgr Pietro Parolin, sous-​secrétaire pour les rap­ports avec les Etats, et Mgr Gianfranco Rota Graziosi, chef de ser­vice à la même section.

Parolin était le plus com­pé­tent en la matière et il sui­vait aus­si la situa­tion de l’Eglise au Vietnam. Mais, cet été, il a été envoyé comme nonce apos­to­lique au Venezuela et per­sonne ne l’a rem­pla­cé à la curie avec une com­pé­tence égale à la sienne sur le dos­sier chinois.

Mais à Pékin, les 25 et 26 novembre, une cen­taine de diri­geants catho­liques nom­més par le gou­ver­ne­ment, dont 40 évêques, ont ren­voyé à une date non pré­ci­sée la convo­ca­tion de l’Assemblée natio­nale des repré­sen­tants catholiques.

L’Assemblée est la plus haute auto­ri­té qui gou­verne l’Eglise catho­lique en Chine, elle est for­mel­le­ment supé­rieure à l’Association patrio­tique et à ce faux double de confé­rence des évêques qu’est le Conseil des évêques chi­nois. Aucune de ces trois ins­ti­tu­tions n’est com­pa­tible avec l’organisation de l’Eglise catho­lique. Parmi les pou­voirs de l’Assemblée, il y a celui de nom­mer les pré­si­dents de l’Association patrio­tique et du Conseil des évêques. Les deux charges sont vacantes depuis des années, parce qu’elles étaient occu­pées res­pec­ti­ve­ment par l’évêque « patrio­tique » de Pékin, Michael Fu Tieshan, mort en 2007, et celui de Nankin, Joseph Liu Yuanren, mort en 2004.

Ces der­niers mois, le car­di­nal Zen a tout fait pour inci­ter les évêques et les prêtres gou­ver­ne­men­taux à boy­cot­ter les assises. Il n’y a pas réus­si. Mais les auto­ri­tés chi­noises ont renon­cé à la contrainte. Et en repor­tant l’Assemblée natio­nale des repré­sen­tants catho­liques à plus tard, elles ont lais­sé place à la pos­si­bi­li­té – ou à la ten­ta­tion – d’un éven­tuel énième com­pro­mis avec les auto­ri­tés vaticanes.

In Eucharistie Miséricordieuse du 03/​12/​2009

Documents

La lettre du car­di­nal Tarcisio Bertone aux prêtres chi­nois, dif­fu­sée le 16 novembre 2009 ► « Cari fra­tel­li nel sacer­do­zio… » ( Synthèse en fran­çais. )

L’instruction du car­di­nal Joseph Zen Zekiun dif­fu­sée le 18 novembre 2009 ► An Aid for Reading the Holy Father’s Letter to the Church in China

La lettre-​programme de base que Benoît XVI a adres­sée le 27 mai 2007 aux catho­liques chi­nois ► Lettre du Pape

Et son « Résumé » sous forme de questions-​réponses, dif­fu­sé le 23 mai 2009 et for­te­ment vou­lu par le car­di­nal Zen ► Compendium of the Letter of the Holy Father…

Traduction fran­çaise par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.