Défendre la foi de Nicée

Réuni il y a 1700 ans, le concile de Nicée montre com­ment l’Eglise a su com­battre l’er­reur en expri­mant l’objet de la foi de façon tou­jours plus claire.

En chan­tant à la messe le Credo, avec ses affir­ma­tions nettes et sereines, on ne se doute guère des pro­di­gieux efforts de pen­sée qu’elles ont coû­tés, ni du sang qu’elles ont même pu faire ver­ser, pour gar­der intact le dépôt de la Révélation. Au début du IVe siècle, Arius nia la divi­ni­té de Jésus-​Christ. Cette héré­sie fut réfu­tée en 324 il y a tout juste 1700 ans, par le concile de Nicée, pre­mier concile œcumé­nique de l’histoire de l’Eglise, qui eut une grande impor­tance dans l’expression de la foi catholique.

En 313, l’empereur Constantin accor­da aux chré­tiens la liber­té reli­gieuse dans l’Empire romain, par l’édit de tolé­rance pro­mul­gué à Milan. L’empereur devint le pro­tec­teur de l’Eglise, et le chris­tia­nisme put vivre et se déve­lop­per plus pai­si­ble­ment. Mais à l’intérieur de l’Eglise com­men­cèrent de grandes luttes doc­tri­nales, qui pro­vo­quèrent des troubles aus­si pro­fonds que ceux qu’elle avait connus jusque là par les persécutions.

L’arianisme

La plus dan­ge­reuse des héré­sies pri­mi­tives fut l’arianisme, ain­si appe­lé du nom de son auteur, Arius, prêtre d’Alexandrie. Né en Libye vers 256, il alla étu­dier à Antioche, où il fut dis­ciple de Lucien d’Antioche, fon­da­teur en cette ville d’une école de théo­lo­gie très répu­tée, qui atti­rait des élèves de loin­tains pays. Il vint ensuite se fixer à Alexandrie, où il fût ordon­né prêtre et reçut la direc­tion d’une église impor­tante. Mais après quelques années le patriarche saint Alexandre apprit qu’Arius pro­fes­sait d’étranges doc­trines au sujet de la per­sonne du Fils de Dieu : il sou­te­nait que Jésus-​Christ n’est pas l’égal du Père, mais sim­ple­ment une créa­ture de Dieu, et qu’il fut un temps où il n’existait pas. Assertion gra­vis­sime, qui niait le mys­tère d’un Dieu fait homme, et rui­nait toute l’économie du salut !

Arius par­tait de cette véri­té que Dieu le Père n’est pas engen­dré, le Fils au contraire est engen­dré. Mais tan­dis que l’Eglise enseigne par là la dis­tinc­tion des per­sonnes, Arius en dédui­sait une dif­fé­rence de na­ture, et tirait de cette pre­mière erreur une foule d’autres.

Pour lui, le Fils n’est pas éter­nel, il a eu un com­mencement. Celui qui a eu un com­men­ce­ment n’est pas un être infi­ni­ment par­fait, et n’est pas propre­ment Dieu. Arius expli­quait l’expression « Fils de Dieu » en par­lant d’une filia­tion seule­ment adop­tive, ce qui reve­nait à nier la nature divine du Christ. Le Fils est la pre­mière créa­ture que le Père a pro­duite, qui sur­passe de beau­coup toutes les autres créa­tures, et le Père a créé tous les autres êtres par son intermédiaire.

Une telle doc­trine por­tait atteinte à tous les prin­cipaux dogmes du chris­tia­nisme : si Jésus-​Christ n’est pas Dieu, il n’y a plus de Trinité divine, l’Incar­nation n’a plus de sens, la Rédemption se dis­sout. Cette héré­sie détrui­sait donc la reli­gion chré­tienne jusque dans ses fondements.

Esprit brillant, élo­quent et per­sua­sif, Arius sut gagner des adhé­rents. A Alexandrie, beau­coup se lais­sèrent séduire et prirent par­ti pour lui. Le pa­triarche Alexandre tâcha de rame­ner le mal­heu­reux par ses exhor­ta­tions. Comme rien n’y fai­sait et que cette doc­trine sacri­lège se répan­dait peu à peu, un synode de près de cent évêques égyp­tiens tenu à Alexandrie (entre 318 et 322 selon les sources) ex­communia l’hérésiarque. Malgré cette sen­tence, Arius trou­va des appuis chez quelques évêques et des per­son­nages influents de l’Empire. L’hérésie se pro­pa­gea en Orient. L’empereur Constantin, ému de la divi­sion et de l’agitation qu’elle créait dans l’Eglise, envoya à Alexandrie pour apai­ser la que­relle son conseiller l’évêque Osius de Cordoue, qui n’y réus­sit pas et ins­pi­ra pro­ba­ble­ment à l’empereur l’idée de réunir un concile dont les déci­sions tran­cheraient la ques­tion. Comprenant com­bien l’unité de l’Eglise impor­tait pour rame­ner l’ordre et la paix dans l’Empire, Constantin convo­qua à Nicée (actuelle Iznik), à cent kilo­mètres au sud-​est de Constantinople, un grand concile des évêques de l’Eglise entière : ce fut le pre­mier concile œcu­mé­nique – c’est-à-dire uni­ver­sel – de la chrétienté.

Le déroulement du concile

La lettre de convo­ca­tion fut envoyée aux évêques au début de l’année 325. La ville de Nicée avait été choi­sie car, étant proche de la mer, elle était facile d’accès. Elle avait aus­si l’avantage de ne pas être loin de Nicomédie où se trou­vait alors la rési­dence impériale.

Nous ne connais­sons pas avec cer­ti­tude les dates du concile. Il se tint de mai ou juin, à juillet ou août. La date d’ouverture la plus pro­bable est le 19 juin 325. L’empereur avait invi­té tous les évêques de l’Empire. Il est dif­fi­cile de savoir com­bien furent pré­sents ; trois cents évêques envi­ron y par­ti­ci­pèrent. Le chiffre offi­ciel s’arrête à 318, la plu­part de l’Eglise d’Orient ; quelques évêques occi­den­taux firent l’honneur de leur pré­sence. Cette assem­blée fut très véné­rable : elle com­por­tait de grands con­fesseurs de la foi ; plu­sieurs Pères por­taient encore les cica­trices des sup­plices subis dans la per­sé­cu­tion. Le pape Syl­vestre avait envoyé ses légats : il s’était fait repré­sen­ter par Osius de Cordoue et deux prêtres ro­mains, Vitus et Vincent. On trouve bien sûr l’évêque d’Alexandrie, saint Alexandre, accom­pa­gné de son diacre et secré­taire, le futur saint Athanase, âgé de 29 ans. Saint Nico­las de Myre par­ti­ci­pa très pro­bablement au concile, bien que son nom ne figure pas sur la liste des signa­taires, mais on sait que cette liste est incomplète.

Jusqu’à ce début du IVe siècle, l’Eglise n’avait jamais ré­uni de concile géné­ral. Il y avait bien eu un peu par­tout des conciles par­ti­cu­liers ou synodes pré­si­dés par des évêques locaux. Mais le temps des per­sé­cu­tions et la dif­fi­cul­té de voya­ger ren­daient dif­fi­ciles ces réu­nions géné­rales. Pour ras­sem­bler un tel concours d’évêques, des dépenses consi­dé­rables étaient néces­saires. L’empereur mit son ser­vice de poste et ses vais­seaux à la dis­po­si­tion des évêques, et assu­ra leur entre­tien durant la durée du concile, qui eut lieu dans un palais impérial.

Constantin exer­ça une pré­si­dence d’honneur sur le Concile. Il sié­gea à la séance d’ouverture et fut par­fois pré­sent dans les réunions ; il prit la parole à dif­fé­rentes reprises, encou­ra­geant à la paix. Mais la pré­si­dence effec­tive semble avoir été exer­cée par Osius de Cordoue.

Arius com­pa­rut plu­sieurs fois et sou­tint ses théo­ries avec opi­niâ­tre­té. Les débats furent très ani­més, par­fois pas­sion­nés. Saint Athanase se dis­tin­gua en par­ti­cu­lier comme défen­seur de la vraie doc­trine. La très grande majo­ri­té des Pères défen­dirent la divini­té du Christ ; envi­ron vingt d’adhérents d’Arius dé­clarèrent le Verbe une simple créature.

Les décrets

Aucun acte du concile ne nous est par­ve­nu comme tel. Mais nous avons le témoi­gnage auto­ri­sé d’Eusèbe de Césarée et de saint Athanase qui assis­tèrent au concile, et par qui nous connais­sons les docu­ments principaux.

La doc­trine d’Arius fut solen­nel­le­ment condam­née et, pour bien pré­ci­ser la pen­sée de l’Eglise, les Pères du concile rédi­gèrent un sym­bole ou profes­sion de foi, qui défi­nit de ma­nière lumi­neuse la divi­ni­té de Jésus-Christ.

Pour répondre aux erreurs de l’arianisme, il fal­lait des formu­lations qui ne laissent place à aucune inter­pré­ta­tion ambi­guë. Arius admet­tait volon­tiers le terme « engen­dré du Père », mais de façon impropre, disait- il : pour lui, le terme d’engendré était syno­nyme de créé, puisque la nature du Père est incom­mu­ni­cable. Pour affir­mer l’éternité du Verbe, le concile ajou­ta le terme « non créé » à « engendré ».

Comme les ariens interpré­taient toutes les expres­sions des Ecritures dans leur sens, le con­cile employa un mot qui empê­chait toute équi­voque et auquel les héré­tiques et leurs com­plices s’opposèrent vive­ment : « consub­stan­tiel » (omoou­sios en grec), qui signi­fie que le Fils est « de même sub­stance » que le Père. A cette époque, le terme de « sub­stance » n’était pas encore par­fai­te­ment défi­ni. Cependant l’intention des Pères conci­liaires est extrê­me­ment claire. Le Fils a la même sub­stance que le Père. De même qu’un homme engendre un homme, de même ce qui est engen­dré de Dieu est de même nature que Dieu. Le Fils est donc Dieu au sens propre, il est Dieu comme le Père, il a en com­mun avec le Père la plé­ni­tude de la divi­ni­té. Le Père et le Fils sont deux, mais sont un par la sub­stance divine.

Le sym­bole déclare donc comme véri­tés de foi ces affir­ma­tions : « Nous croyons… en un seul Sei­gneur Jésus-​Christ, le Fils de Dieu, né du Père, unique engen­dré, c’est-à-dire de la sub­stance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engen­dré non pas créé, consub­stan­tiel au Père, par qui tout a été fait… »

Et dans une lettre syno­dale adres­sée aux Egyp­tiens, le concile écrit : « A l’unanimité il a été jugé bon de frap­per d’anathème l’opinion impie d’Arius, les paroles et les expres­sions blas­phé­ma­toires dont il se ser­vait pour blas­phé­mer le Fils de Dieu, en disant qu’“il vient du néant”, qu’“avant d’avoir été engen­dré il n’était pas”, qu’“il était un temps où il n’était pas”. Tout cela, le saint concile l’a frap­pé d’anathème. »

Le Credo de Nicée nous montre, en même temps que le soin de la sainte Eglise pour pré­ser­ver intègre la véri­té révé­lée, com­ment elle s’efforce d’exprimer l’objet de la foi de façon tou­jours plus claire. A Nicée, pour la pre­mière fois, elle est obli­gée de défi­nir préci­sément son dogme. Et pour ce faire, elle va cher­cher son voca­bu­laire non dans la Révélation elle-​même, mais dans la phi­lo­so­phie. Ce sym­bole est la pre­mière défi­ni­tion dog­ma­tique, qui oblige les fidèles à adhé­rer aux mots eux-​mêmes en tant qu’ils défi­nissent avec pré­ci­sion les véri­tés à croire. Par lui l’Eglise a tra­cé aux fidèles la règle de leur croyance et les a pré­servés de l’erreur ; il est la norme de ce qu’il faut croire, et devient aus­si­tôt un gage d’orthodoxie.

Le concile débat­tit ensuite de ques­tions plus pra­tiques et dis­ci­pli­naires. Lorsque les dis­cus­sions fu­rent ache­vées, vers la fin du mois de juillet, les Pères conci­liaires se virent offrir un ban­quet par l’empe­reur. Il congé­dia les évêques, en les exhor­tant à gar­der la concorde. C’est pro­ba­ble­ment à cette occa­sion qu’il pro­non­ça ce mot deve­nu célèbre pour défi­nir le rôle qu’il s’attribuait dans l’Eglise : « Je suis l’évêque du dehors. »

Le pape Sylvestre confir­ma les décrets du concile : la confir­ma­tion papale était néces­saire au concile pour qu’il s’impose à la foi de l’Eglise.

Après le concile

Les déci­sions du concile furent pro­mul­guées par Constantin comme des lois de l’Empire. Arius et deux de ses amis évêques qui refu­sèrent la pro­fes­sion de Nicée furent excom­mu­niés. Tous trois furent exi­lés par l’empereur.

En dépit de la condam­na­tion solen­nelle du con­cile, la crise arienne était loin d’être ter­mi­née. Arius et ses par­ti­sans refu­sèrent de se sou­mettre et cher­chèrent à obte­nir l’appui du pou­voir poli­tique. Trom­pé par eux, Constantin réha­bi­li­ta les évêques héré­tiques exi­lés et exi­la saint Athanase à Trêves. Arius eut un moment de triomphe. Par une confes­sion de foi habi­le­ment com­po­sée, il sut satis­faire le mo­narque. Mais en 336, tan­dis que l’hérésiarque s’ap­prêtait à entrer solen­nel­le­ment dans l’église princi­pale de Constantinople, il fut pris d’un mal mysté­rieux et mou­rut subi­te­ment. Beaucoup y virent un châ­ti­ment de la jus­tice divine.

Dans la suite, cer­tains cher­chèrent dif­fé­rentes for­mules qui puissent satis­faire tout le monde. Un nou­veau cou­rant, qu’on a qua­li­fié de semi-​arianisme, eut recours au terme grec omoiou­sios [1], qui signi­fie que le Fils est « sem­blable en nature » au Père, mais n’affirme pas clai­re­ment qu’il lui est par­fai­te­ment égal.

Les ariens eurent l’appui de deux empe­reurs, Constance et Valens, qui vou­lurent impo­ser l’aria­nisme comme seule croyance. Sous leurs règnes on revit des per­sé­cu­tions contre les vrais catho­liques. Les évêques fidèles à la foi de Nicée furent envoyés en exil. La chré­tien­té était déchi­rée par d’âpres con­troverses doc­tri­nales. Dans les années 350–360, la confu­sion fût à son comble. Il arri­va presque, selon le mot de saint Jérôme, que « le monde entier gémit, stu­pé­fait de se trou­ver arien ».

C’est – avec les grands doc­teurs saint Athanase et saint Hilaire, qui furent les cham­pions de la foi ca­tholique contre l’hérésie – l’empereur Théodose (379–395) qui por­ta un coup déci­sif à l’arianisme. Il réso­lut de trai­ter les ariens en rebelles, les dépouilla de leurs églises et les rédui­sit au silence. Mais cette hé­résie avait déjà fran­chi le Rhin et le Danube et réus­si à s’infiltrer chez les peuples ger­ma­niques étran­gers à l’Empire (Wisigoths, Burgondes, Vandales, Ostrogoths, Lombards) qui enva­hi­ront plus tard l’Empire romain. L’hérésie ne dis­pa­raî­tra com­plè­te­ment qu’au VIe siècle.

L’apport du concile de Nicée

Comme toute héré­sie, l’arianisme fut l’occasion d’un pro­grès dans la com­pré­hen­sion et dans l’ex­pression du dogme qui reçut une expli­ci­ta­tion nou­velle, et ce rôle pri­mor­dial revint au concile de Ni­cée. Le car­di­nal Pie le dira : « Le prin­ci­pal béné­fice à tirer de l’erreur, de l’hérésie et de toutes les opposi­tions que ren­contre la véri­té par­mi les hommes, c’est la mise en lumière et la glo­ri­fi­ca­tion du point même de doc­trine qui est spé­cia­le­ment nié et com­bat­tu. (…) Quand le monde conteste, c’est alors que l’Eglise scrute, qu’elle appro­fon­dit, qu’elle pré­cise, qu’elle défi­nit, qu’elle pro­clame. Et le dépôt sacré, loin de subir aucune dimi­nu­tion, pro­duit alors au grand jour tout le tré­sor de ses richesses[2]. »

Source : La Couronne de Marie n°142. Image : CC Public Domain Mark 1.0 Universal ; Godong.

Notes de bas de page
  1. Une seule lettre dis­tingue ce mot de omoou­sios (« consub­stan­tiel ») défi­ni à Nicée.[]
  2. Troisième ins­truc­tion syno­dale sur les prin­ci­pales erreurs du temps pré­sent.[]