La prière d’adoration

La plus par­faite, la plus glo­rieuse pour Dieu, celle où nous pra­ti­quons le plus com­plè­te­ment notre métier de créature.

Nous pou­vons tour­ner notre âme vers Dieu dans la prière pour dif­fé­rentes fins ou inten­tions. Cependant une des fins de la prière est plus éle­vée que les autres, c’est l’adoration.

On peut prier pour remer­cier Dieu, ou pour implo­rer son par­don, ou pour deman­der les grâces dont on a besoin. Mais on voit que, dans ces dif­fé­rentes formes de prière, la pen­sée se trouve rame­née vers celui qui prie, tan­dis que dans l’adoration, celui qui prie s’oublie tota­le­ment pour ne son­ger qu’à Dieu.

Si je remer­cie, c’est parce que j’ai reçu. Si j’implore misé­ri­corde, c’est parce que j’ai péché. Si je demande, c’est parce que j’ai besoin. Le bien de ma per­sonne n’est pas absent de ma prière. Dans la prière d’adoration ou de louange, celui à qui j’adresse la prière se trouve seul en cause. Celui qui prie dis­pa­raît en quelque sorte. Il ne songe pas à lui, il ne compte pas : Gloria in excel­sis Deo, gloire à Dieu dans le ciel. Seigneur, nous vous louons ! Seigneur, nous vous bénis­sons ! Seigneur, nous vous adorons !

♦ Cela ne signi­fie pas que les autres formes de prière soient à pros­crire, ou ne soient pas bonnes. Les prières de remer­cie­ment, de demande de par­don ou d’autres grâces sont belles, elles sont légi­times, elles sont néces­saires à notre condi­tion de créa­tures, et spé­cia­le­ment à notre condi­tion d’hommes encore voya­geurs sur cette terre. Nous le voyons bien dans les prières de l’Église (elle qui nous apprend à prier), qui sont très sou­vent des prières de demande.

Mais la prière d’adoration est en soi la plus par­faite, la plus glo­rieuse pour Dieu, celle où nous pra­ti­quons le plus com­plè­te­ment notre métier de créa­ture, parce que tout nous-​mêmes s’applique à chan­ter le Créateur.

Parce que la prière de demande jaillit plus ins­tinc­ti­ve­ment, on a ten­dance à oublier la louange, l’adoration. Il est très sou­hai­table de sor­tir par­fois de la prière inté­res­sée, et de s’élever à la prière dés­in­té­res­sée, d’en pra­ti­quer de temps en temps les actes, de tâcher de mettre au pre­mier plan de sa vie spi­ri­tuelle la prière ado­rante et la louange. Dieu n’est pas seule­ment un bien­fai­teur qu’on sol­li­cite, une sorte d’infirmier supé­rieur dont on va cher­cher les conso­la­tions chaque fois qu’on se trouve dans le cha­grin, il est avant tout la Majesté souveraine.

Plus une âme s’approche de Dieu et est en contact avec lui, et plus elle s’arrête volon­tiers sur les pre­mières demandes du Notre Père : « que votre nom soit sanc­ti­fié, que votre règne arrive, que votre volon­té soit faite ». Qu’a‑t-elle besoin de par­ler d’elle ? A Dieu, elle aime mieux par­ler de Dieu.

Pensons à ce que Dieu est en lui-​même, avant de pen­ser à ce qu’il est pour nous. Avant d’être Créateur, Providence, dis­tri­bu­teur de bien­faits, il est Dieu.

Dieu en tant que Dieu, telle est la consi­dé­ra­tion der­nière, le point culmi­nant. Si nous fai­sons mon­ter vers Dieu le can­tique de notre âme, c’est que nous avons com­pris ce qu’est Dieu en lui-​même, et com­bien il mérite de notre part res­pect et louange. C’est la meilleure façon de nous pré­pa­rer à notre éter­ni­té. En effet que ferons-​nous au ciel pour l’éternité ? Nous ado­re­rons et loue­rons la très sainte Trinité, infi­ni­ment ado­rable, infi­ni­ment bonne, infi­ni­ment misé­ri­cor­dieuse, infi­ni­ment glo­rieuse. L’adoration et la louange de Dieu – avec bien sûr l’amour – auront la pre­mière place dans notre âme.

♦ On peut dis­tin­guer l’adoration affec­tive et l’adoration effective.

L’adoration affec­tive est celle qui s’exprime, se mani­feste par des paroles, des élans du cœur, des aspi­ra­tions de l’âme. Donnons deux exemples de prières qui viennent de saints.

D’abord une prière que saint François d’Assise, tout embra­sé d’amour, réci­tait plu­sieurs fois par jour, et recom­man­dait de crier amou­reu­se­ment vers le ciel : « O sou­ve­rain Dieu tout-​puissant, très saint et très haut, bien suprême, bien uni­ver­sel, bien abso­lu, qui seul êtes bon, nous vous offrons toute louange, toute gloire, toute action de grâces, tout hon­neur, toute béné­dic­tion, et nous vous ren­dons inces­sam­ment louange de tout bien qui existe. »

Et voi­ci une belle prière de sainte Mechtilde : « Seigneur, vous êtes l’éternelle Sagesse, qui connaît toutes choses au ciel et sur la terre. Seul vous vous connais­sez vous-​même par­fai­te­ment et en pleine lumière : nulle créa­ture ne peut vous com­prendre.
O Dieu, vous êtes immense et incom­pré­hen­sible en votre toute-​puissance. Tous réunis, au ciel et sur la terre, ne peuvent suf­fire à vous louer parfaitement. »

On dit que sainte Thérèse d’Avila man­quait de défaillir quand elle enten­dait, au Credo de la messe, le cujus regni non erit finis, « dont le règne n’aura pas de fin », tel­le­ment le zèle de l’honneur de Dieu la brûlait.

L’adoration effec­tive se mani­feste par les actes de la vie, par le ser­vice fidèle, aimant et dévoué.

Car dire qu’on adore ou qu’on aime, c’est bien. Mais le mon­trer par des actes, et, s’il le faut, par des actes qui coûtent, voi­là l’adoration parfaite.

L’adoration effec­tive est par exemple celle de la Vierge Marie le jour de l’Annonciation : « Je suis la ser­vante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ». Le Très-​Haut a besoin de quelqu’un pour ser­vir ? Il peut comp­ter sur moi, qu’il me prenne, me voici !

« Ni sur la terre, ni dans le monde des anges, jamais il n’y avait eu encore un acte d’adoration qui fût aus­si digne de Dieu que ce consen­te­ment de Marie, que cette confor­mi­té de sa pro­fonde humi­li­té à la magni­fique et toute-​puissante volon­té divine. » (Père Faber)

♦ Le plus par­fait modèle d’adoration est Notre-​Seigneur Jésus-​Christ lui-même.

Comme Verbe, demeu­rant éter­nel­le­ment dans les splen­deurs du ciel, le Fils de Dieu se trou­vait inca­pable d’adorer. Pour ado­rer, il faut être infé­rieur. Or, au sein de la divine Trinité, les trois per­sonnes sont par­fai­te­ment égales, il n’y a ni supé­rieur ni infé­rieur. Le Fils, égal en tout à son Père, peut aimer ; ado­rer, il ne le peut pas.

Il fau­dra pour cela l’incarnation. Comme homme, il devien­dra infé­rieur, et pour­ra ado­rer son Père.

Lui seul, Jésus-​Christ, peut ado­rer Dieu comme il mérite d’être ado­ré, le glo­ri­fier comme il mérite d’être glo­ri­fié, c’est-à-dire infi­ni­ment. Dieu et homme, il est à la fois infi­ni et infé­rieur. Inférieur, il peut ado­rer ; infi­ni, ado­rer infi­ni­ment. L’Incarnation a pro­vo­qué ce résul­tat : un Dieu capable d’adorer ; et puisque Personne divine, d’adorer infi­ni­ment. Il a pu pro­cu­rer à son Père une ado­ra­tion infinie.

♦ Par nous-​mêmes, nous sommes abso­lu­ment hors d’état de don­ner à Dieu une ado­ra­tion qui signi­fie quelque chose. Qu’est-ce qu’une infime créa­ture peut pro­cu­rer à son auteur ?

Et pour­tant nous devons ado­rer, c’est notre fonc­tion de créa­ture. Le pouvons-​nous ? J’entends d’une façon qui ne soit pas insi­gni­fiante, imperceptible 

Oui, nous le pou­vons. Si nous prions par Jésus-​Christ, et en lui. Alors notre ado­ra­tion ne sera pas seule­ment une ado­ra­tion de créa­ture, mais une ado­ra­tion où le Fils même du Père ajoute ce qui nous manque pour que le Père soit digne­ment glo­ri­fié. D’humaine qu’elle était, il rend notre prière divine, il en fait sa prière à lui, et donc digne de Dieu.

♦ L’adoration suprême pour Notre-​Seigneur, ce fut la mort en croix ; c’est là que le Sauveur recon­nut de la façon la plus plé­nière la majes­té sou­ve­raine de Dieu. Et chaque messe renou­velle cet acte d’adoration. Le point culmi­nant de cette ado­ra­tion digne de Dieu, c’est donc la messe, où le Christ lui- même adore son Père. Voilà pour­quoi chaque messe repré­sente le sum­mum de l’adoration. Pensons à cela quand nous assis­tons au saint sacri­fice. « Que le Seigneur reçoive ce sacri­fice à la louage et à la gloire de son nom », répondez-​vous à l’Orate, fratres du prêtre.

Source : La Couronne de Marie n°106