Editorial de février 2010 – Le concile Vatican II contesté par un conciliaire !

Le concile Vatican II contesté par un conciliaire !

Avec le livre de Brunero Gherardini « Le Concile Vatican II un débat à ouvrir » on peut dire qu’une nou­velle étape est fran­chie dans la bonne direc­tion, c’est-à-dire la mise à mal de la lettre et de l’esprit du concile œcu­mé­nique Vatican II. Ouf ! Enfin !

Pourquoi « ouf ! » ? Parce que faire dou­ter l’adversaire c’est le début de sa ruine et la ruine de l’erreur n’est-ce pas le com­men­ce­ment du triomphe de la véri­té ? Pourquoi « enfin ! » ? Parce que désor­mais ce n’est plus une Fraternité St Pie X mar­gi­na­li­sée qui tient ce dis­cours sévère contre un concile trop adu­lé mais les obser­va­tions cri­tiques viennent de l’intérieur. Il est vrai que Gherardini est d’accord pour dire que le concile est un évé­ne­ment aux dimen­sions gran­dioses et reten­tis­santes – il déclame cela sur une page sur 264 – mais une fois ces quelques grains d’encens brû­lés au concile tout son tra­vail pul­vé­rise en fait ses petites louanges qui s’insèrent mal dans le tout. Finalement et comme sans y tou­cher la conclu­sion que l’on est obli­gé de tirer de l’ensemble de son ouvrage c’est que le reten­tis­se­ment mon­dial de ce concile est davan­tage celui d’un trem­ble­ment de terre du type « Haïti » avec le désastre que l’on sait éten­du à la dimen­sion du monde, plu­tôt qu’un vent violent de Pentecôte qui a trans­for­mé les peu­reux apôtres en ardents mis­sion­naires et «… 3000 juifs deman­dèrent le baptême ».

Mais qui est Gherardini ? Si l’on en croit ses états de ser­vice c’est quelqu’un de bien. Ce prêtre a fait des études, de fortes études et, dit-​il, contrai­re­ment aux dis­ciples de Mgr Lefebvre « il n’a pas de pré­ven­tions contre Vatican II » ce qui lui donne (selon lui) l’avantage de la séré­ni­té requise pour bien le juger. De plus il n’est pas dénué de capa­ci­té d’analyse, il connaît sa théo­lo­gie, la seule bonne, c’est-à-dire la théo­lo­gie tho­miste, et c’est tant mieux car sa cri­tique n’en est que plus per­ti­nente. Comme on dit vul­gai­re­ment, c’est plu­tôt « une grosse poin­ture » ou si vous pré­fé­rez une auto­ri­té intel­lec­tuelle et c’est d’ailleurs pré­fé­rable quand on écrit des livres, beau­coup de livres. Mais voyons de plus près son C.V. qui le rend recom­man­dable à bien des égards au monde ecclé­sias­tique : « Prêtre ita­lien au ser­vice du Saint Siège depuis 1960 à l’Université pon­ti­fi­cale du Latran, notam­ment comme pro­fes­seur d’ecclésiologie et d’œcuménisme jusqu’en 1995…auteur de cen­taines d’ouvrages…chanoine de l’Archibasilique Vaticane, direc­teur de revue inter­na­tio­nale théo­lo­gique. ..etc ». Bref, appa­rem­ment on a affaire à un cer­veau et à un tra­vailleur fécond, ça se respecte.

Conscient que son livre frise la rébel­lion ouverte vis-​à-​vis du clé­ri­ca­le­ment cor­rect ambiant, il prend bien la pré­cau­tion de se dédoua­ner de cer­tains grou­pus­cules hon­nis et sus­pects des médias et du cler­gé conci­liaire. « Nullam par­tem ! », « aucune conni­vence avec eux !», « je ne connais point ces indi­vi­dus ! » Et de pré­ci­ser qu’il n’est pas un sédé­va­can­tiste « un pur délire, dit-​il » p.35 …on peut com­prendre en par­tie. Il n’est pas non plus, disons le mot pour faire court « lefeb­vriste », c’est pour lui encore un délire dif­fé­rent du pre­mier, certes, mais délire tout de même. Ce bon prêtre tout dévoué à Rome ne donne pas l’impression d’avoir com­pris « l’opération sur­vie » de la Tradition enga­gée par Mgr Lefebvre. Pour lui l’évêque aurait dû sans doute obéir incon­di­tion­nel­le­ment et sabor­der son œuvre plu­tôt que de la per­pé­tuer par les sacres en arguant un agré­ment papal futur très hypo­thé­tique. En somme Ghérardini semble admettre ce que nous nions caté­go­ri­que­ment à savoir : on peut vivre très bien sa foi dans l’Eglise offi­cielle depuis 40 ans même si tout va très mal. Car tout va très mal depuis le concile, il le dit qua­si­ment à cha­cune des pages de son livre. Mais, selon lui, la situa­tion ne peut jamais récla­mer un com­por­te­ment extra­or­di­naire de résis­tance vis-​à-​vis du consen­sus ecclé­sial et l’autorité suprême sur­tout quand celle-​ci a sim­ple­ment mur­mu­ré ou signi­fié sa désap­pro­ba­tion. Néanmoins, il faut le sou­li­gner encore et insis­ter, il conteste tout ou qua­si­ment tout ce qui s’est fait et se passe encore aujourd’hui de par le concile ou l’esprit du concile dans toutes les paries du monde.

L’auteur est donc un spé­ci­men rare. Il se pré­sente aujourd’hui comme un contes­ta­taire à outrance du concile et de son esprit et cepen­dant selon toute vrai­sem­blance, depuis 40 ans, il est s’est mon­tré très obéis­sant à la vague conci­liaire qui a tout ren­ver­sé. Jamais on a enten­du dire que ce prêtre ait eu une quel­conque dif­fi­cul­té avec sa hié­rar­chie comme Mgr Lefebvre a pu en avoir et comme tant d’autres prêtres en ont eu à cause du péché impar­don­nable « de gar­der la Tradition ». Il est donc pas­sé à tra­vers les mailles du filet sans connaître le blâme, la per­sé­cu­tion ou l’exclusion. D’où cela vient-​il ? Comment expli­quer une telle chose ?

La réponse est sans doute qu’on a affaire à un pro­fes­seur bien dis­cret, ita­lien de sur­croît (en Italie le bou­le­ver­se­ment de Vatican II a été moins per­cep­tible qu’en France). Intellectuellement il conteste toutes les inno­va­tions de Vatican II, il le fait avec force et beau­coup mieux que cer­tains écrits sévères de chez nous, mais pra­ti­que­ment, depuis quatre décen­nies, qu’a‑t-il fait pour s’opposer ? Néant total, il le dit lui-​même page 259 « jusqu’à aujourd’hui je me suis scru­pu­leu­se­ment gar­dé d’intervenir auprès de celui qui a la res­pon­sa­bi­li­té de l’Eglise ».

Il nous faire com­prendre que ce n’était pas de son res­sort de s’opposer, d’un air de dire : « je ne suis pas res­pon­sable », « je n’ai pas l’autorité cano­nique pour agir contre », « je n’ai que le pou­voir cri­tique d’un pro­fes­seur de théo­lo­gie ». Il y a du vrai dans ces pro­pos car en fait cha­cun doit res­ter à sa place dans la Sainte Eglise et on ne peut pas s’immiscer sans de graves rai­sons dans les affaires des supé­rieurs sur­tout pour contes­ter. Tout n’est pas faux dans ces bonnes excuses, loin de là. En somme Ghérardini est un pur intel­lec­tuel, un pro­fes­seur qui a agi, ou plu­tôt qui com­mence à agir, dans sa sphère un point c’est tout. Mgr Lefebvre, lui, se savait comme évêque res­pon­sable devant Dieu des âmes. En face des erreurs envi­ron­nantes il était dans l’obligation morale non seule­ment de par­ler ou d’écrire mais d’agir et d’agir comme évêque pour le bien de l’Eglise en per­pé­tuant, seul s’il le fal­lait ‚des prêtres et des évêques qui gardent la Tradition.

Le pro­fes­seur Ghérardini ne com­prend pas cette déso­béis­sance, mais il ouvre enfin la bouche (espé­rons que son exemple soit sui­vi par d’autres ) et déplore le désordre dans lequel Vatican II a jeté l’Eglise. D’ailleurs il se sent si peu res­pon­sable que son livre se ter­mine par une sup­plique adres­sée au seul res­pon­sable selon lui, au Saint Père, pour le conju­rer enfin d’intervenir et de faire quelque chose dans cette grave affaire. Car le Saint Père et non Ghérardini et non les « lefeb­vristes », ces déso­béis­sants, peut agir avec le droit, l’autorité et toute la force per­sua­sive pour cla­ri­fier le chaos conci­liaire et remettre l’Eglise sur ses rails. Encore une fois tout n’est pas faux dans sa démarche. Il est vrai qu’en fin de compte c’est un pape qui pour­ra ache­ver plei­ne­ment le tra­vail de lutte et de résis­tance au moder­nisme enta­mé magni­fi­que­ment, mais de façon embryon­naire, par Mgr Lefebvre dans l’illégalité apparente.

Cette sup­plique est donc char­mante venant de ce qu’on peut appe­ler un conci­liaire. Voyez ce qu’il demande au pape Benoît XVI concer­nant le nœud du pro­blème c’est-à-dire la fidé­li­té de ce concile au pas­sé de l’Eglise : « Dans le cas où, en tout ou en par­tie, cette conti­nui­té ne pour­rait être scien­ti­fi­que­ment prou­vée (car jusqu’ici elle n’a été que décla­mée), il serait néces­saire de le dire avec séré­ni­té et fran­chise, en réponse à l’exigence de clar­té atten­due depuis presque un demi-​siècle ». C’est au Pape qu’il s’adresse. En termes clairs on ne sait pas encore si « ce grand concile » Vatican II que les évêques ont pris pour bous­sole est vrai­ment fidèle à l’Eglise de tou­jours ou fidèle au Christ ou fidèle à Dieu. Quel aveu ! Il faut qu’un pape nous le dise mais le dise non en le pro­cla­mant dans un pathos tou­chant, cela a déjà été fait des cen­taines de fois et plus, mais en le démon­trant de façon argu­men­tée avec les ins­tru­ments rigou­reux de la théo­lo­gie tho­miste qui ne laisse aucune échappatoire.

Cette sup­plique sera-​t-​elle enten­due et sui­vie d’effets ? Nous le sou­hai­tons pour tous ceux qui n’ont pas la chance de faire l’expérience de la Tradition et qui gobent tran­quille­ment le poi­son moder­niste qu’on leur sert dans les paroisses et qui leur fait perdre gen­ti­ment la foi pour la rem­pla­cer par un sen­ti­ment reli­gieux vague et sans dogme. Autrement les bonnes idées cri­tiques de notre auteur res­te­ront lettre morte dans une biblio­thèque pour encore bien long­temps et les âmes se per­dront par la praxis moder­niste rava­geuse sans que les sou­bre­sauts d’intellectuels pers­pi­caces n’y changent rien.

En atten­dant, c’est tou­jours le chaos dans l’Eglise et au bout de 40 ans le débat du concile est, comme le titre du livre l’exprime très bien « à ouvrir ». Jusqu’ici il n’y a eu qu’une admi­ra­tion béate, un applau­dis­se­ment una­nime et incon­di­tion­nel dépour­vu d’esprit cri­tique sans que per­sonne com­prenne vrai­ment ce que ce concile a dit. Mais en pra­tique une seule chose par contre a été bien rete­nue et farou­che­ment appli­quée par tous les évêques du monde entier : ce concile auto­rise, favo­rise, exalte un ren­ver­se­ment dans tous les domaines (litur­gique, phi­lo­so­phique, théo­lo­gique et sur­tout pas­to­ral ) de tout ce qui s’est fait avant lui : d’où la sévé­ri­té extra­or­di­naire vis-​à-​vis du mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste et la condam­na­tion de Mgr Lefebvre, d’où le pul­lu­le­ment des aber­ra­tions dans l’Eglise qui conti­nuent d’ailleurs bon train et au plus haut niveaux.

Exemple récent d’aberration : sur invi­ta­tion de Mgr Vingt-​trois, arche­vêque de Paris, pré­sident de la confé­rence épis­co­pale de France, un rab­bin prê­che­ra à Notre Dame de Paris pour le carême 2010 ! Du jamais vu ! Mais c’est dans la logique des­truc­trice de Vatican II, d’ailleurs le thème de ce carême n’est-il pas « le concile Vatican II bous­sole pour notre temps » ? Un rab­bin au cas où cer­tain ne le savent pas c’est quelqu’un qui ne croit pas en Jésus-​Christ Fils de Dieu, c’est quelqu’un qui pense que Jésus est un impos­teur, c’est quelqu’un qui ne croit en rien aux sacre­ments de l’Eglise et à ses mys­tères (Trinité, Incarnation, Rédemption), c’est quelqu’un, sur­tout, qui prend comme cri­tère de juge­ment la Thora ; or, rappelez-​vous l’évangile : Pilate dit aux juifs qui lui amènent Jésus : « Jugez-​le selon votre loi » Jean 18–31 ; réponse des chefs reli­gieux « Nous avons une loi,(Thora) et d’après cette loi il doit mou­rir » Jean 19–7.

Un tel homme va ensei­gner du haut de la chaire comme un Lacordaire les pauvres bap­ti­sés qui vont boire ses paroles parce que Mgr Vingt-​Trois a déci­dé de mettre le paquet ( perçoit-​il que le vent tourne trop en faveur de la Tradition ?) pour appli­quer Vatican II.

Quels sont les évêques de France qui vont se dres­ser ou au moins récla­mer ou disons s’étonner de cette démarche de leur pré­sident ? Ne rêvons pas, même à Rome il n’y a plus l’énergie suf­fi­sante pour s’opposer à ce genre de scan­dale et la paix pour les infi­dèles, les héré­tiques et les héré­sies est sans doute assu­rée. Seuls les tenants de la Tradition ne peuvent appa­raître dans de telles cir­cons­tances comme fau­teurs de troubles parce que seuls ils sont logiques avec la foi de toujours.

Abbé Pierre Barrère

Extrait du Sainte-​Anne n° 216 de février 2010