Au matin de la nouvelle année liturgique 2010–2011, l’Eglise s’est réveillée casuiste. Un ouvrage, intitulé Lumière du monde, l’a comme immergée dans les ténèbres des plus profondes perversités : est-il plus moral, pour le prostitué gay, d’user du préservatif ou de n’en user pas ? Et qu’en serait-il s’il s’agissait non plus d’un, mais d’une prostituée ? Sidéré que de tels sujets – Il ne devrait même point en être question parmi vous, dit saint Paul – puissent être publiquement abordés sans pudeur aucune, je ne puis pour ma part que rapporter un épisode de l’Evangile, tout aussi curieux qu’instructif.
Un jour que deux avares se disputaient un héritage, l’un d’eux voulut prendre le Christ pour arbitre de leur cupidité. Il s’entendit aussitôt répondre : Qui m’a établi sur vous juge ou faiseurs de partages ? Et le Christ de dénoncer aussitôt et l’un et l’autre, ou plutôt l’avarice qui leur était commune : Ayez soin de vous garder de toute avarice (Lc 12,14). La leçon est claire. La Lumière issue de la Lumière, en son Incarnation rédemptrice, n’est pas venu partager entre ténèbres et ténèbres. Lumière du monde, le Christ entend tout au contraire pourchasser totalement les ténèbres, afin que chacun se comporte en fils de lumière : Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des enfants de lumière. Le fruit de la lumière consiste en tout ce qui est bon, juste, et vrai (Ep 5,8).
Point donc, dans le message du Christ, d’une supposée « morale de gradualité » qui consisterait en une sorte d’aménagement du péché censé le diminuer ; qui prendrait donc parti pour un péché sous prétexte qu’il serait moins péché qu’un autre. Selon une telle morale, on dirait par exemple d’un prostitué usant du préservatif qu’il serait en voie de « moralisation de son acte », « d’humanisation de sa sexualité », du fait qu’il ne communiquerait plus à son complice un éventuel virus. Au regard de la Lumière apportée par le Christ, de tels termes font hurler.
Comment parler d’une « humanisation de la sexualité » lorsqu’il s’agit de décrire un acte contre nature ? Comment parler de « moralisation » d’un acte qui, pour ne plus transmettre d’éventuels germes de mort physique et temporelle, n’en communique pas moins la mort spirituelle et éternelle, et ce d’autant plus infailliblement qu’il s’agit précisément d’un péché criant vengeance au Ciel ? Comment enfin oublier que le Christ, précisément, n’a jamais voulu prendre parti pour le péché même aménagé, mais qu’il a renvoyé dos-à-dos les deux pécheurs de tout à l’heure en dénonçant l’avarice qui les unissait ? Saint Paul ne faisait pas autre chose lorsqu’il nous invitait voici un instant à marcher en fils de lumière ; il enseignait tout aussitôt comment se comporter face aux œuvres de ténèbres : Condamnez-les (Ep 5,8).
En raison même de sa complaisance pour le péché, une telle « morale de gradualité » est d’ailleurs des plus cruelles pour le pécheur : elle se résigne à le laisser prisonnier de ses vices. Oublieuse que la Lumière du monde est capable de dissiper totalement même les plus épaisses ténèbres, elle est finalement des plus pessimistes. Elle réserve la véritable vertu au seul petit nombre, pour n’attendre de la multitude qu’une éthique en demi-teinte, faite d’un péché plus ou moins « humanisé ». Elle oublie simplement que, selon les paroles de l’Evangile, la nuit de Noël a laissé apparaître une lumière de salut pour tout le peuple (Lc 2,10), accomplissement selon saint Matthieu (Mt 4, 16) de la prophétie d’Isaïe : Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière ; et sur ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort, la lumière s’est levée (Is 8,23 ; Mt 4,16).
Abbé Patrick de La Rocque
Extrait de L’Hermine n° 29 de janvier 2011