Quand la boussole devient girouette

crédit photo : metmuseum.org

Du nou­veau rite de la messe à la néga­tion du sacrifice

Dans une tri­bune publiée par La Croix[1], le père Martin Pochon S.J. affirme déli­bé­ré­ment le contraire du Concile de Trente : Jésus « a offert son corps et son sang, non pas à Dieu, mais à ses dis­ciples, au nom de son Père », esti­mant que la doc­trine tri­den­tine ne fait pas droit au vrai sens évan­gé­lique de la Cène pas­cale, et que le rite de Paul VI a contri­bué à le retrouver. 

Rappelons ce que le concile de Trente affirme : « Si quel­qu’un dit que, dans la messe, n’est pas offert à Dieu un véri­table et authen­tique sacri­fice ou qu” « être offert » ne signi­fie pas autre chose que le fait que le Christ nous est don­né en nour­ri­ture : qu’il soit ana­thème[2]. » 

Jésus a annon­cé qu’il offrait sa vie lui-​même (Jn 10, 17–18), et à la Cène même il affirme que son sang est répan­du pour la rémis­sion des péchés (Mt 26, 28), allu­sion évi­dente aux sacri­fices san­glants de la loi de Moïse, cen­sés pro­cu­rer le par­don des fautes. Les épîtres de saint Paul expli­citent le carac­tère sacri­fi­ciel de cette acte : 

« le Christ notre Pâque a été immo­lé » (I cor 5, 7), 

Il « s’est livré pour nous, s’of­frant à Dieu en sacri­fice d’a­gréable odeur » (Eph 5, 2), et c’est en lui que « nous avons la rédemp­tion, la rémis­sion des péchés » (Col 1, 14).

L’épître aux Hébreux expli­cite com­ment ce sacri­fice vaut mieux que ceux de l’ancienne Loi de sorte qu’il est réel­le­ment effi­cace et n’a pas besoin d’être renou­ve­lé : Jésus « est capable de sau­ver de façon défi­ni­tive ceux qui par lui s’a­vancent vers Dieu, étant tou­jours vivant pour inter­cé­der en leur faveur. Oui, tel est pré­ci­sé­ment le grand prêtre qu’il nous fal­lait, saint, inno­cent, imma­cu­lé, sépa­ré désor­mais des pécheurs, éle­vé plus haut que les cieux, qui ne soit pas jour­nel­le­ment dans la néces­si­té, comme les grands prêtres, d’of­frir des vic­times d’a­bord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, car ceci il l’a fait une fois pour toutes en s’of­frant lui-​même. » (Heb 7, 26–27)

Dans les sacri­fices antiques, la man­du­ca­tion de la vic­time immo­lée par les offrants signi­fiait leur union d’intention au sacri­fice et la récep­tion des dons divins. Le Sauveur ins­ti­tue le sacre­ment de l’Eucharistie à la manière de ce repas sacri­fi­ciel qui nous per­met de nous unir à Lui après l’offrande du sacri­fice. En ce sens il y a un don fait aux fidèles, mais comme fruit du sacrifice.

Ce sacri­fice, le Père jésuite le nie. Comment expli­quer l’abandon expli­cite d’un dogme de foi clai­re­ment connu – il en donne la réfé­rence dans son article – au pro­fit d’une inter­pré­ta­tion détour­née de l’Évangile [3] ? Comment peut-​on s’expliquer la rela­ti­vi­sa­tion aus­si assu­mée d’une décla­ra­tion dog­ma­tique pro­non­cée par un Concile œcu­mé­nique[4] ?

On peut pro­po­ser l’explication sui­vante : la litur­gie a un sens, et elle forme les esprits. Or l’auteur de l’article affirme : « Quatre siècles plus tard [après le Concile de Trente], la réforme litur­gique qui a sui­vi le concile Vatican II a cher­ché à se rap­pro­cher du sens de la Cène, telle qu’elle nous est pré­sen­tée par les Évangiles et l’apôtre Paul dans sa pre­mière Lettre aux Corinthiens. La com­mis­sion char­gée de revoir le rituel per­ce­vait que l’affirmation tri­den­tine était infon­dée, car Jésus n’a jamais vou­lu dire par quelle auto­ri­té il par­lait et agis­sait, et sur­tout, il a offert son corps et son sang, non pas à Dieu, mais à ses dis­ciples, au nom de son Père. »

L’opinion publiée par La Croix, qu’il faut bien, si les mots ont encore un sens, qua­li­fier d’hérétique, est peut-​être bien un fruit direct du Concile et de la nou­velle liturgie.


Notes de bas de page
  1. Martin Pochon sj, « Comment réta­blir l’unité de l’Église si elle n’est pas fon­dée sur les Évangiles ?», La Croix, 24 octobre 2025, https://www.la-croix.com/a‑vif/comment-retablir-l-unite-ecclesiale-si-elle-nest-pas-fondee-sur-les-evangiles-20251024. L’auteur y résume son ouvrage L’Eucharistie, don ou sacri­fice ?, Vie chré­tienne, 2025.[]
  2. Concile de Trente, doc­trine et canons sur le sacri­fice de la messe, 17 sep­tembre 1562, canon 1. Cette for­mu­la­tion avec la menace d’anathème (excom­mu­ni­ca­tion) exprime clai­re­ment l’intention du Concile de défi­nir une véri­té de foi.[]
  3. A l’issue d’un long tra­vail, car l’auteur a publié un long ouvrage d’exégèse sur L’épître aux Hébreux au regard des Évangiles, Cerf, 2020.[]
  4. Et rap­pe­lé par Jean-​Paul II dans l’encyclique Ecclesia de Eucharistia en 2003.[]