La Porte Latine : Monsieur l’abbé, vous êtes depuis peu Supérieur du District d’Amérique latine. Comment s’est passé ce quasi « saut dans l’espace » ?
Abbé Bouchacourt : Permettez moi avant toutes choses de souhaiter à toute votre équipe de la Porte latine une bonne et sainte année ainsi qu’à tous les internautes qui liront ces lignes, que Dieu vous comble tous de ses grâces . Fasse le Ciel que 2004 soit une année bénie pour toute la Tradition dans l’Eglise catholique.
Cela ne fait que 5 mois que j’ai pris en charge ce district, succédant à Monsieur l’abbé Xavier Beauvais qui en a été 12 ans le supérieur et qui aujourd’hui me remplace comme curé à Saint-Nicolas-du ‑Chardonnet.
Ce district d’Amérique du Sud est immense puisqu’il s’étend sur 11 000 Km de long et 5 000 de large, de Ushuaia au Sud de l’Argentine, à la République Dominicaine au Nord, voilà pour la longueur ; et d’Est en Ouest de Recife au Brésil, à Quito en Equateur, voilà pour la largeur. Ici tout est inversé car nous sommes dans l’Hémisphère Sud ainsi pour avoir chaud il faut aller au Nord et pour avoir froid il faut allez au Sud. Alors que vous avez passé Noël aux tisons, nous nous l’avons passé au balcon par 32°C à l’ombre car nous sommes en plein été !
Je suis donc arrivé en septembre dernier, balbutiant l’espagnol et ignorant totalement, en bon français, où se trouvaient les contrées dont j’ai la charge aujourd’hui. Le Supérieur de district a pour mission, avant toutes choses de s’occuper des prêtres qui sont sous sa responsabilité en les visitant, et les encourageant. C’est pour cela que je voyage beaucoup. Je fais tout en avion tellement les distances sont immenses. J’aime à dire que je suis le curé de mes prêtres et je m’efforce de les assister avec la même attention que je le faisais hier avec mes paroissiens de saint Nicolas du Chardonnet ou de Saint-étienne.
La Porte Latine : Où la Fraternité est-elle installée sur cet immense demi continent ?
Abbé Bouchacourt : Aujourd’hui, la FSSPX a ouvert de nombreux prieurés : 5 en Argentine ( Buenos-Aires, Martinez, Cordoba, Salta et Mendoza). 1 au Brésil à Santa Maria , 2 au Chili à Santiago et Viña-del-Mar situé près d’une ville bien connue par les français en raison d’un chant marin : Valparaiso. 2 en Colombie à Bogota et Bucaramanga et enfin, une mission au nord de Saint-Domingue en République Dominicaine. Ce qui fait 11 prieurés.
Mais en plus de ces pays les prêtres vont régulièrement célébrer la messe au Paraguay, au Pérou et en Uruguay. Il faut ajouter à cela de nombreuses petites chapelles que nos prêtres desservent à intervalles réguliers. Nous sommes ainsi 30 Prêtres, dont 5 français, et un frère dans le District auxquels il faut ajouter 5 prêtres au séminaire, 1 frère et son illustre directeur, Mgr Williamson. Voilà chers amis une description fort sommaire de notre apostolat.
La Porte Latine : Comment s’est passé cette imprégnation de la Tradition et depuis quand ?
Abbé Bouchacourt : l’aventure de ce district a commencé quand en juillet 1977, Mgr Lefebvre vint à Buenos-Aires à la demande de fidèles meurtris par les réformes conciliaires. C’est monsieur l’abbé Faure qui fut le premier Supérieur de District et le pionnier des prêtres de la FSSPX dans cette région. Il y organisa l’apostolat et fit les principales fondations. Lui succéda ensuite Monsieur l’abbé de Galarreta qui reçu la consécration épiscopale en 1988 et Monsieur l’abbé Beauvais. Ce dernier donna un grand élan à l’extension du District puisque pendant ses deux mandats pas moins de 15 églises furent construites. Il disait lui-même avoir « la maladie de la pierre » !
Il faut dire que notre implantation doit beaucoup à des prêtres argentins qui ont résisté avec vaillance à la déferlante conciliaire. Je citerai les Pères Castellani , Jules Meinvielle, Sanchez Abelenda et deux prêtres français le Père Hervé Le Lay et le Père Curtet . A ceux-là, il faut ajouter la résistance de toute une élite intellectuelle laïque comme a Buenos-Aires, Mendoza, Salta et Cordoba mais aussi à Santiago du Chili et Bogota en Colombie. Ainsi autour de ces intellectuels remarquablement formés se sont regroupés des fidèles qui firent appel aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X. Cet exemple est important à souligner. La résistance n’a pas été affective mais fondée sur les principes intangibles de la Tradition que le Concile Vatican II mettait en péril. Beaucoup de ces personnes avaient suivi les retraites de saint Ignace prêchées par les prêtres du Père Vallet.
Le séminaire fut quant à lui fondé en mars 1979 à Buenos-Aires et déménagé en avril 1981 en plein « pampa » à la Reja où il est aujourd’hui. Voilà pour l’histoire.
La Porte Latine : Vous parlez de résistance, ce qui signifie que vous auriez eu fort à faire face aux évêques des différents pays ?
Abbé Bouchacourt : vous voulez parler de nos relations avec les évêques des différents pays ? Elles sont malheureusement quasi inexistantes. Hormis Monseigneur de Castro Mayer à Campos, au Brésil, tous les évêques qui soutinrent Mgr Lefebvre pendant le Concile, appliquèrent les réformes. C’est une grande tristesse pour nous de voir toute cette population si religieuse subir et obéir à une hiérarchie qui imposa les reformes avec un grand autoritarisme tout en gardant certains aspects extérieurs traditionnels ; la population est simple et craint encore beaucoup les foudres des évêques.
Mais croyez le bien, l’Eglise d’Amérique du Sud vit avec trente ans de retard sur la France les affres de la révolution conciliaire. Il y a encore des vocations mais terriblement mal formées pour ne pas dire déformées tandis que les sectes, financées en grandes parties par les Etats-Unis, prolifèrent de façon tout à fait effrayante. La pratique religieuse est en chute libre. Ce qui sauvera ce continent c’est sa dévotion envers Notre-Dam- de-Guadalupe et Notre-Dame- de-Lujan. Ainsi voit-on souvent encore des gens demander la bénédiction à un prêtre dans les rues et les aéroports. Même les mendiants s’y mettent ; il y a quelques jours l’un d’entre eux demanda l’aumône à l’un de mes confrères lui disant : « donnez moi une offrande et je vous confesserai tous mes péchés ». Le prêtre s’exécuta et notre homme commença à se confesser à haute voix sans complexe devant tout le monde tandis que mon pauvre confrère le suppliait de se taire !!! Et il n’était pas saoul ! Allez trouver cela à Paris…
Ainsi avec le clergé local nous avons peu de contacts et je le déplore. Cependant quelques uns viennent nous trouver pour se renseigner sur nos positions et sur la manière de célébrer la messe de saint Pie V. Il faut savoir qu’en Amérique du Sud, les liens d’amitiés sont très forts, beaucoup plus que chez nous, et les catholiques craignent de perdre tous leurs amis en faisant le pas vers nous. Ainsi, il faut dire qu’ici l’apostolat est difficile et pourtant..
La Porte Latine : Oui, pourtant, en Europe, nous entendons parler du continent sud-américain comme d’un espoir pour le « vieux contient » ?
Abbé Bouchacourt : En effet, il y a beaucoup d’espoir. Dans certaines de nos églises on rencontre énormément d’enfants qui représentent la relève de demain. Ce qu’il nous faut développer aujourd’hui, ce sont les écoles. Nous en avons 4. Une à la Reja à côté du séminaire, dirigée par un prêtre français l’abbé Pierre Duverger, une à Viña-del-Mar au Chili, une à Bogota en Colombie et une dans notre belle mission de République Dominicaine Elles constituent aujourd’hui mon souci principal car la population ici est très pauvre, surtout depuis le terrible crack financier qui est survenu il y a trois ans. Beaucoup de parents ne parviennent pas à payer les scolarités, pourtant très basses, ou n’inscrivent pas leurs enfants pour cette raison. Je vois arriver les fins de mois avec crainte et tremblement car il me faut trouver les fonds pour régler les salaires des professeurs et employés. C’est, je vous le redis ma principale préoccupation. Car les vocations viendront de là. C’est dans ces écoles que les enfants formeront leur volonté si chancelante et leur intelligence. L’Amérique du Sud est indolente et cela pose un obstacle terrible à l’éclosion des vocations. C’est encore dans les écoles que l’on formera les vocations religieuses et sacerdotales qui font tant défaut ici et que se lèvera l’élite intellectuelle de demain. J’ai le projet d’ouvrir, s’il plaît à Dieu 2 écoles dans les deux ans à venir. Je confie cela à vos prières.
Un autre souci aujourd’hui qui me tient à cour, c’est l’installation matérielle des prêtres. Je voudrais pouvoir construire pour eux des logements où ils puissent vivre en communauté, se reposer et desservir sans faire trop de route les différents lieux de culte. Dans certains endroits ce n’est pas le superflu qui manque mais le simple nécessaire. Ainsi il faudrait démolir et reconstruire le presbytère insalubre de Santiago-du- Chili, construire une maison pour les prêtres de Salta et déménager et aménager la maison du supérieur du district afin de pouvoir recevoir les prêtres, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd’hui. Humainement parlant tout cela est impossible mais grâce à Dieu la Providence veille et sans l’aide de la Maison Généralice, de l’Europe et de la France en particulier nous ne pourrions pas vivre. Je crois pouvoir dire que nous sommes le district le plus pauvre de la FSSPX mais jamais je n’ai entendu la moindre plainte de mes prêtres. Cela je vous l’assure fut un grand sujet d’édification en arrivant.
La Porte Latine : Avez-vous la chance, comme nous en Europe, d’avoir des communautés amies qui ont choisi le bon combat ?
Abbé Bouchacourt : Dieu merci, la Fraternité Saint-Pie X n’est pas seule à mener le bon combat de la Tradition. Dès 1986 les religieuses de la FSSPX vinrent s’établir en Argentine, à Pilar pour ouvrir un Noviciat. Elles s’installèrent ensuite à la Reja où elles offrent une aide précieuse au séminaire et à l’école. Nous avons aussi au Sud du Brésil le monastère bénédictin de Santa-Cruz dont le Prieur est le père Thomas d’Aquin qui resta fidèle au combat de la Tradition après la défection du monastère du Barroux qui l’avait fondé. C’est de ce monastère du Brésil que quelques moines quittèrent pour fonder en France le monastère bénédictin de Bellaigues. Dans ce même pays nous voyons se rapprocher de nous plusieurs communautés religieuses fidèles à la messe traditionnelle, persécutées par leur évêque. Mgr Tissier de Mallerais les a visitées au mois de décembre 2003 avec nos confrères du Brésil. Il y a 4 ans ce sont les dominicaines de Brignoles qui arrivèrent pour fonder une école toute proche de Cordoba. Je suis extrêmement heureux des liens étroits et fraternels qui existent entre toutes ces communautés.
La Porte Latine : Cher abbé Bouchacourt, nous ne pouvons faire l’impasse sur notre « ex-partenaire » de Campos !
Abbé Bouchacourt : Campos ? Oui, je crois deviner votre désir de connaître l’évolution de cette communauté dont les prêtres furent nos frères d’armes. Comme vous le remarquez vous-même, je parle de cette collaboration au passé car elle n’existe plus. Depuis le sacre de Mgr Rifan la Fraternité du Curé- d’Ars a commencé à abandonner le combat. Nos confrères du Brésil ressentent très durement cet abandon d’autant que Mgr Rifan interdit à ses fidèles de fréquenter nos prieurés.
Dans un document récent, Mgr Rifan disait que non seulement la nouvelle messe est valide, ce que nous disons nous- même dans certain cas, mais aussi licite et donc bonne !!! S’il n’y a pas de lieu de messe traditionnelle il incite les fidèles à assister à la nouvelle. Mgr Rifan n’a t‑il pas communié à l’occasion de la messe d’enterrement de l’ancien évêque de Campos ? C’était une messe célébrée dans le nouveau rite. Dans un document récent il demande à ses prêtres de ne plus faire de critiques publiques du Novus Ordo Missae parce que cela manifesterait un esprit schismatique ! Aujourd’hui par ses paroles et ses attitudes, Mgr Rifan condamne l’abbé Rifan d’hier. Je pourrais donner de nombreux exemples montrant ce glissement si malheureux. Mais ces changements ne plaisent pas à tout le monde et nous devrions voir la situation évoluée dans les semaines et les mois à venir. Quelle tristesse et quel gâchis ! Grâce à Dieu, ces événements n’ont nullement détournés nos fidèles du bon combat de la Tradition.
La Porte Latine : Dommage pour Campos, mais la résistance continue et vous devez avoir d’autres motifs d’espérance.
Abbé Bouchacourt : c’est exact. Nous avons d’autres motifs d’espérance : comme au Paraguay ou le cacique d’un village vint remettre à l’un de nos prêtres le soin spirituel de toute sa tribu. Tout cela avait été préparé par deux français bien établis dans la région. Ainsi plus de trente baptêmes furent administrés en un seul jour après une préparation sérieuse.
Ou comme en Argentine. Depuis quelques mois, dans ce pays, se prépare une campagne souterraine pour légaliser l’avortement. L’an dernier, l’association du 25 Mars présidée par trois prêtres de la FSSPX est parvenue à faire retirer de la vente la pilule abortive à la suite d’un procès que mena une femme juge fort courageuse. Une haine terrible s’en suivit ; le procès continue aujourd’hui pour revenir sur le jugement. Un seul évêque sur les 95 que compte le pays a salué cette décision ! Mais aucun n’accepta de soutenir l’association.
Et, enfin, pour vous montrer que la Providence veille sur nous je vous conterai l’histoire de la construction de notre église de Mendoza. Il se trouve que notre prieuré se situait sur le terrain que voulait acquérir une chaîne de grand magasin JUMBO : le prieuré fut exproprié mais obtint qu’il fut reconstruit au frais de JUMBO qui s’en acquitta après avoir offert le terrain et qui construisit aussi gratuitement une immense église. C’est aujourd’hui la plus vaste et la plus belle du district !!! Il y aurait encore tant de choses à dire, sur notre mission en République Dominicaine par exemple qui regroupe 800 fidèles mais je ne veux pas vous lasser cher lecteur, je vous raconterai cela une prochaine fois.
La Porte Latine : Tout à la joie de ces nouvelles encourageantes, il ne faudrait pas que nos lecteurs ne sachent pas comment vous aider..
Abbé Bouchacourt : Comment nous aider ? Tout d’abord, faites nous l’aumône de vos prières, cela est possible à chacun. Priez pour nous, pour les prêtres pour les fidèles d’Amérique du Sud pour nos écoles et pour les vocations qui nous font si cruellement défaut. Et, si vous le pouvez, aidez-nous financièrement en envoyant vos dons au secrétariat que nous avons en France et qui est tenu par ma sœur.
Il ne me reste plus qu’à vous assurer de toute ma gratitude. Nous les catholiques nous avons un moyen de communication infaillible et efficace qui s’appelle « la communion des saints ». A la messe soyez assurés que souvent nos intentions se portent vers nos bienfaiteurs. Que Dios les bendiga ! Que Dieu vous bénisse tous, vous, internautes et tout particulièrement l’équipe de la Porte latine.
Padre Christian Bouchacourt +