Par l’abbé Renaud de La Motte
13 janvier 2005
Les faits rapportés par l’abbé Renaud de la Motte
Le prieuré Saint-Jean-Eudes de Gavrus rayonne dans toute la Basse-Normandie pour son ministère au sein de quatre diocèses : messes, baptêmes, mariages, funérailles, cercles de prière et de formation… Depuis quelques années, dans l’exercice de cet apostolat, les abbés tentent d’entretenir de bonnes relations avec le clergé local, qui, nous connaissant de mieux en mieux, perd ses préventions vis-à-vis de la Fraternité Saint-Pie X.
Dans ce contexte favorable, le curé de Gavrus accepte de nous prêter l’église du village le 6 janvier, pour la célébration, le jour de l’Epiphanie, d’une messe du quatrième prêtre du prieuré, récemment ordonné. Les clefs de l’église sont remises au prieur par le curé.
Les jours précédents la cérémonie, des fidèles s’activent pour nettoyer l’église et la parer. Le jour venu, alors que plus de deux cents fidèles remplissent l’église, tout étant prêt pour la cérémonie, les ministres commençants à revêtir leurs ornements liturgiques, le prieur est vivement pris à partie par des membres du Conseil municipal. Le maire de Gavrus arrive, lui aussi, au porche de l’église et intime l’ordre de quitter les lieux dans la demi-heure pour la raison suivante : ne pas avoir été averti.
L’abbé de La motte lui signifie aussitôt que c’est le curé qui lui a prêté l’église et que la cérémonie doit commencer sur-le-champ. Peine perdue, le maire courroucé persiste et avertit les gendarmes.
Alors que les fidèles chantent et récitent le chapelet, et que l’abbé Gaud a commencé la cérémonie par les premières bénédictions, un membre du Conseil municipal pénètre dans le chœur en chevauchant la table de communion, touchant sans respect les objets du culte et troublant les prières ostensiblement.
Une vive discussion s’en suit avec le maire. Devant l’impossibilité de faire valoir son droit et surtout sa bonne foi, Monsieur l’abbé de La Motte décide, pour éviter tout trouble et dans un souci d’apaisement, de quitter l’église, ce qui est effectué sans heurts.
La gendarmerie constate la fermeture de l’église. Le maire fait valoir son autorité pour réclamer les clefs du curé, mais le prieur refuse et les donne au gendarme qui les accepte.
Pendant ce temps, les fidèles –soudés par les difficultés !- s’activent avec entrain pour aménager la salle du prieuré pour la messe qui commence avec une heure et demi de retard. Après la messe, nous partageons la galette des rois et le bon cidre normand. Il va sans dire que les langues se délient dans une bonne ambiance.
Une messe autorisée par le curé ne pouvait être empêchée par un maire, hors trouble à l’ordre public ou péril imminent :
– le curé désigné par l’évêque est seul affectataire de l’église et ses prérogatives, sur l’édifice cultuel, sont exclusives : usage du lieu de culte, organisation des cérémonies (loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public du culte et Accords de 1923).
– La réunion pour la célébration d’un culte tenue dans une église affectée est dispensée d’autorisation préalable (art. 25 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation de l’Eglise et de l’Etat).
– Le curé est seul détenteur des clés de l’église, le maire n’a pas le droit à ces clés en qualité d’administrateur du patrimoine communal. Le maire n’a droit qu’à une clé, celle du clocher (art. 51 et 52 du décret du 16 mars 1906, pris en exécution de la loi de 1905) pour n’en faire usage que :
1) pour les sonneries civiles (péril commun…)
2) pour l’entretien de l’horloge publique.
Les autorités compétentes auront à se prononcer sur ces faits.
Renaud de la Motte †
Prieur
Les faits rapportés par la journal Ouest-France », des samedi-dimanche 8–9 Janvier 2005
Le curé avait donné les clés, le maire appelle les gendarmes
220 traditionalistes évacués d’une église
« Incident, jeudi soir, en la petite église paroissiale de Gavrus, près d’Evrecy dans le Calvados. Alors qu’allait débuter une messe traditionaliste de la Fraternité Saint Pie X, qui a un prieuré-école dans le village, le maire a fait évacuer les quelques 200 personnes de l’assemblée. Sans heurts. Mais cela pose le problème de l’utilisation des lieux de cultes. »
rès peu utilisée par le culte catholique « classique », l’église de Gavrus était exceptionnellement pleine, jeudi vers 19 heures, de fidèles de la Fraternité St Pie X – « traditionalistes », comme ils se nomment ; « intégristes », comme d’autres les qualifient – certains venus de la Manche ou de l’Orne, voire de la région parisienne.
Bien implantée au vaste prieuré de Gavrus où elle a basé quatre prêtres et une école de garçons cette Fraternité y a aussi aménagé une petite chapelle. Mais là, elle organisait « une messe solennelle pour un prêtre nouvellement ordonné et la fête paroissiale pour l’Epiphanie ». Pour l’occasion, elle avait obtenu du prêtre desservant la commune les clés de l’église.
Les fidèles étaient environ 200 et les prémices à l’office avaient débuté lorsque sont survenus le maire et une poignée de personnes de son entourage, ainsi que quelques gendarmes. « Je leur ai demandé d’évacuer. Ce qu’ils ont fait, sans heurts c’est vrai, mais non sans quolibets à mon égard », dit le maire Philippe Bouchard, qui admet par ailleurs ne pas partager les idées de la Fraternité, même si ses relations avec elle étaient jusqu’ici correctes sinon amicales.
Un prêtre peut-il prêter « son « église ?
Nous avons quitté les lieux calmement, par souci d’apaisement, commente pour sa part l’abbé Gaud, un des prêtres du Prieuré St Pie X ; l’excitation était du côté du maire et de son entourage qui s’est rué dans l’église, arrachant le micro, alors que des bénédictions étaient en cours ».
Ce prêtre estime que « le curé avait normalement le droit de disposer de l’église comme il le souhaite. Pour nous, le maire a outrepassé la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 ». La position du maire est inverse : « l’église est un bâtiment communal, qui a déjà son locataire (à titre gracieux), l’église conventionnelle, celle du diocèse. Je ne pense pas que son prêtre puisse à son tour « louer » l’église à qui il veut. D’ailleurs tant l’adjoint de l’évêque que la préfecture m’ont dit que j’ai fait ce qu’il fallait faire ».
La préfecture en effet rappelle d’une part que les églises sont des bâtiments communaux et indique d’autre part que « pour leur utilisation le prêtre local est soumis à l’accord de l’évêché ». En l’absence de trouble à l’ordre public, il n’y aura pas de suites judiciaires à cet incident. En revanche, c’est un cas d’école sur lequel ne manqueront pas de se pencher le ministère de l’Intérieur (ministère des cultes) et la hiérarchie catholique. Surtout au moment où le centenaire de la loi de 1905 est remise en débats par certains.
Didier Marie, journaliste à « Ouest-France »