Si les évêques de France actuels s’étaient retrouvés à la place de saint Pierre, qui fut arrêté sur ordre d’Hérode, enchaîné, sous haute surveillance[1], l’apparition de l’Ange les aurait, pour la plupart, bien ennuyés. En effet, à voir leur diligence à se soumettre aux lois de la république, ils auraient sans doute refusé de suivre l’Ange qui les libérait de leurs chaînes, en lui disant qu’ils ne pouvaient pas décemment désobéir aux ordres d’Hérode sans manquer à leur devoir envers la société civile.
Sans doute exagérons-nous quelque peu, mais il est étonnant de voir à quel point les évêques de France (et d’autres pays sûrement) obéissent, quand ils ne devancent pas les désidérata de nos gouvernants civils. Serait-ce le syndrome de Stockholm[2] qui les aurait atteints ? Ou bien plutôt une méconnaissance profonde de ce qu’est l’Eglise catholique et des rapports qu’Elle doit entretenir avec les pouvoirs civils ? Ces évêques ont sans doute oublié qu’Elle est l’épouse de Notre-Seigneur, « qu’Il l’a aimée et donné sa vie pour elle afin de la purifier, de la sanctifier et de se préparer à lui-même une Eglise glorieuse, sans tâche, ni ride, ni rien de semblable mais qui soit sainte et immaculée » (Eph. 5, 25–27). Par leur attitude, née sans doute de cette volonté exprimée au concile Vatican II de se réconcilier avec l’esprit de la révolution française[3], ils réduisent l’Eglise en esclavage, la soumettant de façon abusive au pouvoir civil.
Le mal du pharisaïsme
N’y aurait-il pas aussi à la racine de cette attitude bien souvent scandaleuse, et qui a d’ailleurs amené plusieurs âmes à rejoindre les chapelles de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, une cause encore plus profonde qu’une erreur théologique ? Cela est fort possible. Au temps de Notre-Seigneur déjà, les scribes, pharisiens et princes des prêtres étaient atteints d’un mal suffisamment grand pour ne pas reconnaître en Jésus-Christ le Messie, pourtant tant attendu depuis plusieurs siècles. Ce mal fut celui du pharisaïsme justement, cet attachement exagéré à la lettre de la loi, qui fut une concrétisation, à une époque donnée, d’un légalisme abusif qui lui, existe à toute époque. Le R.P. Ceslas Spicq O.P.[4] écrivait : « On a défini le légalisme, un type de religion dans laquelle le motif dominant est la conscience que la divinité a prescrit quelque chose qui doit être fait, et dans laquelle la satisfaction ressentie est celle de s’être mis en règle avec le précepte divin, plus que la joie inhérente à la nature de tout acte bon. Le péché n’est plus tant offense à Dieu et refus de sa souveraineté qu’une infraction, un manquement et une transgression, la violation d’un précepte. »[5]. Notre-Seigneur condamnera à plusieurs reprises cette attitude, en particulier quand il rappellera que « le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27).
Légalisme et crise de l’Eglise
Mgr Lefebvre lui aussi mit en garde contre ce défaut, lorsqu’il évoqua en 1983, dans une conférence aux séminaristes d’Ecône, l’éventualité d’une consécration épiscopale :
« Je voudrais bien pouvoir éventuellement vous donner un aperçu de ce qui me semble permettre d’envisager une chose comme cela. Je ne dis pas, encore une fois, que c’est une chose qui va se faire, je n’en sais rien. Le Bon Dieu le sait, c’est lui qui commande les événements. Mais pour vous aider à comprendre qu’évidemment il n’est pas question, pour moi, de faire quelque chose qui soit contraire à la volonté de Dieu, contraire aux lois de l’Eglise. Vous me direz : « Mais les lois de l’Eglise, il y en a en effet qui vont contre une telle éventualité ». C’est là justement qu’il faut savoir ne pas tomber dans un légalisme étroit et mesquin. […] Quand, dans certaines circonstances, on ne peut pas appliquer les lois particulières, alors c’est la loi générale qui intervient : c’est le salut des âmes, la nécessité de sauver les âmes[6]. […] Alors il s’agit de savoir tout simplement si, oui ou non, on est dans des circonstances extraordinaires ou on n’est pas dans des circonstances extraordinaires. Je pense que vous pouvez répondre aussi bien que moi. Alors il ne faut pas nous laisser dominer par cette impression que tout est normal à Rome et par conséquent, si un Droit Canon nous est donné, donc tout est normal, il faut l’accepter ; s’il y a un missel approuvé par Rome, nous devons l’accepter ; si une Bible vient de Rome et est vendue aux Editions du Vatican, il faut l’accepter, c’est-à-dire il faut accepter la liturgie nouvelle, il faut accepter la Bible œcuménique, la fameuse TOB, accepter aussi le nouveau Droit Canon, il faut tout accepter, parce que ça vient de Rome, parce que ça vient du pape… Mais enfin, réfléchissons un peu quand même, ayons un peu les yeux ouverts ! Ne nous laissons pas prendre dans une espèce de légalisme comme cela, qui nous ferait faire des choses que nous ne voulons pas faire, et que nous ne pouvons pas accepter, et qui nous ferait petit à petit perdre aussi la vraie foi catholique. »
Mgr Lefebvre, Conférence spirituelle à Ecône, 16 décembre 1983
Ni légalistes, ni révolutionnaires
Cependant, cette mise en garde contre un légalisme excessif ne doit pas faire de nous des contempteurs de toute loi ou règle. Ce serait tomber d’un excès dans un autre. Être « hors-la-loi » n’est pas forcément un gage de vérité et de bonté. Loin s’en faut ! Il peut même arriver que l’on soit obligé de subir une loi injuste, du moment qu’elle n’oblige pas à poser un acte positif contraire à la loi naturelle ou à la loi divine. Notre-Seigneur n’était pas un révolutionnaire, n’en déplaise aux théologiens de la théologie de la libération ! Mgr Lefebvre non plus. D’ailleurs l’anniversaire que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X fête cette année 2020 nous rappelle combien Mgr Lefebvre était attaché à une certaine légalité. Il a toujours tenu à rappeler que le séminaire d’Ecône n’était pas un « séminaire sauvage », expression parue dans les journaux français en 1973. Il tenait absolument à rappeler aussi que la Fraternité Sacerdotale était une œuvre d’Eglise, approuvée en bonne et due forme lors de sa création en 1970 : « Notre chère Fraternité ayant reçu de l’Eglise ses titres de noblesse, participe donc à l’autorité légitime de l’Eglise. Les attaques qu’elle a subies illégalement et injustement ne l’ont pas supprimée, pas plus que la sainte Messe de toujours, ni le catéchisme de toujours. Elle continue donc à faire œuvre d’Eglise, fidèle à la reconnaissance qu’elle a eue de l’Eglise et fidèle à l’esprit de ses Statuts loués par la Congrégation du Clergé, en attendant que l’injustice disparaisse[7]. »
Que l’Eglise soit délivrée de l’esprit d’asservissement aux sociétés civiles
Pour nous, alors que l’Eglise se trouve à l’image de saint Pierre, comme liée, emprisonnée, sous haute surveillance, prions pour qu’elle soit délivrée de cet esclavage où l’ont mis beaucoup de ses princes et chefs. C’est la prière de l’Eglise qui suscita la venue de l’Ange libérateur quand saint Pierre fut arrêté par ordre d’Hérode pour être mis à mort. Il n’en sera pas autrement aujourd’hui. Mais cette intervention angélique arriva dans la dernière extrémité, quand humainement tout semblait perdu, la nuit précédant l’exécution du prince des apôtres. Sans doute que Dieu n’interviendra pas autrement pour libérer l’Eglise de l’esprit libéral, œcuménique et d’asservissement aux sociétés civiles.
Source : Le Saint Anne, n°325
- cf. l’épitre de la Messe des Saints Apôtres Pierre et Paul ; Actes 12, 1–11[↩]
- Le syndrome de Stockholm fut constaté lors d’une prise d’otages dans une banque de cette ville en 1973. Les victimes finirent par prendre curieusement la défense du preneur d’otages, développant sympathie et estime pour lui tout en se méfiant des forces de l’ordre.[↩]
- Cardinal Ratzinger, Mensuel Jésus, novembre 1984, p. 72 : « Le problème des années soixante était d’acquérir les meilleures valeurs exprimées de deux siècles de culture “libérale”. Ce sont des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l’Église, peuvent trouver leur place – épurées et corrigées – dans sa vision du monde. C’est ce qui a été fait. » ; Cardinal Ratzinger, Principes de théologie catholique, 1982, p 381 : « Gaudium et Spes est […] une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus. […] Ce texte joue le rôle d’un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789. »[↩]
- Professeur d’exégèse à Fribourg, professeur à Ecône au début du séminaire[↩]
- R.P. Spicq, Théologie morale du Nouveau Testament, 1970, tome I, page 22[↩]
- Expression traditionnelle rappelée dans le droit canon de 1983, can. 1752 : « le salut des âmes doit toujours être dans l’Eglise la loi suprême »[↩]
- Mgr Lefebvre, 16 février 1980[↩]