Comme en toute époque de graves crises, certains se demandent si ce n’est pas la fin du monde ou, à tout le moins, les prémisses de la fin du monde qui se déroulent sous nos yeux. En fait, l’humanité a déjà connu des crises effroyables, des épidémies ou des guerres qui ont ravagées des régions, voire des contrées entières.
L’épidémie actuelle n’est pas la première que l’homme ait à supporter. Et elle ne sera pas la dernière, d’autant qu’elle pourrait très bien devenir la première d’une série de « nouvelles » maladies.
Aussi, ce n’est surement pas la fin du monde. Mais peut-être est-ce la fin d’UN monde… ?
Saint Jérôme s’exprimait ainsi au milieu des convulsions de l’empire romain expirant sous le coup des assauts des barbares : « C’est par le fait de nos péchés que les barbares sont forts. C’est nous qui, par nos vices, leur avons préparé la victoire sur le peuple le plus brave de l’univers. Malheureux que nous sommes, de nous être rendus si insupportables à Dieu, qu’il se sert aujourd’hui de la rage des barbares pour appesantir sur nous sa colère. Puisse le Seigneur Jésus chasser loin de nous ces bêtes féroces ! Mais comment l’espérer, puisque tant de calamités déjà commencées n’ont pu réduire notre orgueil et notre impiété ? L’empire romain s’écroule avec fracas, et, au milieu de ces ruines, nous tenons encore la tête levée, sans vouloir la courber. Pleins d’horreur pour le mal qui nous menace, nous avons encore plus d’horreur, s’il est possible, pour le remède ; et parce que nous ne consentons pas à supprimer la cause de la maladie, la maladie est incurable. Que dirons-nous donc de cet état désespéré d’une société, laquelle, après avoir épuisé tous les autres moyens de salut, réduite à la nécessité de se convertir à Dieu si elle veut vivre, déclare fièrement qu’elle meurt et ne se convertit pas ? » C’est à peu près ainsi que s’exprimait saint Jérôme nous dit le cardinal Pie [1].
Nous pourrions trouver quelques similitudes entre le déferlement des barbares décrit par saint Jérôme et les fléaux des guerres et épidémies que notre monde a connus depuis cent ans ; cette épidémie du coronavirus étant, pour l’instant, le dernier arrivé.
Comme le rappelait le cardinal Pie quelques années après la citation précédente :
« d’où pensez-vous que viennent tant de calamités qui semblent, en ces années désastreuses, s’être concertées pour altérer toutes les substances nécessaires à la vie de l’homme ? Des savants cherchent l’explication de ces tristes phénomènes dans une perturbation insolite des éléments ; mais cette perturbation elle-même, d’où procède-t-elle ? Ils inventent, pour les désigner, des mots plus ou moins étrangers à notre langue ; mais est-ce donc guérir une maladie que de lui donner un nom ? Ils prodiguent les recettes et les formules ; mais la multitude même des remèdes qu’ils indiquent trahit leur impuissance. Et pendant que la science disserte sur les causes secondes, le mal suit son cours. […] Ô homme ! poursuis, si tu veux, tes investigations et tes calculs ; analyse la pourriture dont la terre paie tes sueurs et ton travail ; interroge tes creusets et les objectifs de tes instruments ; mais sache que Celui qui a fait les êtres, ou, comme le dit le catéchisme, Celui qui a créé le monde, est aussi Celui qui le gouverne, et qui seul peut guérir ses créatures malades, parce qu’elles ne le sont que par sa permission ou par son ordre. […] Le vrai mal, le voilà : notre mépris de la divinité, notre orgueilleuse complaisance pour nous-mêmes, notre insatiable cupidité, voilà le principe des calamités que nous endurons ».
Card. Pie – Instruction sur l’aumône – Carême 1854
Le constat de ce grand prélat de l’Eglise de France du 19e siècle rejoint ce que Dieu, à travers son prophète Jérémie, enseignait au sujet des causes de la punition de Sodome. En effet, cette ville n’était pas tombée du jour au lendemain dans ces vices qui sont si glorifiés de nos jours, et qui furent la cause de sa destruction. Non, « voici quel fut le crime Sodome, nous dit le prophète Jérémie : l’orgueil, l’abondance de nourriture et l’insouciant repos était sa part. » [2].
Il est fort possible que nous assistions aux soubresauts d’une société condamnée à mourir, parce qu’elle refuse le médecin et son remède ; une société elle aussi basée sur l’orgueil, l’abondance des biens (la société de consommation), et l’insouciant repos, conduisant à l’immoralité la plus effrénée. Oui, c’est sans doute la fin d’un monde. Ce monde, nous y vivons et nous sommes évidemment atteint par les calamités et fléaux qui l’atteignent. Nous pouvons et devons demander à Dieu d’en être délivré. Cependant, pour nous aider à garder Foi, Espérance et Charité dans la situation actuelle et devant l’apparent silence de Dieu, une autre période de notre histoire pourrait être d’une grande leçon.
Aux 14e et 15e siècles, l’Europe fut dans la tourmente, le royaume de France tout particulièrement. Trois fléaux, et non des moindres, firent des ravages en Occident :
- la guerre de cent ans qui dura de 1337 à 1453 et qui ravagea le royaume de France, apportant avec elle, crimes, famines, vols, etc.
- la peste noire, qui se superposa à cette guerre de cent ans et eut son point culminant entre les années 1347 et 1350. Elle se réveilla tous les dix ans environ, pendant un demi-siècle. Un tiers de la population succomba, et jusqu’à 50 voire 70 % dans les villes.
- enfin le grand schisme d’Occident, qui ravagea tout particulièrement l’Eglise, mais atteignit aussi les rois et les princes. Il dura de 1378 à 1417.
Il y eut comme deux types de réactions diamétralement opposées chez ceux que la maladie ou la guerre épargnaient : les uns, profitant de la vie qu’ils avaient conservée, se plongeaient encore plus avant dans les plaisirs et les vices : « mangeons, buvons car demain nous mourrons » (1 Cor. 15, 32) ; et ce faisant, ils appesantissaient par leur impénitence, le bras de Dieu. Les autres, comprenant la leçon de ces calamités [3], réagissaient en suppliant le bon Dieu d’en être délivrés. Dieu se laissa toucher par ces derniers, suscitant particulièrement sainte Jeanne d’Arc, parce qu’il y avait « grande pitié dans le Royaume de France ».
Il y a grand risque que nos contemporains, une fois l’épidémie terminée, endurcissent leur cœur, à l’image du pharaon au temps de Moïse ; et replongent avec encore plus de force dans le péché et dans l’oubli de Dieu.
Pour nous, redoublons de prières et d’esprit de pénitence pour que cette grande pitié qui demeure dans le royaume de France depuis longtemps, touche le Cœur très Sacré de Notre-Seigneur.
Abbé T. Legrand, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, prieur de Lanvallay
France, jadis on te voulait nommer,
En tous pays, le trésor de noblesse,
Car un chacun pouvait en toi trouver
Bonté, honneur, loyauté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, prouesse ;
Tous étrangers aimaient te suivre,
Et maintenant vois, dont j’ai déplaisance,
Qu’il te convient maint grief mal soutenir,
Très chrétien, franc royaume de France.Sais-tu d’où vient ton mal, à vrai parler ?
Connais-tu point pourquoi es en tristesse ?
Conter le veux, pour vers toi m’acquitter ;
Ecoutes-moi et tu feras sagesse :
Ton grand orgueil, gloutonnerie, paresse ;
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu abondance,
Ont pourchassé vers Dieu de te punir,
Très chrétien, franc royaume de France.Ne te veuilles pourtant désespérer,
Car Dieu est plein de merci à largesse ;
Va‑t’en vers lui sa grâce demander,
Car il t’a fait, déjà, promesse ;
Mais que fasses ton avocat Humblesse ;
Que très joyeux sera de te guérir.
Entièrement mets en lui ta confiance,
Pour toi et tous, voulut en Croix mourir,
Très chrétien, franc royaume de France.[…]
Dieu a les bras ouverts pour t’accoler,
Prêt d’oublier ta vie pécheresse ;
Requiers pardon, bientôt viendra t’aider
Notre Dame, la très puissante princesse,
Qui est ton cri, et que tiens pour maîtresse ;
Les saints aussi te viendront secourir,
Desquels les corps font en toi démourance.
Ne veuilles plus en ton péché dormir,Très chrétien, franc royaume de France.
Extrait de la complainte de France, de Charles d’Orléans
Sources : Le Saint Anne n° 322 de avril 2020 /La Porte Latine du 16 avril 2020
- Card. Pie – Sermon du 4e dim. de Carême 1849[↩]
- Jérémie 16, 49[↩]
- Charles d’Orléans – Extrait de la complainte de France (cf ci-dessous). Charles Ier d’Orléans (1394–1465) est un prince connu surtout pour ses œuvres poétiques écrites lors de sa longue captivité anglaise. Il est le fils de Louis Ier, duc d’Orléans (frère du roi de France Charles VI) et le père du roi de France Louis XII. Fait prisonnier à Azincourt en 1415, il ne sera libéré que 25 ans plus tard.[↩]