La fin d’un monde ?

Le Triomphe de la Mort, de Pieter Brueghel, Musée du Prado, Madrid (image Wikipedia)

Comme en toute époque de graves crises, cer­tains se demandent si ce n’est pas la fin du monde ou, à tout le moins, les pré­misses de la fin du monde qui se déroulent sous nos yeux. En fait, l’humanité a déjà connu des crises effroyables, des épi­dé­mies ou des guerres qui ont rava­gées des régions, voire des contrées entières.

L’épidémie actuelle n’est pas la pre­mière que l’homme ait à sup­por­ter. Et elle ne sera pas la der­nière, d’autant qu’elle pour­rait très bien deve­nir la pre­mière d’une série de « nou­velles » maladies.

Aussi, ce n’est sur­ement pas la fin du monde. Mais peut-​être est-​ce la fin d’UN monde… ?

Saint Jérôme s’exprimait ain­si au milieu des convul­sions de l’empire romain expi­rant sous le coup des assauts des bar­bares : « C’est par le fait de nos péchés que les bar­bares sont forts. C’est nous qui, par nos vices, leur avons pré­pa­ré la vic­toire sur le peuple le plus brave de l’u­ni­vers. Malheureux que nous sommes, de nous être ren­dus si insup­por­tables à Dieu, qu’il se sert aujourd’­hui de la rage des bar­bares pour appe­san­tir sur nous sa colère. Puisse le Seigneur Jésus chas­ser loin de nous ces bêtes féroces ! Mais com­ment l’es­pé­rer, puisque tant de cala­mi­tés déjà com­men­cées n’ont pu réduire notre orgueil et notre impié­té ? L’empire romain s’é­croule avec fra­cas, et, au milieu de ces ruines, nous tenons encore la tête levée, sans vou­loir la cour­ber. Pleins d’hor­reur pour le mal qui nous menace, nous avons encore plus d’hor­reur, s’il est pos­sible, pour le remède ; et parce que nous ne consen­tons pas à sup­pri­mer la cause de la mala­die, la mala­die est incu­rable. Que dirons-​nous donc de cet état déses­pé­ré d’une socié­té, laquelle, après avoir épui­sé tous les autres moyens de salut, réduite à la néces­si­té de se conver­tir à Dieu si elle veut vivre, déclare fiè­re­ment qu’elle meurt et ne se conver­tit pas ? » C’est à peu près ain­si que s’ex­pri­mait saint Jérôme nous dit le car­di­nal Pie [1].

Nous pour­rions trou­ver quelques simi­li­tudes entre le défer­le­ment des bar­bares décrit par saint Jérôme et les fléaux des guerres et épi­dé­mies que notre monde a connus depuis cent ans ; cette épi­dé­mie du coro­na­vi­rus étant, pour l’instant, le der­nier arrivé.

Comme le rap­pe­lait le car­di­nal Pie quelques années après la cita­tion précédente : 

« d’où pensez-​vous que viennent tant de cala­mi­tés qui semblent, en ces années désas­treuses, s’être concer­tées pour alté­rer toutes les sub­stances néces­saires à la vie de l’homme ? Des savants cherchent l’ex­pli­ca­tion de ces tristes phé­no­mènes dans une per­tur­ba­tion inso­lite des élé­ments ; mais cette per­tur­ba­tion elle-​même, d’où procède-​t-​elle ? Ils inventent, pour les dési­gner, des mots plus ou moins étran­gers à notre langue ; mais est-​ce donc gué­rir une mala­die que de lui don­ner un nom ? Ils pro­diguent les recettes et les for­mules ; mais la mul­ti­tude même des remèdes qu’ils indiquent tra­hit leur impuis­sance. Et pen­dant que la science dis­serte sur les causes secondes, le mal suit son cours. […] Ô homme ! pour­suis, si tu veux, tes inves­ti­ga­tions et tes cal­culs ; ana­lyse la pour­ri­ture dont la terre paie tes sueurs et ton tra­vail ; inter­roge tes creu­sets et les objec­tifs de tes ins­tru­ments ; mais sache que Celui qui a fait les êtres, ou, comme le dit le caté­chisme, Celui qui a créé le monde, est aus­si Celui qui le gou­verne, et qui seul peut gué­rir ses créa­tures malades, parce qu’elles ne le sont que par sa per­mis­sion ou par son ordre. […] Le vrai mal, le voi­là : notre mépris de la divi­ni­té, notre orgueilleuse com­plai­sance pour nous-​mêmes, notre insa­tiable cupi­di­té, voi­là le prin­cipe des cala­mi­tés que nous endu­rons ».

Card. Pie – Instruction sur l’aumône – Carême 1854

Le constat de ce grand pré­lat de l’Eglise de France du 19e siècle rejoint ce que Dieu, à tra­vers son pro­phète Jérémie, ensei­gnait au sujet des causes de la puni­tion de Sodome. En effet, cette ville n’était pas tom­bée du jour au len­de­main dans ces vices qui sont si glo­ri­fiés de nos jours, et qui furent la cause de sa des­truc­tion. Non, « voi­ci quel fut le crime Sodome, nous dit le pro­phète Jérémie : l’or­gueil, l’a­bon­dance de nour­ri­ture et l’in­sou­ciant repos était sa part. » [2].

Il est fort pos­sible que nous assis­tions aux sou­bre­sauts d’une socié­té condam­née à mou­rir, parce qu’elle refuse le méde­cin et son remède ; une socié­té elle aus­si basée sur l’orgueil, l’abondance des biens (la socié­té de consom­ma­tion), et l’insouciant repos, condui­sant à l’immoralité la plus effré­née. Oui, c’est sans doute la fin d’un monde. Ce monde, nous y vivons et nous sommes évi­dem­ment atteint par les cala­mi­tés et fléaux qui l’atteignent. Nous pou­vons et devons deman­der à Dieu d’en être déli­vré. Cependant, pour nous aider à gar­der Foi, Espérance et Charité dans la situa­tion actuelle et devant l’apparent silence de Dieu, une autre période de notre his­toire pour­rait être d’une grande leçon.

Aux 14e et 15e siècles, l’Europe fut dans la tour­mente, le royaume de France tout par­ti­cu­liè­re­ment. Trois fléaux, et non des moindres, firent des ravages en Occident :

  1. la guerre de cent ans qui dura de 1337 à 1453 et qui rava­gea le royaume de France, appor­tant avec elle, crimes, famines, vols, etc.
  2. la peste noire, qui se super­po­sa à cette guerre de cent ans et eut son point culmi­nant entre les années 1347 et 1350. Elle se réveilla tous les dix ans envi­ron, pen­dant un demi-​siècle. Un tiers de la popu­la­tion suc­com­ba, et jusqu’à 50 voire 70 % dans les villes.
  3. enfin le grand schisme d’Occident, qui rava­gea tout par­ti­cu­liè­re­ment l’Eglise, mais attei­gnit aus­si les rois et les princes. Il dura de 1378 à 1417.

Il y eut comme deux types de réac­tions dia­mé­tra­le­ment oppo­sées chez ceux que la mala­die ou la guerre épar­gnaient : les uns, pro­fi­tant de la vie qu’ils avaient conser­vée, se plon­geaient encore plus avant dans les plai­sirs et les vices : « man­geons, buvons car demain nous mour­rons » (1 Cor. 15, 32) ; et ce fai­sant, ils appe­san­tis­saient par leur impé­ni­tence, le bras de Dieu. Les autres, com­pre­nant la leçon de ces cala­mi­tés [3], réagis­saient en sup­pliant le bon Dieu d’en être déli­vrés. Dieu se lais­sa tou­cher par ces der­niers, sus­ci­tant par­ti­cu­liè­re­ment sainte Jeanne d’Arc, parce qu’il y avait « grande pitié dans le Royaume de France ».

Il y a grand risque que nos contem­po­rains, une fois l’épidémie ter­mi­née, endur­cissent leur cœur, à l’image du pha­raon au temps de Moïse ; et replongent avec encore plus de force dans le péché et dans l’oubli de Dieu.

Pour nous, redou­blons de prières et d’esprit de péni­tence pour que cette grande pitié qui demeure dans le royaume de France depuis long­temps, touche le Cœur très Sacré de Notre-Seigneur.

Abbé T. Legrand, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, prieur de Lanvallay

France, jadis on te vou­lait nom­mer,
En tous pays, le tré­sor de noblesse,
Car un cha­cun pou­vait en toi trou­ver
Bonté, hon­neur, loyau­té, gen­tillesse,
Clergie, sens, cour­toi­sie, prouesse ;
Tous étran­gers aimaient te suivre,
Et main­te­nant vois, dont j’ai déplai­sance,
Qu’il te convient maint grief mal sou­te­nir,
Très chré­tien, franc royaume de France.

Sais-​tu d’où vient ton mal, à vrai par­ler ?
Connais-​tu point pour­quoi es en tris­tesse ?
Conter le veux, pour vers toi m’ac­quit­ter ;
Ecoutes-​moi et tu feras sagesse :
Ton grand orgueil, glou­ton­ne­rie, paresse ;
Convoitise, sans jus­tice tenir,
Et luxure, dont as eu abon­dance,
Ont pour­chas­sé vers Dieu de te punir,
Très chré­tien, franc royaume de France.

Ne te veuilles pour­tant déses­pé­rer,
Car Dieu est plein de mer­ci à lar­gesse ;
Va‑t’en vers lui sa grâce deman­der,
Car il t’a fait, déjà, pro­messe ;
Mais que fasses ton avo­cat Humblesse ;
Que très joyeux sera de te gué­rir.
Entièrement mets en lui ta confiance,
Pour toi et tous, vou­lut en Croix mou­rir,
Très chré­tien, franc royaume de France.

[…]
Dieu a les bras ouverts pour t’ac­co­ler,
Prêt d’ou­blier ta vie péche­resse ;
Requiers par­don, bien­tôt vien­dra t’aider
Notre Dame, la très puis­sante prin­cesse,
Qui est ton cri, et que tiens pour maî­tresse ;
Les saints aus­si te vien­dront secou­rir,
Desquels les corps font en toi démou­rance.
Ne veuilles plus en ton péché dormir,

Très chré­tien, franc royaume de France.

Extrait de la com­plainte de France, de Charles d’Orléans

Sources : Le Saint Anne n° 322 de avril 2020 /​La Porte Latine du 16 avril 2020

Notes de bas de page
  1. Card. Pie – Sermon du 4e dim. de Carême 1849[]
  2. Jérémie 16, 49[]
  3. Charles d’Orléans – Extrait de la com­plainte de France (cf ci-​dessous). Charles Ier d’Orléans (1394–1465) est un prince connu sur­tout pour ses œuvres poé­tiques écrites lors de sa longue cap­ti­vi­té anglaise. Il est le fils de Louis Ier, duc d’Orléans (frère du roi de France Charles VI) et le père du roi de France Louis XII. Fait pri­son­nier à Azincourt en 1415, il ne sera libé­ré que 25 ans plus tard.[]