Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
« Pour le prochain Synode, certains veulent une guerre idéologique. La doctrine de l’Église est ouverte, et eux la voudraient cristallisée. Ce n’est pas moi qui suis visé, c’est le Pape ». Voila ce que dit le cardinal Walter Kasper, le théologien que François a élevé au rang de théoricien contemporain de la « théologie à genoux », capable d’être à l’écoute de la société et surtout des drames existentiels de l’homme, « non pas pour le condamner, mais pour cheminer avec lui ».
C’est lui qui au Consistoire en février dernier a écrit et lu le document d’introduction au thème de la famille, un texte qui ouvre à la Communion pour les divorcés et qui à présent a poussé cinq cardinaux à exprimer dans un livre une nette fermeture à l’égard de ce texte. Non, non à l’accueil dans l’Église « avec fidélité et miséricorde » des divorcés, y compris ceux qui se sont remariés uniquement civilement. « Impossible », disent cinq cardinaux de rang de l’Église catholique, auteurs d’un livre intitulé : « Demeurer dans la vérité du Christ » (Permanere nella verità di Cristo).
Les signataires sont : Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, c’est à dire le « gardien » de la Doctrine du Palais de ce qui s’appelait autrefois le Saint Office, dans lequel a également siégé Ratzinger ; Raymond Leo Burke, préfet de la signature apostolique, chef d’une sorte de Cour de Cassation de l’interprétation doctrinale de l’Église ; Walter Brandmüller, président émérite du Comité Pontifical de Sciences Historiques ; Velasio De Paolis, président émérite de la préfecture des Affaires Economiques. Et enfin, Carlo Caffarra, archevêque de Bologne, l’un des théologiens les plus écoutés par Jean-Paul II précisément sur le thème de la famille.
Le cardinal Kasper n’a pas encore lu le livre, mais il en déduit le contenu du débat qui s’est enflammé contre lui dès la sortie de son document en février dernier. Kasper est accusé d’avoir renversé la doctrine « indissoluble » sur le mariage par son intervention au Consistoire en février, et plus la date du Synode (5 octobre) s’approche, plus son nom est évoqué dans le débat théologique, mais aussi social. Parce que c’est lui qui a promu le thème des divorcés remariés, la possibilité qu’ils puissent de nouveau recevoir le sacrement de la Communion.
C’est lui également qui a ouvert la voie à des questions inédites et restées inexplorées contenues dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio du Pape Wojtyla. C’est lui enfin qui a jugé la famille comme la « cellule centrale », et non plus naturelle, de l’Église et de la société : la famille comme sujet de la condition humaine, fondée sur l’amour humain qui est, – comme il l’a écrit dans son intervention de base pour le Synode – , « quelque chose de grand et de beau, mais qui en soi n’est pas divin ».
Q./ Cardinal Kasper, comment sera le Synode d’octobre prochain, qui s’ouvrira également sur les bases théologiques contenues dans l’intervention d’ouverture que vous avez adressée au Consistoire extraordinaire sur la famille ?
R./ « J’espère que le Synode donnera lieu à un échange sérieux et tranquille d’opinions et de réflexions ».
Q./ D’après vos détracteurs, vos réflexions ont remis en question la Doctrine de l’Église.
R./ « Ce qui est en question, ce n’est pas la Doctrine de l’Église qui elle au contraire peut être approfondie. Mais la Doctrine n’est pas un système fermé. Il s’agit de discuter de l’application de la Doctrine dans des situations complexes ».
Q./Avez-vous lu le livre qui est considéré comme ne réponse à vos thèses doctrinales et pastorales ?
R./« Je n’ai pas vu le débat qui est en cours. Le document, ils l’ont envoyé aux journalistes, mais pas à moi ». C’est un peu étrange, les journalistes l’ont, et pas moi ».
Q./ Interviendrez-vous aux travaux du Synode ?
R./ « Oui, mais je suis un membre normal du Synode ».
Q./ Mais pourquoi certains de vos collègues cardinaux vous contestent-ils ?
R./« Ils me contestent parce qu’ils disent que le document de base est contre la Vérité ».
Q./ Et vous, que leur répondez-vous ?
R./ « Nous sommes tous pour la Vérité ».
Q./ Même ceux qui la contestent ?
R./ « Eux prétendent savoir tout seuls ce qu’est la Vérité. Mais la Doctrine catholique n’est pas un système fermé, mais une tradition vivante qui se développe, comme l’a enseigné le concile Vatican II. Ils veulent cristalliser la Vérité dans certaines formules. »
Q./ Cristalliser la vérité, dites-vous. Par exemple ?
R./« Les formules de la tradition. »
Q./ Et quelle pourrait être la formule qui, selon vous, pourrait être cristallisée ?
R./ « L’indissolubilité du mariage. Il est nécessaire de la vérifier dans des situations complexes. Moi, dans mon rapport au Consistoire extraordinaire, j’ai dit clairement que nous devions être honnêtes. Entre la doctrine de l’Eglise sur le mariage et sur la famille et les convictions vécues de beaucoup de chrétiens il s’est créé un abîme. La tâche du synode sera de parler de nouveau de la beauté et de la joie de la famille qui est toujours la même et qui est pourtant toujours nouvelle, comme l’enseigne Evangelii Gaudium. »
Q./ L’Eglise a le devoir de voir les situations complexes, affirmez-vous. Mais pourquoi alors ce livre de cinq cardinaux qui contestent vos ouvertures sur les thèmes de la famille ?
R./ « Je veux d’abord lire le livre. »
Q./ Vous utilisez beaucoup le critère de la miséricorde. (…) Pourquoi insistez-vous tant sur cette théologie de la miséricorde ?
R./ « Parce que la miséricorde est le thème central du message de Jésus. C’est le mot clef du Nouveau Testament. C’est le point central du message évangélique. La miséricorde n’annule pas les autres commandements. »
Q./ La famille demeure-t-elle la cellule naturelle de la société ?
R./ « La famille est la cellule centrale de la société et de l’Eglise. »
Q./ Mais le principe de la Création homme-femme demeure-t-il intact ?
R./ « Certainement, il n’y a aucun doute à propos de ce principe. »
Q./ L’un des thèmes des plus graves accusations à votre propos, de la part de vos collègues cardinaux, est celui de la possibilité de donner la communion aux divorcés. Comment répondez-vous ?
R./ « Parmi les échecs des mariages il y a des situations qui sont très différentes entre elles. Il faut un discernement à propos de toutes les situations : une chose est la personne qui détruit délibérément une famille, autre est la situation où l’un des conjoints s’éloigne de l’autre. D’où la nécessité de discernement. Oui ; un discernement pastoral sur les situations. Je ne suis pas pour une ouverture acritique, généralisée, mais j’invite à évaluer les situations singulières. L’individualisme et le consumérisme contemporains, je l’ai toujours dit aux frères cardinaux au consistoire en février dernier, ont mis en cause la culture traditionnelle de la famille. Et l’Eglise est mise au défi de ces nouvelles situations. »
Q./ Au synode, qui prévaudront : les défenseurs à outrance de la Doctrine ou les théologiens de la pastorale ?
R./ « J’espère que le synode se constituera d’un échange sérieux et tranquille sur les expériences pastorales. Les évêques sont les pasteurs de leurs Eglises et ils ne sont pas là pour une guerre idéologique. »
Q./ Donc ce ne sera pas une guerre idéologique, selon le schéma classique conservateurs contre progressistes ?
R./ « J’espère qu’il n’en sera pas ainsi. Le synode doit se demander, avant tout, comment l’Eglise peut aider au chemin dans l’histoire de l’homme contemporain. L’Eglise doit partager les joies et les espérances des hommes, les tristesses et les angoisses du monde. »
Q./ Certains, selon vous, veulent une guerre doctrinale ?
R./ « Oui, certains veulent une guerre doctrinale, mais ce n’est pas cela, la tâche du synode. La Doctrine est claire. On ne la change pas, on l’approfondit et on l’applique aux situations complexes de l’homme contemporain. »
Q./ Comment approfondir les situations complexes ? Par exemple, le drame d’une famille divorcée qui a violé le sacrement du mariage indissoluble ?
R./ « Les situations complexes, on les approfondit une à une. Personne ne doit juger, mais discerner. La lumière de l’Evangile nous aide au discernement dans toutes les situations concrètes, à la lumière de la miséricorde. »
Q./ Revenons au danger d’une guerre doctrinale au synode.
R./ « Moi, je n’en veux certainement pas. Eux, peut-être, la veulent-ils. Moi, je pense à un synode pastoral. »
Q./ C’est ce que veut le pape ?
R./ « C’est clair. Le pape lui aussi veut un synode pastoral. »
Q./ Vous attendiez-vous à cette polémique à propos de votre rapport de base au consistoire ?
R./ « Je ne suis pas naïf. Je sais qu’il y a d’autres positions mais je n’ai pas pensé que le débat se transformerait, et qu’il se montrerait comme il le fait aujourd’hui sans allure. Aucun de mes confrères cardinaux n’a parlé avec moi. Moi, au contraire, j’ai parlé deux fois avec le Saint Père. J’ai convenu de tout avec lui. Il était d’accord. Que peut faire un cardinal, si ce n’est être avec le pape ? Je ne suis pas la cible, la cible est un autre. »
Q./ Le pape François ?
R./ « Probablement oui. »
Q./ Que dites-vous, pour finir, à vos opposants ?
R./ « Ils savent que je n’ai pas fait cette chose de moi-même. Je me suis mis d’accord avec le pape, j’ai parlé deux fois avec lui. Il s’est montré content. Maintenant ils font cette polémique. Un cardinal doit rester près du pape, à ses côtés. Les cardinaux sont les coopérateurs du pape. »
Antonio Manzo
Sources : Il Mattino – Traduction pour LPL par O.C.