La messe de saint Pie V et la théologie de Vatican II

Sermon de l’abbé Philippe Bourrat donné le 19 novembre 2006
Chapelle Notre-​Dame de l’espérance à versailles

L’intention du pape Benoît XVI de rendre à la messe de Saint Pie V ses droits et sa pleine légi­ti­mi­té a sus­ci­té ces der­niers mois et par­ti­cu­liè­re­ment en France, l’ou­ver­ture d’un débat auquel ont par­ti­ci­pé clercs et laïcs. Monsieur l’Abbé Philippe BOURRAT, bien connu des lec­teurs de Credo, nous a aima­ble­ment auto­ri­sé à dif­fu­ser son homé­lie pro­non­cée en la Chapelle Notre Dame de l’Espérance de Versailles le 24ème dimanche après la Pentecôte, le 19 novembre 2006.
Avec la clar­té habi­tuelle qui est l’a­pa­nage de ses ser­mons, Mr l’ab­bé Bourrat pose avec une grande objec­ti­vi­té le mar­ché sous­ja­cent entre l’ac­cep­ta­tion du retour à la messe de Saint Pie V par le Vatican en contre­par­tie de la recon­nais­sance de la théo­lo­gie de Vatican II par les fidèles de la Tradition. (Extrait de CREDO – 11 rue du Bel air – 95300 ENNERY)

L’actualité récente de la vie de l’Eglise mérite notre atten­tion. Elle me semble en rap­port avec l’Evangile d’aujourd’hui.

« Le royaume des cieux, nous dit l’Evangile, est sem­blable à la levure que prend une femme et qu’elle enfonce dans trois mesures de farine pour faire lever toute la pâte. » (Matthieu XIII 33)

Et Notre Seigneur dit ailleurs :

« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel s’af­fa­dit, avec quoi sera-​t-​il salé ? »

Levure qui fer­mente dans la pâte ou sel qui donne du goût aux ali­ments, le chré­tien est aus­si « lumière dans le monde », il est la lampe allu­mée sur le can­dé­labre pour éclai­rer autour de lui. Tout cela ne se réa­lise qu’à la condi­tion d’être uni à Jésus-​Christ. C’est à la condi­tion d’être por­teur de la Lumière sur­na­tu­relle de la foi qui est un don de Dieu que l’on peut pré­tendre être une lumière dans le monde. D’où la néces­si­té d’en­tre­te­nir cette flamme au contact de la vie intime de Jésus qui est Dieu .

Mais si la flamme s’é­teint ou devient arti­fi­cielle, si la mèche ne trempe plus dans l’huile de la grâce, alors l’âme retombe dans les ténèbres et le monde retrouve l’obs­cu­ri­té du péché. Si le sel s’af­fa­dit, « il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et fou­lé aux pieds par les pas­sants ».

Il me semble que le débat qui s’est ouvert sur la pos­si­bi­li­té de rendre à tout prêtre le droit de célé­brer la messe authen­ti­que­ment catho­lique, dite de saint Pie V, est un exemple frap­pant de cet enjeu de foi et de pré­ser­va­tion de la foi.

D’un côté, la Fraternité Saint Pie X qui affirme depuis 36 ans que la nou­velle messe syn­thé­tise un grand nombre de dérives théo­lo­giques, à com­men­cer par sa pro­tes­tan­ti­sa­tion et sa dimen­sion oecu­mé­niste qui en font l’ex­pres­sion litur­gique d’une foi nou­velle, d’une nou­velle concep­tion de l’Eglise, vue désor­mais comme « sacre­ment de l’u­ni­té » du genre humain, comme « peuple de Dieu » qui s’as­si­mile à l’hu­ma­ni­té tout entière.

De l’autre côté, des papes, des évêques qui affir­maient jus­qu’a­lors que cette nou­velle messe n’a­vait rien chan­gé en pro­fon­deur et que, si elle était effec­ti­ve­ment le fruit du Concile Vatican II qui l’a­vait pro­gram­mée, elle était, comme lui, fidèle à la Tradition de l’Eglise. Toute résis­tance à cette nou­velle messe était donc le signe d’un refus de l’au­to­ri­té suprême de l’Eglise et une incom­pré­hen­sion du sens de la Tradition de l’Eglise. On était pour­tant prêt à tolé­rer ces pas­séistes, ces nos­tal­giques du latin et de la messe « de leur enfance », en leur accor­dant ici ou là la pos­si­bi­li­té de vivre leur « sen­si­bi­li­té reli­gieuse » dans le cadre d’une Eglise qui se mon­trait par là même ouverte et géné­reuse, moderne et tolé­rante. Mieux encore : on recon­nais­sait le droit à des com­mu­nau­tés reli­gieuses d’u­ser du rite tra­di­tion­nel. Mais tout cela com­por­tait une condi­tion, et c’est là tout l’en­jeu du débat ; que cette per­mis­sion litur­gique ne soit pas le pré­texte ou l’oc­ca­sion d’une remise en cause de la théo­lo­gie nou­velle que contient cette nou­velle messe et les nou­veaux sacre­ments qui l’accompagnent.

On voit là poindre le noeud d’une forte contra­dic­tion puis­qu’on nous avait dit et redit que la théo­lo­gie véhi­cu­lée par le nou­veau rite n’a­vait rien de contraire à la Tradition mul­ti­sé­cu­laire de l’Eglise. Ainsi, on auto­ri­sait l’é­corce de cette messe ancienne, avec tout ce qu’elle com­porte de beau­té, d’es­thé­tique, mais on inter­di­sait d’en vivre la théo­lo­gie ou de contes­ter, par com­pa­rai­son, celle de la nou­velle messe.

C’est ain­si que la Fraternité Saint Pierre, Barroux, Institut du Christ-​Roi et autres com­mu­nau­tés plus petites se sont enga­gés à user de la messe tra­di­tion­nelle sans contes­ter les erreurs fla­grantes de Vatican II, pour­tant des­truc­trices de la foi des fidèles. Moyennant quoi on les tolé­rait. Plus ou moins bien d’ailleurs. Parmi les plus zélés d’entre eux, cer­tains se sont effor­cés de jus­ti­fier dans des ouvrages cer­taines erreurs de Vatican II (la liber­té reli­gieuse défen­due par le Père Basile du Barroux), pour mon­trer qu’ils étaient de bons élèves. Sans comp­ter l’i­né­vi­table bas­cu­le­ment d’un bon nombre de ces prêtres qui, après avoir ces­sé de cri­ti­quer la noci­vi­té de la nou­velle messe, ont fini tout sim­ple­ment par la célébrer.

Mais cette fin d’an­née 2006 est mar­quée par un débat plus nou­veau. Le Pape Benoît XVI ayant envi­sa­gé de rendre à la messe de tou­jours ses droits et sa pleine légi­ti­mi­té, on assiste, depuis, à la mon­tée au cré­neau d’un bon nombre d’en­ne­mis farouches de la messe tra­di­tion­nelle au nom de rai­sons théologiques.

La messe tra­di­tion­nelle serait un dan­ger pour la théo­lo­gie de Vatican II. L’aveu est de taille. Après nous avoir fait croire que les dif­fé­rences entre les rites n’é­taient qu’une ques­tion de sen­si­bi­li­té et que les chan­ge­ments étaient moti­vés par un sou­ci pas­to­ral d’une plus grande par­ti­ci­pa­tion des fidèles à la litur­gie, on avoue désor­mais que le pro­blème ne réside pas dans le latin ou le chant gré­go­rien, ou encore dans l’o­rien­ta­tion de l’au­tel, face ou dos au peuple. Non ! L’opposition est théo­lo­gique. Deux théo­lo­gies, deux concep­tions de l’Eglise, deux concep­tions du Sacrifice, deux concep­tions du prêtre, deux concep­tions de l’oe­cu­mé­nisme s’op­posent au tra­vers de ces deux rites. Et ce sont les évêques et les prêtres conci­liaires qui l’a­vouent. Le 9 novembre 2006, le Cardinal Ricard, dans son dis­cours de clô­ture de l’as­sem­blée plé­nière de la Conférence des évêques de France, disait ceci :

« Nous savons bien que les dif­fé­rends avec les fidèles qui ont sui­vi Mgr Lefebvre dans son « non » à Rome ne sont pas d’a­bord litur­giques mais théo­lo­giques – autour de la liber­té reli­gieuse, de l’oe­cu­mé­nisme, du dia­logue inter­re­li­gieux – et politiques. »

Mgr Dagens, évêque d’Angoulême dans La vie, en octobre, Mgr Defois, arche­vêque de Lille, au même moment dans Le Figaro, insis­taient sur l’op­po­si­tion théo­lo­gique qui nous sépare : nous sommes accu­sés par eux de ne pas avoir com­pris et de ne pas avoir accep­té la nou­velle défi­ni­tion de l’Eglise de Lumen Gentium qui dis­tingue Eglise du Christ et Eglise catho­lique, la pre­mière sub­sis­tant dans la seconde ; de ne pas avoir com­pris la liber­té reli­gieuse de Dignitatis huma­nae ; de ne pas avoir com­pris la néces­saire adop­tion par l’Eglise des prin­cipes du monde et son ouver­ture au monde telle que nous la pro­pose Gaudium et Spes ; de nous être atta­chés à « une lec­ture inté­gra­liste de l’é­van­gile du Christ roi qui confond le règne de Dieu avec celui des hommes » comme l’é­crit Mgr Defois.

Ces aveux sont de taille car nous qui ne fai­sons que pro­cla­mer ce qu’a tou­jours pro­cla­mé l’Eglise jus­qu’à Pie XII, nous sommes accu­sés de n’a­voir rien com­pris aux grandes véri­tés de foi que pré­sentent Vatican II et la nou­velle messe. L’Eglise n’a-​t-​elle donc rien com­pris pen­dant 20 siècles ? S’est-​elle trom­pée pen­dant 20 siècles ? Dans tous les cas, c’est recon­naître publi­que­ment que cette nou­velle théo­lo­gie et cette nou­velle litur­gie sont bien oppo­sées à celles de l’Eglise de toujours.

Le Père Caffin écri­vait dans l’hu­ma­ni­té tout récemment : «

Ce sont deux théo­lo­gies qui s’af­frontent, deux atti­tudes spi­ri­tuelles qui se mani­festent dans des litur­gies dif­fé­rentes. Ce n’est pas qu’une ques­tion de sen­si­bi­li­té artis­tique ou esthé­tique mais la mani­fes­ta­tion d’un sens qui est don­né au mes­sage chrétien. »

Et le Cardinal Ricard pré­ci­sait, cette fois dans son dis­cours d’ou­ver­ture à Lourdes, le 4 novembre dernier :

« L’accueil de quelques-​uns dans la com­mu­nau­té ecclé­siale [il fait allu­sion aux prêtres de l’Institut du Bon Pasteur] ne sau­rait remettre en ques­tion le tra­vail pas­to­ral de l’en­semble. Non l’Eglise ne change pas de cap. Contrairement aux inten­tions que cer­tains lui prêtent, le pape Benoît XVI n’en­tend pas reve­nir sur le cap que le Concile Vatican II a don­né à l’Eglise. Il s’y est enga­gé solennellement. »

Dans un tel contexte, il nous faut prier, nous for­mer et agir.

Prier d’a­bord, pour que cette effer­ves­cence n’en fasse tom­ber davan­tage dans le piège d’ac­cords pra­tiques qui laissent de côté le com­bat des erreurs fatales à la foi catho­lique. Nous for­mer pour gar­der la foi catho­lique. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Nous pou­vons tom­ber nous aus­si face aux pièges et aux erreurs modernes si nous ne nous for­mons pas suffisamment.

Enfin il faut agir : pour faire connaître cette Vérité éte­melle qu’est Notre Seigneur Jésus-​Christ, en infor­mant les âmes de bonne volon­té et en répan­dant la cha­ri­té des œuvres par les­quelles nous mani­fes­tons notre appar­te­nance pleine et entière à l’Eglise catho­lique. La sain­te­té des œuvres est le gage et le témoi­gnage de notre appar­te­nance à l’Eglise de Jésus-Christ.

Nous sommes dans l’Eglise catho­lique. Nous n’a­vons pas à attendre d’être inté­grés à l’Eglise catho­lique. Nous n’a­vons pas à attendre un mor­ceau de papier pour être recon­nus. De qui ? Et sur quels principes ?

« Le royaume des deux, nous dit l’Evangile, est sem­blable à la levure que prend une femme et qu’elle enfonce dans trois mesures de farine pour faire lever toute la pâte. » « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel s’af­fa­dit, avec quoi sera-​t-​il salé ? »

Philippe Bourrat †

Mgr Lefebvre à Ecône, le 13 mars 1975 :

« Nous devons main­te­nir abso­lu­ment notre fer­me­té, notre ferme oppo­si­tion, et ne pas dou­ter un ins­tant de la légi­ti­mi­té de notre posi­tion. Nous ne pou­vons res­ter indif­fé­rents devant la dégra­da­tion de la foi, des mours, de la litur­gie ; Cela n’est pas possible ».

Renseignements complémentaires

Textes de la messe de saint Pie V
Vidéo clip sur la messe de saint Pie V 
Rites à obser­ver dans la célé­bra­tion de la messe
Rubriques dis­pu­ta­tio sur la for­mule « à la lumière de la Tradition »