Par Jean-Pierre Denis
Ce n’est pas un hasard si, à trois jours d’intervalle, le Vatican publie un motu proprio du pape redonnant aux traditionalistes les plus larges droits en matière de liturgie (la fameuse « messe en latin ») et une note soi-disant technique qui, à force de vouloir préciser la doctrine, apparaît comme anti-oecuménique dans son esprit. Dans le premier texte, Benoît XVI reproche à sa propre Église des « déformations de la liturgie à la limite du supportable ».
Dans le second, ses services relèvent à plaisir les « déficiences » des Églises protestantes. Rome se ferme. Pour beaucoup, du plus humble pratiquant jusqu’à de nombreux évêques, le choc est rude, l’incompréhension, grande. Le pape prend le risque de décourager plus d’un serviteur fidèle de l’Évangile.
Deux conceptions opposées du catholicisme se trouvent mariées de force. L’une, très majoritaire, celle de Vatican II, qui demeure la norme mais perd sa boussole. L’autre, sectaire et vociférante, axée sur « l’intransigeantisme ». Cette union des contraires se veut symphonique et même mystique. Mais elle est aussi concrète – avec une pratique jusqu’ici faite de coups tordus et de dénonciations calomnieuses. Les traditionalistes ne revendiquent pas seulement une sorte d’exception culturelle ou, en l’occurrence, cultuelle. Qui songerait à la leur refuser ? Tout minoritaires qu’ils sont, ils pensent en termes de rapports de force et veulent le pouvoir, tout le pouvoir.
Cependant, au coûteux devoir d’unité qui nous est demandé, il faut répondre honnêtement. Je l’affirme ici avec d’autant plus de clarté que le dialogue avec les traditionalistes, ce journal l’a engagé, brisant un tabou. Au mois de novembre dernier, j’étais le seul à répondre à l’invitation des amis de l’abbé Laguérie, ceux de l’Institut du Bon Pasteur, qui tenaient meeting à Paris. Cet événement sans précédent fut l’occasion d’un échange franc, profond et sincère. Les « tradis » n’ont pas toujours tort, surtout lorsqu’ils manifestent un certain sentiment tragique de la vie, antidote à tant d’illusions du progrès que l’histoire du XXe siècle a dissipées. Archaïsants, ils sont aussi, par certains côtés, des « plus-que-modernes », faisant place à la subjectivité, à l’émotion, à une certaine esthétique de l’intemporel.
Mais la recherche d’une authentique communion ne peut se faire qu’au service de la vérité, donc sans faux-fuyants. Oser aller vers ceux qui sont au premier chef nos frères, oui. Oser dire en quoi nous nous sentons encore « inconciliés », aussi. Or, derrière le missel brandi comme un étendard politique, derrière le goût d’un patrimoine restauré, et derrière même le parfum de mystère et cette sacralité que nous aurions laissé s’évaporer, je vois toujours des objections sérieuses. Un exemple parmi d’autres, quoique hautement symbolique : peut-on confondre l’Église de Benoît XVI, qui poursuit le dialogue avec nos frères aînés les juifs, et celle du missel ancien, qui concentre, le vendredi saint, tous les poncifs de l’antijudaïsme ?
Les catholiques sont donc appelés à une sorte de très humble et très fidèle patience, offrant cette charité désarmée que le présent exige. Souvenons-nous de l’essentiel. Pour beaucoup de nos contemporains, le christianisme n’est qu’une vieille bête marchant à reculons. C’est ce qu’ont insinué, le week-end dernier, bien des médias. Quel langage rituel, spirituel et social parler à nos contemporains ? Personne ne peut prétendre avoir toute la réponse.
Une réflexion loyale s’impose.
Jean-Pierre Denis
La Vie – 11 juillet 2007