Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
La publication d’une interview-fleuve du pape François dans une quinzaine de revues jésuites à travers le monde, en plusieurs langues, a rempli d’aise la presse anti-catholique. Focalisée sur le discours moral de l’Eglise sur la contraception, l’avortement, les divorcés remariés, elle s’est jetée sur les paroles du pape qui justement rejettent cette focalisation :
« Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Eglise, nous la connaissons, et je suis fils de l’Eglise, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence. »
« Même le pape n’aime pas l’obsession de l’Eglise par rapport à l’avortement », titre le New York Times, avec une jubilation fielleuse qui se traduit dans l’article par quelques piques envoyées à l’épiscopat américain qu’il voit indirectement « réprimandé » pour s’être lancé dans le combat contre la contraception remboursée par la nouvelle « sécurité sociale », l’ObamaCare…
Premier constat : si le pape François pense que l’Eglise ne parle que de ça, ce n’est rien à côté de ce qu’imaginent et répercutent les médias hostiles et la vérité oblige à dire que ce sont eux qui ont réduit son discours à ces domaines moraux. La preuve : ils continuent. De ces 27 pages d’entretien résultant de six heures de conversation en italien et en espagnol avec le père jésuite Antonio Spadaro, dans le monde entier on retient ces propos sur la morale sexuelle et familiale. Les quelques dépêches d’AFP consacrées au sujet titrent sur les « gays » et les « divorcés ».
Deuxième constat : le pape François, à cet égard, apporte de l’eau à leur moulin mais ses propos ne reflètent pas la réalité. Depuis Humanae vitae allègrement piétiné par de nombreux évêques du monde entier, et malgré l’insistance de Jean-Paul II et Benoît XVI sur la « culture de vie », bien des Eglises locales ont au contraire enfoui cet enseignement, ont tu la tragédie des avortements, laissé la contraception et la mentalité contraceptive s’installer au point que, dans de nombreux pays, seule une minorité de catholiques même pratiquants observe les prescriptions morales à ce sujet. Certaines d’entre elles se réveillent groggy devant la déferlante de la dictature du relativisme homosexualiste qui, d’un vécu personnel difficile, a fait un bien à vénérer.
Il ne faut certes pas confondre obsession morale et véritable enseignement moral, c’est au fond ce que dit le pape en appelant à une « pastorale missionnaire » qui ne soit pas « obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance ». François se place du point de vue de la mission et de l’annonce de la rédemption, comparant l’Eglise d’aujourd’hui à un « hôpital de campagne » où il faut soigner des mourants et des grands blessés plutôt que de peaufiner la perfection du petit troupeau fidèle : apporter la miséricorde et le pardon. Ce qui renvoie immanquablement au péché et à la misère, d’ailleurs François, invité à se décrire, se voit avant tout dès les premières lignes de l’entretien comme « pécheur ».
Benoît XVI, lui, insistait sur le bonheur : la morale est ordonnée à la joie du vrai bien. Jean-Paul II – pardon pour le raccourci – contemplait la beauté du plan de Dieu sur l’homme et la famille. On sait qu’encore cardinal, il inspira très largement Humanae vitae, mais que lors de sa rédaction on gomma cet aspect de sa pensée qui avait si profondément ébranlé Paul VI. Une partie de l’incompréhension actuelle vient de là.
Reste que si l’Eglise, dans le monde, avait réellement été obsédée par ce rappel au bien de l’homme, on n’en serait sûrement pas à plus d’un milliard d’avortés, la famille en morceaux, l’union homosexuelle considérée comme un mariage, une expression bonne de la sexualité. Je ne dis pas que François entend changer la doctrine à cet égard (encore qu’il la qualifie d’« opinion de l’Eglise ») mais le fait est qu’il a – une nouvelle fois – permis aux adversaires de l’Eglise d’installer la confusion.
Et ce après l’incident du « mariage des prêtres » qu’aurait approuvé le nouveau secrétaire d’Etat Mgr Parolin (nous y reviendrons, on sait maintenant que ses paroles ont été tronquées), après l’appel du pape à l’« accompagnement des divorcés remariés », qui a ouvert lui aussi la voie à beaucoup de confusion, après la question de la théologie de la libération, elle aussi riche de contresens, et l’affaire des Franciscains de l’Immaculée…
Dans son entretien, le pape François évoque aussi la forme extraordinaire de la liturgie qu’il appelle Vetus Ordo : « Il y a ensuite des questions particulières comme la liturgie selon le Vetus Ordo. Je pense que le choix du pape Benoît fut prudentiel, lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière. Ce qui est préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du Vetus Ordo, son instrumentalisation. »
Et dire que le pauvre Benoît XVI ne pourra même pas se retourner dans sa tombe en lisant cela…
Choix prudentiel ? Ce ne sont pas les mots qui conviennent à la remise à l’honneur d’un rite abusivement interdit dans les faits, ni à la réforme de la réforme liturgique que voulait le pape émérite. Ce n’est pas une « sensibilité » seulement qui pousse – et non poussait – des milliers de personnes à préférer la messe centrée sur Dieu, sur le sacrifice du Christ, plutôt que sur l’homme, mais une vision théologique précise. Et si l’on veut parler d’idéologisation, il serait temps davantage de relever l’instrumentalisation idéologique du Novus Ordo. Idéologisation ? C’est-à-dire désincarnation de l’idée de la messe afin de la mettre au service de choix politiques – d’extrême droite, forcément ! – et de factions qui veulent imposer leur point de vue au détriment de la réalité ?
Voilà des propos qui font souffrir. Et qui sont démentis par les faits. Car les messes traditionnelles attirent précisément les jeunes, et la proportion de vocations dans les séminaires formant à la liturgie traditionnelle est plus importante que la proportion de pratiquants de la « forme extraordinaire » par rapport aux catholiques ordinaires.
Il y aura encore bien des choses à dire sur l’entretien de François, son incontestable souffle, sa manière de mettre le Christ à l’honneur, à côté d’autres propos inquiétants.
Mais une question surgit – d’ordre prudentiel : est-il raisonnable pour le chef de l’Eglise, gardien des clefs, garant de son orthodoxie, de livrer ainsi son moi subjectif au monde ? François n’aime pas les entretiens, encore moins les interviews pris sur le vif, il n’est pas irrespectueux de lui souffler qu’il devrait s’en méfier davantage.
Une consolation : ce n’est pas une encyclique.
JEANNE SMITS
Source : Article extrait du n° 7943 de