Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
L’interview accordée par le Pape François aux revues jésuites pose beaucoup de questions sur sa conception de la morale catholique, de l’autorité papale, ou encore son rapport aux traditionalistes.
François brade-t-il la morale catholique ?
« Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. » Par ces mots, le Pape rompt avec un logiciel pastoral de l’Église catholique qui a dominé les quatre dernières décennies. Et c’est la grande nouveauté de cet entretien. Les questions d’éthiques sexuelles semblaient être devenues un passage obligé pour entrer dans la communauté catholique. Mais la porte était tellement étroite que ces sujets formaient « Le » repoussoir par excellence éloignant le plus grand nombre.
Le nouveau pape confie qu’on lui a déjà « reproché » de ne pas suffisamment évoquer « ces choses ». Il pense qu’il « n’est pas nécessaire d’en parler en permanence ». Il affirme même que l’on ne doit pas être « obsédé » par ces sujets. Certes, il n’entend pas brader la morale catholique – « nous la connaissons et je suis fils d’Église » – mais il définit comme jamais depuis son élection, une nouvelle politique pastorale : « L’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse. Aujourd’hui, il semble que prévaut l’ordre inverse. »
L’enjeu ? « Trouver un nouvel équilibre » sans quoi « l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes. » Avec des applications pratiques immédiates : il confirme dans l’entretien trois mains tendues, déjà exprimées ces derniers mois, vis-à-vis des homosexuels, des divorcés remariés et des femmes ayant vécu un avortement.
François prend-il ses distances avec la « droite » ?
« Je n’ai jamais été droite ». On ne peut être plus clair même si la traduction officielle française effectuée par la revue jésuite Études, est ambiguë voire inexacte. Elle traduit « je n’ai jamais été conservateur » alors que l’édition matrice, italienne, mais aussi espagnole et anglaise utilisent toutes le mot « droite ». Un Pape doit être au dessus des partis, politiques en particulier.
Mais il est clair que son mode de vie dépouillé (refus de l’appartement pontifical, mépris pour les voitures de luxe, simplification de sa sécurité), son insistance sur la pauvreté, son encouragement à l’accueil des immigrés (son voyage sur l’île de Lampedusa, sa visite récente à un centre de Rome) son ouverture explicite à l’islam (près d’une dizaine d’interventions en ce sens depuis six mois), traduisent une sensibilité qui, objectivement, n’est pas de droite. En cela, il heurte beaucoup de fidèles dans l’Église, notamment en Occident, même s’il rassure beaucoup dans les pays du sud.
Cela dit, dans ce passage de l’interview cette citation s’adresse aussi à ses confrères jésuites. François veut les impliquer dans son pontificat. Des frères qui l’avaient d’ailleurs mis à l’écart en Amérique Latine lui reprochant son « ultra-conservatisme » avant que Jean-Paul II ne le sorte de l’ombre en le nommant évêque. Une erreur de jeunesse, raconte François dans l’interview qui était liée à « ma manière autoritaire et rapide de prendre des décisions ». Un point sur lequel il affirme s’être corrigé depuis.
François affaiblit-il l’autorité papale ?
« Maintenant j’entends quelques personnes me dire « ne consultez pas trop, décidez ». Au contraire, je crois que la consultation est essentielle. » Le pape François confirme sa remise en cause d’un système de gouvernement très centralisé et pyramidal en vigueur sous le pontificat de Jean-Paul II et qui s’est renforcé sous Benoît XVI parce que la curie romaine avait pris le dessus.
François ouvre trois fronts de réforme : la façon même d’exercer le pouvoir papal, « je veux poursuivre la réflexion sur la manière d’exercer le primat de Pierre » ; le fonctionnement de la curie romaine, « les dicastères romains sont des médiateurs et non des gestionnaires » ; la façon de prendre les grandes décisions.
Sur ce dernier point il va s’inspirer de l’Église orthodoxe pour « apprendre davantage sur le sens de la collégialité épiscopale et sur la tradition de la synodalité. » Il s’agit, en clair, de retrouver dans l’Église catholique ce qu’elle a abandonné au fil des siècles, une direction « collégiale » et « synodale » où les cardinaux et les évêques ont voix au chapitre pour les décisions importantes.
Ce qui est une rupture avec l’actuelle pratique d’un cercle de hauts conseillers qui préparent les décisions pour le Pape. Ce qui est une application stricte – mais jamais mise en œuvre – de ce que prévoyait le Concile Vatican II. Beaucoup dans l’Église s’opposeront à cette réforme qui, de facto, affaiblit l’autorité du Pape même si celle-ci dépend également de sa personnalité et de son aura médiatique.
François explique enfin que le bon gouvernement demande du « discernement » et qu’il « requiert du temps » car il se méfie des « décisions prises de manière improvisée ». Et il avance cette maxime : « La première réforme doit être celle de la manière d’être. »
François tourne-t-il le dos à la mouvance traditionaliste ?
François ne donne pas d’importance à la liturgie, c’est-à-dire, la façon de célébrer la messe. Mais son pontificat est déjà en fort contraste sur ce point avec celui de Benoît XVI, marqué par l’échec d’une main tendue jusqu’au bout aux Lefebvristes et par une orientation doctrinale et liturgique où la sensibilité traditionaliste catholique se sentait parfaitement à l’aise.
Trois passages de l’interview indiquent un changement de cap radical, exprimé sans prendre de gants : « Si le chrétien est légaliste ou cherche la restauration, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trouvera rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces à Dieu. Celui qui aujourd’hui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière exagérée à la « sûreté » doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive. De cette manière, la foi devient une idéologie parmi d’autres. »
Il ajoute : « Si quelqu’un dit qu’il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu’il n’y a aucune marge d’incertitude, c’est que quelque chose ne va pas. C’est pour moi une clé importante. Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux prophète qui utilise la religion à son profit. »
Enfin, François ouvre explicitement la porte aux évolutions doctrinales : « la compréhension de l’homme change avec le temps et sa conscience s’approfondit aussi. (…) Les autres sciences et leur évolution aident l’Église dans cette croissance en compréhension. Il y a des normes et des préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui, aujourd’hui, ont perdu leur valeur ou leur signification. Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance. »
Jean-Marie Guénois
Source : Le Figaro du 20 septembre 2013