N° 8 – Octobre 2006
hère Madame,
« Quand Dieu créa l’homme, quand Il le sculpta de sa main divine, après qu’Il eut mis la beauté sur son visage, la parole sur ses lèvres, la flamme de l’intelligence sur son front, semblable à un artiste qui garde pour le sanctuaire ce qu’il a de plus divin dans son art, Il plaça dans sa poitrine, comme un don qui devait éclipser tous les autres : le cœur. » (Mgr. Bougaud)
Au point de vue physiologique, le cœur est l’organe d’où le sang part comme de sa source pour courir dans toutes nos veines, où il revient pour se purifier et pour s’élancer encore en flots de vie à tous les points de notre organisme.
Au point de vue moral, le cœur est la noble faculté d’aimer. Et comme l’amour entraîne tout l’homme vers l’objet aimé et le transforme pour ainsi dire en cet objet, le cœur donne, à lui seul, la valeur des âmes et les classe dans les rangs de la vertu et de l’honneur, ou bien parmi le vil troupeau des abjects et des dépravés.
Le cœur a été souvent chanté. On dit qu’il est l’inspirateur des grandes pensées et le mobile des nobles actions. Voyons quelques exemples : qu’est-ce qui a fait Saint Vincent de Paul ? L’amour du prochain, le cœur. Qu’est-ce qui a fait Jeanne d’Arc ? L’amour de la patrie, le cœur. Qu’est-ce qui a fait la sainteté d’Augustin ? Regardez la statue, telle que l’a faite l’art chrétien ; la réponse est là, toute donnée : Saint Augustin tient en main un cœur.
Qu’est-ce que Dieu ? Dieu, c’est surtout un cœur ; « Dieu est charité ». (Ière Ep. St Jean 4–8)
Et qu’est-ce que Dieu demande particulièrement de nous ? Est-ce la richesse ? la réussite ? une vie toute pleine d’actions d’éclat ? Non. C’est le cœur. « Donne-moi ton cœur » dit-Il à chacun de nous. C’est cela que nous devons transmettre à nos enfants.
Ainsi, le rôle primordial du cœur nous dit assez que nous n’avons pas le droit de nous désintéresser de sa formation, de son développement. On ne peut le supprimer. Notre-Seigneur a dit : « Aimez-vous les uns les autres ». Si les grandes pensées viennent du cœur, les grandes actions et les belles vies aussi.
Il faut l’avouer, à défaut de former le cœur, on s’attache davantage à orner l’intelligence, à dresser la volonté, à rectifier le jugement, à initier aux bonnes manières. Pourquoi cette négligence ? Les parents supposent que leurs petits « ont du cœur », du bon cœur, parce qu’ils sont caressants ou aiment à se faire dorloter. C’est vrai, d’ailleurs, généralement. Mais le cœur a cependant besoin d’être provoqué, découvert, éduqué, excité ou modéré, ou canalisé. Il faut refouler certains sentiments, en diriger, développer, créer certains autres. Tout au moins, doit-on apprendre les fondements profonds de cette bonté naturelle, et parfois rectifier ou mettre au point les élans des petits, si l’on veut qu’ils ne s’égarent, ne s’épuisent ou ne s’arrêtent devant un intérêt personnel.
Voici un exemple vécu et concret. Un prêtre se promenait avec son neveu de quatre ans ; ils rencontrent une mendiante avec un petit enfant : « Mon oncle, c’est vrai que si je donne ma pomme au petit pauvre j’irai droit au ciel ? » Que dire ? Ne voulant ni le dissuader d’un si bon geste, ni lui laisser croire que le paradis perdu pour une pomme se rachetât à si bon compte, le prêtre répondit : « Si tu n’y vas pas tout droit pour si peu, du moins Jésus sera plus content de t’y recevoir quand tu y arriveras ». Satisfait de cette promesse l’enfant s’en alla porter son offrande au petit pauvre et même y ajouta un baiser ! Puis il s’en revint tout joyeux du don qu’il avait fait, battant des bras comme s’il avait des ailes ; et il s’exclama très convaincu : « Il me semble que je m’envole ».
Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. L’enfant en fit là l’expérience. Quelle aurait été la réaction de l’enfant si l’oncle avait voulu parler à son intelligence en lui « expliquant » plutôt qu’en faisant parler son cœur ? Ce « Jésus sera plus content… » eut pour effet pour l’enfant d’ajouter un baiser, signe de l’amitié.
Le fond des enfants est donc bon. Mais encore faut-il ne pas replier ou laisser se fatiguer en vaines démonstrations les ailes des enfants avides de se déployer. La maman doit profiter de la situation pour montrer que faire plaisir met le cœur en fête et donne des ailes.
Il est des mamans qui pensent que le cœur et les sentiments échappent à toute éducation : leur développement serait fatal et le cœur serait aveugle. Nous devons l’aider afin qu’il soit parfaitement clairvoyant ; le cœur n’est pas aveugle mais aveuglé par les passions que l’enfant n’a pas encore la volonté de combattre. C’est à la maman qu’appartient la charge d’aider son enfant à combattre ses défauts en formant sa volonté et à stimuler ce courage. A côté de la formation du cœur s’ajoute la formation des sentiments ; la maman doit tendre à obtenir la maîtrise du cœur dès la petite enfance ; ce sera une grande aide pour l’adolescence. Pour cela, il faut la commencer à la place de l’enfant, puis de concert avec lui pour qu’il la continue tout seul.
On a souvent comparé le rôle du cœur à celui d’un gouvernail ; c’est dire l’importance capitale de son action, mais aussi la possibilité et la nécessité de le surveiller et de le régir : ce gouvernail, il faut le manœuvrer ; comme une voile, il faut l’orienter, lui faire saisir le bon vent et la détourner du mauvais.
Nous ne pouvons donc pas nous désintéresser de l’éducation du cœur qui doit jouer dans la vie le rôle le plus important. C’est la raison pour laquelle je vais y insister. Ce sujet est d’autant plus important que nous vivons dans un monde où la sensibilité semble avoir perdu son équilibre. En effet, on découvre de plus en plus que la nouvelle génération est trop impressionnable et se laisse porter par une sensibilité « suraiguë », autrement dit, par son cœur. D’autres seront accusés de trop de sécheresse de cœur, due peut-être au contact de la violence des films !…
D’où l’importance du sujet. Cette éducation du cœur est difficile pour plusieurs raisons. Elle est la seule peut-être qui ne puisse se faire collectivement ou en série. En tout premier lieu, il faut le cœur de la maman en contact avec le cœur de son enfant. Ensuite, cette éducation doit commencer de bonne heure et n’est jamais achevée ! Elle exige une patience et un tact infinis, une attention constante à varier et à adapter les méthodes selon l’âge et selon les crises. Ce qui complique encore la chose, c’est que le point de départ n’est pas, comme pour l’intelligence, « la table rase », mais le terrain est occupé par l’ennemi ! Bossuet dit : « Quand Dieu créa le cœur de l’homme, il y mit premièrement la bonté ». Hélas ! Le démon s’en approcha bien vite et y installa l’égoïsme. Il semble que la formule naturelle de l’enfant soit : moi d’abord, les autres s’il en reste !
De plus, cette éducation est difficile parce qu’il faut, à la fois, éviter de dresser un mur d’incompréhension entre vous et votre enfant, et, néanmoins, ne pas craindre de combattre énergiquement les déviations du sentiment. Il faut en même temps développer la spontanéité du cœur et le contrôler, développer les forces viriles et les sentiments délicats, mettre en valeur les grandes forces du cœur.
C’est une question où il est difficile même de donner des conseils ou des règles. Pour s’encourager, il faut souvent regarder le but magnifique qui est la fin des efforts. Ce but ou cet idéal, c’est de réaliser dans l’enfant un cœur à la fois sensible (délicat, élevé, accessible aux nobles sentiments), fort (habitué à conserver sa liberté, sa sérénité), fidèle malgré les circonstances et les heurts, généreux (dépouillé de lui-même), et enthousiaste (capable de vibrer). Or ces cinq qualités sensibilité, force, fidélité, générosité et enthousiasme, font les belles vies et les saints, à l’imitation du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie.
Que ce grand idéal vous donne la force de beaucoup travailler dans les pénibles fondations de ce magnifique édifice, pour la gloire de Dieu.
(à suivre…)
Une Religieuse.