hère Madame,
Cette éducation du cœur débute dans la famille ; elle est « l’œuvre » de la famille. A l’heure actuelle, beaucoup de parents comptent « trop » sur les écoles catholiques pour accomplir ce qu’ils n’ont pas su faire dès le plus jeune âge de leur enfant. Ce n’est pas ainsi qu’il y a lieu de concevoir l’éducation. L’école continue ce que les parents ont commencé, et, en collaboration avec eux, dans les mêmes vues évoquées précédemment.
Par le sacrement de mariage, les parents ont la grâce d’état pour cette œuvre d’éducation. Savent-ils y revenir pour bénéficier de toutes les grâces ?
Ainsi, le principal agent de cette éducation du cœur reste la famille. Elle a un rôle important dans toute cette éducation, mais quand il s’agit du cœur, ce rôle est primordial et non exclusif, car, dans les bonnes écoles catholiques, les prêtres ou religieux (ses) poursuivent cette formation du cœur. Cependant, il faut que celle-ci soit commencée dès les premiers mois de la vie de l’enfant. Il est difficile de rattraper, plus tard, ce qui n’a pas été fait dans la première enfance.
A quoi comparer la famille ? Elle est l’unique terrain où la jeune plante humaine puise des sucs à sa convenance. C’est dire combien il est important de préparer ce terrain. Aujourd’hui, on remarque souvent que les plus graves difficultés qui surviennent chez l’enfant sont dans l’ordre du cœur. Cela vient de ce que l’enfant ne se sent pas aimé, ou qu’il se sent incompris. La maman, de plus en plus pressée ou stressée par la vie moderne, ne prend pas assez le temps pour manifester son amour véritable vis-à-vis de son enfant, de chaque enfant en particulier, surtout lorsqu’il y a plusieurs enfants et qu’ils se suivent de près. Cela demande du temps et il faut savoir le trouver. C’est capital pour l’avenir de votre enfant. Cette manifestation de l’amour peut passer très facilement par le langage des yeux ; c’est plus rapide et moins fatiguant que par la parole. J’ai remarqué combien ce langage par les yeux calme ou rassure l’enfant selon le cas. Mais, il faut savoir soi-même regarder son enfant dans les yeux et prendre ce temps ! Car l’enfant, pour apprendre à aimer, a besoin de cette chaleur du cœur qui est l’amour. C’est aussi vital que la nourriture pour le corps. Si l’enfant ne voit pas ses parents s’aimer véritablement et l’aimer (dans le sens expliqué antérieurement), comment pourra-t-il lui-même aimer ? L’enfant réfléchit l’amour qu’il perçoit chez l’adulte et, en premier, chez sa mère. De là il pourra « saisir » l’amour de Dieu et pourra monter directement vers cet amour de Dieu.
Permettez-moi de vous donner un exemple. J’ai toujours été frappée en lisant Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de cette puissance de l’amour en elle, déjà toute jeune. Cette puissance qui lui faisait dire plus tard : « Depuis l’âge de trois ans je n’ai jamais rien refusé au Bon Dieu ». Elle avait des défauts, comme tout enfant ; mais elle les a combattus très jeune (j’insiste sur ce mot « très jeune »). Pourquoi ? Grâce à sa famille. Quel excellent terrain elle a eu, même en l’absence de sa maman qu’elle perdit à l’âge de quatre ans. Elle a très vite « compris » combien Dieu est Amour. Pourquoi ? L’exemple de son père était pour elle l’image de l’amour de Dieu pour elle. Quelle puissance que l’exemple ! Elle a transposé dans l’amour du Père Eternel – « Notre Père qui êtes aux cieux » – cet amour de son père de la terre. Elle a su répondre par l’amour à son père qui lui prodiguait l’amour ; de même avec le Bon Dieu. Et cette petite graine qui a germé dans sa toute petite enfance, au cœur de sa famille, entourée de ses sœurs qui, elles aussi, vénéraient leur père (respect mutuel, amour réciproque), a porté les fruits que nous connaissons tous : la sainteté et un modèle pour nous tous.
Chère Madame, ne craignez pas de prendre pour modèle cette grande Sainte. Plus vous la connaîtrez, plus vous serez émerveillée. Elle vous enseignera comment inculquer à votre enfant cette qualité de l’enfance, l’unique passeport pour accéder au Paradis. Nous avons tort de vouloir que l’enfant grandisse vite. On forge alors en lui trop tôt cet esprit d’indépendance qui tue la confiance et l’amour, ainsi que le respect que l’enfant doit à ses parents.
Les lettres de Madame Martin vous feront connaître toute la pédagogie de la maman de Sainte Thérèse. Elles vous montreront combien cette maman était attentive à chacun de ses enfants et combien elle les connaissait. Elle ne craignait pas de discerner, à côté des qualités de ses enfants, leurs défauts à corriger. La lecture de ces lettres est d’un grand enseignement.
A côté de la famille, certes, l’école, les bonnes écoles catholiques, est une grande aide, en continuant l’œuvre commencée dans la famille. C’est pourquoi je me permets d’insister sur le choix d’une bonne école catholique. L’enfant doit entendre le même son de cloche à l’école et à la maison. Il est très important pour l’équilibre de l’enfant que l’autorité soit UNE. Que le père ne critique pas la maman devant l’enfant quand elle le reprend, et réciproquement. La même attitude est à suivre dans les rapports entre les parents et le professeur de l’enfant. Ceci est indispensable pour une bonne cohésion dans l’éducation.
Comment l’école continue-t-elle l’éducation du cœur ? Les camarades sont de précieux auxiliaires pour cette formation parce qu’ils sont « impitoyables » aux diverses formes que prend l’égoïsme. Rappelons-nous le sort qui est réservé aux élèves qui trichent, mentent et sont insupportables aux autres. Le maître et, ensuite, le professeur, par leur impartialité, redresseront les habitudes égoïstes.
Enfin, une vie spirituelle (entendons-nous : le contact avec Dieu dans la prière et par le catéchisme) commencée très tôt facilitera cette formation du cœur. Voyez l’exemple précité. Seule la religion atteint le domaine secret de l’intention, du désir ; seule elle accompagne toujours (« Dieu est partout, Il voit tout : tout ce que je fais, tout ce que je dis, tout ce que je pense »); seule la Providence juge tout à fait exactement et donne, au moment nécessaire, les grâces de lumière et de force pour connaître son devoir et pour l’accomplir.
Mais tous ces précieux auxiliaires, c’est à la famille de les utiliser, de les appeler à son service, de les harmoniser dans un effort réglé. C’est sur ce terrain que les parents n’ont pas le droit d’abdiquer. Si vous avez besoin d’être aidée – soit – mais vous ne saurez pas être remplacée : c’est impossible, même à l’école.
Si vous saviez, Chère Madame, quel magnifique royaume à explorer, à munir de tout ce qui peut faire la raison de vivre, que le cœur d’un enfant. Quelle grandeur que d’éduquer un enfant, de lui apprendre à se servir de son cœur pour aimer Dieu et le prochain. Que c’est beau !
L’éducation du cœur débute de très bonne heure (je le réitère dès les premiers mois, car vous ne savez pas exactement à quel moment l’enfant vous « saisit »), et continue toujours.
Dans ce travail, on peut distinguer deux efforts :
– l’un négatif qui consiste à enlever ce qui tuerait le cœur, gênerait sa croissance ou la rendrait défectueuse,
– l’autre positif qui consiste à remplir le cœur ; le cœur plus que la nature a horreur du vide.
Ainsi, il faut combattre l’égoïsme, mais surtout mettre quelque chose à sa place, remplir le cœur. Mieux encore, il faut occuper la place avant l’ennemi et mettre l’égoïsme, ou l’amour de soi dans l’impossibilité de naître, en peuplant le cœur de belles et bonnes affections, et surtout en faisant contracter l’habitude du dévouement. Car l’enfant est capable d’une grande générosité si la maman exploite davantage cette partie du cœur qui aime à se donner. Par là, vous apprendrez à votre enfant à obéir par amour en se dévouant au prochain « proche », (dans la famille d’abord) par amour pour Dieu et par amour de son prochain. Ceci commence à la maison.
(à suivre…)
Une Religieuse.
Conseil de lecture : « Correspondance familiale » (Zélie et Louis Martin) – éditions du Cerf.