Comme toute société, la famille ne peut pas subsister sans une autorité. Celle-ci s’exerce selon une double modalité : l’autorité qui dirige la marche de la famille toute entière, détenue par le mari, et celle qui permet aux enfants d’être guidés jusqu’à leur maturité, détenue par le père et la mère, qui se complètent l’un l’autre dans cette tâche.
L’autorité du mari sur son épouse nous est magnifiquement rappelée par saint Paul dans son épître aux Ephésiens, qui établit une analogie entre le mariage et l’union du Christ à l’Eglise :
« Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur, car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Eglise, son corps, dont il est le Sauveur. Or de même que l’Eglise est soumise au Christ, les femmes doivent être soumises à leurs maris en toutes choses » (Eph V, 22–24).
Cette autorité du mari est éclairée par cette réflexion de Dieu, au moment de créer Eve : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul : je lui ferai une aide semblable à lui » (Gen II, 18). La femme est certes aide, c’est-à- dire adjointe, assistante qui se soumet à l’autorité du chef, mais aussi de même nature que le mari : cette autorité ne s’exerce pas à l’égard d’un mineur ou d’une servante, mais de celle qui est la chair de sa chair, les os de ses os et avec qui le mari ne fait plus qu’un. Pie XII le rappelle dans une allocution aux jeunes époux (10/09/1941) :
« Mais envers la femme que vous avez choisie pour compagne de votre vie, quelle délicatesse, quel respect, quelle affection votre autorité ne devra-telle pas témoigner et pratiquer en toutes circonstances, joyeuses ou tristes ! ».
Il est à noter que cette subordination de la femme à son mari comporte un aspect pénible depuis la chute originelle : la punition d’Eve consiste également à ressentir douloureusement cette domination du mari (Gen III, 16), de même que l’homme éprouvera de la peine pour accomplir son travail. Mais comme l’homme moderne veut retourner au fruit défendu, se faire de nouveau Dieu mais sans plus connaître le châtiment de son orgueil, en conséquence la femme refuse cette juste subordination et prétend à une parfaite égalité avec l’homme. C’est la fin de la hiérarchie familiale qui entraîne la débâcle de la famille. Il est vrai qu’instaurer une démocratie dans la famille est une gageure : la majorité des voix semble difficile à atteindre lorsque les avis divergent.
La femme peut bien sûr exposer son avis ou présenter ses objections. La sagesse populaire n’a‑t-elle pas d’ailleurs ciselé cette sentence : « Ce que femme veut, Dieu veut » ? Nous pouvons aussi rappeler ce que répondait Jean Jaurès à des camarades socialistes qui lui reprochaient la première communion de sa fille Madeleine : « Vous faites sans doute ce que vous voulez de votre femme, moi pas… ». Il n’empêche que l’épouse chrétienne s’humiliera en laissant le dernier mot à son mari et en le secondant loyalement dans ses vues, faisant le sacrifice généreux de sa volonté propre.
L’autorité des parents vis à vis de leurs enfants diffère sensiblement : il ne s’agit plus de deux personnes humaines majeures qui s’unissent volontairement pour fonder ensemble une famille, il s’agit d’un père et d’une mère qui dirigent leurs enfants afin de les faire parvenir à l’âge adulte. Cette autorité est plus absolue, on parle ici d’un pouvoir dominatif, mais elle est aussi transitoire : un jour, les enfants auront leur autonomie et décideront par eux-mêmes de la direction à donner à leur existence. Cette autorité s’effrite également de nos jours sous les coups de butoir des droits de l’enfant, de l’immixtion croissante de l’Etat et de la destruction de la famille qui entraîne en particulier la disparition de l’autorité paternelle.
La mentalité moderne nous pousse à considérer les enfants non plus comme des adultes en formation, des mineurs qui doivent attendre avant d’exercer leurs droits, mais comme des adultes en miniature, devant s’affranchir au plus tôt de toutes contraintes, tout en maintenant, cela s’entend, les obligations impérieuses de notre monde moderne, comme le devoir de consommation ou de dépravation morale. Ainsi, le devoir de juste correction qu’ont les parents ne peut-il plus s’exercer qu’avec de grandes précautions. Les enfants peuvent à tout moment appeler le 119 : le pouvoir civil viendra alors rappeler à l’ordre les parents fautifs. Certes, le pouvoir civil doit protéger les enfants maltraités et il n’interdit pas une juste correction. Il est cependant profondément subversif de mettre à disposition des enfants un tel service d’écoute téléphonique qui ne peut qu’effrayer les parents et leur faire renoncer à leur obligation de correction : « Celui qui ménage sa verge hait son fils, mais celui qui l’aime le corrige de bonne heure » (Prov XIII, 24).
L’Etat tend à s’ingérer toujours plus dans l’éducation, réduisant comme peau de chagrin l’autorité des parents. Le gouvernement actuel n’a‑t-il pas interdit le regroupement scolaire ? Une famille pouvait autrefois confier un enfant à une autre famille pratiquant l’école à la maison. C’est désormais chose durement réprimée. L’Etat pose en principe que : « Tout mineur accueilli hors du domicile des parents jusqu’au quatrième degré ou de son tuteur est placé sous la protection des autorités publiques » (article L227‑1 du code de l’action sociale et des familles). Les parents ne peuvent donc pas déléguer leur autorité et confier leurs enfants aux personnes de leur choix, l’Etat se déclare de droit le responsable des enfants dans ces cas. Ainsi, dès que sept mineurs sont accueillis pour ne serait-ce qu’une nuit hors du domicile familial, l’Etat impose ses règles contraignantes de régime de déclaration d’un séjour, d’encadrement des mineurs et de normes des bâtiments. Dernière étape : s’attribuer l’autorité sur les enfants dans tous les cas et la déléguer aux familles sous certaines conditions. Léon XIII rappelle justement, dans Rerum Novarum :
« L’autorité paternelle se saurait être absorbée par l’Etat, car elle a sa source là où la vie humaine prend la sienne. « Les fils sont quelque chose de leur père » ; ils sont en quelque sorte une extension de sa personne ; et, pour parler avec justesse, ce n’est pas immédiatement par eux-mêmes qu’ils s’agrègent et s’incorporent à la société civile, mais par l’intermédiaire de la société domestique dans laquelle ils sont nés. […] Ainsi, en substituant à la providence paternelle la providence de l’Etat, les socialistes vont contre la justice naturelle et brisent les liens de la famille ».
La destruction du lien familial avec la multiplication des divorces, des unions libres et des PACS donne l’algarade finale, le coup fatal à tout exercice d’autorité parentale. Les enfants sont ballottés entre leurs géniteurs, courtisés par le père et la mère afin de capter leur préférence. Les enfants n’ont plus deux parents, mais deux copains qui rivalisent de démagogie pour se les mettre dans la poche. Les nouveaux barbares ne viennent pas de l’extérieur : notre société leur sert de matrice elle-même.
L’autorité parentale, malgré tous ces obstacles, ne devra pas démissionner ou renoncer à s’exercer. Comme à une plante il faut un tuteur pour qu’elle pousse droit, aux petits d’hommes il faut des parents qui veillent avec amour, patience et fermeté à leur formation. Le but ultime du mariage n’est-il pas de peupler le ciel d’élus ?
Abbé Ludovic Girod, Prieur de Prunay
Extrait de La Sainte Ampoule n° 179 de novembre 2009